Les écologistes ont une obligation de résultats

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Les militants politiques y compris écologistes, restent pris la plupart du temps dans l'imaginaire du XIXè, sans intégrer encore le complet renversement opéré par la question écologique, même par rapport au combat toujours nécessaire contre les injustices - sans parler de l'utopie d'un monde idéal. En effet, l'affaire du siècle n'est plus désormais celle d'un progrès historique futur, mais, qu'on le veuille ou non, l'urgence de limiter la casse devant le désastre annoncé.

Le militant pour la justice ou l'idéal peut bien échouer, sa bonne volonté plaide pour lui, confiant que l'avenir lui donnera raison. Dans ce cadre, se battre pour des causes perdues garde un côté héroïque gratifiant pour notre narcissisme. On peut penser que, même si la révolte est écrasée, le prolétaire y a gagné en dignité, sortant de sa condition d'instrument dans la fraternité exaltante des camarades de lutte.

Pour un écologiste soucieux de l'état de la planète, c'est très différent car il ne suffit pas de vaines rêveries, ni de vivre des bons moments entre nous, il faut empêcher l'irréversible et ce qui est perdu sera perdu pour toujours. Comme lorsqu'on est en guerre, cette contraction du temps, qui rend les toutes prochaines décennies décisives et bouche l'horizon, exige de suspendre nos projets à très long terme et n'a que faire des bonnes intentions, ni même d'une simple obligation de moyens, chacun faisant ce qu'il peut, quand il s'agit de responsabilité collective et qu'on a une obligation de résultats.

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Pause – en attendant les municipales

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Il fut un temps où j'étais à peu près le seul en France à défendre une écologie révolutionnaire, qui me semblait, non sans raisons, la seule façon d'éviter le pire, et ce qui me valait une certaine audience, surtout bien sûr auprès des écologistes radicaux mais pas seulement. Prenant la question très au sérieux tout mon travail depuis aura été de trouver les voies d'une alternative effective mais finira par déboucher sur le constat de l'impossibilité d'une révolution globale dans ce monde marchandisé - et donc constat de mon échec comme celui de toute une génération trop sûre d'elle, qui n'a servi à rien ou presque et n'a pu empêcher le désastre actuel. Il ne suffit pas d'avoir raison pour changer le monde, encore moins pour en faire un monde idéal.

Depuis que je suis devenu plus réaliste devant l'urgence, j'intéresse beaucoup moins, surtout ceux qui n'en veulent rien savoir, se croyant bien plus radicaux que moi, rêvant d'utopies imaginaires et proclamant vainement leur anti-capitalisme à l'époque où le capitalisme achève sa mondialisation sur les ruines du communisme (réellement existant de mon temps). On peut suivre sur mon blog tout mon cheminement critique pour sortir des illusions de l'idéologie et ne plus surestimer nos moyens mais reconnaître les causalités matérielles bien plus puissantes que nous, nous obligeant à des stratégies plus modestes. Il faudrait sans aucun doute sortir du capitalisme mais c'est hors de notre portée avant longtemps, on ne peut y compter pour nous sauver, changer de système de production exigeant beaucoup de temps et se révélant bien plus compliqué qu'on ne le prétend au niveau global.

Il n'y a que deux stratégies possibles :

- Conquérir des majorités le plus vite possible pour un Green New Deal, ce qui implique de suivre les scientifiques et un consensus sur des mesures limitées mais massives et vitales.

- Sur le plus long terme mais à une échelle réduite, s'engager dans des alternatives locales.

Tout le reste est baratin. Pour répondre au réchauffement dans l'urgence, seul la transition énergétique, la reforestation, l'agroécologie et la capture du CO2 peuvent limiter l'aggravation de la situation globale, même si on reste dans une économie capitaliste insoutenable. Pour restaurer les milieux, la biodiversité, le développement humain, sortir du capitalisme salarial (changer le travail, changer de vie), il n'y a pas d'autre voie que le local. D'une certaine façon, on peut dire qu'il n'y a pas d'alternative pour limiter les destructions écologiques de notre mode de production, il faut un agir local associé à une pensée globale. Si on pouvait faire mieux, on le ferait, mais il ne sert à rien de se raconter des histoires.

Mes conditions de vie actuelles ne me permettant plus d'alimenter le blog, j'ai donc regroupé ici les principaux textes sur les alternatives écologistes sans doute encore trop utopiques mais qui, en cette période de municipales, pourront peut-être en inspirer certains localement et en éprouver la faisabilité (certainement difficile) ou en proposer d'autres versions plus praticables (moins ambitieuses).

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Incertitudes climatiques et marchands de doute

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Les nouvelles du climat vont de pire en pire, réfutant la relative modération des prévisions précédentes qui se voulaient raisonnables. C'est bien le pire des scénarios qui était le plus réaliste, avec le développement des pays les plus peuplés (comme l'Inde) et les populistes climato-sceptiques au pouvoir, ce qui atteste du déficit de gouvernance mondiale qui serait nécessaire pour réduire nos émissions, les prochaines années étant cruciales. On n'évitera donc pas des bouleversements climatiques catastrophiques, même si ce n'est pas la fin du monde, encore moins de l'humanité.

Il y aurait de quoi baisser les bras si des actions n'étaient en cours aussi bien sur le front de la reforestation que des énergies renouvelables (solaire, éolien). Il est remarquable que, pour la première fois, les combustibles fossiles sont au coeur de la campagne électorale américaine. Il faut dire que l'énergie verte procure déjà 10 fois plus d'emplois aux USA que les énergies fossiles (fuel, charbon, gaz). Certes, tout cela reste pour l'instant trop insuffisant pour faire autre chose que d'atténuer les conséquences du réchauffement mais c'est déjà ça et il faut tout faire pour accélérer le mouvement.

Ce n'est peut-être pas assez apparent pour le public mais il est frappant de voir comme cette accumulation de mauvaises nouvelles a provoqué, depuis moins d'un an, un regain de mobilisation des scientifiques devant l'aggravation de la situation, se focalisant désormais sur l'étude des solutions après avoir travaillé à réduire les incertitudes des modèles climatiques. C’est d'ailleurs le moment où un rapport intitulé "How the fossil fuel industry deliberately misled Americans about climate change" montre que les entreprises pétrolières connaissaient très bien les dangers de leurs émissions de CO2 mais finançaient les climato-sceptiques et la désinformation, polluant le débat en exagérant les incertitudes qui sont effectivement très grandes et pouvaient motiver une certaine retenue des scientifiques - ce qui n'est pas le cas des climato-sceptiques qui ne sont pas du tout sceptiques mais sont au contraire absolument certains d'une vérité alternative et qu'il n'y aurait pas de réchauffement anthropique seulement un cycle naturel !

