On n'a encore rien vu de la crise économique et l'effondrement financier menace toujours mais avec l'engagement inattendu de la Chine dans un véritable New Deal et l'élection d'Obama qui devrait aller dans la même direction, l'hypothèse que la crise soit surmontée devient soudain nettement plus crédible. On n'y est pas encore, loin de là, mais il faut prendre conscience que cette crise née d'un excès de confiance dans la stabilité du système pourrait aboutir à son renforcement jusqu'à un point inégalé jusque là, achevant véritablement la globalisation marchande. On ne peut écarter la possibilité bien réelle d'une période d'instabilité géopolitique plus ou moins dévastatrice mais qui n'est pas le plus probable pour l'instant et ne ferait que reculer sans doute ce "Nouvel Ordre Mondial" qui commence à se dessiner. En tout cas, il faut envisager sérieusement que ce soit dans cet horizon, d'un système entièrement mondialisé, qu'il faudra désormais inscrire toute action politique, ce qui ne signifie pour autant ni la fin de l'histoire, ni qu'il n'y aurait plus d'alternative ! Occasion de revenir sur ce que c'est qu'un système, en quoi il nous contraint mais aussi les marges de manoeuvres qu'il nous laisse et les différents niveaux d'intervention qu'il permet, en commençant par le local.
Tout s'écroule autour de nous, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles, mais comme dans une sorte d'incrédulité générale où rien ne bouge vraiment encore. Une seule chose est sûre : l'ordre règne. Avec un bel ensemble tous les Etats de la Terre se mobilisent pour sauver le capitalisme globalisé. C'est sans nul doute la fin de l'hégémonie du néolibéralisme et d'une financiarisation débridée, mais c'est tout le contraire de la fin du capitalisme.
On nous persuade que c'est pour nous sauver qu'il faut sauver le système. Effectivement, si le système s'écroulait ce serait catastrophique pour tout le monde. Il n'y a là rien de nouveau. Marx déjà soulignait que le salariat étant l'autre face du capitalisme, les intérêts du salarié étaient liées aux intérêts de son employeur capitaliste, mais, il ne faut pas se leurrer, cela ne veut dire en aucun cas que les intérêts du capitaliste soient les mêmes que ceux de ses salariés : la lutte des classes c'est d'abord la guerre des riches contre les pauvres (comme l'avoue Warren Buffet) d'où la nécessité des syndicats et des mobilisations sociales pour se défendre. De même, si tous les gouvernements se posent en défenseurs du système, y consacrant toutes leurs ressources en bons serviteurs des classes possédantes, cela n'empêche pas qu'ils se moquent bien de nous d'ordinaire et de nous sauver lorsque nous sombrons à cause des injustices et des ratés du système.
On pourrait dire que la situation est un peu comparable aux mécanismes symbiotiques qui prennent souvent la forme d'un exécuteur à l'intérieur même de la cellule, associé à un protecteur qui la tient sous la menace d'un chantage permanent et bride son autonomie en l'intégrant à une organisation qui l'englobe. Il n'empêche qu'à l'évidence, les actionnaires dépendent aussi des travailleurs, au moins lorsqu'ils font masse, et les gouvernements ne peuvent trop malmener leurs populations. C'est donc aussi pour sauver le système, après avoir sauvé les banques en catastrophe, que des sommes presque équivalentes vont être consacrées à la relance de la demande, comme le font les Chinois qui investissent plus de 450 milliards pour développer leur marché intérieur. On n'imagine pas non plus qu'un sénat démocrate laisse General motors faire faillite. Tout cela conforte du moins la conscience de nos interdépendances et donc de notre appartenance au même système.
Ce qui ne nous tue pas nous renforce, dit-on. Cela s'applique à merveille au capitalisme qui connaît depuis toujours des crises cycliques, dont Schumpeter soulignait leur fonction de "destructions créatrices", accélérant ses mutations, sa "modernisation", loin de l'affaiblir. Même si le système devait s'effondrer brutalement, ce qui n'est pas du tout impossible dans l'état actuel des choses, la sortie de crise signifiera sans aucun doute un renforcement drastique du système malgré tout, avec l'institutionnalisation de sa globalisation et l'émergence d'une sorte de gouvernement mondial. Ce n'est pas dire pourtant qu'on serait condamné au capitalisme pour toujours, encore moins dans son état actuel. On peut être sûr au contraire que le système va évoluer du tout au tout à cause des nouvelles forces productives immatérielles, des logiques de coopération et de gratuité de l'économie de la connaissance, sans compter la dimension écologique qui devient urgente. Seulement, cette évolution, qui n'est pas seulement économique mais bien anthropologique, sera mondiale et nous échappe en grande partie.
