L’imposture populiste

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Ce qui devrait être le coeur de la philosophie, c'est bien la question politique, de son irrationalité et de son impuissance. La seule question philosophique sérieuse est celle de notre suicide collectif, la philosophie pratique ne pouvant se réduire à l'individuel qui n'est rien sans l'action collective. Ce que les anciens Grecs appelaient sagesse, celle des 7 sages, était une sagesse politique, bien si précieux car si rare au milieu des folies collectives. Platon lui-même n'aura pas brillé par ses tentatives d'occuper le rôle du roi-philosophe. Rien de plus difficile en effet que de faire régner la concorde et la justice quand tout s'y oppose, passions publiques et intérêts privés, mais surtout notre ignorance qui nous fait adhérer aux solutions simplistes de démagogues.

De nos jours, dans le monde des réseaux globalisés et des échanges marchands, c'est-à-dire d'un Etat de droit qui s'impose à nous et qu'on ne peut plus remettre en cause à cette échelle, on peut trouver cela encore plus désespérant car, au-delà du local, la portée de l'action politique s'en trouve extrêmement réduite par rapport aux cités antiques. Un peu comme dans les empires, et contrairement aux discours d'estrade, désormais les institutions démocratiques ne sont plus du tout dans nos pays l'émanation d'un peuple souverain mais s'adressent à la diversité des citoyens dans un ordre mondial établi (défendu par la puissance américaine au nom des droits de l'homme et de la marchandise).

C'est là qu'on aurait bien besoin d'une critique de la raison pratique qui en montre toutes les limites, comme la raison pure a dû admettre les siennes, au lieu de prétendre à un universel sans effectivité. Il s'agit de renverser l'idéalisme du sujet, actif et libre, en matérialisme d'une action dictée par l'extérieur. Alors qu'on s'enorgueillit de toutes parts de cultiver l'idéalisme des valeurs qui nous élèvent et les vertus du volontarisme, qui nous ferait triompher de tous les obstacles sur lesquels nos prédécesseurs s'étaient cassé le nez, il nous faudrait nous résoudre au contraire à un peu plus de modestie et une rationalité limitée confrontée à des forces sociales qui nous sont hostiles et des puissances matérielles qui nous contraignent. Ce n'est pas la radicalité du devoir-être, des bonnes intentions initiales, qu'il nous faudrait renier mais les fantasmes de toute-puissance qui font disparaître la dureté du réel, sa multiplicité et la part du négatif dans une surestimation délirante de nos moyens. Ce délire de présomption si enthousiasmant promet des lendemains qui déchantent et cherchent des boucs émissaires à la trahison d'un si beau projet (on a déjà connu). Au lieu de faire assaut de radicalité, s'enivrer de mots et faire violence à un réel qui nous résiste, il n'y a pas d'autre voie que d'essayer d'identifier les leviers qui nous restent et de guider son action sur ses résultats, on peut même dire sur son peu de résultat, question qui devrait nous préoccuper plus que tout car on ne peut en rester là.

Il ne fait aucun doute que ce monde est insupportable et qu'il faudrait le changer, il n'y a absolument pas coïncidence entre la pensée et l'être mais bien plutôt disjonction entre l'être et le devoir-être. Nous sommes loin de vivre dans le meilleur des mondes qu'on puisse célébrer. Comment ne pas avoir la rage, depuis toujours, contre les conditions qui nous sont faites et l'injustice universelle ? S'y ajoute désormais l'impératif des urgences écologiques qui rendent plus incontournable encore la nécessité de changer de vie. Il faut partir de ce dualisme initial, rencontre d'une pensée immatérielle menacée matériellement par le non-être qu'elle doit surmonter. Il ne suffit pas pour autant de vouloir pour pouvoir. C'est difficile à comprendre, encore plus à admettre, tant les solutions peuvent sembler relever de l'évidence, mais la réalité première que nous devons reconnaître est bien celle de notre échec, de l'impossible sur lequel on se cogne et du peu de portée d'années de militantisme comme des débats théoriques de l'époque. C'est le préalable pour essayer au moins de trouver les voies d'une action plus efficace, que ce ne soit pas un devoir-être pour rire.

