Un se divise en deux

Temps de lecture : 19 minutes

Quand le libéralisme triomphant nous imposait un individualisme débridé avec une conception de l'homme réduite à ses plus mauvais côtés, l'urgence était bien d'affirmer notre communauté originaire et de refonder nos solidarités sociales mais lorsque les mouvements sociaux se réveillent et qu'on assiste au retour de l'Etat, l'urgence redevient l'affirmation de la liberté individuelle et de ne pas tomber dans un angélisme destructeur mais de préserver la dualité, voire la duplicité de notre réalité humaine. Ce n'est pas parce qu'il y a de l'universel qu'il n'y a pas de particulier. Il y a du collectif mais il y a aussi de l'individuel. Certes, il n'y a pas que des corps, il y a aussi les relations entre les corps mais il y a quand même la part du corps. Il n'y a pas de dignité en dehors de l'appartenance à la communauté humaine mais cette dignité réside malgré tout dans notre liberté et responsabilité individuelle ; liberté constituant l'essence même de l'amour et de ses contradictions, à mille lieues de la liberté idéalisée du libéralisme.

Tout est matière, tout est solidaire mais tout ne forme pas une unité indistincte, il y a différentes dimensions, une pluralité de systèmes et d'organismes, il y a des vivants, il y a de l'information, il y a du langage, il y a de l'esprit (dans toute parole, toute réflexion). Il n'y a pas que l'identité de tous avec tous, il y a aussi la différence de chacun avec chacun. Il n'y a pas que ce qui nous rassemble, il y a aussi ce qui nous divise voire nous oppose et après avoir voulu tout réunir, il nous faudra séparer de nouveau.

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L’épreuve du réel (matérialisme et dialectique)

Temps de lecture : 15 minutes

Le voile se déchire, l'empire s'écroule, les fortunes se défont, les pouvoirs sont renversés ! Les belles histoires qu'on nous racontait se révèlent ce qu'elles étaient, de la pure idéologie justifiant l'injustifiable de la domination des dominants. Ce n'est pas une raison pour ne plus croire en rien ni pour croire que ce sont les idées qui mènent le monde et retomber encore une fois dans les mêmes ornières en ne faisant que passer d'une idéologie à une autre, tout aussi aveugle et barbare.

Au lieu de se perdre dans le ciel des idées, il nous faut profiter de la crise et de l'éclatement de la bulle financière pour revenir aux réalités, revenir sur terre, à la critique de la vie quotidienne, et donc en premier lieu du travail qui en occupe une grande part. Il ne faut pas renoncer à prendre notre revanche ni à continuer l'émancipation humaine mais ce n'est pas en faisant des promesses inconsidérées ni en rêvant de quelconques utopies qu'on s'en sortira, c'est en s'attachant à ce qui constitue l'expérience même de la vie, dans l'exploration des possibles, avec toutes ses contradictions et ses déceptions, ses hauts et ses bas, ses ombres et ses lumières, ses forces et ses faiblesses.

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L’expression du négatif

Temps de lecture : 15 minutes

Devant les malheurs du temps, il semble qu'il ne nous resterait plus qu'à rêver à quelque monde merveilleux ou alors nous raidir dans une radicalité extrême sans aucune effectivité. Tous nos murs sont couverts de promesses de bonheur en technicolor, nous croulons sous les marchandises qui voudraient maintenir notre désir en haleine, mais un certain nombre de contestataires de l'ordre établi voudraient nous persuader que leur produit est bien meilleur encore, renchérissant sur les promesses d'une jouissance supposée plus authentique celle-là, certifiée par quelques experts auto-proclamés, comme d'autres lavent plus blanc que blanc !

Ce n'est pas pour autant bonnet blanc et blanc bonnet, paraît-il, puisque les deux jouissances s'opposeraient comme le bien au mal, la vérité au mensonge ou l'avoir à l'être. Hélas, on a vu si souvent la vérité se transformer en mensonge et le vrai n'être plus qu'un moment du faux. Il n'est pas impossible que ces prétentions excessives ne soient pire encore et un progrès de l'aliénation plutôt, avec une plus grande intériorisation des normes sociales, une soumission plus terrible encore à quelques leaders pris en modèle. Ce ne serait, en quelque sorte, que la continuation de la dictature des apparences par d'autres moyens...

