Combiner démocratie, oligarchie et aristocratie

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Aristote, Polybe, Montesquieu, Rousseau
Depuis Mai68, l'idéal d'une démocratie radicale (celle des assemblées générales) paraissait de l'ordre de l'évidence bien que sans arrêt confrontés à son échec et à toutes les perversions d'un démocratisme dont les Verts m'ont semblé un exemple caricatural (il y en a bien d'autres évidemment). Les réseaux sociaux ont redonné force à cette utopie vite déçue. Malgré ces échecs répétés, impossible d'abandonner l'exigence démocratique, mais il serait idiot, vu le résultat, d'en surestimer la réalité et les vertus, obligés de prendre conscience de la difficulté au moins.

Au-delà de la fiction juridique rousseauiste, qui garde toute son importance, si on adopte un point de vue plus matérialiste, on va voir que les plus grands penseurs politiques convergent sur la nécessité de ce que Aristote appelait une république tempérée, avec une division des pouvoirs. On avait souligné à quel point la Politique d'Aristote avait été réfutée par son élève Alexandre le Grand qui la rendait inutile dans l'Empire soumis par la force armée. La philosophie politique est de peu de poids par rapport aux puissances matérielles et le droit du plus fort (que Rousseau refusait de considérer comme un droit) mais justement, c'est bien la nécessité de reconnaître ces puissances effectives par le pluralisme qui justifie une constitution mixte, c'est-à-dire combinant les différentes constitutions démocratique, aristocratique voire oligarchique (c'est le point discuté).

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Système, antisystème et démocratie

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Notre situation politique catastrophique est la conséquence d'une triple crise à la fois économique, géopolitique et technologique (sans parler de la crise écologique) produisant dans nos vies des bouleversements sur lesquels nous n'avons que très peu de prise même si tous les candidats aux présidentielles de tous les pays proclament le contraire à grands coups de menton. Comme notre impuissance nous est absolument insupportable, on est prêt à n'importe quoi, même au pire, plutôt que de ne rien faire. Toutes sortes de courants minoritaires, se bercent de l'illusion de la victoire de leur champion, pourtant très loin de compte, mais il paraît que c'est un biais très répandu de se persuader d'autant plus d'une possible victoire (d'une équipe de foot par exemple) que la défaite est assurée (il faut s'encourager) ! Cela va jusqu'aux plus gauchistes qui veulent croire à un grand soulèvement qui balaierait l'ordre établi et dont ils seraient les précurseurs - mais, comme les prédictions de fin du monde, on attend toujours...

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Anthropolitique

Temps de lecture : 25 minutes

Connaître notre ignorance
Il y a des gens qui sont contents de faire de la philosophie et contents d'eux. Ce n'est pas mon cas. Ils prétendent arriver ainsi à la vérité et au Bien suprême. Il ne faut douter de rien ! Ma propre expérience est plutôt celle de la déception permanente et de la désillusion, si ce n'est de la rage. On sait pourtant bien qu'il n'y a que la vérité qui blesse, comment pourrions nous trouver une consolation dans une philosophie cherchant sincèrement la vérité ? Ce qu'on découvre n'est pas ce qu'on cherchait, encore moins ce qu'on espérait et plus on apprend, plus on découvre ses limites et l'étendue de ce qu'on ignore encore.