La révolte se tourne naturellement vers les théories subversives disponibles qui prétendent offrir un débouché à sa volonté de changer le monde mais elle ne fait le plus souvent ainsi que se nourrir d'illusions. Depuis la fin du communisme, car notre problème est bien l'échec du communisme partout, les aspirations révolutionnaires à l'égalité et la justice, ne trouvant plus d'autres issues, ont dérivé de plus en plus vers l'extrême-droite, de l'islamisme au nationalisme. Au niveau théorique, on a assisté aussi à l'impensable retour d'une sorte de fascisme, sous la forme adoucie du "populisme", auquel Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ont voulu donner une dangereuse caution intellectuelle, organisant la confusion entre gauche et droite, alors que, malgré leurs dénégations, le populisme reste l'appel à un pouvoir autoritaire, volontariste, souverainiste, nationaliste et identitaire.

Il faut concéder aux populistes qu'on ne peut guère imaginer un pouvoir "révolutionnaire" qu'au niveau national (un Etat fort contre l'argent fort) et que la nécessité de retrouver une souveraineté perdue oblige à sortir au moins de l'Europe et de l'Euro - il faudrait même sortir du monde ce que savaient bien les premiers marxistes qui ne croyaient pas au communisme dans un seul pays ! Ce que savaient aussi les marxistes, c'est que ce pouvoir ne peut être qu'autoritaire, voire dictatorial, mettant en place une véritable guerre civile derrière les fantasmes d'unanimité et de pouvoir des conseils. Tout cela est cohérent, mais ne mène qu'au pire. Le retour de l'Etat, y compris l'Etat social, comme rempart contre le libéralisme est effectivement ce qui spécifie le fascisme par rapport aux dictatures ordinaires, ce qu'il a pris au communisme. Y renoncer est certes renoncer à tout changer au pas de charge. L'alternative serait donc de laisser les marchés nous dominer (les flux) ? sauf qu'on peut quand même s'en soustraire localement. En tout cas, plutôt l'injustice dans la liberté que plus d'injustice encore dans la terreur - même si c'est "au nom du peuple" ! Bien sûr, personne ne revendiquera la terreur considérée comme pure caricature d'une société qu'on veut plus humaine au contraire, aucun communiste n'a voulu le goulag, mais c'est pourtant ce que l'histoire enseigne et qu'on ne peut ignorer. Il ne s'agit pas de se faire peur pour ne plus rien faire mais refuser cet autoritarisme, c'est se dissoudre dans le débat démocratique pluraliste et n'est donc plus du populisme.

Tout dépend évidemment des circonstances et de ce qu'on appelle populisme mais se réclamer du péronisme qui lui-même s'inspirait de Mussolini n'a rien de rassurant. D'abord, au lieu de tout confondre, il faudrait bien différencier le populisme de ce qui relève plutôt des luttes anti-coloniales ou de libération nationale, avec un leader arrivant à mobiliser une majorité de la population indigène dominée par une minorité riche et blanche - et même si les régimes qui en sont issus ne sont pas pour autant des modèles de démocratie, c'est le moins qu'on puisse dire. Il ne s'agit pas sinon de refuser tout leader mais de limiter son emprise et lui opposer des contre-pouvoirs. Il y a toujours besoin d'un porte-parole dans lequel un mouvement se reconnaît et il est impossible de se passer d'un chef dans l'action, cela n'a rien à voir avec l'identification à un guide, pas plus que de prétendre incarner le peuple.

Il est complètement idiot de minimiser les risques du "culte de la personnalité", d'un pouvoir personnel, voire de l'ivresse du pouvoir, tout comme ceux de la psychologie des foules sur laquelle les fascismes se sont construits. Il est comique de rejeter les analyses de Gustave Le Bon sous prétexte qu'il n'était pas révolutionnaire, comme s'il avait inventé tout cela par dénigrement de la démocratie alors qu'il n'a fait que reprendre ce qu'on trouve un peu partout depuis Aristote au moins constatant que "la plupart des anciens tyrans sont sortis des chefs populaires 1305a 7". On peut comprendre qu'on n'en veuille rien savoir mais Freud a pu appliquer le même schéma aux hiérarchies (église, armée, partis). Les dérives même dans les syndicats ont été dénoncées depuis l'origine (par Alain entre autres), ce ne sont pas d'atroces calomnies même si cela n'empêche pas des moments forts, des expériences démocratiques enthousiasmantes surtout au début, au moment de la constitution des mouvements. Le groupe en fusion peut malgré tout déboucher facilement aussi sur la violence fasciste. Fermer les yeux sur ces risques bien établis est criminel, comme est criminel de minimiser nationalisme et xénophobie.