Ce n'est pas dire non plus qu'on ne pourrait plus rien faire, devenu simple élément passif de ce nouveau système-monde, mais plutôt que les alternatives devront partir du local, même si cela ne doit pas empêcher d'essayer de peser sur les instances internationales par des mobilisations altermondialistes, entre autres. Il faut agir à tous les niveaux, aussi bien mondial (ONU, GIEC, FSM, FAO, etc.), européen (normes, fonds structurels), national (redistribution, infrastructures) que local (monnaies locales, développement humain). Chaque niveau reste essentiel mais si on ne peut plus rêver changer le système-monde par le haut, c'est par le bas que nous pourrons construire sans attendre des alternatives locales et initier la sortie du capitalisme salarial. Rien de plus difficile à faire comprendre que cette conclusion à laquelle André Gorz avait fini par se résoudre : qu'il n'y aura que des alternatives locales à la globalisation marchande.
Il ne manque certes pas toutes sortes de révolutionnaires qui prétendent renverser le capitalisme et sortir du système, on ne sait comment, tout comme il y a des anarchistes qui s'imaginent supprimer l'Etat ou des écologistes revenir à l'état de nature, ces chimères faisant paradoxalement le jeu des libéraux et renforçant le système qu'ils combattent ! Les aspirations libertaires ou anarchistes sont bien sûr absolument respectables, sans parler même des écologistes, il s'agit bien d'aller le plus loin possible dans ce sens mais d'y aller vraiment, pas de vivre d'illusions. Pour cela, il vaudrait mieux se persuader qu'il ne peut y avoir disparition du système afin d'apprendre plutôt à vivre dans ses interstices et le prendre à revers, par le bas.
On voit couramment une assimilation de tout système au totalitarisme mais, s'il y a effectivement un totalitarisme du marché et une propension du capitalisme à s'étendre à toutes les sphères de la vie, cela ne veut pas dire qu'il ne peut y avoir cohabitation de plusieurs systèmes, le capitalisme lui-même n'étant pas viable, on le voit bien, sans un système politique étatique et une économie mixte qui en corrige les défauts et lui fournit les infrastructures dont il a besoin. Contrairement à ce qu'on croit, il y a donc toujours une pluralité de systèmes et différents systèmes en interaction. Quand à vivre en dehors de tout système, cela n'a aucun sens pour une société humaine qui est faite de systèmes de parenté et d'échanges, de systèmes linguistiques ou symboliques voire d'un système de hiérarchies emboîtées, en tout cas d'organisations sociales. Remarquons simplement que plus la taille du système considéré est petite, plus il peut évoluer rapidement et dépend de nous. Aujourd'hui, c'est donc le niveau local qu'il faut conquérir pour une alternative immédiate qui bien sûr n'aura de sens qu'à s'intégrer dans un système et des circuits alternatifs.
Il faut comprendre, en effet, que s'il y a des systèmes astronomiques ou mécaniques implacables, les systèmes biologiques et sociaux sont bien différents et se caractérisent d'abord par des circuits ou des flux (de matière, d'énergie, d'information). Ce qui fait système c'est que ça se boucle, c'est le circuit qui fait totalité et solidarise les éléments entre eux. Cependant, les circuits ne sont pas là pour rien mais organisés en vue d'une finalité. Un système s'organise toujours en fonction d'une finalité et de l'interaction avec d'autres systèmes (ou disparait), c'est pourquoi les flux de matière et d'énergie sont contrôlés (optimisés) par les flux d'information. Contrairement à ce qu'on croit, la nécessité pour un système ou une organisation d'agir comme un seul homme, comme une totalité effective, implique une certaine indépendance des éléments par rapport à la totalité puisque le fonctionnement général ne dépend pas tellement du comportement de ses éléments mais bien de contraintes globales, d'une causalité descendante (qui s'impose à tous de l'extérieur) plutôt qu'une causalité ascendante (par agrégation des comportements) comme les théories de l'auto-organisation le voudraient. Le "Tout" est plus (et moins) que la somme de ses partie, il n'est pas du tout la simple addition des individus qui le composent et réagissent ensemble aux informations ou perceptions reçues. Ce sont bien les circuits d'information qui sont déterminants pour se régler sur l'objectif à atteindre et que chacun coordonne ses efforts à ceux des autres. L'apport de la cybernétique, c'est d'avoir montré qu'il ne pouvait y avoir de contrôle total, la réussite étant toujours dépendante d'un pilotage qui corrige le tir, de la rétroaction de l'effet sur la cause. On n'est donc pas du tout là dans une programmation rigide dépourvue de tout degré de liberté mais dans une autonomie relative où chacun a un rôle à jouer (pas seulement comme un conducteur dans le trafic routier).