Bien sûr, ce n'est pas le cas des méditations plus ou moins religieuses qui ne trouvent cette fois que ce qu'elles cherchent, jusqu'à donner corps à des abstractions par une sorte d'auto-hypnose. On peut dire la même chose de tous ceux qui se prétendent adeptes de la pensée critique alors qu'ils adoptent simplement un dogme opposé au discours dominant et passent leur temps à renforcer leurs convictions les plus délirantes en restant entre-soi. Une philosophie véritablement critique ne va pas prendre ses désirs pour la réalité mais commence par s'informer à diverses sources, soumettre ses propres conceptions à la question, en récoltant les objections qu'on peut y faire. L'écriture (démocratisée chez les Grecs grâce aux voyelles) est sans doute une condition de cette réflexivité, en plus de donner accès à la diversité des opinions et des cultures. Voilà bien ce qu'internet devrait amplifier si chacun ne s'enfermait pas dans son petit monde (réduisant les autres à des ennemis ne cherchant qu'à nous tromper) ! Ce moment négatif de la critique mine forcément nos anciennes certitudes et nos traditions, opposées à d'autres traditions, introduisant la division dans la société et une indéniable "insécurité culturelle", détruisant la belle unité originaire par le poison du doute et de la liberté de pensée. Le recul critique, la non-identité à soi, est incontestablement une épreuve dépressive qui nous confronte à nos illusions perdues et n'encourage certes pas les enthousiasmes naïfs ni un quelconque unanimisme. C'est politiquement incorrect car constituant une voie solitaire, en rupture de notre groupe (de pensée) et qu'on peut à bon droit accuser de désespérer Billancourt, tout comme de pervertir la jeunesse...

Il y a un troisième temps à cette dialectique qui ne s'arrête pas au travail du scepticisme, intenable jusqu'au bout, et réaffirme positivement la nécessité de l'action ou de l'expérience. Ce ne peut être cependant un retour pur et simple au point de départ, oubliant le négatif, mais seulement à partir de sa prise de conscience et de tout ce qui s'oppose à nos bonnes volontés comme à notre unité - ce qui va du caractère déceptif du réel aux limites de notre rationalité, en particulier d'une intelligence collective qui brille la plupart du temps par son absence. Ce n'est pas drôle et même assez déprimant, ne laissant qu'assez peu d'espoir de servir à quelque chose en dehors de notre rayon d'action local alors que nous voulons penser la totalité qui est l'autre nom de la société comme ce qu'on intériorise au plus intime. L'enjeu est pourtant bien de tenir le pas gagné, intégrer nos erreurs passées, notre capacité à nous illusionner et la déception de nos espoirs dans les nouveaux combats à mener, condition pour avoir une chance de les gagner au lieu de vouloir de nouveau soulever les foules d'ivresses messianiques et répéter vainement les mêmes échecs, croyant pouvoir remplacer une raison défaillante par le sentiment. Ce qui peut paraître trop défaitiste et passer pour un manque d'ambition est pourtant tout-à-fait la méthode mise en pratique par les sciences, avec le succès que l'on sait. Cependant, il vaut bien avouer que la plupart des philosophies semblent faites pour refouler ce savoir de l'ignorance et de notre in-conscience, constructions largement fantasmatiques flirtant le plus souvent avec la théologie et surestimant le pouvoir de l'esprit comme la béatitude promise, où la vérité n'est plus qu'un moment du faux.

Mettre en cause notre intelligence, reste trop choquant pour la plupart, notamment pour les démocrates convaincus, alors que c'est quand même la base des sciences expérimentales et de la méthode socratique. Ce n'est pas d'hier que les sciences ont renoncé à s'en tenir au discours et à une raison raisonnante, pour ne se fier qu'au résultat effectif, aussi contrariant soit-il. Malgré cela, on en reste globalement à une confiance à peu près universelle dans une providence divine où tout devrait finir par s'arranger. Il y a certes des prophètes de malheur qui annoncent régulièrement la fin du monde, ainsi que des vigiles clairvoyants qui nous alertent sur les menaces bien réelles que nous faisons peser sur notre environnement, mais il faut bien dire que nous faisons preuve habituellement d'une confiance excessive dont il est difficile de se défaire, y compris les philosophes surestimant les bienfaits de la prise de conscience, ce qu'on retrouve en politique alors qu'on constate plutôt, notamment pour les menaces écologiques, que les informations ne sont pas toujours bonnes ni porteuses d'espoir ou d'action...