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L’avenir écologiste, féministe, psychédélique et libertaire

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Au moment où l'Amazonie est en flamme, et devant les prévisions climatiques catastrophiques ou d'effondrement de la biodiversité alors que, de plus, sur la ruine des idéologies, on assiste à la montée des régimes autoritaires (populistes, illibéraux), il y a vraiment de quoi voir l'avenir tout en noir. Mais on aurait bien tort. D'abord, il apparaît désormais clairement que la forêt amazonienne constitue un élément vital pour l'humanité, un bien commun qui ne peut être détruit au nom d'une prétendue souveraineté nationale, qui s'en trouve ainsi délégitimée et purement limitée à l'usufruit. Après l'accord de Paris, il se confirme que le réchauffement global arrive à réunir une communauté mondiale s'imposant au-dessus des Etats. Il y a encore du chemin (les menaces de guerre sont à la hausse) mais le fait est déjà là et c'est une rupture avec l'ère précédente (des Etats combattants).

Tout n'est pas perdu même si la chaleur devient étouffante et que, pas plus que les générations précédentes ou futures, nous n'éviterons les catastrophes - seulement plus nombreuses sans doute. Le réchauffement va rendre la vie plus difficile, l'urgence est de tout faire pour le réduire, et les risques de guerre sont élevés sur lesquels nous avons peu de prise - mais les guerres ont été constantes dans l'histoire humaine (plus encore que les catastrophes naturelles), nous en avons plutôt été épargnés comme jamais. Enfin, la faillite du marxisme et la décrédibilisation de toutes les utopies font bien actuellement le lit du populisme. La situation est incontestablement dramatique mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras, tout au contraire. Comme dans le passé, ces malheurs n'empêcheront pas de nombreux progrès, au moins technologiques (avec leurs bons et mauvais côtés) mais aussi moraux. Surtout, ces sombres perspectives ne devraient pas nous empêcher de continuer l'émancipation.

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Eloge et réfutation de Guy Debord

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Que l’on cesse de nous admirer comme si nous pouvions être supérieurs à notre temps; et que l’époque se terrifie elle-même en s’admirant pour ce qu’elle est. VS-80

On dira ce que Guy Debord avait malgré tout d'admirable mais on montrera d'abord sur quels errements il a vécu, et on verra que c'étaient les poncifs de l'époque plus que les siens et dont nous récoltons les décombres. S'il nous a légué une exigence de vérité et de liberté, dont nous devons reprendre le flambeau, ce qui apparaît avec le recul, c'est en effet un échec à peu près complet et, sous une rhétorique brillante, la consternante naïveté sur le sexe et le pouvoir, sur la liberté et l'idéologie, sur la technique et la démocratie, sur le capitalisme et le travail, sur la représentation et la chose même, sur la vie enfin comme jeu. Ça fait beaucoup.

C'est bien une conception du monde fausse mais complète et cohérente, se réclamant de l'hégélo-marxisme et qui n'est donc pas du tout celle d'un individu, étant plutôt caractéristique d'une idéologie qui régnait alors, celle d'un monde enchanté perdu mais à retrouver (et dont le tragique est évacué), ce qui en fait toute la séduction. On se demande comment on a pu y croire, mais comme pour la foi religieuse, il y a toujours deux raisons : c'est à la fois ce qu'on veut entendre et l'argument d'autorité, ce qu'on croit parce que des penseurs éminents l'ont affirmé qui n'ont pas pu nous tromper !

On ne peut d'ailleurs pas dire que Debord revendiquait une quelconque originalité, pratiquant ouvertement plagiat et détournement, son effort étant seulement d'en tenter une synthèse rigoureuse. On verra effectivement tous les auteurs qu'il convoque, formant la vulgate d'un certain romantisme révolutionnaire. Il est clair qu'on a affaire à une révolte qui cherche sa théorie. Toujours les révolutionnaires vont adopter les pensées critiques disponibles et tenter de se justifier en s'inscrivant dans une tradition révolutionnaire. Ainsi, parti de la poésie moderne et de la provocation lettriste, Guy Debord se rattachera ensuite de façon très problématique au marxisme par cet hégélo-marxisme du jeune Marx et de Lukács, de même qu'en se frottant à Henri Lefebvre et Socialisme ou barbarie.

Il faut d'abord reconstituer la constellation intellectuelle du temps du communisme triomphant et de la domination du marxisme dans les universités, avec toute une production désormais renvoyée aux poubelles de l'histoire, mais surtout s'imposant alors dans tous les mouvements d'émancipation, nourrissant les espoirs les plus fous de fin de l'histoire dans la réconciliation finale d'une société sans classes. En effet, cette fin de l'histoire n'est pas une invention de Kojève, mais une perspective assez largement partagée, des staliniens aux situationnistes, d'aller non seulement dans le sens de l'histoire et du progrès, mais bien à la révolution finale comme réalisation de la philosophie ! La fin du capitalisme ne relevait pas d'une décision mais du "mouvement réel qui abolit l'état de choses existant". Examiné après sa faillite et quasi-disparition, le marxisme apparaît comme une construction idéologique très hétéroclite. Ainsi, en 1930, au temps où il était communiste, Max Eastman prétendait dans "Les schémas moteurs du socialisme" qu'il y avait 3 raisons bien différentes d’être communiste : 1) les rebelles, en lutte contre la domination, l’exploitation, l’aliénation; 2) la nostalgie de la totalité (négation de l’individualisme partagée par les fascismes); 3) le désir d’un système de production plus rationnel (planification, organisation intelligente). En dépit de cette combinaison improbable d'idéalisme volontariste et de matérialisme affiché, de rationalisation et d'émancipation, le marxisme passait donc pour l'horizon indépassable du temps et c'est bien à l'intérieur de ses dogmes que se situe La société du spectacle - bien qu'anti-léniniste et n'en retenant guère que le fétichisme de la marchandise, le thème de l'aliénation, et l'idéal conseilliste (le peu de textes qui y est consacré témoigne cependant du caractère purement mythique de ces conseils ouvriers).

Cette adhésion ambigüe au marxisme aura paradoxalement l'avantage de permettre une critique impitoyable du communisme existant, que ce soit sous ses formes stalinienne, trotskyste, maoïste, tiers-mondistes, mais on pouvait d'autant plus mettre en doute son marxisme que Debord ne s'intéressait pas du tout au travail, c'est le moins qu'on puisse dire, son slogan "Ne travaillez jamais" étant celui d'un bourgeois pour lequel les autres doivent travailler. Il faut dire que c'était déjà le temps de l'utopie d'une fin du travail, du remplacement de l'homme par la machine (distributisme de Jacques Duboin) et se dirigeant "Vers une civilisation du loisir" (1962) ! Debord a juste pris un peu trop au sérieux l'Homo ludens de Johan Huizinga (1938) qui avait fait de la vie humaine un jeu créatif. On est là on ne peut plus loin du matérialisme de la production.