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Malaise dans la civilisation numérique

Temps de lecture : 20 minutes

Aux travailleurs du numérique.

Changer d'ère

On en sait beaucoup moins qu'on ne croit. La pensée est lente et notre rationalité limitée. Il nous est difficile d'être nos propres contemporains et de comprendre notre actualité. Il suffit de lever la tête de son clavier pourtant pour mesurer tous les bouleversements que nous vivons. Il y en a eu d'autres, sans doute, et à chaque époque son malaise, mais ce n'est pas tout-à-fait le même à chaque fois. Ainsi, on est passé de la névrose de culpabilité à la dépression d'un individualisme exacerbé, ce qui dénote un progrès malgré tout de notre autonomie où le numérique n'est pas tout-à-fait pour rien, mais il faut bien convenir que la dématérialisation, la permanence des connexions, la rapidité des échanges ont un effet déréalisant nous précipitant dans un tout autre monde, qu'on peut trouver assez inquiétant.

Tout ne va pas pour le mieux, non, et on n'a pas fini d'en éprouver tous les effets pervers mais le malaise est en grande partie idéologique, de ne pas arriver à lui donner sens, en plus de réelles difficultés d'adaptation à ce nouvel écosystème. Certes, le sentiment de perte n'est pas seulement celui de nos repères, de nos anciens modèles, c'est aussi la perte bien réelle de nos protections sociales aggravant douloureusement notre précarité, ainsi que l'absence de prise en compte des nouvelles conditions de production, mais cette inadaptation résulte bien d'une insuffisante compréhension des transformations en cours. Il faut dire que les changements que nous vivons sont tellement considérables qu'on peut les comparer aux débuts du Néolithique ou de l'écriture mais à une vitesse considérablement accélérée. Les anciennes idéologies sont devenues complètement obsolètes. On le sait, mais elles restent encore dominantes tout comme les institutions en place qui se révèlent tout aussi inadaptées aux conditions de l'économie immatérielle.

Non seulement nous devons subir cette inadaptation qui provoque beaucoup de souffrances et de destructions de compétences mais nous devons essuyer les plâtres d'un dur apprentissage où tous les excès et les premières illusions se confrontent au réel. On peut dire qu'on se trouve au plus mauvais moment, celui de la crise, quand une nouvelle époque tarde à naître et se peuple de monstres (délires complotistes, technophobes ou mystiques). On peut dire aussi qu'on est au moment le plus crucial, dans l'oeil du cyclone, au moment où notre voix et notre action peuvent porter le plus et décider de l'avenir.

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L’humanisme en question

Temps de lecture : 16 minutes

Comme la plupart des notions trop générales, le Bien, le Mal ou la liberté, l'humanisme peut être mis à toutes les sauces de sorte qu'on pourrait vouloir s'en débarrasser à juste titre, mais ce n'est pas si simple car on ne peut guère s'en passer non plus. Il y a donc plutôt un enjeu politique à défendre dans la définition même de l'humanisme, en sachant qu'il peut servir à couvrir toutes les barbaries comme on a massacré au nom de Dieu, de l'amour ou de la civilisation.

Le débat n'est pas nouveau qui met aux prises un humanisme essentialiste, qu'on peut dire biologisant, raciste, spéciste mais qui est aussi traditionaliste, religieux, idéologique, avec un humanisme "existentialiste" pour qui l'homme est à venir, pour qui il est liberté et projet, être parlant en devenir, apprenti de la vie et découverte des possibles.

A cette opposition s'ajoute les différentes formes d'anti-humanisme qui peuvent être d'inspiration existentialiste aussi (Heidegger avec l'ouverture à l'Etre) tout autant que théologique, structuraliste, historiciste, sexuel ou politique voire purement critique (décentrement cognitif). On voit qu'il n'y a aucune unité de l'humanisme, pas plus que des courants anti-humanistes, le plus connu étant sûrement celui de l'écologie profonde qui voudrait ôter à l'humanité toute prééminence sur les autres espèces mais qui s'enferme ainsi dans ses contradictions. On n'est pas des bêtes et on veut être traité comme des hommes, qu'on respecte notre humanité.

Ce qui pose beaucoup plus de problème aujourd'hui, ce serait d'ailleurs plutôt le post-humanisme, celui du surhomme, de l'homme amélioré ou de l'homme génétiquement modifié...