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L’échec politique, entre religiosité et déterminismes

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Et c’est parce que ce milieu imaginaire n’offre à l’esprit aucune résistance que celui-ci, ne se sentant contenu par rien, s’abandonne à des ambitions sans bornes et croit possible de construire ou, plutôt, de reconstruire le monde par ses seules forces et au gré de ses désirs.
Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique

 

politiqueLa politique est décidément bien décevante, chose acquise à peu près pour tout le monde aujourd'hui - surtout depuis la crise financière et les révolutions arabes - sauf qu'on s'obstine à mettre encore notre impuissance collective entièrement sur le compte de notre défaitisme et notre passivité, alors que notre activisme pourrait y participer tout autant à se tromper de cible et se croire obligé de répéter comme un mantra, d'échecs en échecs, qu'il faudrait rester utopistes car ce serait sinon accepter les injustices du monde ! On peut dire que c'est le privilège de l'âge, après des années de militantisme, de constater à quel point c'était une impasse et n'a servi à rien ou presque, mais cela ne date pas d'hier. Il ne s'agit pas de s'en accommoder mais d'essayer de comprendre pourquoi au lieu de le dénier bêtement en s'imaginant avoir trouvé cette fois la bonne martingale qui grâce aux réseaux sociaux, à notre excellence ou quelque autre merveille assurera le triomphe de ce qui a toujours échoué jusque là... Le premier obstacle est bien là, en effet, dans cette loi du coeur, simple refus du réel comme de reconnaître l'étendue de notre impuissance que personne pourtant ne peut plus feindre d'ignorer, et préférer croire aux miracles, toujours prêts à suivre les marchands de rêves. A n'en pas douter, se focaliser sur les problèmes concrets (reconversion énergétique, relocalisation, inégalités, précarité) donnerait une bien meilleure chance de les régler mais on préfère rehausser notre image avec des ambitions plus élevées et la dévotion à quelques grands idéaux ou la nostalgie d'une société fusionnelle, perdus dans une religiosité, mêlant l'abstraction et l'affectif, dont c'est la réalité qui fait les frais.

Durkheim explique assez bien cette projection dans la totalité par le fait que "le concept de totalité n'est que la forme abstraite du concept de société" même si, à l'origine, cela s'appliquait à des sociétés beaucoup plus restreintes (à taille humaine). Il y a une nécessité des rites d'unification d'une société pluraliste pour sa cohésion et la réduction des tensions internes, fonction des fêtes et commémorations (des banquets républicains chez les Grecs) mais il est aussi essentiel de ne pas en faire trop et de reconnaître nos divisions innombrables, qui nous opposent et réduisent d'autant le pouvoir du politique à un point d'équilibre entre droite et gauche. Hélas, après le désastre des totalitarismes fascistes et communistes, puis le remplacement des anciennes luttes de libération et des guérillas communistes par les djihadistes, il semble bien qu'il soit plus difficile qu'on ne croit de sortir des schémas religieux et de la quête de l'absolu pour prendre à bras le corps les questions matérielles considérables qui se posent alors que jamais période ne fut aussi révolutionnaire - mais pas au sens quasi théologique qu'on voudrait lui donner !

Dans le sillage du travail poursuivi sur la débandade des avant-gardes, la critique de la critique, la surestimation de nos moyens, les solutions imaginaires, la fin de la politique et l'ineffectivité de la philosophie politique, il m'a semblé utile de revenir d'abord sur ce qui nous trompe, nous empêchant de reconnaître nos déterminismes et résoudre nos problèmes, puis sur ce qui nous contraint matériellement, que cela nous plaise ou non, essayant de dessiner ainsi le cadre peu reluisant de l'action collective, nous laissant peu d'espoirs, et les mécanismes effectifs derrière la façade politicienne de la démocratie compétitive. Il n'y a là paradoxalement rien de nouveau, que du bien connu mais dont on ne veut rien savoir dans les discours politiques au moins. Dire ce qui est ne peut viser à décourager l'action mais tout au contraire lui donner un peu plus d'effectivité peut-être, en abandonnant la pensée magique ? En tout cas, même si c'est probablement en vain, c'est pour cela que je continue ce travail ingrat - car il est vital qu'on arrive à s'en sortir et qu'on ne se laisse pas faire, en dépit de tout ce qui nous en empêche (nous-mêmes en premier).