L'analyse sous-jacente à cette conception populiste du pouvoir est une sorte de lutte des classes simpliste devenue lutte politique entre dominants et dominés, entre une petite oligarchie féroce et la masse du peuple qu'on peut plus facilement désigner par sa nationalité, sa race ou sa religion que par un "signifiant vide" qui trouvera vite à se combler. Dans cette optique, nous serions simplement victimes d'une pathologie de la démocratie qui usurperait le pouvoir du peuple, il est donc logique d'attendre d'une nouvelle constitution le retour d'une véritable démocratie mais, si des progrès sont indéniablement souhaitables, la nouvelle démocratie ressemblera beaucoup à l'ancienne, avec des rapports de force entre courants relativement stables au cours des siècles. En tout cas, ce n'est pas ce qui règlera tous les problèmes, s'en remettre à la réforme de la démocratie n'étant finalement que l'aveu de ne pas arriver à s'entendre sur les réformes à faire ! Sauf que tout expliquer par l'Europe, la domination de l'Allemagne ou l'oligarchie permet de s'imaginer que tout est simple, qu'il y a un intérêt général bien connu que la propagande néolibérale des nantis voudrait nous cacher, comme si les économistes hétérodoxes étaient d'accord entre eux ! Quand on sera entre nous, tout ira mieux croit-on alors qu'on est déjà entre nous et incapables de s'accorder ! Le populisme qui serait "la nécessité ontologique d’exprimer la division sociale", on pourrait dire d'avoir un ennemi, est en fait une aspiration à l'Un assez terrifiante et produisant de l'exclusion car ce n'est jamais qu'une partie du peuple. L'identifier à la totalité, c'est prendre la partie pour le tout. Nos idéologues prétendent que "la constitution d’un peuple n’est possible qu’au prix d’une identification de tous les individus à un même leader" et de la mobilisation des émotions collectives, mais c'est ce peuple hypnotisé qui fait peur et qu'il faut rejeter. Nous sommes dans une démocratie pluraliste, pas dans l'armée ! L'expérience de Podemos qui revendique ce populisme de gauche dans une version plus libertaire n'a rien d'une réussite sinon de montrer que, malgré leur démocratisme, ils ne peuvent représenter le peuple tout entier. Ce qui disparaît d'ailleurs dans ces conceptions du peuple qui poursuivent une hégémonie idéologique, c'est le réel tout simplement, supposé se plier à une volonté unie. On peut dire que tous ces présupposés sont complètement faux.

Même si une partie de la gauche a toujours été tentée par les solutions autoritaires, il y a toujours eu aussi de fortes résistances mais ceux qui, comme Pierre Dardot et Christian Laval, s'opposent au populisme en mettant en cause l'hégémonie néolibérale, ne font d'une certaine façon qu'en soutenir la logique, comme s'il n'y avait pas de raisons matérielles à cette idéologie aujourd'hui en déclin pour des raisons tout aussi matérielles (le basculement dans l'économie numérique). Ce n'est pas du néolibéralisme que nous avons été victimes mais de l'évolution post-industrielle. Il est ridicule de prétendre expliquer l'évolution du PS par une "séduction" du néolibéralisme ! Il est par contre beaucoup plus utile de rappeler qu'une partie des révolutionnaires avaient été séduits par le pourtant si inconsistant général Boulanger : volonté déjà de "nationaliser" les petites gens et les plus déshérités, antiparlementarisme, autoritarisme dérivé d’une conception plébiscitaire de la démocratie ("Révision, référendum" fut le mot d’ordre fédérateur du boulangisme). On pourrait d'ailleurs remonter à Napoléon III élu sur un programme de suppression de la misère. On se rejoint aussi quand ils constatent que le régime de la discussion dans une démocratie pluraliste est incompatible avec une souveraineté qui réclame un sujet unifié.

La démocratie est par essence délibérative et la pratique de la délibération collective présuppose non une homogénéité, mais une hétérogénéité du peuple.

Résumons-nous : la seule alternative à l’oligarchie néolibérale est la démocratie comprise comme coparticipation au processus de délibération et de décision. Tout le reste n’est que bavardage et poudre aux yeux. La notion de « populisme » fait écran à cette alternative parce qu’elle brouille le concept de « démocratie » en rendant acceptable la prétendue « démocratie plébiscitaire ».

