L’épreuve du réel (matérialisme et dialectique)

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Le voile se déchire, l'empire s'écroule, les fortunes se défont, les pouvoirs sont renversés ! Les belles histoires qu'on nous racontait se révèlent ce qu'elles étaient, de la pure idéologie justifiant l'injustifiable de la domination des dominants. Ce n'est pas une raison pour ne plus croire en rien ni pour croire que ce sont les idées qui mènent le monde et retomber encore une fois dans les mêmes ornières en ne faisant que passer d'une idéologie à une autre, tout aussi aveugle et barbare.

Au lieu de se perdre dans le ciel des idées, il nous faut profiter de la crise et de l'éclatement de la bulle financière pour revenir aux réalités, revenir sur terre, à la critique de la vie quotidienne, et donc en premier lieu du travail qui en occupe une grande part. Il ne faut pas renoncer à prendre notre revanche ni à continuer l'émancipation humaine mais ce n'est pas en faisant des promesses inconsidérées ni en rêvant de quelconques utopies qu'on s'en sortira, c'est en s'attachant à ce qui constitue l'expérience même de la vie, dans l'exploration des possibles, avec toutes ses contradictions et ses déceptions, ses hauts et ses bas, ses ombres et ses lumières, ses forces et ses faiblesses.

A l'opposé de tout idéalisme et d'une vision simpliste de l'humanité, l'action politique ne saurait se passer d'une conscience claire de ses objectifs pratique, tout autant que des contraintes objectives. Même si ce n'est pas dans l'air du temps, nous avons besoin non pas d'un réenchantement du monde mais bien d'un solide matérialisme qui ne se réduise pas à un quelconque réductionnisme dogmatique et dépourvu de tout esprit mais comprenne la dynamique des processus matériels et historiques dans leurs changements, cycliques ou dialectiques, leur caractère transitoire et conflictuel.

De même il ne faut pas s'en tenir aux éléments ou faits isolés mais avoir une vision globale et macroscopique, tenir compte des mouvements d'ensemble, des circuits empruntés, des totalités effectives et du caractère systémique des flux matériels avec leurs régulations "cybernétiques". Les organismes comme les organisations sont aussi matériels que les éléments qui les constituent, les relations sociales et les ressources vitales tout aussi réelles que les individus eux-mêmes dans une sorte d'économie des échanges matériels qui doit s'étendre aux interactions écologiques et ce qu'on peut appeler aussi bien une écologie des pratiques qu'un matérialisme dialectique, où l'action transforme l'acteur, où le producteur se produit lui-même dans un processus récursif ou autopoïétique.

Le matérialisme dialectique n'est pas un déterminisme de la matière mais de l'action ou de la résistance subjective qui ne peut se passer de nous. Il détermine simplement notre marge de manoeuvre et le sens dans lequel on peut tenter de peser selon les urgences du moment. C'est la condition préalable de la transformation effective de nos conditions sociales. Ainsi, ce n'est pas parce qu'il y a des cycles, qu'il faudrait être trop cyclothymique et passer de la dépression à l'euphorie ou le contraire ! Il faut toujours essayer de raison garder et d'avoir une position réflexive, un peu contra-cyclique. Dans les périodes de dépression ou de débâcle politique et sociale, le plus important, c'est justement de comprendre le caractère cyclique de l'économie et de l'histoire pour ne pas perdre tout espoir et préparer les nouvelles victoires du prochain cycle. Inutile de préciser que personne n'y croit jamais et qu'en dehors des périodes de basculement, comme celle que nous vivons, dominent largement les conceptions linéaires de l'histoire, d'un progrès continu aussi bien que d'une catastrophe annoncée contre laquelle nous ne pouvons rien faire, devenus de toutes façons simples spectateurs de notre propre vie. Il y a effectivement des moments où rien n'est possible, où l'on subit défaites sur défaites, années après années. En l'absence d'action collective et de rapports de force favorables, la lutte est alors surtout idéologique contre le défaitisme et l'idéologie dominante. Il ne faudrait pas en conclure qu'il n'y a que les idées qui comptent si ce n'est les bonnes intentions ou les condamnations morales...