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Philosophie politique et politique effective

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Dans notre situation actuelle, il ne m'a pas paru inutile de confronter les prétentions de la philosophie politique depuis ses origines à la réalité des rapports de force et des processus matériels. La question de la politique remonte en effet aux débuts de la civilisation et de la philosophie. Ce n'est vraiment pas nouveau. Les réponses qu'on y a donné ont été, tout comme de nos jours, soit aussi irréalistes qu'effrayantes (comme la République de Platon) soit un simple rabâchage de jugements de valeur ou de condamnations morales sans aucune portée. On en a beaucoup voulu à Machiavel, pourtant on ne peut plus progressiste, de se préoccuper de l'effectivité du politique et de la politique effective telle que pratiquée à son époque comme du temps des Romains, en contradiction souvent avec les discours de façade. Il y a une profondeur historique qu'on s'imagine pouvoir superbement ignorer comme si rien ne pouvait nous empêcher de faire "tout autre chose" que les anciens peuples. Aussi intolérable cela puisse nous paraître, il y a bien une réalité qui s'impose à nous et qu'on peut juste essayer d'améliorer. Maintenant qu'on ne peut plus croire à l'histoire sainte marxiste, on peut y voir une simple variante d'illusions anciennes (victoires éphémères des prophètes armés) nous ayant ramenés au point de départ.

Dans nos sociétés de zapping permanent, il est difficile de croire qu'il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil, rien que nous puissions radicalement changer et, il est vrai que notre distance avec ces époques reculées est considérable, en particulier depuis l'essor du numérique, mais il ne faut pas croire que cela rendrait caduque l'histoire ancienne (ce qu'on appelait les "humanités") et tout notre passé. On reste frappé au contraire de la similitude avec les déplorations de notre actualité la plus brûlante. Le constat est toujours le même du gouffre entre les prétentions du politique et la réalité du gouvernement. Plutôt que de s'imaginer être les premiers au monde à vouloir le transformer, comme tout juste débarqués, il faudrait quand même finir par prendre la mesure de tout ce qui s'y oppose depuis toujours, en particulier nos limites cognitives qui nous font adopter des solutions simplistes et surévaluer nos capacités. La question n'est pas théorique mais au plus haut point pratique car il est désormais vital de transformer le monde. D'une part pour s'adapter aux nouvelles forces productives et aux réseaux globalisés, d'autre part pour faire face aux dérèglements écologiques que nous provoquons. Il le faut et pourtant on n'y arrive pas. C'est de là qu'il faut partir et se focaliser sur nos moyens, eux aussi tellement limités, pour aboutir à des résultats concrets au lieu de se déchirer sur nos visions du monde et des objectifs lointains inatteignables.

Notre actualité est celle de la confrontation de conceptions fascisantes de la politique (ou de la démocratie comme volontarisme), ne pouvant que mener au pire, en opposition frontale avec la réalité de la politique et d'une démocratie pluraliste qui sont le lieu de la diversité et du compromis. Rien de révolutionnaire à en attendre, c'est la réalité qui est révolutionnaire avec l'accélération technologique et l'emballement du climat, ce qui rend notre impuissance d'autant plus dramatique et inexcusable, impossible de ne pas bouger, on n'a pas le choix. Le problème, c'est que plus la crise nous réduit à l'impuissance et plus on s'accroche à des rêves de révolutions miraculeuses, de communauté retrouvée, délivrés de nos dettes, de l'argent, du travail, véritable royaume de Dieu sur terre - qui n'est pas seulement trompeur mais en rajoute encore à notre impuissance. D'autres s'y sont essayés tant de fois, au nom de Dieu, de l'amour, de l'altruisme, de la solidarité, de la fraternité ou de la Nation (la race, la civilisation, la tradition, etc.). Toujours la même chanson. Il faut prendre au sérieux ces effusions qui remuent les âmes mais elles n'ont aucune prise sur les choses. Ce n'est pas comme cela qu'on s'en tirera mais en trouvant des solutions concrètes à des questions matérielles et en construisant les rapports de force nécessaires. On ne peut laisser se développer précarité et exclusion ni le creusement des inégalités ni la dévastation de nos territoires mais il faut pour cela désidéaliser la politique, la désenchanter pour revenir au réel enfin, il y a urgence !

