L’arnaque des pauvres par l’assurance auto

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Il est bien connu que les pauvres paient tout plus cher mais avant d'en faire l'expérience, je ne savais pas que les pauvres, qui ont forcément des vieilles voitures, étaient aussi spoliés de leurs droits en toute bonne conscience par les assurances auto.

Ainsi, j'ai été victime, à cause d'un refus de priorité coupant soudain ma route, d'un accident assez grave détruisant ma vieille Ford de 1992, mais en parfait état, pour laquelle l'expert de l'assurance a chiffré pourtant l'indemnisation à 1000€ seulement, autant dire rien, n'étant même pas le prix d'un vélo électrique ! Un chauffard détruit ma voiture et c'est moi qui dois en subir les conséquences alors même que la loi fait obligation de la réparation intégrale d'un préjudice par son auteur, l’indemnité devant permettre de replacer le propriétaire dans la situation où il se serait trouvé si le fait dommageable ne s’était pas produit, ce qui est loin d'être le cas ici.

J'ai découvert que cette spoliation des possesseurs de vieilles voitures arrive à prendre l'apparence d'un respect du droit en s'appuyant sur trois confusions : le principe du moins-disant tenant lieu de valeur de remplacement, l'évaluation sur un échantillon statistique trop faible et la définition du marché local étendu à l'internet.

Il apparaît ainsi que le premier principe d'un expert travaillant pour les assurances serait qu'il ne faut surtout pas qu'à cause d'un accident, les pauvres puissent se payer une voiture en meilleur état que l'ancienne. Ça, c'est le scandale absolu, par contre qu'elle soit en moins bon état ne pose, semble-t-il, aucun problème. Du coup la valeur du véhicule est déterminée par le prix le plus bas constaté et c'est à la victime de se débrouiller pour trouver une occasion pas trop pourrie avec cette somme ridicule. Cette sous-évaluation d'un bien détruit par un tiers à un prix ne permettant pas d'en reconstituer la valeur d'usage (et non une valeur d'échange imaginaire inexistante dans ce cas), bafoue clairement l'égalité des citoyens pauvres devant la loi alors que les possesseurs de voitures plus récentes, inaccessibles aux pauvres, sont assurés de ne pas y perdre dans l'histoire.

En effet, la grande différence, c'est que le parc diminue avec l'âge et n'a plus de signification statistique pour les plus anciennes. Pour qu'il y ait un prix de marché, il faut un volume significatif de transactions sinon on n'a pas un échantillon représentatif. C'est même pour cela que l'Argus ne va pas au-delà de 10 ans. Les offres résiduelles de véhicules en bout de course ont assurément toutes les chances de ne valoir plus rien, leur état étant entièrement dépendant de leur usage. Il est certain que des voitures de plus de 30 ans peuvent être cédées pour une bouchée de pain quand elles ne vont pas directement à la casse, cela ne préjuge en aucun cas de la valeur de la mienne qui fonctionnait parfaitement avec un kilométrage limité pour cet âge (130 000 km), roulant très peu, juste pour aller faire les courses au bourg, et aucun défaut constaté par le contrôle technique, mais le fait qu'il n'y avait du coup aucun besoin de réparations est considéré un manque d'entretien ! Comme seul l'âge compte pour ces prétendus experts, une vieille voiture ne vaut rien par définition, sans aucune considération pour sa valeur d'usage, et peut donc être détruite sans que cela ne coûte rien à personne sinon à son propriétaire.

Enfin, le troisième sophisme consiste dans l'utilisation exclusive du site leboncoin.fr pour déterminer un prix de marché, assimilé abusivement au marché local. Facile d'être expert dans ces conditions, et à la portée de tous en un clic, mais ces recherches bâclées qui ne tiennent pas compte de l'état des véhicules n'ont rien de professionnel. J'ai été vraiment stupéfait de voir que la règle serait désormais d'acheter sa voiture sur internet, à un particulier et sans avoir accès à son contrôle technique. Quand son véhicule a été détruit, on est supposé écumer la campagne (sans voiture) à plus de 100 km de chez soi pour trouver une bonne occasion avec la somme concédée correspondant au prix le plus bas possible. Cela s'apparente à une chasse au trésor ! Non seulement ce n'est pas du tout un marché local, qu'on pourrait légitimement penser être celui des revendeurs d'occasions locaux, mais la perversité va jusqu'à les disqualifier car étant forcément plus chers que les offres de particuliers puisque devant fournir une garantie de 3 mois minimum ! C'est l'aveu que l'indemnité n'est pas à la hauteur et le résultat, c'est que le véritable marché local est ignoré au profit d'un marché lointain et dérégulé, dont les prix bradés sont considérés par ces experts comme la seule norme. On marche sur la tête et comme ce sont les pauvres qui trinquent, comme toujours, tout le monde s'en fout.