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Le retour des révolutions (inflation et papy boom)

Temps de lecture : 8 minutes

Si notre intelligence nous distingue des autres animaux, notre rationalité n'en est pas moins très limitée par de nombreux phénomènes bien connus, qu'ils relèvent des préjugés, de l'imperfection de l'information ou de la pensée de groupe mimétique. Cependant, notre plus grand défaut, sans doute, c'est notre capacité de transformer toute vérité en erreur en oubliant la vérité contraire (Pascal, IV.2.148), ce qui ne manque jamais ! Délirer, ce n'est rien d'autre que de rester fasciné par une vérité dont on ne peut plus se détacher, y tenir plus que tout sans plus voir le négatif du positif. Il faut le savoir, nous sommes un animal dogmatique, toujours un peu "bornés".

C'est la même fascination qui nous fait inévitablement juger de l'avenir à l'aune du présent alors que les temps changent et que les vérités de demain ne seront pas celles d'hier. Ainsi, on pouvait s'imaginer un Reich de 1000 ans en 1940, puis un communisme triomphant pour l'éternité, puis un néolibéralisme définitif, tous renvoyés aux poubelles de l'histoire... De même on juge presque toujours de l'avenir du monde selon notre état du moment qui peut passer pourtant du rire aux larmes, mais on fait comme si la vie était déjà gagnée ou perdue d'avance et n'était pas sujette à toutes sortes de hauts et de bas. A chaque fois, on y croit dur comme fer, et que c'est pour toujours cette fois ! ("Ma tête se détourne, le nouvel amour". Rimbaud). Ainsi, depuis qu'on a voulu abandonner toute pensée dialectique au profit d'une "pensée unique" sans aucune alternative, on est entré dans le temps de la fin : fin de l'histoire, fin de la politique, fin des mobilisations sociales, fin de la liberté, fin de l'homme, fin du monde... Eh bien, tout au contraire, loin d'être la fin de tout, le retour de l'inflation et le papy boom pourraient bien être le signe que ça va repartir pour un tour et que nous allons connaître un retour des révolutions cycliques et de nouveaux commencements, un nouveau cycle économique, politique et générationnel !

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L’écologie politique, une éthique de libération

Temps de lecture : 40 minutes

 

André Gorz n'a certes pas inventé l'écologie, se situant notamment dans le sillage d'Ivan Illich, mais il y a ajouté une dimension politique pleinement assumée. Son recueil d'articles, paru en 1975, avait d'ailleurs pour titre "Ecologie et politique". Il commençait significativement par un texte de rupture entre "Leur écologie et la nôtre", texte décisif où, contre l'écologie de marché et l'expertocratie verte, il prenait ouvertement le parti d'une écologie émancipatrice basée sur l'autonomie et clairement anticapitaliste.

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Rendre la honte encore plus honteuse !

Temps de lecture : 11 minutes

Le moment est venu de reprendre l'offensive idéologique après toutes ces années d'hiver. Partout se lèvent des émeutes de la faim et des luttes sociales en réponse à la reprise de l'inflation qui est le signe de l'échec des marchés, incapables d'assurer notre simple survie et provoquant des désastres écologiques aussi bien qu'humanitaires. Comment rester sans rien faire ? Le caractère collectif, macroéconomique, de l'inflation en fait à l'évidence un problème collectif, politique, justifiant la mobilisation des foules et de tous ceux qui n'acceptent pas d'être les victimes consentantes d'un système qui les condamne. C'est du moins l'occasion de célébrer le retour de la solidarité, des mobilisations collectives, et la fin de la culpabilisation individuelle voulant nous faire croire que nous serions responsables chacun personnellement du sort qui nous est fait et que tout ce que nous avons subi, nous l'avons bien voulu et mérité même, tout comme la richesse des riches serait entièrement méritée !

