Chavez et la révolution bolivarienne

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ChavezChavez et la révolution bolivarienne, Le Temps des cerises, 2005

Aussi étonnant que cela puisse paraitre, une révolution est en cours actuellement au Venezuela malgré le dénigrement systématique des médias. Certes, la figure d'Hugo Chávez est déroutante pour la gauche démocratique mais il a gagné toutes les élections et l'on se rend vite compte à quel point on ne peut appliquer nos catégories dans une situation si éloignée de la notre et juger avec nos critères cette bien curieuse révolution d'inspiration bolivarienne. Cela rend manifeste aussi qu'on ne peut avoir une vision idéalisée de la politique qui est un rapport de forces, une révolution a toujours des mauvais côtés, il ne s'agit jamais que de choisir le "bon côté" qui n'est souvent que le moins pire.

Mais Hugo Chávez est vraiment étonnant et pour l'instant il ne mériterait presque que des louanges même si on peut légitimement douter que cette période révolutionnaire basée sur la mobilisation des pauvres dure encore longtemps. Il a réformé la constitution, distribué des terres et scolarisé plus de 80% des enfants. C'est exactement ce qu'il fallait faire. On peut lui reprocher son imprévisibilité, son caractère de trublion qui effraie et dérange le jeu mais c'est grâce à cela qu'il a pu bouleverser le jeu diplomatique et redonner une impulsion au mouvement révolutionnaire dont Lula incarne plutôt l'échec.

Je ne parierais pas un Kopeck sur son avenir mais c'est l'illustration que l'histoire est faite de rencontres improbables. On hésite entre la prudence et l'enthousiasme. Rien n'est gagné encore mais il ne s'agit pas que de Chavez, avec les victoires électorales de la gauche sur tout le continent, il se pourrait bien que l'Amérique latine invente sous nos yeux un socialisme démocratique auquel on ne croyait plus, en démontrant qu'on peut avoir une politique révolutionnaire sans violences et sans renoncer ni à la démocratie, ni à réduire les inégalités.

Il est très problématique de soutenir un homme providentiel, qui plus est un militaire. Le "mythe Chavez" est plus que gênant mais force est de reconnaître qu'il essaie de se faire l'interprète d'un peuple qui le porte, et qu'il essaie de le faire au mieux comme pas mal de révolutionnaires au début... Il ne faut sans doute pas trop rêver mais du moins tenir compte des avancées et du contexte.

Ainsi, il faut savoir que Chavez se réclame de Simon Bolivar et donc d'une "tradition révolutionnaire" locale, fondatrice et véhiculée par l'armée (faite de pauvres). C'est une caractéristique que nous partageons avec ces pays de nous fonder sur une révolution et une tradition révolutionnaire (l'impayable "Parti Révolutionnaire Institutionnel" au Mexique). Cette tradition bolivarienne prône plus spécifiquement l'unité latino-américaine au contraire du socialisme dans un seul pays. Cela explique le rôle actif de Chavez en Amérique du sud et son partenariat avec Kirchner et Castro. Outre le fait que cela permet d'échapper à un patriotisme étroit, cette intégration d'une union latino-américaine minimise les risques d'évolution dictatoriale.

La situation n'est en rien comparable à la nôtre, non seulement parce que la priorité là-bas c'est la distribution des terres et l'alphabétisation, mais aussi parce qu'il ne peut y avoir de processus un tant soit peu révolutionnaire sans le contrôle de l'armée (cf. Pinochet). C'est pourquoi cette stratégie de jeunes sous-officiers d'union de l'armée et du peuple était sans doute indispensable même si on peut le déplorer.

Tous les exemples précédents ont fini par mal tourner, ce n'est pas une question de bonne volonté (Castro y croyait et y croit encore!). Il est donc bien délicat de soutenir Chavez mais Chavez lui-même ne fait que tenter de représenter le mouvement qui le porte et c'est ce mouvement qu'on peut soutenir, soutenir surtout sa démocratisation qui est la clé du succès futur (improbable).

D'ailleurs, la radicalisation du régime et sa conversion au socialisme ont été provoquées par le coup d'Etat raté de 2002, soutenu par les USA (renforçant l'anti-impérialisme dans la région), un peu comme c'est arrivé avec Castro que l'hostilité des Etats-Unis avait converti au communisme. Il avoue avoir été séduit auparavant par la troisième voie et pensait dépassée l'opposition de la droite et de la gauche, que c'était la fin de l'histoire... Maintenant il parle de socialisme et de "démocratie révolutionnaire" (démocratie participative et ouverte, "protagonique") mais dans un contexte clairement post-communiste même s'il s'inscrit dans l'histoire du socialisme.

Certes il mêle le Christ, le Che et Bolivar mais il se situe dans la vague altermondialiste et anti-impérialiste qui gagne tous les pays de la région et qu'il renforce et radicalise dans le respect de l'éthique, de la démocratie et du droit ! Le pan-américanisme de Chavez se révèle décisif dans la coopération régionale ainsi que dans le renouveau révolutionnaire et démocratique de toute l'Amérique latine, de Marcos à l'Argentine et même le retour inattendu de Cuba dans le jeu, avec la Bolivie et le Chili bientôt peut-être, en attendant que le Brésil se réveille de ses illusions... Il faut profiter de la dynamique et il serait absurde de ne pas en faire un allié dans la situation présente même si c'est un pari risqué et qu'il faut garder un regard critique.