Il devrait être clair que tout cela n'a aucun rapport avec l'esprit sinon la lettre de la jurisprudence considérant que la victime doit être replacée dans la situation antérieure au dommage, condamnant les assureurs à verser non la supposée valeur vénale du véhicule à la revente mais la valeur de remplacement qui doit permettre à la victime de retrouver, sur le marché local, un véhicule qui rende les mêmes services que celui ayant été endommagé. En tout cas, l’indemnisation ne devrait en aucun cas entraîner l'appauvrissement de la victime.

Je ne comprends même pas comment de telles expertises manifestement fautives puissent ne pas susciter l'indignation. Chacun sait très bien qu'on ne trouve pas une voiture fiable pour 1000€, il faut une mauvaise foi inébranlable pour le nier. Je ne doute pas certes qu'un expert soit capable de trouver de bonnes affaires à ce prix mais la réalité du marché local, c'est qu'on trouve difficilement des occasions à moins de 6000€ chez les concessionnaires et qu'il n'en existe que très peu sous les 4000€ chez les vendeurs d'occasions. Lorsque j'avais fait la tournée des revendeurs du coin, les prix planchers étaient entre 3800€ et 4800€ (avec pourtant des kilométrages supérieurs à 130 000 km). Le plus bas que j'ai pu trouver était à 2700€ mais à l'état plus douteux. En tout cas, la réalité, c'est qu'il n'y a rien à 1000€, ne permettant donc pas de remplacer la même valeur d'usage que mon véhicule.

Le problème, évidemment, c'est que les occasions disponibles localement ont toutes les chances d'être plus récentes et, même si elles ont un kilométrage supérieur, peuvent être considérées comme apportant un avantage indu - or, on a vu qu'il n'y avait rien de plus choquant pour un expert que de pouvoir bénéficier d'un tel luxe avec l'indemnité concédée ! Réclamer de pouvoir s'offrir un véhicule au moins aussi fiable que celui qu'on avait paraît aussi inadmissible à ces vendus que lorsque Oliver Twist avait osé réclamer un rab de gruau ! Les riches sont toujours payés rubis sur l'ongle, pouvant toucher plus de 1000€ pour une simple rayure de leur 4x4, alors qu'on chipote pour quelques sous quand il s'agit de pauvres, coupables d'avoir de trop vieux tacots et traités en parias.

Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas là d'une simple mésaventure personnelle mais bien d'une pratique générale, systémique, défavorable aux pauvres sous couvert d'une application uniforme de la loi. Je n'ai pu, en effet, opposer une contre-expertise à cette injustice, un autre expert consulté se trouvant partager les mêmes pratiques et préjugés (avec leboncoin.fr pour seule référence!), ne voyant rien à y redire et trouvant même que j'avais un certain culot à les contester - sans compter que les sommes ridicules en jeu ne justifiaient pas le déplacement à ses yeux. On est bien peu de chose devant l'injustice. C'était donc une grande naïveté de ma part de croire pouvoir faire entendre ces quelques raisons (y compris à un "assureur militant") - tous ceux à qui j'en parlais m'ayant effectivement découragé de m'en prendre à cette véritable mafia inattaquable comme à la pratique courante de dépouiller les pauvres de leurs droits sans vergogne (et même avec un sentiment de supériorité, assuré de son pouvoir, sinon avec une pointe de jouissance mauvaise).

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4 réflexions au sujet de “L’arnaque des pauvres par l’assurance auto”

  1. Mafia encouragée par l'état, c'est l'idée centrale. Ça structure pas mal de choses dans la vie quotidienne et les professions. Il faut suivre le mouvement, investir et capitaliser même si l'on en a pas besoin, car la guerre vient vers vous. Si vous n'êtes pas équipé vous êtes fichu. Être pauvre est le plus dur métier aujourd'hui.

    • Il faudrait quand même que la gauche s'empare de la question, qu'il y ait des enquêtes pour rabattre le caquet de ces petits bureaucrates qui nous prennent de haut en nous dépouillant, incarnations de la mauvaise foi sartrienne et ce qu'il appelait les salauds. Appauvrir les pauvres leur paraît exaltant à ce qu'il paraît, retranchés derrière la procédure. Ce n'est pas nouveau, bien que trop inaperçu jusqu'ici, mais ce n'est pas à laisser faire.

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