- Le métissage des espèces humaines
Michael Hammer, Pour la Science, p58
Longtemps contestés, des phénomènes d'hybridation entre espèces humaines, même rares, sont maintenant attestés par l'étude génétique et pourraient avoir participé à notre adaptation.
L'hypothèse n'est pas nouvelle de la transmission d'adaptations spécifiques, principalement immunitaires, entre Erectus et Sapiens. Minorer la séparation des espèces revient cependant à renforcer l'idée de l'existence de races enracinées dans leur territoire (comme l'adaptation au manque d'oxygène des Tibétains) sauf que, là aussi, on s'est beaucoup mélangé depuis, jusqu'à être tous un peu cousins. On avait rendu compte de toutes ces dernières découvertes (y compris d'un Neandertal avec des caractères Sapiens) mais, là aussi, insensiblement, c'est toute notre conception des origines qui change encore une fois presque complètement, ne pouvant plus s'identifier à un groupe unique sorti d'Afrique.
Les premières études génétiques menaient aux conclusions inverses de ne concerner que les mitochondries, transmises par les mères alors que l'ADN des chromosomes témoigne au contraire de croisements mais il est logique que l'enfant métisse soit le fils d'une mère de la tribu et d'un père étranger, pas le contraire !
L'étude des gènes montre que nos ancêtres se sont métissés avec les espèces humaines archaïques qu'ils ont rencontrées. Cette hybridation a sans doute contribué à l'expansion d'Homo sapiens.
Deux thèses évolutives s'opposent. Milford Wolpoff, de l'Université du Michigan, et d'autres chercheurs ont proposé l'hypothèse de l'origine multirégionale de l'homme moderne. D'après cette théorie, les populations archaïques se sont progressivement « modernisées » à mesure que l'arrivée d'hommes modernes et le métissage avec eux y multipliaient les traits avantageux (modernes !). Selon ce scénario, à l'issue de la transition, tous les humains partagent les mêmes caractéristiques modernes, tandis que certains traits distinctifs hérités des ancêtres archaïques persistent localement, sans doute parce qu'ils sont avantageux pour la survie dans une région.
Fred Smith, de l'Université d'État de l'Illinois, a proposé pour sa part une variante de la théorie multirégionale, selon laquelle la contribution des populations venues d'Afrique aux caractéristiques anatomiques modernes est plus grande.
À ce courant d'idées s'opposent les partisans de l'hypothèse de l'origine africaine de l'homme moderne, que l'on nomme aussi l'hypothèse du remplacement (en anglais Out of Africa, entre autres). Pour les partisans de cette théorie, par exemple Christopher Stringer, du Muséum d'histoire naturelle de Londres, les hommes anatomiquement modernes sont apparus en Afrique subsaharienne, puis ont remplacé partout les hommes archaïques sans se métisser.
Günter Bräuer, de l'Université de Hambourg, a proposé une version plus souple de cette théorie, admettant la possibilité de métissages occasionnels lors des rencontres entre groupes archaïques et modernes, quand les « Africains » abordaient de nouveaux territoires.
Pour expliquer ces observations, les chercheurs ont avancé l'idée de plusieurs métissages successifs. Tout d'abord, des hommes anatomiquement modernes sortis d'Afrique se sont croisés avec des Néandertaliens, comme on l'a évoqué plus haut. Puis les descendants de ces premiers migrants modernes se seraient déplacés jusqu'en Asie du Sud-Est, où ils se seraient croisés avec des Denisoviens. Des ancêtres doublement croisés de groupes actuels, tels les Mélanésiens, auraient ensuite atteint l'Océanie il y a environ 45 000 ans, et une seconde vague d'hommes anatomiquement modernes aurait migré vers l'Asie orientale sans se croiser avec ces ancêtres de type denisovien.
Même si ce sont les croisements hors d'Afrique qui ont suscité le plus de travaux jusqu'à présent, il est clair que c'est a priori en Afrique que les hommes anatomiquement modernes ont eu le plus de chances de se croiser avec des formes archaïques, puisque c'est sur le grand continent que la coexistence entre espèces a duré le plus longtemps.
