La transition écologique

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Les risques d'effondrements sont réels et peuvent avoir des allures d'apocalypse, mais ils ne sont ni aussi assurés, ni aussi proches, ni aussi définitifs que nous le présentent les catastrophistes, et surtout on peut en éviter certains une fois bien identifiés. L'exagération est une tendance très répandue, comme on prétend qu'une guerre nucléaire détruirait la planète ! Cela n'empêche pas évidemment qu'il faut absolument éviter une guerre nucléaire, qui serait absolument catastrophique même si elle reste localisée. Vraiment pas la peine d'en rajouter ! Les avertissements des catastrophistes ne doivent pas être pris à la légère, juste avec un peu plus d'exactitude et de souci de mesures efficaces, tenant compte du possible effectif et de nos moyens limités au lieu d'en rester à de vaines protestations. Rien de pire que cette délectation de la fin du monde qu'on entend trop souvent et qui procure l'illusion d'être les derniers hommes, vivant un moment exceptionnel, celui de la fin de tout !

Si l'optimisme n'est pas de mise face à des menaces réelles et des catastrophes que nous ne pourrons pas toutes éviter, l'examen des données actuelles laissent penser qu'on a les moyens de s'en sortir malgré tout, aussi incroyable cela puisse paraître aux yeux des écologistes. Ce n'est certes pas gagné d'avance mais la transition écologique est déjà engagée sur la plupart des points, et ceci sans avoir à sortir de la société de marché, ce qui ne se fera pas de toutes façons au niveau planétaire même si on est persuadé que ce serait nécessaire. Il n'y a rien à changer sur les principes de base de l'écologie et d'une vie la plus écologique possible. Tout ce qui va dans ce sens est à encourager avec l'espoir d'en faire un mouvement de masse, mais les villes ne vont pas retourner à la campagne et il n'y a pas de sortie du capitalisme ni de l'évolution technologique en vue. Après toutes ces années, continuer à y croire serait du pur déni, le capitalisme ne recule pas mais continue à s'étendre. Ce qui est étonnant, c'est que même dans ce contexte qu'on peut dire anti-écologique (productivisme, société de consommation, financiarisation), le minimum qui reste possible pourrait nous permettre malgré tout de passer le cap du pic de population. Ce n'est pas sûr, mais pas impossible non plus - sauf à se croire plus savant que les savants.

L'écologie-politique n'a plus aucune chance à ce jour de changer la société, ce qui n'invalide pas les raisons de défendre une écologie municipale qui finira peut-être par s'imposer, mais comme on en est loin, il faut se convertir en attendant à des actions réalistes et ciblés, en soutenant aussi bien les ONG que les alternatives locales ou les ZAD et leurs expérimentations, cependant, à l'évidence, ce qui reste le plus important matériellement, le plus efficace, ce sont encore les lois et mesures que peuvent prendre des gouvernements et leur ministère de l'écologie. Même insuffisantes, il faut les soutenir au lieu d'affaiblir notre ministère qui fait ce qu'il peut. Un écologiste ne peut être extrémiste, ce qui est gagné est gagné, et pourra être amélioré à l'avenir. Or, ce qu'il faut montrer, c'est que ce n'est pas rien et que ça va dans la bonne direction, même si ce n'était pas la nôtre. Quand on fait un survol des politiques menées, on voit bien que nous sommes déjà rentrés dans la transition écologique sur plusieurs plans, certes à petits pas et avec ce qu'on doit bien appeler une écologie marchande.

Ainsi, depuis plusieurs années maintenant, on constate que la transition énergétique est bien entamée, même si elle n'a pas encore conduit à une diminution de la consommation de pétrole (notamment dans les pays en développement). Ce n'est pas le pétrole qui va manquer, hélas, mais les énergies renouvelables qui montent en puissance. Les voitures électriques commencent enfin à se substituer aux véhicules à essence, dont plusieurs Etats visent la suppression, c'est assez inespéré et une condition pour se passer de pétrole (bien que des carburants neutres en CO2 finiront par être concurrentiels). L'avenir est au solaire dont les prix vont continuer à chuter et qui s'introduira partout. Il faut arriver à supprimer les coûts d'installation (en l'intégrant dans la construction ou avec des kits faciles à poser soi-même). L'autre problème qui freine un déploiement trop rapide, c'est bien sûr la fluctuation de l'énergie solaire et le manque de capacités de stockage, problème en cours de résolution mais qui demandera encore quelques années avant de pouvoir se passer de centrales thermiques ou nucléaires. Tant qu'on n'est pas arrivé à l'ère de l'énergie abondante et gratuite (ce qui ne sera pas sans nuisances supplémentaires), les économies d'énergie sont une des principales sources de réduction des émissions (maisons passives, matériaux économes, gestion intelligente).

Tout cela reste assez marginal encore et ne permettrait pas de sortir du catastrophisme si la perspective d'une capture du CO2 n'y était associée, ce qui n'est pas assez pris en compte. C'est le GIEC, faisant le constat de l'impuissance politique, qui l'a mise en avant alors que la technologie était loin d'être concluante, mais l'investissement dans la recherche montre que cela va devenir tout-à-fait réalisable. C'est le point crucial. Il ne s'agit pas d'y "croire", ce sont des recherches en cours qui commencent à donner des résultats et démontrer leur faisabilité voire leur rentabilité. Finalement, la technologie pourrait nous sauver, même si on était persuadé du contraire ! Cela ne veut pas dire qu'on pourrait se reposer dessus, ce n'est qu'un élément nécessaire mais non suffisant, qui dépend notamment de son financement et ne peut se réduire aux opérations rentables. Que cela soit possible ne veut pas dire que ce sera mis en oeuvre à grande échelle, il faut du moins savoir que ce serait possible.