La honte change de camp, ce sont les signes de la réussite individuelle qui redeviennent ringards, illégitimes, honteux et aussi ridicules qu'en 1968 justement, au profit des véritables valeurs humaines trop longtemps bafouées et d'une vie dont la réussite ne se mesure pas à l'épaisseur du porte monnaie. Finie la bêtise médiatique aussi universellement méprisée désormais qu'elle était triomphante. La passion de la vérité va nous ressaisir, l'exigence démocratique se manifester à nouveau, nos élites satisfaites ramenées au banc des accusés, nos économistes doctrinaires soumis aux railleries publiques. C'est le moment de reprendre nos affaires en main (là où nous vivons) et pour les artistes de refaire des affiches, des slogans, des caricatures pour délégitimer le pouvoir de l'argent et de l'apparence, la consommation ostentatoire et les valeurs en toc. Même si les signes en sont encore bien maigres, c'est le moment sans doute de reprendre la lutte pour l'émancipation et pour faire triompher la raison, malgré tous les échecs passés dont il nous faudra bien tirer toutes les leçons, éviter toute dérive, éviter d'en faire trop mais il nous faudra essayer encore, essayer de faire mieux, en continuant toujours à faire honte aux bourgeois irresponsables, aux petits frimeurs prétentieux, aux experts pontifiants et, tant que nous ne sommes pas tout-à-fait morts ni vaincus, vouloir marcher encore sur la tête des rois.

"Un des motifs de l’art et de la pensée, c’est une certaine honte d’être un homme" (Deleuze).

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Il n’y a pas d’alternative !

Temps de lecture : 31 minutes

Alors que les menaces écologiques se font de plus en plus pressantes, on peut s'étonner du léger des solutions qu'on prétend y apporter, pas du tout à la hauteur des enjeux et sans une véritable vision globale. Au lieu d'une écologie-politique collective et réaliste, on nous vend plutôt habituellement une écologie individualiste et moralisante, que ce soit dans sa version religieuse ou libérale, mais, en dehors de quelques marginaux, il n'est jamais question, ou presque, d'une véritable alternative au productivisme qu'on impute à l'avidité humaine plus qu'au système du profit.

On en appelle soit à la conversion des esprits et des coeurs, soit à de simples mesures techniques ou incitations financières, comme s'il était devenu impossible en tout cas de changer un système mondialisé, au moment même où il y aurait tellement besoin pourtant de dispositifs politiques concrets, du local au global, pour adapter notre système de production aux nouvelles forces productives tout autant qu'aux nouvelles contraintes écologiques. On n'y échappera pas, quelles que soient les résistances et les conservatismes. Dès lors, la question n'est pas tant celle de l'ancien système, ni de simplement le brider par des lois, des luttes ou par nos prières, que de savoir par quoi le remplacer et d'en construire un autre plus adapté à notre temps, combinant une inévitable relocalisation de l'économie avec toutes les institutions du travail autonome et du développement humain.

Hélas, les instruments principaux d'une alternative au salariat productiviste comme à la mondialisation marchande paraîtront sans doute bien exotiques par rapport aux modèles de référence et à nos habitudes de pensée, voire complètement hors de propos : monnaies locales, coopératives municipales, revenu garanti ! Il n'y a pas d'autre alternative pourtant, ni libérale, ni autoritaire, ni morale.

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L’individualisme pseudo-révolutionnaire

Temps de lecture : 28 minutes

On ne le sait que trop, les hommes ne sont pas ce qu'ils prétendent être ! Ils agissent souvent à rebours de leurs motivations conscientes, et semblent parfois se débattre comme un insecte dans une toile qu'ils referment sur eux par leurs efforts mêmes pour tenter d'en sortir. Il s'y manifeste caricaturalement, toute la complicité des terroristes avec l'ordre policier qu'ils renforcent à tel point que, lorsque des fanatiques religieux ou quelques crétins d'extrême gauche qui se prennent pour des héros ne font pas le travail pour eux, l'extrême droite ou les pouvoirs établis savent tout le profit qu'ils peuvent tirer à organiser eux-mêmes quelques faux attentats plus ou moins sanglants (on l'a vu en Italie).