Un morceau de type néandertalien de la région dite HLA (Human Leukocyte Antigen) du génome semble être présent à une fréquence relativement élevée dans les populations eurasiennes, à la suite d'une sélection naturelle positive liée à son rôle dans la lutte contre les pathogènes. Sans doute ne devrions-nous pas être surpris de trouver des contributions archaïques contenant des gènes qui renforcent l'immunité. Il est facile d'imaginer que l'acquisition d'une variante d'un gène procurant un avantage pour résister aux pathogènes locaux ait avantagé les lignées d'hommes anatomiquement modernes qui l'acquéraient.
Pour autant, les génomes des populations actuelles semblent dériver pour l'essentiel d'ancêtres africains, et les contributions des Eurasiens archaïques au génome eurasien moderne semblent plus modestes que ne l'impliquent la théorie d'une évolution multirégionale et celle d'une assimilation [...] Que ces métissages aient été rares après la sortie d'Afrique des hommes modernes me paraît clair [...] Pour ma part, je suis en faveur d'une théorie prenant en compte un métissage des espèces pendant la transition des formes archaïques à la forme moderne. Ce scénario tient compte de la possibilité que certains traits qui nous rendent anatomiquement modernes soient hérités de formes transitoires (entre formes humaines archaïques et modernes) aujourd'hui disparues.
Tout cela n'empêche pas qu'il y a bien un goulot d'étranglement génétique aux alentours de -70 000 ans, ce qu'on attribue à l'éruption du Mont Toba en -72 000 et l'hiver volcanique qui s'en est suivi bien que cela ne semble pas avoir touché beaucoup d'espèces (macaques, tigres, orangs-outangs). Pour l'instant on continue de penser qu'au moins la population hors d'Afrique descend quand même d'un tout petit nombre de Sapiens sortis d'Afrique vers ces dates, qui se seraient rapidement (150 ans) scindés en 3 groupes (séparés par une nouvelle glaciation), et qui auront simplement bénéficié ponctuellement du métissage avec des populations locales plus archaïques mais mieux adaptées. Pour ce qui s'est passé avant, on fait même état de métissage avec des chimpanzés ou bonobos, on peut donc parler d'une évolution buissonnante bien que ces croisements restaient sans doute très rares mais cela n'empêche pas une contribution décisive à la sélection, notamment dans la protection des maladies locales, brouillant la question des origines.
Cependant, cette reconstruction historique suggère fortement qu'un croisement avec Neandertal aurait apporté une peau blanche permettant la conquête des pays du Nord, et pourtant il semble que non, la mutation n'étant pas la même et datant juste d'un peu avant le Néolithique (11000-19000 ans), notre blanchiment ayant donc été une conséquence de la pression du milieu et non ce qui aurait permis de l'investir. A priori, l'hypothèse d'une origine unique de notre humanité semble la plus évidente mais si elle résulte vraiment d'une amélioration des performances cognitives et d'une sélection de l'adaptabilité, elle doit ses caractéristiques au changement de milieux plus qu'à sa généalogie spécifique, pour finalement devenir un General Problem Solver. De quoi rendre beaucoup moins absurde l'idée d'une évolution multirégionale (par exemple de la main pour tailler les pierres). De même que nos sociétés modernes sélectionnent les capacités exigées pour survivre et se reproduire, avec des effets sur la génétique de l'ensemble de la population mondiale, de même notre adaptabilité n'est pas dans notre patrimoine génétique le plus archaïque, elle n'est pas liée à notre milieu d'origine mais à l'épreuve de brusques changements climatiques, notamment. Tout cela n'empêche qu'il y a, grossièrement au moins, une généalogie de l'homme moderne mais rien d'originel ni même de véritablement génétique dès lors que le langage et l'outil deviennent déterminants, dont le caractère culturel ne fait aucun doute (la culture immatérielle se substituant au matériel génétique). On aurait plutôt une agrégation de traits convergeant vers un stade cognitif supérieur (de l'outil à l'agriculture, c'est à dire la production de son milieu et donc la colonisation de tous les milieux, jusqu'à l'ère de l'information actuelle et de l'exploration planétaire).