Non seulement le système n'est pas un carcan répressif mais il constitue une puissance, des potentialités, des libertés supplémentaires (de circulation) qui nous importent assez pour faire perdurer le système malgré toutes les critiques qu'on peut lui faire (son injustice, d'accentuer différenciations, division du travail et inégalités notamment) car, il faut le dire, rien de plus facile que de perturber un système : une fuite, un grain de sable peut arrêter la mégamachine, il suffit de bloquer un flux ou brouiller l'information pour tout paralyser ! C'est cette fragilité qui fait toutes les organisations mortelles, et vivantes aussi... Il n'y a rien à gagner à l'effondrement du système cependant, ce pourquoi tous les Etats tentent de le sauver, et il n'y a aucun intérêt à le bloquer, ce qui est simplement suicidaire si on ne sait par quoi le remplacer !
La comparaison avec les systèmes biologiques ne vise en aucun cas à naturaliser le système de production capitaliste. Constater qu'il a un fonctionnement systémique jusque dans ses crises systémiques, c'est juste tenir compte de la matérialité de son fonctionnement. A posteriori, on peut penser que Marx a été l'un des premiers penseurs systémiques définissant le capitalisme comme système de production (combinant production, reproduction, circulation) où c'est la circulation qui détermine la production, le travail qui détermine la valeur et les rapports de production les idéologies dominantes. Marx reconnaissait la productivité de ce système, la recherche de plus-value accélérant l'automatisation et l'amélioration de la productivité. Il reconnaissait aussi qu'on ne pouvait remplacer un système de production que par un autre système de production, son erreur ayant été de penser qu'une propriété collective des moyens de production suffirait à en changer la logique.
Changer de système de production n'est pas supprimer l'ancien, ni changer de propriétaire, c'est faire système par d'autres circuits, d'autres logiques qui ne peuvent être arbitraires mais devront correspondre aux nouvelles force productives. C'est pour cela qu'on n'a pas besoin de rêver d'un effondrement du capitalisme globalisé, dont on voit à quel point il pourrait être catastrophique, pour commencer dès maintenant à construire des alternatives locales (avec des monnaies locales et des coopératives municipales) ainsi que des circuits alternatifs. Cette crise systémique aboutissant au renforcement du système doit être l'occasion de mieux comprendre nos interdépendances et le fonctionnement systémique de la sphère économique tout comme de la biosphère et des écosystèmes. Ce n'est pas pour prêcher une quelconque soumission au capitalisme mondialisé ni vouloir y opposer une meilleure régulation du système financier seulement mais bien un nouveau système de production ancré dans le local et intégré à des réseaux altermondialistes.
Le renforcement du système n'a pas que des mauvais côtés dès lors qu'il renforce la conscience que nous faisons partie d'un système (ou de plusieurs). La crise systémique a le même rôle que l'angoisse pour nous révéler l'existence, ici du système. Voilà qui permet du moins de réfuter l'individualisme libéral du chacun pour soi au profit d'une conception de l'individuation plus proche de celle de Simondon (ou de la singularité pour René Thom) et qui résulte de contraintes extérieures subies, d'un stress ou d'un dysfonctionnement global. Ce qu'on ressentait comme un déficit et une détresse personnels, se révèle un fait social partagé par toute une population et qui résulte de phénomènes sociologiques, macroéconomiques ou monétaires. C'est tout ce que ne supporte pas la droite, le discours sociologique vu comme une déresponsabilisation individuelle, car elle a intérêt à dénier ses responsabilités sociales dans l'accroissement de la précarité et culpabiliser les pauvres, mais c'est l'essence même de la politique de se fonder sur le caractère collectif des difficultés individuelles. Il faut affirmer que nous ne serons plus jamais seuls : vos problèmes sont les nôtres, notre faiblesse est collective, la cause n'est pas en nous mais dans le système qu'il faut changer !
Face au renforcement du système-monde, c'est bien la totalité qu'il faut viser, mais en commençant par la plus petite unité, celle de la démocratie municipale. Il suffirait que les composants de l'alternative fassent système à ce niveau local et constituent un système de production complet pour contaminer peut-être le monde entier, mais pour cela il faudrait sans doute que les forces alternatives post-marxistes apprennent d'abord à penser de façon un peu plus systémique...