Ce n'est pourtant pas la seule confiscation par l'individu de l'action et de la conscience collective. Il est assez étonnant de constater à quel point en effet on rencontre de nos jours une presque totale individualisation de la politique, centrée sur soi, avec un individualisme exacerbé qui se croit révolutionnaire à transgresser les lois pour certains (jouissance perverse), à vivre hors du système pour d'autres (enfermé dans sa folie), quand d'autres encore se contentent de revendiquer une "simplicité volontaire" ou toute autre conduite exemplaire (mais chargée d'une culpabilité névrotique). Le seul point commun à ces stratégies purement individuelles, même si elles n'ont à la bouche que l'intérêt commun et dépensent beaucoup d'énergie, c'est de ne rien changer du tout à la société. C'est un fait, malgré qu'on en ait. Ce ne sont à l'évidence rien que des pseudo-révolutionnaires sans aucune révolution effective, comme s'il ne s'agissait pas tant de faire (la révolution) que d'être ("révolutionnaire" ou "écologiste") et de s'identifier ainsi à quelque figure idéalisée. On peut y voir un retournement véritablement paradoxal du souci de l'authenticité dans la vie quotidienne qui se transforme en spectacle narcissique, une mise en scène permanente et une sorte de moralisme inversé qui prend les autres de haut. Pour la révolution on peut attendre.

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Les limites de l’auto-organisation

Temps de lecture : 15 minutes

Le thème de l'auto-organisation vient de la théorie des systémes et de la cybernétique dite de second ordre car elle inclut l'observateur dans l'objet observé, introduisant ainsi l'étude des processus autoréférentiels et le rôle de l'auto-organisation. La place de l'auto-organisation qui pouvait se présenter au début comme une simple limite apportée à la volonté de contrôle et de planification, a fini cependant par prendre toute la place et reléguer les apports de la théorie des systèmes et de la cybernétique aux oubliettes, si ce n'est pire, accusées de tous les maux dans leurs prétentions "totalitaires" ! L'idéologie de l'auto-organisation sera vite récupérée par le néolibéralisme avec d'un côté le bien (les marchés auto-régulés, la liberté) et de l'autre le mal (l'Etat, le système, la servitude). On ne peut se passer pourtant du point de vue global, macroscopique (keynésien), qui fait apparaître le système (économique, sanguin ou nerveux) avec la notion essentielle de circuit qui nous totalise, et plus précisément la circulation de matière et d'énergie mais surtout d'information (ou d'argent) qui les contrôle. Il y a donc aussi des limites considérables à l'auto-organisation, différents niveaux, différentes temporalités à prendre en compte.

L'enjeu d'une critique, c'est bien à la fois de sortir d'un certain nombre de confusions sur l'auto-organisation et de reconnaître ses limites mais sans revenir en arrière pour autant, question qui reste posée aux organisations à venir. C'est une question très concrète dans cette phase où les vieilles organisations manifestent leur inadaptation (elles ne savent pas qu'elles sont déjà mortes) mais où les mouvements informels ont montré aussi toutes leurs limites, ne tenant aucune de leurs promesses...

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Quels risques climatiques majeurs ?

Temps de lecture : 29 minutes

Prendre conscience des risques majeurs à long terme : même si ce n'est pas le plus probable à court terme, le risque d'un emballement du climat qui provoque un empoisonnement de l'atmosphère et des extinctions massives doit constituer notre horizon, la menace qu'il faut absolument éviter et, pour cela, même si on n'arrive pas à limiter le réchauffement à 2°C, ce qui semble hors de notre portée, tout faire pour ne pas dépasser en tout cas les 4°C de réchauffement, ce qui n'est pas gagné d'avance et dépend entièrement des prochaines décennies...

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L’hypothèse extrême

Temps de lecture : 11 minutes

Les prévisions des climatologues sont en général des prévisions moyennes et raisonnables, d'autant plus qu'elles font l'objet de négociations politiques dans le cadre du GIEC, avec le souci de ne pas désespérer les populations. Cependant, les incertitudes étant immenses, il est toujours fait mention qu'on ne peut exclure des ruptures de seuils et des phénomènes d'emballements qui sortent radicalement des projections actuelles mais seraient trop improbables pour être prises en considération...

Seulement, voilà, les dernières nouvelles du climat ne sont pas bonnes du tout et renforcent justement l'hypothèse d'un emballement possible à relativement court terme. Ce ne sont pas des informations qu'on peut prendre à la légère même s'il ne s'agit pas de paniquer. Il faut du moins sérieusement envisager la possibilité d'un tel enchaînement qui augmenterait les températures dramatiquement, bien au-delà des modèles actuels, par un processus qui s'auto-alimente lui-même et qui aurait peut-être déjà commencé !