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Le retour des fachos (qui s’ignorent)

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La situation n'est pas seulement catastrophique sur le plan écologique mais aussi sur les plans politiques et géopolitiques avec une irrésistible montée des régimes autoritaires. Il semble difficile qu'on échappe à l'éclatement des nationalismes et au retour d'une forme de fascisme, sinon à la guerre. La comparaison avec les années trente depuis la dernière crise se confirme hélas, bien que dans un tout autre contexte, ce pourquoi on peut trouver assez contestable d'appeler fascisme les tendances autoritaires actuelles qui n'ont rien à voir avec les prolongements de la guerre de 14-18 et l'époque des grandes industries de masse. Parler du retour des fachos se justifie tout de même par de nombreux thèmes similaires et la recherche de boucs émissaires mais aussi par le fait que l'existence historique du fascisme, et surtout du nazisme, avait jusqu'ici refoulé ces tendances, devenues indéfendables d'avoir mené notamment au génocide des Juifs d'Europe.

S'il y a des cycles historiques et idéologiques, c'est effectivement à cause de l'épuisement de la mémoire qui permet le retour d'un passé, qu'on pensait révolu, et des mêmes errements - ceci malgré la présence quotidienne de films sur le nazisme à la télé mais qui, justement, en se focalisant sur ses côtés les plus sombres rendent moins identifiable et plus acceptable sa version actuelle, très éloignée de ces extrémités jusqu'ici.

On peut sans doute dater de 1990 le début de la levée du refoulement avec l'apparition du Point Godwin dans l'internet naissant, disqualifiant la référence au nazisme sous prétexte qu'elle finissait immanquablement par être brandie à la fin de longues controverses - témoignant simplement par là que nos sociétés occidentales avaient depuis 1945 leur fondement dans ce rejet du nazisme (bien plus que sur les droits de l'homme). Tout comme la critique du politiquement correct, ce poing Godwin dans la gueule de celui qui osait invoquer le nazisme ouvrait petit à petit la porte à la "libération de la parole" la plus abjecte. Bien sûr, il ne s'agit pas de prétendre pour autant qu'il y aurait un retour du nazisme, on en est loin, ce pourquoi il vaut mieux parler d'un retour des fachos, plus proches de Mussolini que d'Hitler.

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Ce sont les fous qui font l’histoire

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   Kojève et la fin de l'histoire
Il est difficile de se déprendre de l'illusion que ce sont les hommes qui font l'histoire alors qu'il est pourtant si frappant de voir que, sur le long terme du moins et en dépit de périodes de régressions, l'histoire (et plus encore la préhistoire) suit des stades de développement très semblables entre civilisations - et qui ne seraient guère différents sur une autre planète. Il est malgré tout aussi évident que les hommes prennent une part active à l'histoire et aux conflits du temps. Il y a même quelques grands hommes, très peu nombreux, dont on prétend que leur rôle a été décisif, fondateurs de religions ou d'empires qui auraient "changé le monde" mais c'est prendre l'effet pour la cause, cette personnalisation de l'histoire étant du même ordre que de vouloir expliquer l'invention de l'école par l'idée folle de Charlemagne !

Le véritable agent de l'histoire est essentiellement cognitif et progrès technique (pierre taillée, pierre polie, âge du bronze, âge du fer, etc.), donc impersonnel. La part humaine serait plutôt celle de l'erreur dont on sait qu'elle est au principe de l'évolution avec la sélection par le résultat qui suit, imposant les véritables causalités matérielles après-coup. On entend souvent célébrer des innovateurs par la formule : "Ils ne savaient pas que c'était impossible et ils l'ont fait" mais la plupart de ceux qui suivent cette voie échouent bien sûr, ne restant que ce qui n'était pas impossible justement ! Par contre, alors que les sociétés originaires font beaucoup d'efforts pour ne pas transgresser la tradition, il est bien certain que, pour qu'il y ait histoire, il faut que de véritables fous furieux (ou quelques ambitieux) bousculent l'ordre établi pour le forcer à évoluer et se perfectionner.

Ensuite la ruse de la raison non seulement met l'intérêt particulier du grand homme et ses passions (sa folie) au service de l'universel mais fait triompher la vérité contre son erreur première. Ce n'est pas que le grand homme aurait une prescience qui serait en avance sur son temps, dont il n'a fait qu'épouser les contraintes, mais seulement qu'il vient au bon moment ou plutôt qu'il en est le produit, le porte-parole (on voit ces figures émerger du désastre).

Plus généralement, on peut dire que le sage n'agit pas, seuls les ignorants agissent. Alors que la compréhension de la complexité des enjeux semble bien inciter à la prudence jusqu'à paralyser l'action, les crétins osent tout (c'est à ça qu'on reconnaît les cons disait Audiard), faisant preuve de la plus grande arrogance à mesure de leur ignorance (plus on est ignorant et plus on croit aux solutions simplistes). On en a des exemples éclatants sur les réseaux sociaux et dans l'actualité où la connerie tient le haut du pavé, le discours de la raison ayant bien du mal à se faire entendre - comme souvent dans l'histoire.

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L’urgence écologique

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  Adresse à la jeunesse
Devant l'aggravation sensible de la situation et alors même que la nécessité de changer de système se fait de plus en plus pressante, il est devenu impossible, irresponsable, de continuer à défendre une écologie utopique, purement incantatoire, et reprendre les anciens discours écolos ayant fait preuve de leur ineffectivité. Au moment où il nous faut radicaliser les combats écologistes, on se trouve obligés pourtant d'abandonner cet espoir d'un changement de système trop improbable. C'est, sans aucun doute, aller contre la pente naturelle du mouvement et peut paraître bien paradoxal mais quand l'eau prend de toutes parts, il n'est plus temps de se disputer sur la direction à prendre, ce sont les objectifs limités mais très concrets d'un Green New Deal qu'il nous faut adopter. C'est une question vitale et ne pas l'admettre est une négation de la réalité qui ne vaut pas beaucoup mieux que le négationnisme des climatosceptiques.