L'idée que tout système serait mauvais n'est pas précisément l'idée que je défends dans cet article mais plutôt que tout organisme vivant vit dans un écosystème. J'accorderais cependant volontiers que tout système a ses mauvais côtés mais tous les systèmes ne sont pas équivalents pour autant, raison pour laquelle il faut défendre une alternative au capitalisme.
Pour les raisons qu'il y aurait de vouloir une alternative au capitalisme, si vraiment on a besoin d'en donner, je peux renvoyer à cet article sur André Gorz :
jeanzin.fr/2008...
Il y a des raisons anciennes (exploitation, subordination, spéculation) et des raisons plus récentes (économie immatérielle, écologie) mais c'est une illusion de penser qu'on pourrait concilier le productivisme capitaliste avec le souci écologique de même qu'avec la gratuité numérique. Je ne peux renvoyer là-dessus qu'à mes autres articles (Il n'y a pas d'alternative") mais ce qu'explique cet article-ci, c'est bien qu'en construisant un système alternatif local on prend le système pour cible beaucoup plus efficacement : il n'y a que des alternatives locales à la globalisation marchande mais ces alternatives locales ont vocation à se généraliser alors qu'on ne peut espérer changer fondamentalement de système par le haut en le régulant simplement.
Beau commentaire. Comme à votre habitude, vous faites montre de dextérité dans l'analyse du capitalisme.
Juste une question: pourquoi faudrait-il tant rejeter le système-monde capialiste? Car à vous comprendre, n'importe quelle version du système est mauvaise.
Or quid de ce que Robert Castel appelle l'individualisme social-démocrate?
Les alternatives locales: oui, ne serait-ce pas une version du renoncement à prendre le système pour cible?
Dans quelle mesure un nouveau sustème monde ne pourrait pas, par hasard, faire accorder l'écologie avec le capitalisme, en inventant des pressions extra-économiques?
Bref, juste quelques questions...
Merci de votre générosité à nous fournir de vos analyses
moi j'attends de voir la figure que prendront ces interstices . après le socialisme pour les riches , le keynesianisme pour classe moyenne . je pense que les petits ramasse-miettes pourront toujours crever . vous voyer vraiment sarkozy augmenter les impots pour nourrir tous les "fainéants" ?
Ce ne serait pas la première fois qu'il retournerait sa veste mais il est vrai que c'est peu probable et que ce n'est pas gagné. Il me semble qu'il y a cette dynamique dans les New Deal qui se préparent mais il faudrait qu'il y ait renforcement par une nouvelle combativité sociale ressentie comme plus légitime. Je peux me tromper, je ne suis pas devin, j'essaye de me placer un peu à contre-courant pour déceler le mouvement dialectique sur lequel on peut s'appuyer, rien ne garantit que tout se passera au mieux. Je n'y crois pas moi-même tellement, je tente de montrer les paradoxes de la situation, d'apporter quelques éléments trop peu pris en compte et de décrire le champ de bataille où les positions sont plus favorables qu'avant mais il y a pas mal d'étapes à passer, celle de la récession, celle de l'augmentation des impôts effectivement, celle de l'effondrement du dollar sans doute. Si les mobilisations sociales tardent trop, il faudra attendre plus longtemps la fin de la crise, c'est sûr...
oui pour la chine il me semble aussi qu'il y a des mouvements sociaux fort , notamment dans les campagne, et au états unis , la guerre civiles n'est pas si loin que ça d'après ce qu'en dit wallerstein . donc il y est urgent d'y trouver un nouveau compromis . en europe , sans gouvernement économique , la chose semble plus difficile d'autant plus qu'au niveau des luttes , il n'y a pas grand chose à l'horizon . alors c'est peut être du à cette phase de sidération ( incrédulité) dont vous parlez . peut être aussi que les carottes sont cuites , et qu'il n'y aura pas de vrai luttes sur le pouvoir d'achat . l'odre règne aussi dans les mentalités , et j'ai même l'impression que la crise financière a fait gonfler la bulle sociale . mais ce n'est peut être pas le fond de l'affaire et il doit bien y avoir un point de retournement quelque part . cette récession , je l'espère ne manquera pas d'apporter sa vérité sur l'état du mouvement d'émancipation ...
Préambule
Bon, là, je fais un peu de l'opportunisme, vu que ça fait presque un an que je voulais poster les 2 choses suivantes, mais comme l'occasion se présente, j'espère que vous ne trouverez pas que ça tombe comme un cheveu dans le potage en sachet de Ballard [c'est vrai, le papier semble délicieux :)...]
Noctambule
* Sur vers où on va et où on voudrait/pourrait aller :
Manger, chose essentielle.