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L’écologie-politique, avenir de la gauche

Temps de lecture : 23 minutes

On peut analyser de différentes façons l'effondrement des Verts aux dernières élections présidentielles : par leurs défauts internes ou les défauts de l'élection, par la faute à Hulot, à Bové, au PS, aux médias... Certes tout cela a pu jouer mais il faut surtout rapprocher cet effondrement de deux autres faits : d'une part il ne faut pas faire comme si la marginalisation des Verts n'était pas celle de toute la gauche (l'extrême-gauche bien sûr mais jusqu'au PS puisque les valeurs de gauche y étaient marginalisées aussi !), d'autre part cette décrédibilisation du parti écologiste se produit paradoxalement au moment même où les problèmes écologiques commencent à être pris au sérieux par la société toute entière, y compris les partis de droite...

La gauche ne peut se tenir à l'écart de cette prise de conscience écologique et c'est sans doute un des enjeux principaux d'une refondation de la gauche d'arriver non seulement à prendre en compte ces questions écologiques mais à se reconstruire autour d'une véritable écologie-politique qui n'est pas autre chose que la continuation du socialisme par d'autres moyens. En effet, si l'écologie-politique constitue bien une nouvelle façon de faire société, avec de nouveaux biens communs, le sentiment d'une communauté de destin et d'une responsabilité collective, cette solidarité sociale renforcée ne signifie aucunement qu'il faudrait nier pour autant la division de la société ni la nécessaire résistance des dominés. Au contraire, c'est une base solide pour exiger avec plus de force encore la réduction des inégalités, pour ce qui serait une véritable écologie de gauche mais qui aura besoin d'être défendue par toute la gauche, pas seulement par une de ses composantes. La gauche y trouverait sans aucun doute un nouveau souffle pour reprendre l'offensive, une nouvelle légitimité qui pourrait rassembler le mouvement social sur un objectif à long terme. Pour le dire simplement : l'écologie-politique, c'est l'avenir de la gauche ! En effet, la leçon qu'on doit tirer de notre situation historique, c'est qu'il y a une double impasse : celle d'une écologie réduite à un parti groupusculaire, mais tout autant celle d'une gauche tournée vers le passé et sans projet, éclatée en petites chapelles sur le marché des idéologies et confinée à des stratégies purement défensives.

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André Gorz – la richesse du possible

Temps de lecture : 22 minutes

Ce que nous devons à André Gorz est bien plus qu'une leçon de vie, d'honnêteté et d'exigence, c'est une conception politique de l'écologie qui nous relie à l'histoire et touche à la vérité de l'existence dans sa contingence même, mais c'est aussi la proposition d'une véritable alternative écologiste au service de l'autonomie individuelle. Avec une trop grande discrétion sans doute, ce fut l'indispensable passeur entre la philosophie et l'écologie-politique, un penseur de l'avenir qui nous relie au passé dans ce qu'il a de meilleur : ses luttes d'émancipation, l'anticapitalisme et la volonté d'authenticité. On peut dire que c'est lui qui nous a passé le témoin de la tradition révolutionnaire, même atténuée en "réformisme radical", une conception qui reste révolutionnaire de l'écologie, une écologie qui change la vie vraiment et nous rend plus libres, plus vrais, un peu plus nous-mêmes !

André Gorz a été un des premiers à parler d' "écologie politique", mais au-delà de sa vision politique de l'écologie, d'une écologie du vivre-ensemble, il occupe une place singulière parmi les fondateurs de l'écologie, de se situer à la fois en continuité et en rupture avec le marxisme, fidèle au projet d'émancipation tout en rejetant ses illusions et tirant les leçons de l'histoire. C'est sans doute ce chemin hésitant qu'il trace pour l'écologie entre aveuglement et renoncement qui fait sa réelle importance. S'il a pu ancrer l'écologie politique dans l'histoire des luttes ouvrières, c'est par le détour d'une lecture philosophique de Marx, héritée de l'Ecole de Francfort et des théories de l'aliénation centrées sur la critique de la forme marchandise et la recherche d'une authenticité de l'existence. Il ne faut pas oublier que c'est à partir d'un "existentialisme athée" qu'il fait une lecture écologiste de Marx, introduisant une philosophie sans transcendance dans une écologie dont le sens est trop souvent brouillé par les références religieuses (Ellul, Illich, Jonas, etc.). On peut même dire que c'est une philosophie engagée dans la sortie de la religion dès lors qu'elle rejette toute hétéronomie au profit de l'autonomie de l'individu...

