La liberté subjective
Comme le dénonçait Francis Bacon, la plupart des prétendues démonstrations philosophiques sont contestables et pur sophismes. C'est le cas notamment sur la liberté. Ainsi, contre les postulats de la philosophie, on a vu qu'être déterminés ne supprime pas le sentiment de notre liberté et de notre part de responsabilité, ce qui veut dire aussi qu'il n'y a pas besoin de se croire absolument libre pour être moral (même une IA générative peut l'être par pure raison ou convention). Pareillement, que nous importe que "la liberté humaine que tous se vantent de posséder consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent" lorsque, justement, on ne sait pas quoi faire (ce qui n'est pas du tout une "liberté d'indifférence" comme pour l'âne de Buridan) ? Toutes ces fausses évidences logiques nous égarent et nous détournent de l'expérience pratique. Ainsi, le plus souvent, il ne s'agit pas tellement d'ignorance des causes mais de ce qui nous attend, et ce n'est pas forcément quand on agit en connaissance de cause qu'on se sent le plus libre !
En réalité, que la liberté soit toujours déterminée ne diminue en rien notre soif de liberté et de libération de nos chaînes, qui ne se manifeste pas seulement dans la prise d'indépendance de l'adolescence et implique par exemple, en dépit du commandement, la liberté de mentir protégeant son intériorité. La liberté ici n'est pas du tout un libre-arbitre métaphysique et sans causes mais simplement de ne plus dépendre d'une autorité, nous laissant libres de nos mouvements et de nos choix, sans devoir pour cela s'imaginer agir parfaitement (sans droit à l'erreur), ni en dehors de toute détermination. Dans ce sens, on peut même dire, qu'à l'opposé de la sagesse d'un libre-arbitre souverain, d'une liberté à l'image de celle de Dieu, nous sommes plutôt possédés par notre passion de la liberté, presque animale, qui s'impose à nous, ruant dans les brancards d'une domestication toujours plus poussée par la civilisation et l'explosion démographique. Cette indépendance farouche est ainsi toujours très relative, soumise aux innombrables contraintes de la vie en société. Il ne faut pas trop en attendre (la fin de l'esclavage n'était pas la fin de l'exploitation) mais chaque période de libération est source de progrès comme des plus grandes joies de l'existence - certes au risque de dérives et d'effets pervers (qui apparaissent parfois très tardivement) devant être corrigés. C'est en partie le prix de "l'indéterminisme" et de l'imprévisibilité qui sont produits cette fois par les libertés elles-mêmes.
En tout cas, y compris dans les pires circonstances obligeant à les restreindre ou en corriger les excès, et malgré nos déterminations sociales ou les risques de l'émancipation, nous sommes prêts à tout pour défendre nos libertés (ou ce qui peut l'être), avec lucidité et "détermination", en s'appuyant sur son énergie et son efficience. Car les libertés ont effectivement besoin d'être défendues contre les tentations régressives et autoritaires toujours présentes - et qui peuvent même prétendre supprimer nos libertés au nom de leur propre liberté souveraine contre celle des autres (d'où l'intérêt de tenter d'éclaircir une fois de plus la question).
Car la survie non plus n’est pas une fin en soi : vaut-il la peine de survivre dans "un monde transformé en hôpital planétaire, en école planétaire, en prison planétaire et où la tâche principale des ingénieurs de l’âme sera de fabriquer des hommes adaptés à cette condition" (Illich) ?
Pic de la Mirandole (1463-1494) n'est plus guère connu que par son nom et sa prétention de couvrir tous les domaines du savoir de son époque - à seulement 24 ans - mais je me souviens avoir lu avec un certain enthousiasme le début de son 
On dira ce que
Notre conscience morale fait sans aucun doute notre humanité, le fond des rapports humains qui occupent incontestablement une grande place dans nos vies et dans nos pensées, cependant ils ne prennent pas toute la place et il faut se garder de les idéaliser. Pour revenir à leurs limites et leur ambivalence, il suffit de faire un retour aux choses mêmes, c'est-à-dire à la vie quotidienne dans sa réalité la plus prosaïque, aussi éloignée de celle de Heidegger que de Lévinas. Ce n'est pas une peinture flatteuse (il n'y a en effet que la vérité qui blesse), mais, après le monde matériel qui nous contraint et le monde moral qui nous oblige, il reste donc à faire la phénoménologie de notre vie concrète (matière des bons romans). Il ne s'agit pas de nier les grandes émotions, les moments merveilleux ou douloureux nous faisant éprouver plus intensément le sentiment d'exister ou la présence magique de l'autre, mais la vie quotidienne que les situationnistes avaient voulu magnifier est par définition plus routinière, menacée par la lassitude et l'ennui.
Depuis le romantisme, s'est constituée une utopie artistique fort peu questionnée qui se combinera aux utopies sociales, faisant de l'art la composante essentielle de l'épanouissement de l'individu, ou plutôt de l'homme total et de l'accès aux formes supérieures de la vie - ce qu'on retrouvera jusque dans les utopies numériques glorifiant la créativité et l'innovation. Dans cette préfiguration de l'existentialisme, qu'on peut définir par l'extension de l'exigence de vérité à l'existence elle-même, c'est bien un mode de vie qui est visé par la survalorisation de l'Art et de l'artiste, qui se distinguerait ainsi des animaux (et des autres hommes) par ses aspirations élevées. On peut quand même s'étonner de ces promesses publicitaires d'épanouissement de soi et de carrière artistique quand on voit la vie tourmentée des plus grands artistes ! Il y a erreur quelque part...