Comment est-ce possible de vivre "bien" avec moins de 3 % d'"agriculteurs" ?
Ce pourcentage n'existe qu'à cause de l'industrialisation de ce métier.
Avec toutes les conséquences pour les sols, les humains et les animaux.
Une conception "paysanne" implique du temps... Donc, des gens (si nous voulons une société conviviale et un travail pas trop désagréable).
Nous ne pourrons nous contenter d'ingénieurs et autres "manipulateurs d'abstractions". Mais ça serait plus chouette et possible d'être chacun le pêcheur critique et tuttiquanti de ce cher et jeune Karl (que j'admets ne pas fréquenter beaucoup, bien qu'il le faudrait), non ?
"Intégrer" la population chinoise et vouloir développer ce marché revient concrètement à éloigner des paysans de leurs campagnes pour en faire de la main-d'oeuvre (achetée ou pas) dans les usines, ce qui ne va d'ailleurs pas actuellemnt sans jacqueries.
*Sur comment transformer un forum en jeu de questions/réponses 🙂
Je profite de l'occasion de ce post pour vous demander (ainsi qu'aux autres lecteurices) ce que vous pensez de Miguel Benasayag.
Le connaissez-vous bien ?
(en le recherchant sur votre site en tant que mot-clé, je suis tombé sur votre article consacré à Hegel. Cela m'a paru sommaire et bien injuste.)
Je vous demande cela car, étant un petit lecteur de ce personnage, je perçois entre vous une certaine affinité et un même but.
Et il écrit et travaille, entre autres, autour de cette réflexion : "penser local, agir local" !
Alors ?!
Bon courage, en tout cas, et merci pour tout.
cedric,
solidaire des bloqueuses de flux
(Je tiens à préciser que moi non plus, je n'ai aucune prétention à l'exactitude, je ne sais pas trop où j'en suis et ne sais pas si j'y crois au fond, en tentant de ne pas renoncer, parce que le cynisme est bien trop à la mode et qu'il nous faut de la pédagogie pour contrer les propagandes...., j'espère d'ailleurs que j'ai pas fait trop de "private jokes"/jargons incompréhensibles pour les gens..., tiens, Jacques Bouveresse vous plairait, au sujet de la rationalité et tout... mais bon, allez, là, ça va dépasser le cadre du commentaire et devenir relou ! Alez tiens, des bises parce qu' "il faut une certaine dose de tendresse pour se mettre à marcher malgré tout ce qui s'y oppose")
Je dois dire que je ne crois pas du tout à une guerre civile aux USA, mais je ne suis pas sur place, j'ai peut-être tort, par contre je crois à un renouveau du mouvement d'émancipation et qu'on entre dans une période bien plus intéressante que les 30 dernières années même si tout semble encore figé (les petits sabotages individuels ne sont plus de saison, reliquats ridicules d'un temps où rien n'était possible et les masses absentes).
Je reconnais que la différence ne saute pas forcément aux yeux mais je suis tout-à-fait opposé aux "monnaies libres" défendues par Jean-François Noubel et qui me semblent un avatar du libéralisme le plus extrême. Tout au contraire, j'insiste sur la dimension politique de la monnaie et donc sur le caractère municipal des monnaies locales. C'est un peu paradoxal car nous défendons tous les deux les SEL et les monnaies locales mais pour ma part je les trouve insuffisants et voudrais les municipaliser pour passer à la vitesse supérieure et pas du tout encourager la multiplication des monnaies privées (qui existent et continueront à exister, comme les bons d'achat des magasins ou les miles des compagnies aériennes). Dans la libre compétition entre monnaies libres, il n'y a plus de politique ni de conscience collective, tout le contraire de ce que je défends qui est un retour du politique et de la démocratie.
Je ne crois pas pour ma part à la fin de la division du travail, autre point où je m'éloigne de Marx (et même de Gorz). Je pense que l'ère de l'information a changé complètement le sens de la spécialisation, plus proche du spécialiste en médecine que de l'ouvrier spécialisé. En tout cas, moi qui essaye de dépasser la spécialisation dans la pensée, je ne prétends absolument pas être un homme total et ne le désire même pas (je trouve même cela stupide). Faire un peu de jardin m'est déjà pénible alors je ne voudrais certes pas faire l'agriculteur. Il faudrait aller vers une agriculture bio mais il n'est pas question de se passer de la mécanisation, on n'y survivrait pas (même si un retour à l'esclavage des boeufs, des ânes et des chevaux est envisageable dans certains cas). Dès lors, je ne sais quel pourcentage d'agriculteurs il faudra mais sans doute pas beaucoup plus que 5% ? Il faudrait étudier la question de plus près, la difficulté me semblant celle de l'attribution des terres mais il doit être clair qu'il ne s'agit pas de retourner au néolithique ni à l'usine comme les chinois qui nous rattrapent à toute vitesse mais de se libérer du travail forcé au contraire, invention du néolithique justement et de l'agriculture (le labeur, c'est le labour, ce qui n'empêche pas mes voisins d'aimer leur travail au grand air). Bien sûr, derrière tout cela, il y a le sens qu'on donne à "vivre bien", question de la bonne vie qui n'est pas promesse de bonheur ni de santé perpétuelle mais de participation à l'aventure commune, de découvertes, de rencontres, d'apprentissages et d'exploration des possibles.