Une fois que la situation se retourne, pour des raisons objectives, et que les mouvements sociaux reprennent de l'ampleur, le plus urgent n'est plus de mobiliser, c'est de ne pas se payer de mot et de sortir de l'idéologie comme de la pensée de groupe qui peut être très dangereuse. On a absolument besoin à ce moment d'avoir une idée claire de l'objectif à atteindre et de l'alternative à construire en fonction des possibilités du moment et de la configuration historique. Les erreurs coûtent cher mais c'est là qu'une conception idéalisée de l'humanité mène immanquablement à l'échec si ce n'est au pire. Il est vital de se fonder sur une anthropologie qui ne soit pas trop éloignée de la réalité, de même qu'on ne peut se fonder sur une économie qui n'est pas soutenable. On n'imagine pas une écologie qui ne soit pas matérielle mais le matérialisme est une exigence du simple réalisme politique.

Du défunt marxisme, ce n'est pas seulement le matérialisme qui manque trop souvent à l'écologie et l'altermondialisme, mais encore plus peut-être la dialectique qui est la grande absente des discours humanistes et des stratégies politiques. Une anthropologie juste est une anthropologie dialectique qui doit rendre compte des caractères contradictoires de l'humanité, pas seulement l'homo oeconomicus individualiste du libéralisme, pas seulement non plus l'homme communautaire, l'homo sovieticus, mais à la fois libéral et communiste pourrait-on dire avec des côtés aussi bien anarchistes que fascisants, en tout cas un homo sapiens qui est aussi homo demens, passant du rire aux larmes et un peu plus complexe que toutes les images pieuses ou repoussantes qu'on en donne.

Enfin, une fois qu'on est engagé dans l'alternative, s'il faut rester vigilant aux retournements cycliques ou dialectiques, le plus important pour atteindre ses objectifs devient la capacité d'autocritique et de corriger ses erreurs pour tenir compte de l'expérience et ne pas s'enferrer dans ses préjugés ni dans le dogmatisme de toute idéologie. C'est le stade suivant, qu'on peut appeler le stade cybernétique quoique celle-ci soit la plus calomniée, de rester trop méconnue, laissée dans les mains de techniciens irresponsables. Il est pourtant essentiel en toute chose de s'adapter au terrain, de se régler sur la réalité, d'avoir un retour de l'effet sur la cause, c'est-à-dire de disposer de boucles de rétroactions et de ne pas être trop sûr de soi, aveugle aux conséquences de ses actes. Le monde existe réellement, et c'est réellement que nous devons le changer.

Pour le changer il faut en avoir l'idée sans doute mais l'idée ne vaut qu'à venir de la réalité elle-même et de son injustice criante : c'est le bâton tordu qui veut être redressé, disait Ernst Bloch (c'est la clairière de l'Etre disait l'autre). Il ne s'agit que d'intérioriser l'extériorité et d'extérioriser l'intériorité, de ramener les problèmes individuels et subjectifs à des dysfonctionnements collectifs objectifs, déterminer la finalité intérieure par la réalité extérieure dont elle manque et vers lequel son désir l'oriente. On ne peut négliger pour cela ni les rapports de force, ni les circuits matériels et les contraintes systémiques où les flux d'informations contrôlent les flux de matières et d'énergie. Il ne suffit pas d'avoir de belles idées, il faut que ça marche, que ça circule et que ça puisse se répandre partout. C'est pour toutes ces raisons qu'André Gorz ne pouvait tirer la richesse des possibles que d'une critique attentive des expérimentations effectives et de leur capacité à faire système, démarche bien modeste qui est le contraire de "penser par système", de simples principes moraux ou d'une vision idéale en dehors de l'histoire.