Le problème n'est d'ailleurs pas tellement Chavez qui semble faire preuve, à la place où il s'est trouvé, d'une réelle bonne volonté, mais on ne peut se reposer sur un homme. Les insuffisances de cette révolution sont les notres, c'est l'insuffisance de nos propositions et d'une alternative au néolibéralisme, comme s'il fallait tout refaire et tout repenser à chaque fois, comme si un nouveau monde commençait dans les babutiements. L'action historique nous confronte cruellement à nos limites. Enfin, la politique est inévitablement pleine de compromis et de compromissions, loin de la pureté d'une belle âme purement spectatrice, ce qui n'est pas une raison pour renoncer à faire mieux, et ne doit pas empêcher non plus de garder ses distances avec les pouvoirs, aussi bienfaisants soient-ils. Il ne faut pas confondre les rôles mais apporter si possible notre pierre à la construction du "socialisme du XXIème siècle". Rien que pour avoir permis cela, vive Chavez ! (si la CIA le laisse vivre).

Quelques extraits d'un interview de juillet 2005 :

"Nous allons faire le socialisme à partir de nos propres racines, à partir de nos indigènes, à partir des communes au Paraguay et au Brésil, à partir du socialisme utopique représenté par Simon Rodriguez, à partir des idées de Bolivar sur la liberté et l’égalité, à partir des idées d’Artigas, le grand Uruguayen selon lesquelles il faut inverser l’ordre de la justice en éliminant les privilèges. Je crois que nous avons déjà commencé cette tâche."

"Dans le domaine social, le socialisme doit conjuguer la liberté avec l’égalité. Une société sans exclus, d’égaux, sans privilèges, sans cette abyssale différence entre l’extrême richesse et l’extrême pauvreté. Dans le domaine économique : un changement du système de fonctionnement métabolique du Capital. Ceci est une question complexe à aborder. Nous avons commencé ici des expériences telles que le coopérativisme et l’ « associativisme », la propriété collective, la banque populaire et des noyaux de développement endogène, etc. Il s’agit d’abandonner la logique perverse de fonctionnement du capitalisme. Beaucoup d’expériences telles que l’autogestion ou la cogestion, la propriété coopérative et collective sont valables. Nous sommes en train de mettre en route des tentatives d’entreprises de production sociales et des unités de production communautaires. C’est encore tout nouveau, mais cela nous aidera à définir un modèle théorique. Il s’agit également de quelque chose de particulier : ce n’est pas un groupe d’intellectuels qui écrit un livre de deux mille pages. La théorie et la pratique doivent marcher ensemble."

"Mais s’il y eut jamais de moment favorable pour avancer et obtenir des victoires importantes sur le cap historique que nous nous sommes fixé, s’il est un moment où il faut saisir l’opportunité pour avancer, c’est bien ici et maintenant."

Hugo Chavez, juillet 2005

http://www.voltairenet.org/article132461.html

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3 réflexions au sujet de “Chavez et la révolution bolivarienne”

  1. Vivant une partie de l'annee au Venezuela, je peux confirmer que la transformation de la societe venezuelienne est intense et unique. Il reste que la lutte des nantis aides par les US est impitoyable, que la destabilisation se fait par la provocation d'un climat de violence dans les banlieues des grandes cites, par des tentatives permanentes de destabilisation des militaires et paramilitaires. Combien de temps pourra durer cet etat de grace ? C'est la question qu'il faut se poser... Et comment faire pour aider celui ci a persister ?

  2. Merci de ce témoignage.

    Il me semble que seuls les vénézueliens peuvent sauver la révolution bolivarienne. De ce point de vue, la force de Chavez est sa faiblesse. Son pouvoir dépend de la mobilisation populaire, au contraire de Lula au Brésil et c'est pour cela que Lula échoue et que la révolution bolivarienne peut transformer la société en profondeur sans l'illusion que le pouvoir le ferait à leur place.

    Ce qui donne de l'espoir c'est que la dynamique régionale renforce le camp anti-impérialiste mais toutes les révolutions ont une fin et doivent passer l'épreuve de l'inévitable réaction, qui peut être assumée par les révolutionnaires eux-mêmes (comme Castro).

    On n'en est pas encore là, l'année prochaine annonce plutôt de grands chambardements. Après toutes ces années d'hiver, c'est maintenant le néolibéralisme qui est en perte de vitesse et ne parvient plus à convaincre de sa légitimité. Il semble bien que différentes lignes se rejoignent et se renforcent pour faire de 2006 une année cruciale dans l'histoire du monde.

  3. Très bon votre article , ça nous change des commentaires de Libe sur Chavez et autres manifestations people sur les droits de l'homme à Cuba ;la victoire d'une candidate socialiste au Chili pour les présidentielles, est également un évènement qui contribue à nous faire croire que la démocratie peut encore gagner du terrain en Amérique latine; ceci dit , la CIA n'a pas dit son dernier mot ....
    Chavez est sûrement un pied de nez à l'histoire et un paradoxe pour la démocratie, mais souvenez vous de la révolution des oeuillets en 1974 au Portugal : au départ de tout , il ya bien eu l'action d'une poignée de militaires hostiles à la guerre en ANGOLA, suivi d'un vaste mouvement populaire pour faire tomber le gouvernement post salazariste;bref, nous devons tous apprendre à nous méfier de nos propres schemas en face de l'histoire .

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