Il est certain que je suis sur un terrain proche de celui de Miguel Benasayag que je ne connais pas assez sans doute mais assez pour savoir que nous avons de véritables divergences de fond et d'approche (il me semble que les lecteurs devraient voir la différence malgré tout ce qui nous rapproche). Ceci dit, j'ai des divergences de fond avec tout le monde, même avec Gorz et Robin, je n'ai jamais eu qu'une position critique envers tous les penseurs (la bêtise est partout à laquelle je n'échappe pas) et cela n'empêche pas qu'il y a eu un projet (tombé à l'eau?) d'une revue en commun qui aurait été l'occasion de confronter nos points de vue (on voudrait que tout le monde ait raison et qu'on marche d'un même pas, Noubel, Benasayag et moi, mais, si nous sommes tous aussi bien intentionnés, on ne peut avoir raison en même temps quand il s'agit de déterminer la direction à prendre).
Pour Misère de la morale, ce qui est sommaire c'est surtout de l'avoir illustré par des figures plus ou moins inadéquates d'intellectuels, c'est indéfendable (Foucault illustrant la vertu!), mais le texte n'est pas personnalisé, c'est un résumé assez fidèle du paragraphe de la Phénoménologie, en beaucoup plus sommaire bien sûr, l'étonnant, c'est que cela fasse sens...
Votre point de vue sur "Open Money" me fait plaisir et ne m'étonne pas. Mettre une valeur sur tout et y compris sur les relations instinctives ou simplement humaines me rebute aussi. Nous pouvons agir sans être comptable de chacun de nos actes. La force du capitalisme est de toujours, pour le moment, avoir su agrandir la sphère de ce qui est vendable. Cependant, le système "Open Money", sous réserve d'un contrôle et d'un choix judicieux de ce qui est monnayable ou non, devrait pouvoir aider, justement, à la mise ou au perfectionnement de communautés éloignées. Dans communautés éloignées, je regroupe aussi bien la communauté dont les membres sont dispersés que les communautés éloignés les unes des autres. Le local est primordial, c'est vrai. C'est là que tout commence. Cependant l'autarcie n'est ni souhaitable ni possible. La monnaie papier ne peut aider que dans le local. La monnaie virtuelle peut et devrait aider dans le global. Si, comme vous, je pense qu'il faut que le pouvoir politique démocratique soit le garant des monnaies, se contenter du nécessaire niveau municipal est insuffisant.
Le cœur du problème réside une fois de plus dans la passivité ou l'engagement de chacun. J'ai l'impression que ça bouillonne en ce moment. Grâce à Internet ? Il peut paraître aberrant que certaines personnes passent par le Net pour rencontrer leurs voisins. Il n'est pas donné à tout le monde de sortir de l'abrutissant "travail loisirs transport". Même si, loin s'en faut, tout le monde n'a pas envie d'avoir une conscience politique, les individualismes me semblent être en train de s'enrichir et de commencer à porter de bons fruits communs.
Par contre quel est le meilleur moyen de mettre en place un revenu universel ? D'un coup me paraît hasardeux dans ses conséquences. Il devrait être faible au début et augmenter chaque mois à un taux supérieur à celui de l'indice du coût de la vie.
Il en est de même du SMIC. Certains demandent à ce qu'il passe en une fois à 1500€. Je suis pour une véritable augmentation, mais pas d'un coup. Le surplus deviendrait vite dérisoire.
En ce qui concerne la création de monnaie locale fondante, ne serait-elle pas contreproductive d'un point de vue écologique ? L'aspect "fondant" risque de transformer l'argent local en une patate chaude dont chacun voudrait se débarrasser rapidement, ce qui entrainerait un surplus de production, et donc une moindre prise en compte de ses méfaits environnementaux.