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La fin de la politique

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Politique_par_Miss_TicPlus la situation est bloquée, et dépourvue de toute perspective, et plus on se croit obligé de proclamer sa radicalité, appeler à l'insurrection et promettre une société idéale refaite à neuf, en rupture totale avec la société précédente et tous les millénaires passés... sans aucune chance, bien sûr, d'aboutir à rien, sinon au pire. Car ces visions exaltées, qui sont récurrentes dans l'histoire et auxquelles je n'ai pas échappé avec ma génération, ne sont pas du tout si innocentes qu'on croit mais répondent bien plutôt à un besoin profond dont les Islamistes nous rappellent le caractère à la fois religieux et criminel, en dépit d'intentions si pures (où, dans leur rêve, il n'y aurait aucune raison de ne pas être de leur côté sauf à être foncièrement mauvais).

Plutôt que s'imaginer devoir renforcer les convictions, gagner l'hégémonie idéologique, changer les esprits, appeler à l'amour universel, il faudrait pourtant en finir au contraire avec ces conceptions messianiques de la politique et d'une communauté fusionnelle pour revenir à la dimension matérialiste et pluraliste d'une politique démocratique qui n'est pas "souveraine" et dominatrice mais bien plutôt faite de compromis et de rapports de force. C'est ce qui est sans aucun doute inacceptable à la plupart dans ce besoin d'absolu devant l'injustice sociale et les désastres écologiques qui s'annoncent. C'est pourtant ce qui constitue la condition pour donner un minimum d'effectivité à nos protestations et avoir une petite chance d'améliorer les choses au lieu d'aller de défaites en défaites (en croyant garder la tête haute et n'avoir pas à s'en alarmer!). Il y a le feu, il n'est plus temps de faire des phrases et se donner des grands airs.

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L’illusion démocratique

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Les révolutions arabes sont confrontées à la perte des illusions sur la démocratie et plus généralement aux limitations du politique. Il faut dire que les illusions ne manquent pas, ici comme là-bas, sur une démocratie qu'on s'imagine toute puissante et pouvant décider de la société dans laquelle on veut vivre, ce qui veut dire forcément imposer son mode de vie aux autres. C'est assez clair avec les tentatives d'islamisation des pays arabes comme de la Turquie (sans parler de l'Iran), mais ce n'est guère différent de nos démocrates révolutionnaires, de droite comme de gauche, qui s'imaginent remodeler la société française s'ils arrivaient à gagner une majorité aux élections. Cette conception d'une démocratie majoritaire est celle des totalitarismes et doit être abandonnée pour une démocratie des minorités qui n'est pas l'incarnation dans le vote d'une supposée volonté générale mais l'instrument de la démocratisation de la société. C'est ce qu'on pourrait sans doute appeler une démocratie libérale sauf que pour mériter son nom de démocratie, elle ne peut oublier sa dimension sociale.