Ce n'est pas qu'on devrait délaisser les alternatives locales mais il y a deux niveaux différents où la radicalité écologiste peut intervenir, de deux façons bien distinctes. Je défends depuis longtemps le triptyque revenu garanti, monnaies locales et coopérative municipale constituant bien les bases d'un système de production plus écologique et d'une relocalisation de l'économie. Ces mesures sont toujours à encourager au niveau local. C'est fondamental pour construire un nouveau système par le bas mais il ne faut pas se cacher la difficulté et les nombreux échecs passés - même si le municipalisme et la relocalisation semblent bien incontournables pour équilibrer la globalisation. Le problème, c'est qu'en partant de ce niveau local, pour qu'il y ait un effet macroéconomique notable et qu'on puisse parler d'un changement de système, il faudra beaucoup plus que quelques dizaines d'années...

Or, d'une part on assiste à tout le contraire pour l'instant avec le développement des pays les plus peuplés, mais surtout, au niveau global, ce sont bien les 20-30 prochaines années qui sont décisives, ce pourquoi il faut absolument que les jeunes générations se mobilisent. Cependant, le but étant d'arracher des mesures concrètes immédiates, il ne suffira pas de beaux discours, cela exige le plus grand réalisme, certes bien décevant par rapport à ce qu'il faudrait. L'urgence doit même nous amener à nous allier avec ceux qu'on avait combattu hier sous le nom de capitalisme vert, au lieu d'attendre longtemps encore une fin du capitalisme qui ne vient pas. L'écologie n'est pas une idéologie, c'est une obligation matérielle et qui doit se situer dans son milieu réel, pas dans une planète imaginaire. Toute action écologiste se juge au résultat, pas à ses bonnes intentions.

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Le temps de l’après-coup

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Depuis Kant et la Révolution française jusqu'à Hegel et Marx, l'histoire s'est voulue la réalisation des finalités humaines - menant directement au conflit des finalités, des idéologies, des conceptions du monde, des valeurs. L'existentialisme insistera aussi, mais au niveau individuel cette fois, sur la prévalence du futur, du projet, de nos finalités encore. Et certes, malgré le poids du passé, notre monde est bien celui des fins, des possibles, de ce que nous pouvons faire, de nos libertés donc. Nos représentations comme nos émotions sont puissances d'agir, intentionalités tendues vers un objectif, mais ce n'est pas pour autant ce qui suffit à spécifier notre humanité alors que le règne des finalités est celui du vivant et du monde de l'information, au principe de la sélection par le résultat inversant les causes.

Ce qui change tout avec l'humanité, c'est d'en faire un récit constituant un monde commun, en dehors du visible immédiat, et dont nous connaissons la fin : conscience de la mort qu'on tentera sans cesse de renier. C'est de s'inscrire dans un récit commun, dont nous épousons les finalités, que nous pouvons avoir un avenir, une "précompréhension de l'être", de la situation et de nous-mêmes, du rôle que nous y jouons. Ce n'est pas une communion mystique avec l'Être, l'ouverture directe de l'existence à sa vérité alors qu'il n'y a d'être et de vérité que dans le langage (qui peut mentir, faire exister ce qui n'existe pas). Ce qui rend trompeurs les grands récits qui nous rassemblent, c'est de toute façon leur caractère linéaire et simplificateur, où le début annonce déjà la fin qui de plus se terminerait forcément bien, règne de la finalité et des héros de l'intrigue, refoulant les causalités matérielles et l'après-coup qui réécrit sans cesse l'histoire.

La question des finalités reste bien sûr l'affaire constante de la liberté, même dans les tâches utilitaires, mais ces finalités, toujours sociales, se heurtent à un réel extérieur qui ne se plie pas à nos quatre volontés et se moque bien de nous. C'est la première leçon de l'existence, qu'il n'y a pas d'identité de l'être et du devoir-être et qu'il faut constamment s'y confronter. Il y a assurément de nombreuses réussites, des finalités concrètes qui sont atteintes quotidiennement, sans quoi nous ne serions pas là, mais impossible d'ignorer tous les ratés de la vie et la dureté du réel, toutes les illusions perdues et d'abord les illusions politiques, rêves totalitaires qui tournent mal de réalisation de l'idée. En ne se pliant pas à nos finalités, ce qui se manifeste, c'est bien l'étrangeté du monde et la transcendance de l'être, son extériorité. De quoi nous engager non pas à baisser les bras ni à foncer tête baissée à l'échec mais à régler notre action sur cet écart de l'intention et du résultat pour corriger le tir et se rapprocher de l'objectif.

Le matérialisme doit être pris au sérieux contre les utopies, l'idéalisme, le subjectivisme. L'histoire reste une histoire subie car effectivement déterminée en dernière instance, c'est à dire après-coup (post festum dit Marx) par la (re)production matérielle et, donc, d'abord par le progrès technique. Il y a un progrès incontestable, le progrès des connaissances qui ne dépend pas tellement de nous ni de nos finalités puisqu'on ne peut savoir à l'avance ce qu'on n'a pas encore découvert et qui bousculera encore nos anciennes évidences. Par contre, il est clair que nous dépendons complètement de ces avancées et de cette accumulation de savoirs, tout comme du monde extérieur et de notre écologie.

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L’écologie est politique (pas individuelle)

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Il a fallu une révolte populaire pour que les écologistes admettent enfin que les écotaxes sont absurdes appliquées à des personnes qui n'ont aucune autre alternative. L'évidence des écotaxes pour les écologistes était tel jusqu'ici que les critiquer était complètement inaudible, preuve qu'on n'était pas écologiste ! C'est qu'elles ont une véritable utilité appliquées aux entreprises qui peuvent investir dans des économies de consommation et des énergies renouvelables, ce que le système des quotas assurerait mieux cependant avec un prix du carbone plus élevé.

Le problème, c'est que, justement, on ne peut pas trop taxer les entreprises, souvent exonérées au contraire pour ne pas grever leur rentabilité et qu'elles se délocalisent ! La concurrence internationale est l'élément déterminant ici, ce pourquoi l'urgence serait d'avoir un prix du carbone mondial. Croire que la taxation des individus pourrait compenser l'absence d'un tel mécanisme ciblant les plus pollueurs relève de l'aveuglement et finalement d'une conception marchande, libérale et individuelle de la société alors que nos modes de vie sont entièrement déterminés par l'organisation sociale de la production et de la distribution, ce n'est pas une simple taxe qui peut y changer quoi que ce soit, sans aucun bénéfice écologique donc. L'écologie n'a rien d'une question personnelle comme on nous en rebat les oreilles, c'est uniquement une question politique. Certes, une fois le tri des déchets organisé, il faut s'y plier individuellement, mais c'est d'abord une organisation collective.