C'est trop méconnu mais un matérialisme dialectique, écosystémique et cybernétique constitue la clé d'une politique révolutionnaire effective qui change le système de production, loin de tout extrémisme ou romantisme révolutionnaire. Il s'agit de savoir prendre en compte le mouvement du négatif qui part de l'idéal (et de ses déterminations sociales) pour se matérialiser de façon dialectique dans une boucle de rétroaction de l'effet sur la cause où l'idée se modèle sur la résistance qu'elle rencontre, où, donc elle doit se contredire partiellement. Il ne faut pas se cacher la déception qu'on peut en retirer à chaque fois, voire l'irritation devant cette dure réalité qui nous résiste et nous blesse cruellement. Seulement, l'expérience de l'existence ce n'est rien d'autre que l'épreuve des faits, l'apprentissage de l'expérience où l'on perd ses illusions, où l'on corrige ses conceptions erronées, mais c'est ainsi que l'esprit se réalise dans la confrontation avec la matérialité, en s'ajustant au terrain dans toute sa vivante complexité qu'on ne peut comprendre qu'en la transformant.

C'est peut-être le plus difficile pourtant, d'admettre notre déception originaire où l'existence s'éprouve comme désir. Tout le monde semble si heureux, bons citoyens et pleins de bons sentiments. Il semblerait que je sois le seul à ne pas être à la hauteur et ne pas participer à la fête ! Il faut dire qu'on se moquerait de nous assurément d'avouer ainsi nos insuffisances. On préfère rivaliser dans nos prétentions et dans une forme de pensée positive ou de méthode Coué si répandue dans les entreprises américaines. Il semble qu'on n'a d'égards que pour le petit nombre des vainqueurs, des vedettes, des dominants (même dans les milieux alternatifs souvent !), alors que le grand nombre est celui des perdants. L'attitude démocratique ne consiste pas à glorifier le peuple mais à se mettre du côté des réprouvés et des faibles comme des prolétaires et des exclus. Il serait donc bien préférable de faire l'aveu de tous nos échecs et revendiquer nos faiblesses qui nous font tous frères plus sûrement que nos bons sentiments, embarqués dans la même aventure, se coltinant les mêmes contradictions et se cognant aux mêmes problèmes. Pas la peine de frimer, vraiment, de faire croire qu'on aurait la science infuse, de jouer au saint, de se poser en modèle, en sage, en maître ! On devrait savoir pourtant à quel point on peut être ignorant de tout, si peu sage et si faible, seule façon de faire un peu mieux mais il ne suffit certes pas de critiquer l'aliénation pour s'en débarrasser. Nous ne sommes pas des héros, non, tout au plus des perdants magnifiques !

Au moment où les premières émeutes éclatent, rien n'est joué encore, mais il vaut mieux savoir qu'il n'y a pas de raisons que ça se passe bien, ni avec les autres, ni entre nous. Il faudra y mettre du nôtre mais on ne peut trop attendre d'une transformation du monde sinon de saisir par chance quelque occasion qui ne se représentera pas avant longtemps sans doute ! En tout cas, il ne faut pas être trop naïf, l'écroulement du système n'est pas là pour nous faire plaisir : il nous ramène brutalement à la raison. La vie est une dure épreuve où l'on éprouve toutes nos limites et la perte de nos illusions. S'il y a quelques moments inoubliables, l'écart entre nos rêves et la réalité la plus sordide semble assez inévitable dès lors que "l'amour maternel est une promesse que la vie ne peut pas tenir" comme disait à peu près Romain Gary. Loin d'être cette aimable comédie vouée au divertissements que la société de consommation nous offre en spectacle pour nous refiler ses marchandises frelatées, il y a une dimension tragique de la vie, au-delà même de sa triste fin, dimension non seulement impossible à éliminer mais qui en fait tout le prix !

C'est le paradoxe qu'il faut souligner pour finir : cette dureté de la vie, ses déceptions et ses remords ne peuvent être éliminées car ce n'est pas du tout une regrettable anomalie mais ce qui fait toute la valeur de notre existence humaine, existence politique et désir de reconnaissance plutôt que jouissance animale. Ce n'est pas pour autant qu'il faudrait accepter notre sort passivement, tout au contraire, puisque c'est le non-sens du monde et son injustice que nous devons surmonter activement à chaque fois et qui donnent tout leur poids à notre action ! Le monde de la vie n'est ni celui de l'éternité immobile, ni celui de la satisfaction immédiate mais de la durée et d'une évolution incertaine. Quelle place aurions-nous sinon dans un monde qui tourne sans nous et ne susciterait ni indignation, ni résistance ? Que serait une vie gagnée d'avance comme déjà vécue ? Vaudrait-il de vivre enfin s'il y avait vraiment un savoir-vivre ?