A quoi sert de faire la révolution alors se diront tous ceux qui veulent tout changer sinon rien ? A changer le personnel dirigeant, au moins, ce qui est souvent plus que nécessaire comme on le voit mais ne va pas beaucoup plus loin effectivement car les réalités ne changent pas qui s'imposent aux beaux discours et il ne suffit pas de faire étalage de sa bonne volonté ou de sa bonne foi pour savoir gérer un pays. Quand ça ne marche pas, le pouvoir est renversé fût-il démocratiquement élu. Il faut s'en persuader malgré la mythologie révolutionnaire, la démocratie n'est que le pire des régimes à l'exception de tous les autres, juste une façon de pacifier les conflits. Non seulement ce ne sont pas les meilleurs qui sont élus (ce sont les plus ambitieux, les plus habiles, les plus démagogues), mais on ne peut décider de tout, et même de pas grand chose en fait (moins qu'avant en tout cas). Pour le comprendre, il faudrait comprendre que le fonctionnement d'un système dépend assez peu de nous et qu'il y a des phénomènes sociaux qui nous dépassent comme il y a une évolution du monde irréversible (notamment technologique). Il n'est pas possible d'imposer la charia dans les pays musulmans, pas plus qu'on ne pourrait décider ici d'un monde sans musulmans. Il n'est pas vrai qu'on puisse mettre tous les étrangers dehors, ni fermer nos frontières, ni changer toute l'économie. Tout cela est pur fantasme et verbiage prétentieux. Ce n'est pas que certains autocrates ne tentent de forcer le destin, mais cela ne peut qu'empirer les choses. Ce qui est curieux, c'est comme ces prétentions de dicter sa loi ne posent pas question, malgré l'expérience séculaire de la démocratie, pas plus que l'idée que le monde devrait être conforme à nos souhaits, ce qu'il n'a jamais été, comme s'il n'avait pas d'existence propre et ne dépendait que de nous par devoir moral dirait-on. On fait comme si sa dérive était toute récente par rapport à un état antérieur idéalisé, témoignant simplement ainsi d'avoir un peu trop cru à la propagande officielle quand on était petit.

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Le refus du réel

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deni_realiteIl ne suffit pas d'avoir des idées claires et distinctes pour que ce soient des idées justes. Il ne suffit pas non plus de trouver une situation intolérable pour trouver comment s'en sortir, ni surtout pour se mettre d'accord sur les solutions. Il n'y a pas que les divisions entre droite et gauche mais au sein même de la gauche, il y a profonde division sur les politiques à suivre. Cette division est notre réalité première qu'il faudrait reconnaître, nous condamnant sinon à l'impuissance ou à l'échec, mais cela devrait nous faire renoncer à toute vision totalitaire d'une société unie, ce que chacun désire sans aucun doute mais qui ne se peut pour de très bonnes raisons et d'abord parce que personne ne détient la vérité qui n'est pas donnée mais fait l'objet de luttes acharnées et ne se détermine qu'après-coup dans l'expérience du réel.

On ne s'unit que dans le combat contre l'ennemi, extérieur aussi bien qu'intérieur (prenant ainsi immanquablement le parti pour le tout). On devrait le savoir désormais, l'idée que "le" peuple prenne le pouvoir n'a pas de sens dans nos démocraties pluralistes, du moins en dehors du niveau local et d'une démocratie de face à face. Plus le pouvoir s'étend sur de vastes contrées et plus il doit composer avec des forces et des masses en jeu qui ne dépendent pas de notre bon vouloir (pas plus que les sciences ne peuvent dépendre de la démocratie). A ce niveau, ce qui compte, c'est moins le volontarisme que la justesse et la réactivité des politiques suivies, largement aux mains de technocrates. Le "déficit démocratique" n'est pas très différent entre les USA, la Chine et l'Europe même si ce n'est pas pour les mêmes raisons (l'argent, le parti, le jeu des nations), la pertinence des politiques suivies se jugeant au résultat. L'enjeu est donc bien d'abord cognitif, non pas qu'un hypothétique peuple accède au pouvoir on ne sait comment mais de savoir quoi faire. L'important serait d'avoir une analyse juste de la situation, ce qui n'est pas du tout le cas de la gauche actuelle dont les discours se caractérisent plutôt par un refus du réel obstiné et sans issue où l'imputation à la crise de causes imaginaires amène à des solutions tout aussi imaginaires (on va en examiner quelques unes), essuyant avec constance défaite sur défaite.

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La démocratie est un rapport de force

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Quelques réflexions rapides sur les perspectives du mouvement en cours

Rien de plus bienvenu que d'exiger une démocratie réelle à la place d'une démocratie formelle de plus en plus vidée de sa substance mais il faudrait bien comprendre pourquoi le droit de vote ne suffit pas à définir un régime démocratique, ce qui peut paraître étonnant, tout de même, du moins quand les élections ne font pas l'objet de falsifications patentes.