En fait, non seulement l'écologie ne peut pas être individuelle - ce qui n'a aucun sens, l'individu ne faisant que participer à son milieu - mais, on l'a vu, elle ne peut se réduire au local non plus, même si le local est bien un maillon indispensable dans la diversité des situations et des solutions. L'essentiel de notre avenir se joue désormais en Inde après la Chine et avant l'Afrique (ou le Brésil), c'est à dire le développement des pays les plus peuplés dont les émissions montent en flèche bien qu'étant encore loin des nôtres par habitant. Les petites économies qu'on pourra faire ici seront de peu de poids si ces pays ne se convertissent pas rapidement aux énergies renouvelables au lieu du pétrole et du charbon. Plutôt que se regarder le nombril en voulant être un écologiste irréprochable et culpabiliser les autres, c'est donc bien sur l'action politique et globale qu'il faut se concentrer si on veut avoir une chance de dépasser notre impuissance individuelle. Pour que des mesures écologiques ne soient pas insignifiantes, il faut qu'elles soient absolument massives.

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Du référendum et des conceptions naïves de la démocratie

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La révolte contre l'injustice et le mensonge des écotaxes, imposées de plus par celui qui apparaissait comme le président des riches, a manifesté un déficit de démocratie accaparée par les élites parisiennes. La revendication de justice fiscale s'est muée ainsi en revendication démocratique qui s'est fixée sur le référendum d'initiative citoyenne (RIC), vieille revendication qu'on retrouve de l'extrême-droite à la gauche populiste et qui semble évidente (qui pourrait être contre?) mais qui existe déjà et dépend largement de son cadre, n'étant pas l'instrument rêvé d'une démocratie directe qui serait l'expression du peuple (parmi les thèmes qu'on voudrait soumettre à référendum, on entend souvent le rétablissement de la peine de mort et la suppression du RSA, il n'est pas dit qu'ils obtiendraient la majorité mais il y a beaucoup de haine pour les plus pauvres aussi, plus que pour les riches parfois).

Comme c'est une revendication qui ne coûte rien au pouvoir, elle sera sans doute octroyée, occupant les esprits plus que les rond-points dans les mois qui viennent. On peut soutenir une forme de RIC mais il n'a pas l'importance qu'on lui donne. C'est une mauvaise réponse à l'aspiration légitime à plus de démocratie mais qui témoigne surtout de conceptions très naïves de la démocratie, s'appuyant d'ailleurs en grande partie sur l'idéologie officielle de notre république avec sa si belle proclamation des droits de l'homme et du citoyen.

Ainsi, les insurgés peuvent invoquer le récit national pour réclamer ce pouvoir du peuple promis et toujours confisqué par le parlementarisme, ce qui est en fait l'appel à un pouvoir fort et une dictature de la majorité, dont le référendum est l'instrument privilégié, alors qu'il faudrait défendre des politiques de dialogue, une démocratie des minorités et des municipalités, à l'opposé du mythe d'un peuple uniforme (qui se tourne contre les étrangers avant de se retourner contre l'ennemi intérieur). Le piège, c'est que chacun se croit majoritaire (être le peuple) mais finit par se découvrir minoritaire, la majorité ne pensant décidément pas comme nous ! Ce qui est étonnant, c'est que les intellectuels eux-même donnent foi à ces vieilles illusions unanimistes de la démocratie, toujours divisée pourtant (au moins entre droite et gauche), comme s'ils ne retenaient pas les leçons de l'histoire - la vraie, pas la reconstruite. Le démocratisme ne sort pas de la tête de quelques idéologues plus ou moins illuminés mais se nourrit de toute une littérature donnant l'impression d'une régression de la sociologie, de l'histoire et de la philosophie politique.

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L’invention des peuples de Herder à Heidegger

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On peut faire remonter la notion de peuple aux tribus originaires se faisant rituellement la guerre pour ne pas trop se mélanger malgré l'échange de femmes, ou bien, dans l'antiquité, aux peuples colonisateurs de l'âge du bronze jusqu'à l'Empire de Cyrus reconnaissant la diversité des peuples et de leurs dieux. Les Hébreux, qui se présentent eux-mêmes comme les conquérants de leur terre promise, prétendent être un peuple élu, bien que formé de tribus disparates dont l'unité ne tient qu'à leur dieu - mais qui marquent leur appartenance dans leur corps par la circonsision. Pour les Grecs, qui ont été eux aussi les envahisseurs barbares de la civilisation mycénienne et qui ont fondé de nombreuses colonies (jusqu'à Marseille), l'ethnos désigne plutôt la diversité des coutumes (dont Hérodote rendra compte) même si Aristote prête aux Grecs des qualités exceptionnelles, supposés courageux et intelligents alors que les européens seraient courageux mais barbares et les asiatiques raffinés mais pleutres!

S'il n'y a donc rien de nouveau dans le sentiment d'appartenance à un peuple, on voit déjà la variabilité historique de ses conceptions. Surtout, aussi bien le règne des empires que des petits royaumes ramèneront le peuple à ne plus désigner que les sujets d'un prince alors même que le catholicisme après le stoïcisme affirmait l'universalité humaine communiant dans le même Dieu. C'est ce qui formera, à partir de l'Empire romain jusqu'au XVIIè, une culture chrétienne européenne (occidentale) plus que nationale.

Le retour des peuples dans l'histoire peut se dater de la Révolution française mais aura été préparé philosophiquement un peu avant, notamment par Herder, qui devait lancer avec Goethe le préromantisme du Sturm und drang, et qui opposait la diversité des langues et des cultures à l'universalisme kantien, fournissant ainsi les bases du principe de l'autodétermination des peuples, revendication très à gauche à l'origine, et même libertaire, avant qu'elle ne dégénère en nationalisme agressif...

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Aux écologistes radicaux

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La situation est grave, cela commence à se savoir. Dans ce contexte, on a sans conteste besoin qu'il y ait de plus en plus d'écologistes radicaux si cela veut dire des écologistes ayant pris la mesure des problèmes et décidés à consacrer leurs forces à essayer de les résoudre. Par contre, on n'a pas du tout besoin de querelles de chapelles sur ce qui serait la véritable écologie surtout si c'est le prétexte à mettre des bâtons dans les roues de ceux qui agissent. La plupart des écolos qui traitent les autres d'écotartuffes pourraient bien en être accusés à leur tour et mis devant leurs contradictions. Reconnaître la gravité de la situation, c'est aussi reconnaître qu'il n'est plus temps de faire la fine bouche et carrément débile de s'opposer à la transition énergétique en cours (en prétendant "s’extraire de l’imaginaire transitionniste", on croit rêver !). Il faut redescendre sur terre où il ne suffit pas de vouloir sortir de la croissance, du capitalisme, de l'industrie pour que cela change quoique ce soit à ces puissances effectives qui ont conquis désormais toute la planète. C'est dramatique mais on ne change pas si facilement un système de production lié à l'état de la technique et qui se transforme profondément avec le numérique.