On ne fait jamais que sortir petit à petit de l'obscurité et de l'ignorance. La réalité est toujours décevante, avec la probabilité de l'entropie, mais le reconnaître, par l'expression du négatif, c'est déjà permettre de le dépasser et de faire advenir l'improbable peut-être. Reconnaître cet écart entre le mot et le fait, entre être et devoir-être, c'est transformer le négatif en positif. Ce n'est pas seulement la condition de la réussite immédiate mais plus encore de la viabilité sur la durée. C'est tout simplement l'expérience de la vie, du réel d'un manque ou de la rencontre, d'un moi qui doit composer avec un non-moi. C'est bien ce qui fait l'enjeu de l'existence dans l'épreuve d'un réel qui se dérobe à notre désir, non-sens auquel il nous faut donner sens, sens qu'on ne peut trouver que dans l'histoire passée qu'il nous faut continuer en participant activement à l'aventure de l'humanité. C'est toujours un dur apprentissage collectif sans aucun doute que cette histoire pleine de bruits et de fureurs mais il faut croire qu'on peut apprendre du passé et qu'on ne répétera pas indéfiniment les mêmes erreurs, déjà éprouvées tant de fois ? Pour cela, il ne faudrait pas revenir en arrière, aux conceptions démagogiques les plus simplistes, et plutôt étudier d'un peu plus près les anciens phénomènes révolutionnaires avec toutes leurs dérives !

Dans ces temps troublés, on a besoin de radicalité mais cela devrait vouloir dire ne pas céder sur la vérité ! La vérité est révolutionnaire car elle mine tous les pouvoirs, toutes les autorités même "révolutionnaires", mais ce n'est pas une raison pour tomber dans le scepticisme ou le relativisme, encore moins dans le dogmatisme ou un optimisme béat. C'est toujours la même réponse que donne la philosophie aussi bien au sophiste qu'au croyant, celle de la pensée critique, de la science et de l'histoire, de ce qu'on peut appeler en effet un matérialisme dialectique : ni le renoncement à la vérité, ni de certitude aveugle et il faut bien dire que l'expérience de l'histoire ne permet pas d'espérer que ça se passe sans heurts et qu'on évite l'engrenage de la violence.

Tout ceci paraitra bien intempestif, hélas, trop loin des mouvements de foule qui occupent la scène. On n'évitera pas les idéologies extrémistes, parcourant toutes les erreurs possible les unes après les autres. L'épreuve ne fait que commencer qui sera rude pour notre intelligence. On peut se rassurer en pensant que la vérité ne peut être refoulée trop longtemps et qu'elle finit toujours par triompher. En attendant nos folies peuvent causer malgré tout bien des massacres. Dans ces bouleversements historiques, on peut toujours espérer que tout s'arrange à la fin, mais mieux vaut s'attendre au pire...

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13 réflexions au sujet de “L’épreuve du réel (matérialisme et dialectique)”

  1. d'accord pour le retour au réel et le matérialisme dialectique écosystêmique et cybernétique . pour le pire j'ai encore bien du mal à croire qu'un mouvement puissant va pouvoir émerger ( en grèce ce me semble être une insurrection sans projet , mais je vois ça de trop loin et sans doute pas avec les bonnes jumelles ) et je ne sais si l'hypothèse de l'effondrement du capitalisme est toujours valable ...

    en attendant stiegler peut toujours aller se rabiller !

  2. Je n'ai pas de boule de cristal, tout ce que je peux dire, c'est que je ne vois pas comment on va éviter une crise économique très grave, la restriction du crédit dans une économie basée sur l'endettement devrait entraîner des faillites en chaîne et des tensions considérables entre pays, la dévaluation du Yuan en constituant le premier acte. Ce n'est pas vraiment l'effondrement du capitalisme au sens où il ne s'en relèverait pas, mais c'est quand même un crash majeur qui laissera un champ de ruines. Dans ces conditions, ce serait une illusion de croire qu'il n'y aura pas de violences avec l'exacerbation des nationalismes sans doute, tout au contraire de la fête révolutionnaire qui nous apporterait le bonheur tant attendu !