Ce n'est pas encore l'heure de dresser le bilan d'une oeuvre qu'il faudrait étudier plus longuement, seulement de témoigner de ce qu'elle pouvait avoir de fondatrice pour l'écologie, d'indispensable pour la sauvegarde de notre avenir, d'encourageante enfin, préservant jusqu'au bout toute la richesse du possible qui ne dépend que de nous !

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Le frimeur, l’idiot et le vendu

Temps de lecture : 13 minutes

bon_brute_truand_aff.jpgCe n'est pas seulement dans la politique qu'on rencontre ces trois figures pathétiques qui font obstacle à la construction d'une démocratie cognitive ! On condamne en général surtout le traître mais on verra que ce n'est pas forcément le pire, on sait bien que "l'enfer est pavé de bonnes intentions"... En tout cas, on ne fera rien sans ce trio infernal (pas d'homme nouveau, il faut faire avec ce qu'on est) mais on ne fera rien de bon si on n'en sort pas un minimum. Paradoxalement on ne s'en sortira pas si on n'est pas conscient qu'on ne pourra jamais en sortir complètement : nous avons absolument besoin de reconnaissance, notre rationalité est forcément limitée et nous avons inévitablement des intérêts à défendre quoiqu'on dise !

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Le capitalisme cognitif

Temps de lecture : 23 minutes

Le capitalisme cognitif, la nouvelle grande transformation, Yann Moulier-Boutang, Editions Amsterdam

C'est un livre que tout le monde devrait lire, au moins les économistes, car il fait le point d'études économiques trop méconnues sur les transformations du capitalisme et du travail à l'ère de l'information alors, qu'à part une frange du patronat qui s'y trouve confrontée très concrètement et tente d'en tirer profit, tout le monde semble faire comme si rien n'avait changé, que ce soient les syndicats, les politiques et même la plupart des économistes (libéraux aussi bien que ce qui reste de marxistes à l'ancienne). Il faut dire que, pour tous ceux qui en sont restés à l'ère industrielle, du fordisme et de la "valeur-travail", il est bien difficile de comprendre la logique de cette "nouvelle économie" si déroutante, en réduisant l'analyse à déclarer ce capitalisme "financier", ce qui est une tautologie ! Pour cette impuissance à comprendre ce qui constitue une nouveauté radicale, Yann Moulier-Boutang utilise l'image du "vieux vin dans de nouvelles bouteilles" ou du "vin nouveau dans de vieilles bouteilles", selon qu'on garde l'idéologie pour l'appliquer aux réalités nouvelles, ou qu'on change d'idéologie pour l'appliquer à des réalités anciennes. On peut se demander d'ailleurs si le reproche ne peut lui être retourné dans une certaine mesure, mais, ce qui est sûr, c'est que, ce dont nous avons besoin, ce sont de nouvelles théories pour une réalité nouvelle !

Ces théories existent. Contrairement aux essayistes qui veulent nous faire croire qu'ils ont tout inventé et tirent de leur génie la lumière dont ils éclairent le monde, Yann Moulier-Boutang, comme tous les gens sérieux, nous donne ses références et tous les noms des auteurs et des ouvrages dont il a fait son miel. C'est en s'appuyant sur un grand nombre de travaux d'économistes ou d'autres chercheurs, reliant ainsi fort à propos des savoirs dispersés, qu'il déroule une démonstration implacable de notre "nouvelle économie" et peut en proposer une théorie alternative à l'économie mathématique.

Malgré un très large accord sur la plupart des analyses, nous discuterons cependant les deux principales thèses qui justifient son titre, d'abord le fait que l'économie "cognitive" plus que l'économie de l'information caractériserait notre époque, mais surtout le fait que le capitalisme soit vraiment compatible avec cette nouvelle économie de l'immatériel, alors que tout montre au contraire son inadaptation, aussi bien sur les droits de propriété que sur le salariat : c'est véritablement un nouveau système de production.