Que vous perceviez que tout les décisions 'politiques' actuelles aient pour but le renforcement du système cela ne fait aucun doute! Comme vous le dites vous même cela a trait à la matérialité de son fonctionnement mais au contraire de vous je ne crois pas à son alternative sans effondrement! Je dirais même que ce que vous appellez renforcement du système n'est en fait qu'un leurre et que ce que nous vivons aujourd'hui à tout d'un effondrement majeur et systémique! Que l'alternative est à mettre en oeuvre de toute urgence, que chacun fasse preuve d'initiative, que tout ne viendra pas des gouvernements qu'il soit mondiaux ou pas, sans parler des médias qui sont pour moi les véritables gouvernants ni des partis trop électoralistes.... Ce sur quoi je pense que nous sommes d'accord mais les interstices et la réflexion ne suffiront pas à un projet viable!
Je reviens à vous Jean Zin.
Merci beaucoup de votre reponse.
Plusieurs remarques:
1. C'est une question de fierté de l'imagination, de dignité humaine de la pensée, que de considérer que ce monde-là n'est pas le seul possible, que toute évidence il y a d'autres formes d'organisation humaine que celle de l'organisation capitaliste telle que nous la connaissons chacun pour ce qui lui est dû de vivre.
Donc je vous rejoins sur ce point que penser l'alternative est une excellente chose. Tout à fait indispensable.
Et vos efforts pour y apporter de l'analyse me paraissent hautement louables.
D'autant que action sans analyse n'est pas action libre.
Les efforts de Condorcet, Diderot et des autres pour apporter non seulement des souhaits de changer le système de l'Ancien Rëgime ont vaille que vaille abouti à la Révolution que vous connaissez.
Autrement dit, la Révolution a d'abort été pensé avant d'être mise en acte dans le réel (selon un schéma leibnizien bien connu selon lequel le possible se transforme en réel (après avoir épuisé une quantité non négligeable de possibles qui restent non réalisés, pour ainsi dire des combinaisons de l'univers des possibles, non du réel).
Bref, d'accord, le changement est possible, et certainement très souhaitable.
2. Cela me gêne (en tant que philosophe) que l'on parle de "système" sans propriétés. En effet, on pourrait faire appliquer la critique kantienne de base à toutes ces appellations (remplacez système par métaphysique), ou plus proche de nous, une analyse conceptuelle inspirée de Wittgenstein.
Car lorsque vous employez le mot "système" (vous comme beaucoup d'autres dans la "pensée critique") il me semble que vous commetez ce que les sociologues indiqueraient comme le péché de base, c'est-à-dire non fondé sur une quelconque base de faits empiriques ou de données un tant soit peu rigoureusement réunies.
Donc précaution de base: toujours spécifier de quoi l'on parle quand il s'agit du système capitaliste (de quel "stade" il s'agit? par ex.) etc. Robert Castel, pour revenir à lui, dans son histoire sociale du salariat (Les Métamorphoses de la question sociale), met en évidence l'hétérogénéité des situations et des structures économques et sociales qui ont rendu possibles le salariat, que ce salariat répond à des réalités bien différentes en 1910 qu'en 1950 ou encore en 1980.
Qu'il y a une multiplicité de variables qu'il serait certes téméraire de balayer aritocratiquement de la main, selon l'argument fallacieux que ces variables sont négligeables face aux grandes structures et au "système" (qualifié qui de productivisme capitaliste qui de libéralisme économique etc.).
Enfin, s'il a été possible d'inventer les formes de régulation social-démocrates (pour les qualifier ainsi) qui ont donné lieu à la retraite ouvrière, aux jours chômés, aux perstations sociales de toutes sortes, jusqu'à nos jours (où elles sont remises en cause), pourquoi ne pas imaginer (ce que vous ne faites pas, selon toute apparence) des pressions sociales et politiques fortes qui imposent des variables autres qu'économiques (ou en élargissant la perspective de Keynes, c-a-d qui prennent en compte non seulement le fait que les agents sont limités=critique radicale de la théorie de l'équilibre générale- mais aussi le fait que les ressources naturelles sont limitées- voilà un programme qui répondrait un peu plus à ma sensibilité je l'avoue, et me paraît un peu plus réaliste).
3. Quant à savoir les possibilités actuelles, je serais peut-être de votre avis, c-a-d de la possibilité d'un nouveau consensus neo-keynesien, mais qui ne se fera pas en faveur des dominés sans mouvements sociaux d'ampleur et sans pressions sociales qui fassent renverser le rapport de forces (selon la vieille théorie sociologique issue de Marx selon laquelle ce sont les rapports de force et de pouvoir qui fondent les relations sociales et les conditions de possibilité du changement ou du retour à l'ordre.