    Les émeutes en Grèce peuvent faire long feu mais je crois plutôt qu'elles constituent l'avant-garde de ce qui risque de se produire ailleurs, en particulier du fait qu'il y a un choc des générations et une révolte de la jeunesse contre le précariat, revendications représentatives de toute la jeunesse des pays développés au moins mais la fracture générationnelle est encore plus marquée dans les nouveaux pays industriels. Certes, c'est un mouvement sans issu et sans projet. C'était le cas aussi de Mai68. Je n'en attends rien de spécial (on ne sait jamais...) sinon que cela pourrait se reproduire un peu partout et préfigurer la période qui vient, plutôt sur le versant positif. Tout ce texte (texte de fond un peu trop touffu car surtout à usage interne) fait le bilan de ce qui manque de matérialisme et de dialectique pour que de tels mouvements puissent déboucher vraiment mais les acteurs peuvent apprendre vite dans ces moments là et ça va secouer, c'est sûr...

  3. Heureusement que je mets des images, cela permet à ceux qui ne savent pas lire de dire quelque chose quand même !

    Il se trouve effectivement qu'il y a une flèche du temps et que l'apprentissage est progressif... pour le reste, l'histoire n'est certes pas linéaire puisqu'elle est cyclique et dialectique.

  4. Je suis on ne peut plus d'accord, tout en sachant que le pire ne fera que succèder au pire....
    Et là je ne sais si c'est dialectique ou matérialiste mais ça risque par contre d'être peu jouissif à moins d'être sado-maso ce qui peut être tout aussi d'une socièté que d'un individu.
    Enfin cela nous ramenera peut-être à des considérations plus minimalistes plutôt que croire gèrer le monde.... la place à d'autres!

  5. Cette exigence intenable des pseudo-philosophes qu'on réfute leurs idées, quand ce sont celles à la base même de leurs idées qui ont été réfutées. Il faut donc bien comprendre que c'est perdre son temps que de réfuter individuellement toutes les âneries qu'on a pu bâtir sur d'autres âneries.

    J'ai lu votre texte, connaissant également l'origine de votre idéalisme, je ne vois aucune raison de réfuter juste pour vous tout ce qui a déjà été réfuté depuis longtemps. Au lieu de ressasser (c'est vriament le cas de le dire, car vous écrivez toujours la même chose) les mêmes lieux communs, intéressez-vous un peu à l'histoire critique de la pensée et cessez de vous entretenir dans votre propre système clos.

  6. Sur Stiegler je répond juste par politesse, car il me semble que l'allusion étais un peu déplacée et ne mérite pas vraiment qu'on s'y attarde. Mais quoi de commun entre jean zin et bernard stiegler, surtout quand on lit le texte ci dessus et les propositions qui sont faite . il font juste parti du même réseau de réseau, tout en ayant pas grand chose à voir en fait.

  7. Il est certain que je ne cherche absolument pas à "réenchanter le monde" et que je me situe dans le post-industriel à l'opposé de l'hyper-industriel, en particulier de viser des solutions concrètes et la construction d'alternatives.

    Sinon je suis content qu'on reconnaisse que je dis toujours la même chose, comme tous les philosophes que je sache. On peut même dire que tous les philosophes disent la même chose (Platon, Aristote, Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Marx, etc.). L'originalité ici n'est pas de mise et on perd son temps à espérer que je puisse dire autre chose. Evidemment, il serait moins utile que je répète ces évidences si elles étaient à la mode, si c'étaient vraiment des lieux communs, et qu'elles n'étaient pas considérées plutôt comme réfutées depuis longtemps par des penseurs bien plus clairvoyants paraît-il...