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La valeur-travail

Temps de lecture : 23 minutes

La "valeur-travail" peut s'aborder de différentes façons, par sa fonction dans la détermination des prix (théorie de la valeur), par le rôle du travail dans la reconnaissance sociale et l'épanouissement de soi (valorisation de la personne), enfin par sa rémunération (le prix du travail) qui est encore tout autre chose. Ce sont des points de vue très différents, et qui mènent à toutes sortes de confusions plus ou moins intéressées lorsqu'on ne les distingue pas suffisamment clairement, mais qui ne s'excluent pas les uns les autres pour autant.

En tout cas il y a beaucoup plus à dire que les simplifications idéologiques habituelles sur ce qui constitue un des enjeux fondamentaux de notre avenir et l'on ne devrait pas hésiter à s'appuyer sur les discours électoraux qui prétendent revaloriser le travail pour obtenir une véritable revalorisation du travail ainsi que de nouvelles protections sociales pour les travailleurs, en tenant compte des évolutions de la production et des transformations du travail, de ses nouvelles exigences d'autonomie et de formation, tout comme de la précarité qui se développe et dont il faudrait se prémunir collectivement au bénéfice de tous.

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Critique de l’avenir du travail

Temps de lecture : 22 minutes

L'avenir du travail, sous la direction de Jacques Attali, avec le concours de Pierre Cahuc, Fançois Chérèque, Jean-Claude Javillier, Phlippe Lemoine, Luc-François Salvador, Dominique Turcq, Philippe Vivien. Institut Manpower, Fayard, 2007.

En fait d'avenir du travail, il ne s'agit guère plus ici que de prolonger les tendances actuelles, en particulier celles du monde anglo-saxon pris comme modèle dominant, afin de dessiner à gros traits l'avenir auquel nous serions condamnés. C'est une présentation très partiale qui reprend la plupart des poncifs de la vulgate libérale, le plus incroyable étant qu'on n'y parle pas du tout d'écologie, encore moins de relocalisation de l'économie bien sûr, et qu'on fait comme si le système actuel était durable et ne devait connaître aucun bouleversement majeur à court terme : les riches vont continuer à devenir plus riches, les systèmes sociaux vont continuer à se dégrader, etc. Ce monde invivable qu'on nous promet, sauf dans certains pays scandinaves qui semblent habités par des martiens, est certes celui qui paraîtra le plus probable : on ne peut dépasser son temps (en 1942 Schumpeter était, lui, persuadé du triomphe du socialisme soviétique!).

De l'autre côté il y a ceux qui veulent revenir en arrière, au compromis salarial fordiste comme si rien n'avait changé depuis plus de 60 ans, imputant à l'avidité du patronat et à la faiblesse des luttes syndicales la dégradation du salariat. Ces syndicalistes font comme si on pouvait décider complètement de notre avenir, comme si ce n'était qu'une question de volonté et de combativité. Entre laisser faire et volontarisme, il faudrait plutôt prendre la mesure effectivement de la mutation technologique en cours, des transformations du travail, de la mondialisation achevée mais aussi des nouvelles contraintes écologiques, des déséquilibres générationnels, des dégâts du libéralisme et des aspirations des peuples pour essayer de déterminer ce qui serait possible et surtout souhaitable. Bien sûr l'avenir ne sera ni l'un ni l'autre mêlant le pire et le meilleur sans doute, mais nous ne sommes pas de simples spectateurs et nous sommes responsables collectivement de notre avenir.

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Autonomie et dépendances

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"Plus un système vivant est autonome, plus il est dépendant. Plus il s'enrichit en complexité et entretient par là même des relations multiples avec son environnement, plus il accroît son autonomie en se créant une multiplicité de dépendances. L'autonomie est à la mesure de la dépendance." (Jacques Robin, Changer d'ère[1], p204)

L'autonomie est toujours partielle et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, plus on est autonome et plus on a de dépendances, plus on est responsable, plus les dépendances sont intériorisées. Il n'y a pas de libertés sans pouvoirs qui les contraignent mais l'autorégulation par l'autonomie s'impose au-delà d'une certaine complexité. De plus, à l'ère de l'information l'autonomie est devenue un élément déterminant dans la production immatérielle, ce qui devrait se traduire par les nouvelles exigences d'un développement humain et d'un revenu d'autonomie en l'absence desquelles nous sommes confrontés plutôt à des pathologies de l'autonomie qui renforcent la servitude volontaire.

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