On fait appel en général à une supposée "servitude volontaire" assez imbécile, donnant l'illusion qu'il suffirait d'éclairer le peuple de nos lumières pour qu'il suive la voie lumineuse de l'émancipation (la nôtre bien sûr). C'est tout autre chose et un peu plus compliqué, d'une part du fait que la vérité n'est pas donnée (on a toujours moins raison qu'on ne croit et on ne pense pas tous pareil, loin de là) mais surtout parce que le vote est avant tout un rapport de force, ce qui est beaucoup trop dénié alors que sous la monarchie, voter était ouvertement un rite de soumission.

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Les contradictions entre révolution et démocratie

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Lorsque j'annonçais le retour des révolutions et de l'inflation, cela ne paraissait guère crédible à l'époque, pas tellement plus que lorsque je soulignais l'année dernière la nécessité de l'intervention des peuples, tant s'imposait la certitude d'une fin de l'histoire où plus rien ne pouvait changer. Maintenant que ce sont devenus des faits incontestables, il convient de tempérer les illusions qu'ont pu faire naître les révolutions arabes et la perspective d'un effondrement du capitalisme bien peu probable (même si le pire est sans doute encore devant nous), en rappelant la dialectique bien connue des mouvements révolutionnaires suivis régulièrement par un retour à l'ordre souvent musclé.

Pour ne pas se tromper de stratégie, il faudrait prendre en compte à la fois ce que les soulèvements populaires peuvent avoir de nécessaires, y compris en démocratie quand elle devient trop oligarchique, et les limites que la démocratie peut mettre aux espérances révolutionnaires. On le sait depuis Mai68, rien de mieux que d'organiser des élections pour mettre fin à une révolution qui se retrouve (forcément) minoritaire. Ce sont les contradictions entre révolution et démocratie qu'il faut mesurer, en même temps que ce qui les rend inséparables : les démocraties se fondent sur des révolutions et s'y régénèrent périodiquement mais une révolution réellement démocratique empêchera toute dictature révolutionnaire, et même toute instauration d'une prétendue "démocratie directe". Il n'y aura jamais aucune majorité pour cela. Ce qu'on peut attendre d'une révolution, c'est autre chose, une réaffirmation des solidarités sociales, une réduction des inégalités et des institutions plus justes, mieux adaptées à notre temps.

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Les enjeux de la démocratie participative

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La démocratie est bien malade, réduite plus ou moins à une oligarchie (c'est pour Roberto Michels "la loi d'airain" des partis qui la composent, avant de s'appliquer à la démocratie elle-même). Les élus apparaissent comme une élite coupée de leurs électeurs. Du coup, le thème de la démocratie participative s'impose, dans les discours au moins, sans avoir pourtant de véritable contenu la plupart du temps, contenu que nous allons tenter de cerner, en essayant de définir l'esprit d'une véritable démocratie participative dans ce qui l'oppose à celui d'une démocratie majoritaire et délégative.

Il est certain que la démocratie doit changer à l'ère de l'information et s'il ne faut pas tomber dans les rêves d'un hyperdémocratie, ni même d'une démocratie numérique, il faudra bien tirer parti de toutes les potentialités des réseaux et ne pas se contenter de quelques mesures alibis et d'une participation de façade, c'est la logique de nos institutions qui doit être remise en cause.

En effet, même s'il ne saurait être question de se passer de toute démocratie représentative et du principe de délégation du pouvoir, nous devrons passer malgré tout d'une démocratie compétitive à une démocratie délibérative, ou plutôt à ce que j'appelle une démocratie cognitive : démocratie des minorités où le vote n'est plus le moyen d'expression privilégié, ni même le plus légitime au regard du respect des individus et des collectivités locales. Cela remet en cause une bonne partie des mythes fondateurs de notre République, changement de l'esprit du temps et de l'esprit des lois, toujours difficile à intégrer.

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