  8. Ne pensez-vous pas que d'autres notions considérées comme "défuntes" mériteraient d'être, certes largement actualisées, "relookées", mais remises au goût du jour avec un peu d'audace. Je pense à la baisse tendancielle du taux de profit ou... à la lutte des classes

  9. @ bizu
    J'entendais un sculpteur du XXème siècle exprimer ainsi son émerveillement lors d'un exposition des oeuvres du peintre Bram Van Velde: "30ans le même geste!" Un peintre remarquable en effet, plus qu'il n'est remarqué par le marché de l'art: Sa cote modeste n'a guère monté même après sa mort. Modeste (se mesurant au réél) il n'a jamais aliéné son geste selon les modes du moment. C'est cela qui entrainait la reconnaissance confraternelle du sculpteur.

  10. Pour la baise tendancielle du taux de profit, je pense qu'elle est plutôt cyclique mais surtout qu'elle perd son sens dans le domaine numérique où le profit devient plus aléatoire et la productivité statistique. Il y a d'ailleurs une hésitation dans les Grundisse sur son caractère cyclique. Il ne s'agit pas de tout garder de Marx, encore moins du marxisme, comme s'il n'y avait eu aucune leçon de l'histoire mais il est sûr qu'on ne peut tout en rejeter !

    Pour la lutte des classes, elle revient, elle est déjà revenue par l'évidence que ce sont les riches qui font la guerre aux pauvres.

  11. @Pierre : malheureusement pour vous, la preuve par analogie est un un mode de raisonnement défectueux. Avec ce genre de raisonnement on pourrait tout aussi bien prouver que, parce que tous les hommes sont mortels, tous les chiens sont immortels.

    @Jean Zin : Je passe sur les affirmations péremptoires selon lesquelles Platon et Aristote et Descartes raconteraient tous les mêmes choses (qui ferait sauter au plafond n'importe quel élève de Terminal Littéraire).

