Il y a de bonnes raisons de critiquer un management inhumain obsédé par le profit et qui fait peser des contraintes cruelles ou simplement stupides sur les salariés, jusqu'aux pratiques sadiques d'un management par le stress qui a des morts sur la conscience. C'est un domaine qui voit surgir toute une palanquée de petits gourous qui vendent aux entreprises des recettes miracles qui ne sont pas toujours sans intérêt mais qui sont appliquées, en général, avec un dogmatisme destructeur. Le véritable intérêt du management, c'est de poser les problèmes, d'adopter une méthodologie cartésienne pour diviser les tâches et répartir les moyens en fonction des objectifs. Sinon, les résultats étant le plus souvent très décevants, on assiste à une succession de modes un peu comme pour les régimes amaigrissants, le développement personnel ou les théories économiques. Cela mène à de véritables folies parfois ou flirt avec les sectes (la scientologie et l'analyse transactionnelle étant pas mal implantées dans ce secteur). Surtout dans le domaine commercial, il semble qu'on tente d'extirper tout scrupule moral, avec la prétention de former un homme nouveau dépourvu d'humanité sur le modèle d'un homo economicus uniquement préoccupé de ses gains immédiats. Il ne manque certes pas de raisons de se battre contre cette nouvelle sorte de totalitarisme décervelant.
Cependant, l'avantage de l'entreprise par rapport au politique, c'est que les effets pervers et la contre-productivité des excès du management se font sentir plus rapidement et finissent par susciter des réactions salutaires, surtout dans un contexte où la nature du travail a changé. De même que la montée de la précarité provoque une destruction de compétences et manifeste l'inadaptation des protections sociales à l'économie post-industrielle, on s'aperçoit aussi qu'il y a contradiction entre le formatage des salariés et ce qu'on peut exiger d'eux en terme de coopération et d'autonomie. Impossible de transformer une entreprise en marché. Il a été montré depuis longtemps que les entreprises sont des sociétés hiérarchiques, ce qui permet notamment de minimiser les "coûts de transaction" mais aussi de se coordonner et de planifier les opérations. Contre l'idéologie libérale, il faut bien admettre que l'économie est une composition de dirigisme d'entreprise (voire de bureaucratie) et de concurrence de marché.
On a cru que le déclin du dirigisme et le besoin de donner plus d'autonomie aux acteurs signifiait la fin de l'entreprise, pénétrée par les instruments de marché, mais si la stratégie pouvait rapporter à court terme, ce sont les capacités de coopération, tout aussi nécessaires que l'autonomie, qui s'en sont trouvées affectées ainsi que la durabilité, n'assurant plus les conditions de sa reproduction. On peut dire qu'il y a eu erreur sur l'autonomie, que l'intégration de cette nouvelle exigence n'a pas reçu encore la réponse adéquate. C'est à ce problème d'un déficit d'engagement des salariés que les entreprises sont confrontées aujourd'hui et ce dont parle notamment le dernier livre de Daniel Cohen mais qu'il est plus intéressant de retrouver dans un nouveau discours managérial. En effet, l'erreur de Daniel Cohen est de poser la question en terme de consommation et de bonheur personnel, resucée de moralisme qui ne mène à rien sinon individuellement, alors qu'il faut poser la question en terme de plaisir dans le travail, ce qui est tout autre chose.
Les entreprises peuvent transformer une main-d’œuvre de poseurs de briques en une équipe motivée et coordonnée de bâtisseurs de cathédrales, dont le travail inspiré génère à la fois réussite et sens pour les entreprises, et plus généralement pour l'ensemble du monde.
Ainsi, sur le mode agaçant de la com', c'est avec 4 slogans - les 4C© - qu'un consultant résume les principes d'un management collaboratif : Confiance (sens, authenticité, proximité, valorisation), Choix (engagement, liberté, co-responsabilité, flexibilité), Coopération (soutien, co-créativité, complémentarité, transversalité), Convivialité (ambiance, plaisir, célébration, équilibre). Ces principes s'opposent au management traditionnel (calcul, cloisonnement, conformité, contrôle). Il ne s'agit pas de prêter trop d'importance à ce genre de salade qui peut se vendre très cher mais seulement au fait que ce soient des questions qui émergent et se posent, celle d'un management collaboratif qui n'est pas simple du tout et qui doit être bien nécessaire pour se résoudre à se créer ainsi tant de problèmes. Cependant, plus on mobilise l'intelligence, les connaissances, la créativité, la personnalité des gens, plus l'entreprise a besoin en effet d'un esprit d'équipe. Il faut y voir le signe que nous avançons malgré tout, et malgré les malheurs du moment, vers le travail choisi et une ère de l'information qui commence à peine, manifestant pour l'instant la contradiction des forces productives avec les anciens rapports de production ainsi que le besoin d'une démocratisation de l'entreprise.
Le contrôle prend du temps, fragilise la relation et infantilise.
Le management collaboratif est davantage une démarche communautaire que collectiviste.
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