L’impossible responsabilité du climat

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climatComme on le soutenait à l'époque (ce n'est pas l'énergie qui manque) contre ceux qui annonçaient une fin du pétrole imminente (et continuent à y croire!!), la question n’est certes pas du pic pétrolier sans cesse repoussé puisque, tout au contraire, il faudrait garder dans le sol un tiers des réserves pétrolières, la moitié du gaz naturel et 80% du charbon qui s’y trouvent ! Ce serait absolument vital mais paraît pourtant complètement irréaliste. On ne peut pas compter, en tout cas, sur un manque de carburant qui nous ferait entrer dans un monde à la Mad Max, ni se reposer sur cette "apocalypse pétrole" pour des "villes en transition" - car pendant ce temps là les émissions de gaz à effet de serre n'arrêtent pas de monter. Dans l'état actuel du monde, la seule façon de limiter l'extraction des énergies fossiles et nos émissions, semble bien d'accélérer le développement des énergies renouvelables qui atteignent leur maturité et deviennent enfin compétitives (notamment le solaire) aussi bien par rapport au pétrole qu'avec le nucléaire, donnant accès à une énergie gratuite et décentralisée. Il faut s'engager également dans la capture du CO2, l'isolation des bâtiments ainsi que la sauvegarde ou l'extension des forêts voire la réduction de l'élevage et de la consommation de viande, mais se concentrer sur cet objectif à notre portée de reconversion énergétique devrait être notre priorité, avec la plus grande capacité de rassemblement (suffisante?).

Cependant Naomi Klein est sans doute bien trop optimiste à s'imaginer que le climat pourrait être le vecteur de la transformation sociale et de la sortie du capitalisme. Ce qui est vrai, c'est que la responsabilité du climat unifie le monde mais la reconversion énergétique mobilisera encore largement une production industrielle capitalistique et ne sera pas le vecteur principal d'une transformation de notre système de production et de sa relocalisation qui viendront plus sûrement des nouvelles forces productives et formes de coopération ou d'échange à l'ère du numérique. Il faudrait là encore ne pas se tromper de stratégie ni mélanger les genres, ni tout ramener à l'énergie comme si nous ne vivions pas des bouleversements d'une ampleur inégalée avec la numérisation de la société. Les écologistes doivent travailler à la relocalisation (les circuits courts) et à réduire les hydrocarbures sans que cela soit exactement la même chose. Même si l'énergie est abondante, la relocalisation reste indispensable pour équilibrer la globalisation. La transition énergétique y participe par la décentralisation de la production électrique et la constitution de "micro-grids" mais n'en représente qu'un élément. De même, si le combat pour une production plus écologique est lui aussi crucial, et devrait réduire nos consommations, cela ne pourra pas suffire et il y a urgence car certaines prévisions font état du risque d'un réchauffement de 8°C qui serait si catastrophique que c'est à l'évidence impossible à prendre au sérieux !

Il ne s'agit pas de prétendre que ce serait sûr. Il n'y a aucune certitude en ces matières, cela fait partie de la difficulté mais la possibilité d'un emballement de la bombe méthane résultant de la fonte du permafrost et des hydrates de méthane marins reste très sous-estimée [une nouvelle étude se veut rassurante]. Que le catastrophisme ne soit pas forcément la meilleure stratégie pour mobiliser n'empêche pas que, dans l'état actuel des savoirs, il n'y a rien pour nous rassurer - même pas le palier actuel de la hausse car on devrait le payer d'un sévère rattrapage dans la prochaine phase du cycle océanique. Il ne s'agit pas d'avoir ses propres certitudes sur le sujet, seulement de ne pas rester sourds aux études scientifiques qui ne peuvent être toutes fausses comme certains aiment à l'imaginer, se croyant tellement supérieurs à pouvoir penser une complexité inaccessible aux autres. Certes de nouvelles études contredisent toujours partiellement les anciennes mais les enrichissent plutôt et ne changent rien aux principes de base des gaz à effet de serre. Le plus difficile à évaluer, ce sont les conséquences du réchauffement, plus ou moins catastrophiques, n'étant pas dépourvu d'effets bénéfiques au début jusqu'à un seuil difficile à chiffrer qu'il ne faudrait pas dépasser. On reste dans une grande incertitude. Quoi qu'il en soit, il faut bien s'aligner sur notre niveau de connaissance actuel avec toutes ses insuffisances, on n'a pas le choix. En tout état de cause, la complexité du climat et l'impossibilité de prévoir nos émissions ni les éruptions volcaniques pouvant refroidir la planète, font qu'on ne peut absolument pas "prédire" le climat futur, on peut juste se prémunir des désastres les plus probables, tenter d'éviter de trop grands écarts. Brandir ses propres convictions dans l'affaire, sans les démontrer dans une publication scientifique, est simplement sortir de la science qui ne peut jamais prétendre à une vérité définitive, seulement au vérifiable. Que les modèles climatiques soient encore peu fiables n'empêche pas qu'ils se fondent sur leur vérification et n'entraîne certainement pas que la fantaisie de ces messieurs serait plus vraisemblable à ne se baser sur rien que sur leur optimisme béat. Ces marchands de doute sont l'un des obstacles qui empêchent un consensus de se construire, constituant une bonne partie du problème. Les climato-sceptiques, qui prennent prétexte d'un relatif palier des températures pour se persuader que tout va bien, sont juste de dangereux irresponsables alors même que l'infime réchauffement qu'on connaît déjà peut nous paraître insupportable (28° au mois d'avril...). Qu'est-ce que ce sera quand on sera à plus de 2°C ! Dire que ce réchauffement profitera au Grand Nord est une imbécilité même si on finira tous par s'y réfugier peut-être. Il est aussi stupide de prétendre, comme Yves Coppens, que le climat ayant toujours changé, il n'y aurait rien de nouveau et c'est là encore feindre d'ignorer les conséquences catastrophiques que cela a provoqué, dont ne survivaient qu'un petit nombre (le paléoanthropologue pourra toujours en recueillir nos ossements). La vérité, c'est que les conséquences en sont terribles à chaque fois, incalculables en effet, et que l'intérêt du maintien de la stabilité climatique ne fera pas de doute trop longtemps (au lieu de subir passivement). Le principe d'homéostasie du vivant s'impose naturellement (par l'information).