Je ne crois pas du tout que la démocratie soit une alternative au capitalisme, seulement à un pouvoir dictatorial mais, comme les fascismes, ce qui caractérise le populisme, complétant souverainisme et lutte idéologique, c'est bien le volontarisme affiché, qui ne s'encombre pas de la division des pouvoirs ni des corps intermédiaires, ce qui ne l'empêche pas de se cogner au réel. La seule issue du volontarisme, quand on en a les moyens, c'est la guerre qui résulte bien d'une décision souveraine cette fois, soude la population et permet d'intensifier la répression. Pour le reste, on le voit bien, ce n'est pas si facile de soumettre la réalité à sa loi. On retrouve en fait l'illusion de l'unanimité, d'une vérité qui se dévoilerait à tous une fois levé le voile de la propagande, et donc la toute puissance d'un peuple uni (El pueblo unido jamás será vencido). Il est effectivement très difficile de se déprendre de l'évidence identitaire que chacun voit le monde tel que je le vois et devrait être convaincu par mes certitudes, que si tous les gars du monde se donnaient la main, ce serait vraiment formidable ! Seulement, même si certains s'enflamment sur les places, cela ne se passe jamais comme ça, on devrait finir par le savoir au lieu de faire les ébahis. La méthode scientifique est justement fondée sur cet accord impossible des esprits en dehors de l'expérience : seule une objectivité peut trancher le conflit des représentations.

Que le marxisme se soit voulu scientifique et matérialiste n'est pas un détail ni une regrettable erreur mais ce qui a fait son succès et le différenciait du fascisme en n'étant pas une lutte pour des valeurs (nationales) qui nous divisent mais en s'appuyant sur les évolutions de la production et des forces matérielles qui s'imposent à tous. Gentile, le philosophe du fascisme fondait explicitement son activisme volontariste sur un marxisme débarrassé de son matérialisme économique au profit de l'idéalisme et du sacrifice pour ce qui est plus grand que soi. Nobles aspirations, sauf qu'elles s'opposent à d'autres. Il y a une très grande proximité entre communisme et fascisme en même temps qu'une opposition radicale, leurs ratages n'ont pas du tout le même sens mais on ne comprend plus bien leurs différences semble-t-il. Maintenant que l'expérience collectiviste a échoué matériellement, on oublie un peu trop l'importance de ce matérialisme qui arrivait à dépasser le subjectivisme individuel et, dans une certaine mesure, le conflit des valeurs. En rester à une question de préférences individuelles, et non de nécessité (même difficile à établir), ne peut, en effet, que dresser les diverses opinions les unes contre les autres sans espoir de réconciliation. On ne peut s'entendre que sur des faits, des actions pratiques - leur interprétation, le sens qu'on leur donne n'ayant pas besoin d'être les mêmes pour tous. La morale d'Etat est toujours suspecte et ne peut concurrencer les religions, tous les citoyens ne sont pas obligés d'être des républicains convaincus, seulement de respecter les lois pour participer au débat, aux élections et à l'action commune.

En tout cas, il faut arrêter de croire au Père Noël et qu'il suffit de vouloir pour pouvoir ou même qu'il suffit que ce soit nécessaire pour que ce soit possible ou de dire la vérité pour convaincre tout le monde. L'insuffisance des politiques pour réduire le réchauffement climatique est ici emblématique. Le problème n'est pas d'être radical en parole mais d'avoir un effet sur le réel. Il ne suffit pas de réunir des militants pour définir le souhaitable, il y a des nécessités qui s'imposent et auxquelles il faut essayer de faire face sans se monter la tête sur notre capacité à y arriver - capacité qui reste largement à prouver, que ce soit pour la protection de notre environnement, pourtant vitale, ou l'organisation de la solidarité. Il faut s'en persuader, c'est la nécessité qui nous détermine, pas le contraire, nous sommes et restons un produit de l'environnement, non les porteurs de valeurs divines, et nos moyens sont limités. L'échec politique vient toujours d'un excès de religiosité, de volontarisme, d'extrémisme, d'idéologie qui se fracasse sur les déterminismes matériels (techniques, économiques, politiques, sociaux, internationaux). Ne pas partir de cet échec récurrent, c'est être irresponsable et se condamner à répéter les mêmes erreurs. La possibilité d'intervenir sur le cours de l'histoire est hélas assez douteuse jusqu'ici alors qu'elle est devenue si pressante.