Il est de la plus haute importance de prendre conscience de notre impuissance pour la dépasser au lieu de croire pouvoir réussir là où les générations précédentes ont échoué et halluciner une insurrection de toute la société qui nous sauverait in extremis. On n'a plus de temps à perdre avec ces enfantillages car cela ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire mais que nos moyens sont limités et qu'il faut combiner différentes formes d'action, où les écologistes radicaux restent indispensables, que ce soit pour construire des modes de vie plus écologiques ou défendre des territoires, mais à condition de ne pas se retourner contre les autres acteurs qui sont plus décisifs au niveau mondial - même si on n'appartient pas au même monde ! La première exigence est la prise de conscience de l'urgence, faisant des enjeux écologiques une priorité absolue, mais en second, vient la nécessité de prendre la mesure de l'ampleur du problème et de ce qui résiste à nos bonnes intentions. Il ne suffira ni de sortir tous dans la rue, ni d'une décision gouvernementale, encore moins d'une conversion des esprits.

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La température n’arrête pas de monter

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Après les avertissements des scientifiques de plus en plus catastrophistes, les dernières "marches pour le climat" qui ont eu lieu un peu partout dans le monde peuvent être jugés bien trop timides mais pourraient en annoncer d'autres. On n'est pas du tout au niveau des mobilisations sociales (ou des manifestations sportives) alors qu'il faudrait une mobilisation de toute la société mais il y a une chose dont on peut être sûr, ce n'est qu'un début, le combat ne fera que prendre de l'ampleur à mesure que la température va continuer à monter et il faut encourager cet élan citoyen hors parti même s'il est pour l'instant de peu de poids. Il faut parier sur la montée en puissance de la conscience écologique et du soutien populaire qui seront absolument déterminants, même si on ne peut pas attendre une conversion de l'humanité entière à l'écologie.

Cette tendance de fond regardant vers le futur est cependant concurrencée, au moins à court terme, par le réveil des nationalisme, souverainisme, protectionnisme (anti-immigrants), tournés vers le passé et qui pourraient conduire à des catastrophes d'un autre ordre. Ces réactions autoritaires peuvent malgré tout s'appuyer d'une certaine façon sur l'écologie (qu'elles contestent souvent) du fait que l'écologie aussi introduit des limites au libéralisme et défend un certain protectionnisme (plutôt local). Il est significatif de voir dans un rapport de l'ONU que l'enjeu écologique oblige à dépasser l'économie néoclassique et le libéralisme économique, jusqu'à prendre en modèle un régime autoritaire comme la Chine ! La différence avec le populisme tient dans la prétention de rétablir une véritable démocratie et souveraineté, contre le mondialisme y compris celui de l'écologie, le leader élu incarnant une volonté populaire libre de toute contrainte alors que l'écologie et les enjeux planétaires, tout comme l'Etat de Droit, limitent réellement ce pouvoir "populaire" fantasmé qui n'aboutit finalement qu'à la xénophobie et au rejet des migrants.

On peut remarquer comme, du coup, l'idéologie démocratique se trouve en porte-à-faux quand elle critique ces régimes populistes, obligée de reconnaître la globalisation des problèmes et la constitution effective d'une gouvernance globale (objectif de l'ONU et de ses organisations) qui réduisent largement le pouvoir démocratique et contredisent le mythe d'une démocratie fondée sur elle-même, d'un pouvoir qui vient du peuple. Cette idéologie démocratique officielle qui reste fixée sur le niveau national et un imaginaire appartenant à l'histoire n'est plus assez crédible pour s'opposer aux démocratures autoritaires. Pour se mettre à jour d'une démocratie consciente de son intégration dans l'écologie planétaire, ce n'est plus cette volonté générale arbitraire qu'on doit revendiquer comme fondement d'une démocratie qui retrouve sa dimension humaine et locale, celle d'une démocratie de face à face et d'une nécessaire relocalisation qui est loin de la dimension nationale mais où la démocratie réelle, quotidienne, est celle du développement humain et de la préservation de son environnement, non de la souveraineté.

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De l’humanisme à l’écologie

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La communauté de destin de l'humanité est devenue planétaire et son souci devient celui de son écologie. Dépassant la diversité des populations, des histoires et traditions locales, l'écologie a donc toutes les chances de devenir l'idéologie de l'avenir unifiant l'humanité toute entière, malgré la déroute des écologistes actuels. Encore faut-il savoir de quelle écologie on parle, devant se positionner par rapport à l'humanisme qu'elle remplace, en le réintégrant dans son milieu, tout comme elle remplace la transcendance divine par la transcendance du monde. Ce sont les enjeux idéologiques de notre temps, succédant à celui de l'émancipation que l'écologie prolonge, et dont nous devons débattre.

L'écologie a suscité toutes sortes d'approches contradictoires, des plus mystiques aux plus pragmatiques, avec notamment l'opposition d'une écologie sociale (humaniste) à une écologie profonde (anti-humaniste), illustrée, entre autres, par le débat entre Murray Bookchin et Dave Foreman. On peut considérer cependant les deux positions insuffisantes car, si l'humanisme doit effectivement être dépassé, il est absolument nécessaire de le conserver, de garder le caractère sacré de la vie humaine et revendiquer de ne pas être ramené à l'animal. Même si l'écologie implique évidemment un décentrement de l'humanité, c'est bien l'humanité qui est la cause de la dégradation de la planète et qui doit la prendre en charge.

En fait, on va voir qu'il est contestable de faire de l'humanité, en tant que telle, la cause d'une évolution éco-techno-scientique qui est subie plus que voulue. Plutôt que de faire l'histoire, comme on le prétend, nous sommes plutôt le jouet de puissances matérielles implacables, économiques aussi bien que militaires. Notre préhistoire, tout comme l'hypothèse de possibles civilisations extraterrestres, permet de comprendre comme les stades de notre développement sont contraints et partout à peu près les mêmes, ne dépendant pas de notre espèce qui est plutôt le produit de cette évolution cognitive toujours en cours. Dès lors, dans cette position d'apprenti, le concept d'humanité perd beaucoup de sa substance, n'étant plus l'élément moteur, pris dans le flot de l'histoire planétaire voire cosmique. De ramener l'humanité sur terre n'empêche pas de lui garder toute sa dignité.