Salut Jean,
Je découvre la cyber-philosophie et je trouve cela très agréable !
C'est très bien écrit un grand bravo !
Les monnaies locales ne signifient absolument pas se passer des devises convertibles comme l'Euro et donc encore moins vivre en autarcie, seulement privilégier les circuits court, donner un avantage au local par rapport au marché globalisé et se donner un instrument de développement local. Il y a besoin aussi d'autres monnaies alternatives plus globales, y compris des monnaies virtuelles. Le Sol a l'ambition de dépasser le local et il y a des projets de monnaies mondiales, notamment avec Bernard Lietaer. Je ne peux aborder ces questions ici mais je peux recommander le dossier de Transversales sur les monnaies :
grit-transversales.org/
Une monnaie locale est une monnaie de consommation, le fait qu'elle soit fondante donne une meilleure marge de manoeuvre pour en ajuster la quantité aux ressources locales. Il faut donc une gestion monétaire par le politique mais ce serait effectivement contre-productif de faire des monnaies convertibles des monnaies fondantes, même si c'est ce qu'elles sont avec l'inflation de toutes façons. L'intérêt de la monnaie locale est de jouer sur d'autres ressorts que la monnaie internationale. Ceci dit je ne voudrais pas avoir réponse à tout, la confrontation à la réalité sera plus riche que tout ce que je peux imaginer. Par contre, le revenu garanti n'a de sens qu'à être suffisant, ce qui condamne les stratégies progressives, mieux vaut réduire les populations concernées (comme les intermittents du spectacle) que d'en réduire le montant. Cependant, là aussi, cela ne dépend pas de notre bon désir mais d'un rapport de force, ce qui fait que les 1500 € ne peuvent que venir d'un coup aussi, à l'issue d'une grève qui bloque le pays.
Sinon, il ne faut pas trop compter sur l'absence de passivité d'un sujet qui est passif la plupart du temps même s'il est fondamentalement actif, de même qu'il ne faut pas surestimer le local ni les rapports de voisinage qui sont rarement bons. Pas d'illusions ni de naïvetés, il ne s'agit toujours que de se relever du désastre pas de jouir d'un bonheur sans fin mais il y a des moments plus exaltants que d'autres...
Penser que l'effondrement du système et de notre approvisionnement puisse déboucher sur une alternative me semble une folie et surtout une perte de temps qui passe par le pire et ne gagne rien dans l'affaire, ne produisant qu'un raidissement voire la violence brute. Pour être durable, un nouveau système de production se construit dans les marges du système dominant, comme dans les villes franches de la féodalité car il faut du temps et, s'il faut repartir à zéro, c'est beaucoup plus long et difficile. En fait d'ordinaire on confie plutôt à la catastrophe d'imposer un ordre nouveau alors qu'on n'a pas d'alternative ! Lorsqu'on a une meilleure idée de ce qu'il faudrait faire, on ne peut souhaiter se trouver bloquer par les conflits inutiles. De toutes façons, on ne choisit pas. Il est tout-à-fait possible que le système s'écroule avant d'en sortir renforcé, et dans ce cas il faudra essayer d'en profiter pour généraliser les monnaies locales, mais c'est plutôt l'évidence qu'on a besoin de l'ancien système qui prédominera sans doute et auquel on reviendra au plus vite. J'attire l'attention sur le fait que les crises ont toujours renforcé le système. Il est d'ailleurs peut-être bien tard pour ergoter alors qu'on est en plein dedans et qu'il ne s'agit que de faire feu de tout bois et de s'en tirer au mieux...
Ce simple article ne peut bien sûr être complet et si j'y précise bien que le capitalisme va changer de stade, de régime de régulation, même si on restera dans un système capitaliste, j'admets que les explications que j'en donne ici sont un peu courtes mais ce sont des questions que j'aborde ailleurs (voir par exemple sur le capitalisme cognitif). Ici, je parle de la théorie des systèmes qui vient de l'observation des écosystèmes, des organismes biologiques et des organisations sociales auxquelles on peut joindre les systèmes de production. Les alternatives que je défends n'ont rien à voir avec une relance keynésienne imposée par le système productiviste dont elles permettent de sortir au contraire. Ce sont bien les rapports de force, les luttes de classe qui seront déterminants mais il y a des périodes plus favorables que d'autres et les périodes d'inflation et de croissance sont plus favorables aux mouvements sociaux que les périodes de dépression. La configuration actuelle (crise de croissance, récession à court terme juste après l'entrée dans une croissance mondiale à long terme) est typique de plusieurs révolutions (1789, 1848) mais, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on ne voit rien venir pour l'instant encore !