Le plus préoccupant et qu'il faudrait absolument inverser, c'est la déforestation qui continue. Plus généralement, l'agriculture constitue l'autre élément fondamental de la transition écologique. La soutenabilité des prochaines années jusqu'au pic de population dépend en grande partie des pratiques agricoles. C'est loin d'être gagné là aussi mais on ne peut pas dire que le mouvement n'est pas déjà engagé vers une "agroécologie" et de meilleures pratiques, avec une réduction des produits chimiques (engrais et insecticides) ainsi que de nouvelles sources de nourriture (algues, insectes). La question du phosphore n'est pas encore réglée et la réduction de l'élevage constitue un enjeu vital, donc notre consommation de viande. Pour y arriver, si on peut encourager le végétarisme, il faudra compter plutôt sur la viande artificielle. Ce n'est plus de la science-fiction et déjà disponible alors que cela semblait impensable. Le souci du bien-être animal va aussi dans ce sens. S'ajoute, aux bonnes pratiques agricoles, l'organisation de circuits courts à chaque fois que c'est possible, reconstituant un tissu local. C'est là que peuvent s'introduire des réseaux alternatifs ou "équitables" (il ne suffit pas de le dire), participant à une relocalisation productive (coopératives, monnaies locales).

Une agriculture plus écologique conditionne également la préservation de la biodiversité et des milieux. La situation est très différenciée selon les endroits mais c'est le domaine qui laisse le moins d'espoir à ce jour. La sixième extinction semble inéluctable. Du moins, l'alerte est donnée et on commence à s'en préoccuper, peut-être trop tard ? La disparition des insectes et des oiseaux nous promet un printemps silencieux ne présageant rien de bon. Si on arrêtait les insecticides, la situation pourrait se retourner assez rapidement mais ce n'est pas encore d'actualité pour l'instant. L'effondrement d'écosystèmes entiers reste donc probable, qu'on tentera de reconstituer difficilement ensuite... C'est sans doute là où les écologistes ont leur rôle à jouer localement, et devraient intervenir dans les projets d'urbanisme entre autres, mais la nature risque bien de se réduire à des zones protégées qui dépendent de notre vigilance.

La réduction de la pollution est un vaste chantier ouvert depuis longtemps maintenant et qui n'est pas sans résultats mais qui est une tâche infinie. La règlementation est ici l'essentiel pour, par exemple, réduire les emballages et augmenter le recyclage. Les imprimantes 3D seront certainement utiles pour réduire les pertes de matière et les transports pour les pièces qui ne sont pas fabriquées en série. Ce n'est pas un élément qui me semble aussi décisif qu'à André Gorz - qui y voyait surtout un moyen de changer le travail - mais qui n'est pas négligeable pour autant et apporte sa part, tout comme le numérique en général.

L'écologie est amenée à déborder de son domaine propre pour se préoccuper des causes, et donc de la production et du travail comme des inégalités, mais alors qu'on pouvait penser que les transformations du travail seraient la base de la transition écologique, il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas le cas. Il n'est plus possible de compter sur ces utopies, au moins à court terme. Aujourd'hui, il nous faut soutenir la transition écologique en cours en même temps que les alternatives locales mais en sachant cette fois que ce ne sont pas les alternatives qui vont nous sauver. Il n'y aura pas de bifurcation soudaine.

Répétons que ce n'est pas gagné. Il n'est pas temps de pousser un ouf de soulagement. Le plus grand défi n'est pas seulement la persistance de l'explosion démographique en Afrique mais le développement des pays les plus peuplés dépourvus d'infrastructures, ce que les smartphones et la blockchain devraient accélérer. Il est vital de leur faire profiter des techniques les plus propres. Le développement devrait du moins réduire la natalité et, pour ne pas trop retarder le pic de population, la priorité est d'investir dans l'éducation des filles (ce qui est un des seuls engagements du dernier G7). C'est un moment crucial que nous devons affronter avant la décroissance de la population et des consommations, il est très improbable que cela se passe mieux que dans les temps passés, mais il n'est pas sûr non plus que ce soit tellement pire.

Ce qui se dessine ainsi n'est pas forcément brillant, et même plutôt décevant, rien d'extraordinaire qui change la vie, ni un bel avenir ni l'absence de futur, ni ce dont on pouvait rêver, ni même ce qu'on peut trouver souhaitable, mais c'est ce qui se passe réellement et auquel il faut participer. Il ne s'agit pas de prétendre que cela suffira, notre action peut être utile souvent pour progresser mais s'il ne faut pas la surestimer, il est raisonnable de penser que tous ces éléments se développant à l'avenir pourraient au moins diminuer les risques. De toutes façons, il n'est pas sérieux de continuer à croire à des solutions plus radicales dans l'immédiat, même s'il faut encourager les expérimentations et leur diffusion. Ce n'est pas l'un ou l'autre mais l'un et l'autre, atteindre ses fins par tous les moyens (ce qu'on appelle l'équifinalité). Rien de sûr, mais pas complètement impossible - il n'en faut pas plus pour tenter de faire le nécessaire.

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