L'anti-spécisme a certes bien raison de souligner notre proximité des animaux, notre dépendance de la vie animale et l'importance de la biodiversité. On peut voir un progrès de la civilisation sur la barbarie d'être devenus plus sensibles au sort des animaux et à leur souffrance. Il n'empêche que brouiller la différence ontologique entre l'homme et l'animal relève du paradoxe, menant à toutes sortes de contradictions alors qu'il s'agit de remettre l'homme dans son monde, à la fois un monde fictif, symbolique, culturel, celui des récits et de la parole, qui nous spécifie, en même temps qu'un monde matériel et biologique extérieur et fragile, constituant nos conditions de vie.

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La loi des 80/20

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La loi des 80/20, qui est appellée un peu improprement "loi de Pareto", est une caractéristique essentielle qu'il faut connaître, retrouvée dans de nombreux domaines qui vont de l'efficience matérielle à la théorie de l'information, phénomènes qui ne suivent pas une progression linéaire mais bien une différenciation exponentielle, à rebours d'une homogénéisation entropique.

En fait, Vilfredo Pareto avait remarqué en 1895 (dans "La legge della demanda") que 20% de la population italienne détenait 80% des richesses et que cette répartition se retrouvait dans les autres pays développés à un coefficient près. On a voulu se servir de cette "loi" supposée stable pour justifier des inégalités qui explosent ! mais sa portée va bien au-delà.

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L’utopie communautaire

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Martin Buber, Ancienne et nouvelle communauté (1901)
Martin Buber n'est pas assez connu en France. J'avais lu avec intérêt son livre principal "Je et Tu" qui caractérise l'existence humaine par la rencontre de l'Autre, ce dont on peut dire que Lévinas fera une lecture extrémiste (substituant une responsabilité supposée infinie, asymétrique, à la réciprocité) mais cette constitution du moi par l'autre pourrait être rapprochée aussi de Lacan (l'inconscient comme discours de l'Autre, le désir comme désir de l'Autre).

La publication récente d'un recueil des textes de Buber sur la communauté montre comme ce décentrement du sujet le mène à identifier la vie en communauté à la vraie vie, ce qui en fera un des théoriciens des kibboutz et du sionisme au tout début du XXè siècle. On peut être consterné de voir comme ces hautes aspirations des premiers sionistes ont pu être dévoyées par ses gouvernements d'extrême-droite et par la colonisation, détruisant tout le crédit d'Israël - ce qui pourrait à terme conduire à sa disparition pure et simple (comme à la remontée de l'anti-sémitisme).

Le plus intéressant pour nous, c'est de retrouver, notamment dans la conférence de 1901 (Ancienne et nouvelle communauté) qui ouvre le volume, presque la même idéologie que celle de Mai68 et du mouvement des communautés qui a suivi, y ajoutant la liberté sexuelle (qui restait marginale malgré tout). Une des principales conséquences de Mai68 a été, en effet, cette prolifération de communautés libertaires, qu'on a apparemment oubliées, rejetées aux poubelles de l'histoire car elles n'ont pas résisté au temps, ce qui n'a pas été le cas des kibboutz dont Buber parlait en 1945 comme "Une expérience qui n'a pas rencontré l'échec" (p135). Tout de même, s'ils persistent encore, c'est sous une forme très éloignée du projet initial.

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La transition écologique

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Les risques d'effondrements sont réels et peuvent avoir des allures d'apocalypse, mais ils ne sont ni aussi assurés, ni aussi proches, ni aussi définitifs que nous le présentent les catastrophistes, et surtout on peut en éviter certains une fois bien identifiés. L'exagération est une tendance très répandue, comme on prétend qu'une guerre nucléaire détruirait la planète ! Cela n'empêche pas évidemment qu'il faut absolument éviter une guerre nucléaire, qui serait absolument catastrophique même si elle reste localisée. Vraiment pas la peine d'en rajouter ! Les avertissements des catastrophistes ne doivent pas être pris à la légère, juste avec un peu plus d'exactitude et de souci de mesures efficaces, tenant compte du possible effectif et de nos moyens limités au lieu d'en rester à de vaines protestations. Rien de pire que cette délectation de la fin du monde qu'on entend trop souvent et qui procure l'illusion d'être les derniers hommes, vivant un moment exceptionnel, celui de la fin de tout !

Si l'optimisme n'est pas de mise face à des menaces réelles et des catastrophes que nous ne pourrons pas toutes éviter, l'examen des données actuelles laissent penser qu'on a les moyens de s'en sortir malgré tout, aussi incroyable cela puisse paraître aux yeux des écologistes. Ce n'est certes pas gagné d'avance mais la transition écologique est déjà engagée sur la plupart des points, et ceci sans avoir à sortir de la société de marché, ce qui ne se fera pas de toutes façons au niveau planétaire même si on est persuadé que ce serait nécessaire. Il n'y a rien à changer sur les principes de base de l'écologie et d'une vie la plus écologique possible. Tout ce qui va dans ce sens est à encourager avec l'espoir d'en faire un mouvement de masse, mais les villes ne vont pas retourner à la campagne et il n'y a pas de sortie du capitalisme ni de l'évolution technologique en vue. Après toutes ces années, continuer à y croire serait du pur déni, le capitalisme ne recule pas mais continue à s'étendre. Ce qui est étonnant, c'est que même dans ce contexte qu'on peut dire anti-écologique (productivisme, société de consommation, financiarisation), le minimum qui reste possible pourrait nous permettre malgré tout de passer le cap du pic de population. Ce n'est pas sûr, mais pas impossible non plus - sauf à se croire plus savant que les savants.

L'écologie-politique n'a plus aucune chance à ce jour de changer la société, ce qui n'invalide pas les raisons de défendre une écologie municipale qui finira peut-être par s'imposer, mais comme on en est loin, il faut se convertir en attendant à des actions réalistes et ciblés, en soutenant aussi bien les ONG que les alternatives locales ou les ZAD et leurs expérimentations, cependant, à l'évidence, ce qui reste le plus important matériellement, le plus efficace, ce sont encore les lois et mesures que peuvent prendre des gouvernements et leur ministère de l'écologie. Même insuffisantes, il faut les soutenir au lieu d'affaiblir notre ministère qui fait ce qu'il peut. Un écologiste ne peut être extrémiste, ce qui est gagné est gagné, et pourra être amélioré à l'avenir. Or, ce qu'il faut montrer, c'est que ce n'est pas rien et que ça va dans la bonne direction, même si ce n'était pas la nôtre. Quand on fait un survol des politiques menées, on voit bien que nous sommes déjà rentrés dans la transition écologique sur plusieurs plans, certes à petits pas et avec ce qu'on doit bien appeler une écologie marchande.