    Lorsque Descartes (en tant qu'exemple d'un idéalisme parmi d'autres) fonda hyperboliquement le cogito, il trancha également toute la composante organique et historique qui rend le cogito non seulement intelligible mais surtout possible. La ration autonome - c'était la thèse de tous les systèmes idéalistes - était censée pouvoir développer à partir de son propre fonds le concept de réalité et toute réalité même. Cette thèse hypostasiait un instant particulier du langage ( en tant que champ de la pensée intra-linguistique : "Le langage en tant que forme de l'être conscient est la médiation et l'articulatioin du système conscient et inconscient" H. Ey), dans sa forme matricielle de la psychè humaine, pour opérer une reconstruction du réel fondée sur des logiques abstraites elles-mêmes héritées de l'histoire. Cette scission s'opéra par la disjonction idéaliste de la forme et du contenu de la connaissance. On trouve à son fondement l'idée que les concepts, et avec eux les mots, seraient des abréviations d'une pluralité de caractéristiques dont la conscience constituerait simplement l'unité. Lorsque c'est de manière subjective, en tant que forme, que le divers reçoit l'emprunte de son unité, une telle forme est nécessairement pensée comme détachable du contenu. Que l'on puisse mettre n'importe quel nom sur les choses est le signe de toutes les formes de réifications opérées par la conscience idéaliste : pour une pensée qui appréhende les choses exclusivement comme des fonctions de la pensée, le choix des noms est devenu affaire de goût : ils sont de libres positions de la conscience. Dans l'idéalisme, cette contingence ontologique de l'unité subjectivement constituée des concepts devient évidente dans la commutativité de leurs noms. Pour l'idéalisme, les noms ne se tiennent que dans une relation figurée, et non concrètement objective, à ce qui est visé par eux. Or, contrairement au postulat idéaliste, par le langage, l'histoire prend part à la vérité, et les mots ne sont jamais de simples signes de ce qui est pensé sous eux, mais c'est au contraire l'histoire qui fait irruption dans les mots et qui forme leur caractère de vérité ; la part de l'histoire dans le mot détermine le choix de chaque mot parce que l'histoire et la vérité se rencontrent dans le mot. Non que les objets soient donnés adéquatement par le langage ( thèse naturaliste naïve), mais au contraire ils adhèrent au langage et se tiennent dans une unité historique avec lui. Or vous savez certainement que cette distinction idéaliste permit à la tradition positiviste d'idéaliser un langage où la commutativité des signifiants serait sans impact sur les signifiés.
    Les fondements mêmes de vos maîtres à penser (tel Lacan) sont bien plus poreux qu'il n'y parait. La "linguistique scientifique", par exemple, se constitua dans un monde où la recevabilité d'un discours était mesurée à sa "scientificité", argument qui sera souvent plus convaincant que la réalité expérimentale elle-même. Ainsi la scientificité de la linguistique emergea du postulat d'arbitraire du signe, c'est-à-dire de l'idée d'équivalence entre les mots de toutes les langues dans la description d'un même signifiant. A la manière des lois de la physique, ce postulat d'isotropie universelle éffaçait d'un seul coup toute composante historique.
    Or c'est bien ce postulat qui permit à Lacan (ou à Portalis et Foucault) de détacher l'être conscient du sens en formalisant un système de signifiants insignifiants pour ne représenter qu'un agencement impersonnel d'éléments détaché du signifié par excellence : le sujet. Le structuralisme français, s'inspirant directement du néo-positivisme logique (Cercle de Vienne, Russel, etc.), s'articule comme une contestation radicale de toutes les "valeurs" (on comprend que les gauchistes y aient trouvé leur compte) qui, selon lui, mystifie la pure objectivité des systèmes clos où se distribuent les formes de la pensée, du langage et des institutions qui submergent l'individu et ruinent ses prétention à être quelqu'un.
    C'est ce même postulat, découlant en droite ligne du postulat d'arbitraire du signe, qui permit l'avénement d'un autre postulat supra-linguistique de l'existence de mécanismes formels qui domineraient les processus intra-linguistiques jusque dans l'inconscient et donna naissance au concept de "métalangue logique". Concept qui lui-même recyclé par les philosophes cybernéticiens fonda l'espoir d'un traitement automatisé (informatisé) de la langue censée permettre une commutativité parfaite des signes entre les langues, c'est-à-dire plus trivialement de traduire automatiquement toutes les langues entre-elles par le truchement de cette "métalangue logique". L'échec historique de ce projet éclaire singulièrement la chaîne des postulats qui plonge au coeur de la "linguistique scientifique" et de l'inadéquation des critères de scientificité à leur objet d'investigation. L'objectivation du langage en système clos de signes (sur le modèle saussurien et tel que l'a explicité Louis Hjelmslev dans Le Langage) trouve sa limite dans la production du discours qui est création d'évènements engageant le sujet.
    Quant à la thèse idéaliste par excellence - la ratio autonome - , aucune raison justificatrice ne pourrait se retrouver elle-même dans une réalité dont l'ordre et la configuration mettent à bas toutes les prétentions de la raison ; c'est seulement de manière polémique que la réalité s'offre à la connaissance comme réalité totale, alors qu'elle n'accorde que sous forme de traces et de ruines d'en venir un jour à être la réalité vraie et juste. Le réél comme totalité ne se laisse pas soumettre à l'idée de l'être (idéalisme philosophique), qui lui assignerait son sens, pas plus que l'idée de l'étant ne se laisse reconstruire à partir des éléments du réel (idéalisme scientifique).

    Contrairement donc à votre baratin sur la "vérité" et l'état matériel du monde, la dévalorisation anthropologique que représente l'enfouissement des valeurs (la téléologie de l'existence humaine) n'est pas étrangère au sentiment apocalyptique qui parcourt le monde moderne. Les fondements des théories épistémologiques se devraient de reconnaître un être conscient, un sujet,qui a dépassé son objectivité, la corporéité des sysèmes clos, pour s'ouvrir au monde et parler enfin son propre discours, être à la fois objet et sujet de son savoir ruineraient passablement ces totalitarisme philosophique qui prétendent idéalement enfermer l'homme (et la totalité du réel), par la force de la pensée, dans un système symbolique.

    Voilà mon cher Monsieur, je crois avoir consacré assez de temps aux fondements de votre idéalisme dont les développements, étant basés sur des erreurs, ne m'intéressent guère.

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