Ce que j'ai trouvé précieux chez Bookchin, pas assez connu mais inspirant les Kurdes, c'est justement de reconnaître l'échec, que ce soit de prétendues démocraties nationales (alors que seule une démocratie de face à face peut avoir quelque réalité) tout comme l'échec des coopératives dont très peu survivent dans un marché concurrentiel. C'est bien cet échec auquel répond son idée de coopérative municipale censée y remédier, structure hybride qui est aussi une politisation ou démocratisation des coopératives et du travail autonome. Il ne s'agit pas d'idéal mais de tirer les enseignements de nos échecs. Il ne s'agit pas non plus de prétendre décider souverainement d'un système économique, seulement de le construire petit à petit par le bas en lui fournissant des structures communales, en organisant la production locale et en s'intégrant à des réseaux alternatifs (ou des ONG). Ce n'est certes pas assez exaltant, ni à la hauteur de nos ambitions, ni surtout à la hauteur des urgences, j'ai bien du mal à m'y résigner moi-même, je ne vois pourtant pas d'autre façon de faire qui ne soit illusoire...

C'est le fait de vouloir nier l'échec qui a pu alimenter la montée du populisme ces dernières années (déjà sur le déclin après ses premières victoires?) mais n'est certainement pas le signe d'un nouveau progressisme, d'une "tradition démocratique fondée sur l’égalité, l’identité entre gouvernants et gouvernés et la souveraineté populaire" alors que derrière la dénonciation des élites, s'y expriment plutôt des tendances régressives qui ressemblent beaucoup au tournant antilibéral et antiparlementaire des années 1930 avec toutes ses tragiques conséquences. S'il y a pour cela des causes matérielles incontestables (chômage, déclassement, travailleurs pauvres, etc.), les justifications qu'on en donne ne font, quoiqu'on dise, que renforcer et légitimer les plus mauvais instincts identitaires, xénophobes, racistes.

On peut voir malgré tout derrière ces dérives nationalistes le retour de la régulation mondiale, et reste aussi la nécessité d'une politique plus favorable au petit peuple, pas seulement aux élites, d'une meilleure répartition des richesses créées mais, tout comme pour la protection de l'environnement, il ne suffit pas de le dire, ni même d'avoir la majorité pour y arriver (le naufrage actuel du Venezuela est là pour nous le rappeler). A condition qu'ils soient bien orientés et ne se focalisent pas sur la défense de droits acquis devenus obsolètes mais sur les enjeux concrets de l'avenir, les mouvements sociaux qui s'unissent autour d'un objectif précis, sont bien plus susceptibles d'apporter des réformes durables que par une prise de pouvoir politique et idéologique. La lutte des classes consiste à peser sur chaque décision et non à décider du tout. Tant qu'on fera croire que nous avons le choix, nous ne pourrons qu'échouer. Il est délirant de penser qu'une majorité électorale aurait le pouvoir de remodeler la société et l'économie à sa guise, que ce ne serait qu'une question de volonté, alors que s'il faut effectivement une autre politique pour le nouveau monde qui s'ouvre à nous, c'est une politique nécessaire et qui ne dépend pas tant de nos votes que de la réalité matérielle, des processus économiques et de l'état du monde.

Les populismes sont des impasses, des révolutions purement symboliques ne donnant qu'une satisfaction imaginaire momentanée et qui reculent au moins les indispensables adaptations aux évolutions extérieures. Cela n'empêche pas la nécessité d'une véritable rupture, d'une refondation de nos institutions et de nos protections sociales ainsi que d'une relocalisation de l'économie à l'ère de l'écologie, du numérique, des réseaux planétaires et du développement humain. Non pas un monde rêvé mais ce monde-ci qui change plus que nous le changeons et dont il faudra toujours corriger les dérives et les injustices par une constante vigilance.

Nous avons besoin de prospective et non pas d'utopies mais, malgré tous ses dangers et ses incertitudes, nous vivons certainement une époque passionnante. La génération que voilà est cruciale qui aura en charge de préserver notre avenir. Pour cela, nous n'aurons plus le droit de nous tromper de combats ni de perdre nos forces dans des espérances chimériques. Les menaces écologiques ne se contenteront pas de nos bonnes intentions ni de petits gestes. Il faut absolument prendre la mesure de notre impuissance politique pour la dépasser au lieu de se payer de mots et soulever les foules avec de faux espoirs.

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