Plus on ira vers ces extrémités qu'on nous annonce et plus on sera tenté d'expérimenter une géoingénierie qu'on ne maîtrise pas du tout et qui est d'autant plus problématique qu'une réduction de l'ensoleillement à un endroit peut provoquer des sécheresses à un autre. En l'absence d'un gouvernement mondial problématique, on pourrait bien avoir une guerre du climat (les USA s'y préparent). La seule géoingénierie acceptable, c'est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de capturer le CO2. Quoiqu'il en soit, la question du climat nous fait entrer incontestablement dans l'ère des régulations globales, c’est l’écologie en acte mais pas sous sa forme naïve, primitiviste, au contraire sous la forme de l’intégration de l’extériorité et de la réactivité. On peut dire de cette écologie qu'elle assumerait notre entrée dans l'Anthropocène, conscience des effets négatifs de notre production et de notre effet direct sur toute la biosphère. C'est une vielle antienne mais, d'une certaine façon, avec nos réseaux d'informations et d'énergie on transforme bien petit à petit la Terre en organisme, la structure d'internet étant très semblable à la structure d'un cerveau. Le mythe de Gaïa était prématuré d'une prétendue auto-régulation de la planète (il n'y avait effectivement pas d'équilibre climatique jusqu'ici), il ne le serait plus à se doter de véritables régulations écologiques et d'une gouvernance mondiale (qui n'ont rien d'un retour à la nature, participant plutôt à l'artificialisation du monde même dans ses zones préservées).

On n'y est pas du tout encore. Nous sommes bien dans le cas d'être contraints de réagir sous la pression des faits (il n'y a pas d'alternative) mais sans doute pas assez pressants encore et ce qui domine au contraire pour l'instant, ce sont toutes ces limitations cognitives qui nous réduisent à l'impuissance, empêchant de trouver un accord dont on aurait pourtant les moyens techniques mais pas politiques. C'est donc plutôt cette question politique qui devrait être mise au premier plan, domaine où ne brillent guère nos écolos qui se réfugient le plus souvent dans la simple protestation. On peut dire, en effet, que les scientifiques ont fait leur boulot mais qu'on se heurte à l'inertie politique. Comme dit Jean Jouzel : "En tant que scientifiques, nous avons l'impression d'avoir fait notre part. On ne peut pas être plus alarmistes. Pourtant, si l'objectif défini par les politiques est le bon, dès qu'il s'agit de passer aux actes, c'est très décevant. Et la hausse des émissions n'a jamais été aussi rapide que ces dernières années". L'urgence serait d'arrêter de brûler des hydrocarbures, mais on n'en prend pas vraiment le chemin ! Malgré tout, on ne peut prétendre que rien n'est fait. On commence même à en voir les effets, y compris la surproduction pétrolière, mais pas encore à la hauteur des enjeux, et s'il devrait y avoir de toute façon un boum des énergies renouvelables, un coup de pouce ne serait pas de trop pour organiser la transition et l'accélérer. Une mobilisation mondiale suffirait-elle à un basculement général ou est-ce trop naïf ? Que peut-on faire vraiment ? Peut-on peser sur les décisions des Etats et comment traduire la nécessité d'agir en actes effectifs qui ne soient pas juste individuels (autre impasse) ? Par-delà les incertitudes, les erreurs d'analyse, les fausses solutions et les marchands de doute, c'est la question à laquelle il serait crucial de répondre, sur laquelle on bute toujours et qui est loin d'être résolue...

Pour un numéro d'EcoRev' sur le climat et la COP21

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