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Toujours étranger en terre étrangère

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La fin de l'histoire hégélo-marxiste n'aura pas lieu
L'homme n'est pas chez soi ni dans le monde ni dans l'universel et pas plus dans l'Etat de droit. Bien que notre situation historique soit celle de la conscience de soi de l'humanité nous promettant une fin de l'histoire radieuse, c'est surtout la conscience du négatif de notre industrie et sans que cette conscience de soi globale arrive à une grande effectivité. Cette ineffectivité est notre actualité, dont il faut prendre conscience pour en tenir compte, non pour rêver la supprimer. Les grandes conférences internationales et la prise de conscience climatique ne sont pas rien mais elles rendent manifeste l'insuffisance des mesures prises et les limitations d'un pouvoir politique qui ne va guère au-delà, comme en économie, d'une gouvernance à vue. On est loin d'un Homme créateur du monde à son image, de l'idée qui donne forme à la réalité et commande au réel alors qu'on court plutôt après, en se contentant de colmater les brèches la plupart du temps. Ce dont il faut prendre conscience, c'est qu'il ne saurait en être autrement. L'existence est l'expérience de cette scission de la pensée et de l'être, du vouloir et du possible (du moi et du non-moi).

L'Etat universel en formation changera certainement la donne (après un conflit majeur?) mais il n'aura pas la toute-puissance totalitaire qu'on lui prête, plus proche de la commission européenne sans doute. Comme nous, dans nos vies, comme tout pouvoir, l'Etat universel devra prendre conscience de ses limitations, d'un devoir-être qui se cogne à un réel qui lui résiste, à l'extériorité du monde où le nécessaire n'est pas toujours possible pour autant. Le réel ne disparaît pas dans l'Etat, même s'il n'a plus d'extérieur étatique. S'il y a une compréhension ultime du monde, la vérité de la nature et de l'existence, c'est celle de la contradiction, du conflit et de la division qui règnent sur toutes choses. En reconnaître la nécessité ne peut en annuler la douleur dans une réconciliation finale alors que c'est tout au contraire notre juste révolte contre l'ordre établi qu'il faut affirmer, et aucun amor fati célébrant ce monde inégalitaire, aucune appartenance mystique à l'Être ou béatitude d'une connaissance du troisième genre qui nous ferait prendre le point de vue de Dieu pour justifier l'injustifiable.

Ce n'est pas parce que nous sommes un produit du monde que ce serait pour autant notre monde, ce n'est pas parce que ce serait le meilleur des mondes possibles - car le seul réel - que nous pourrions nous en satisfaire et nous y sentir chez nous. En fait, la contradiction entre ce réel et nos idéaux rend plutôt difficile à comprendre qu'on puisse y être heureux. Certes, la nature est généreuse, nous procurant de quoi nous réjouir de très peu parfois, des bonheurs petits ou grands, en proportion de nos malheurs ordinairement. On peut goûter aussi des jouissances transgressives mais pourtant, dans son fond, l'être parlant, l'homme de culture vit la contradiction de sa nature avec l'universel, c'est une conscience malheureuse et inquiète même si elle connaît des moments intenses de satisfaction et de victoire. Qu'on cherche à dépasser cette contradiction est la prétention de toutes les sagesses, philosophies, mystiques, jusqu'à la promesse de fin de l'histoire de Hegel et Marx, mais la seule sagesse serait au contraire de reconnaître cette contradiction comme irréductible, affirmation d'un matérialisme dialectique et du dualisme matière/esprit ne s'unifiant que dans la pratique.

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Hegel et les extraterrestres

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A l'exemple de Kant dans son "Idée d'une histoire universelle", on va se servir ici des extraterrestres pour dépasser l'humanité comme espèce et l'universaliser, mais aussi pour insister sur la séparation de la pensée et de l'être, de l'Esprit et de la Nature qu'on ne peut unir qu'en reconnaissant leur contradiction. Dépasser cette contradiction n'est pas l'annuler comme on le croit trop souvent, mais implique une certaine négation de l'Esprit, science soumise à la discipline de l'expérience, à la Nature donc, à l'extériorité ainsi intériorisée (plus qu'intentionalité extériorisée).

S'il apparaît nécessaire, depuis Marx, de renverser l'idéalisme hégélien au profit de déterminations plus matérielles, on peut dire, comme l'avait d'ailleurs bien vu Lénine, que Hegel avait opéré lui-même ce renversement à la fin de sa Logique qui s'achève par "l'idée pratique", idée qui n'est plus abstraite mais part du possible actuel, "fait face au réel effectif en tant que réel effectif", et se comprend comme nécessité, où le subjectif renonce à son arbitraire et sa particularité pour s'unir à l'objectif. Il reste malgré tout chez Hegel (et ceux qui s'en réclament) un primat de la causalité logique et spirituelle à laquelle on doit opposer la prépondérance des causalités matérielles, ainsi que la temporalité de l'après-coup à la place du projet initial ou de l'incarnation d'un logos (jouissance divine supposée à la fin de l'Encyclopédie!).

Il reste aussi chez lui une certaine identification de l'Esprit à l'Homme, qu'on peut dire inévitable à son époque mais qui a pour conséquence de biologiser l'Esprit en quelque sorte. Or, le simple fait que des scientifiques se soient mis à la recherche de signes d'une civilisation extraterrestre suffit à faire vaciller une identité humaine biologisante (sans parler de l'Intelligence Artificielle et des Transhumanistes). Cela relativise aussi notre rôle dans l'histoire. L'existence hypothétique de civilisations extraterrestres implique en effet une vision de l'évolution cognitive largement indépendante de nous et de notre espèce. C'est tout-à-fait conforme à la conception hégélienne d'une action souterraine de la raison dans l'histoire, en dépit des passions humaines, mais la supposition d'autres civilisations technologiques renforce l'autonomie de l'histoire et de l'Esprit au détriment de la liberté de l'Homme - qui n'en est plus qu'un agent quelconque.

Une conception cosmologique de l'évolution cognitive, avec des lois scientifiques identiques dans tout l'univers, constitue un nouveau progrès dans l'universalité. Du coup, c'est l'Esprit qui apparaît d'abord radicalement indépendant de la Nature et purement nécessaire en soi, progrès scientifique et processus de civilisation. Mais si la Nature semble l'inessentiel dans ses particularités planétaires par rapport à la logique ou la physique, en même temps, cet Esprit apparaît comme le résultat nécessaire de l'évolution naturelle et de la sélection par le résultat, restant dès lors un degré de la Nature malgré tout, soumis à l'urgence (histoire subie et non conçue). Cet "Esprit vivant", qui agit dans le monde, reconstitue certes l'unité du concept et du réel mais pas sans leur douloureuse contradiction, Esprit qui se cogne à une Nature qui lui résiste et sur laquelle il doit se régler dans la pratique.

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