Voilà ce qu'on prendra pour une provocation absurde, impossible à prendre au sérieux car contraire à tout ce qu'on nous serine partout. Et pourtant, tout le monde connaît la formule éculée rappelant que "l'enfer est pavé de bonnes intentions", mais, au fond, personne n'y croit (en dehors des taoïstes). On se persuade que cela ne nous concerne pas et que notre bonne volonté sincère, garante de notre moralité, ne pourrait tomber dans cette malédiction !
Il faut évidemment nuancer ou plutôt préciser de quel Bien majuscule on parle. Ce n'est certes pas que tout positif serait négatif, dans une confusion totale, ni qu'il serait mal de faire le bien, mais plutôt que la poursuite d'un Bien idéal, aussi désirable qu'inaccessible, ne fait que justifier le plus grand Mal sans apporter d'autre positif que la satisfaction de croire montrer ainsi notre haute moralité et défendre nos valeurs humaines.
Ce qu'il faut mettre en cause, c'est plus généralement une éthique de conviction qui s'épuise dans la négation de l'existant, trop hautaine pour se plier à une éthique de responsabilité réellement réformiste, elle, mais jugée sans ambition. C'est pourtant cette responsabilité qu'il faut opposer au volontarisme politique au nom d'une obligation de résultat dans notre situation écologique désespérée, obligation de tenir compte de rapports de force tels qu'ils sont, souvent si peu favorables, hélas, obligation de se salir les mains mais surtout de construire des stratégies intelligentes ayant des chances d'être gagnantes et de produire leurs effets assez rapidement. L'extrémisme est, ici comme ailleurs, contre-productif, et "le mieux, l'ennemi du bien" (à ne pas comprendre de travers).
On fait l'erreur, à chaque fois, d'attribuer le Mal à une cruauté inhumaine, un manque d'empathie et des instincts primaires, alors qu'en dehors de rares cas pathologiques, c'est tout au contraire un Mal spécifiquement humain et presque toujours motivé par le Bien (l'amour des siens, de sa famille, de sa patrie, de sa culture, de son idéologie), souvent prêt à se sacrifier au nom de la plus haute moralité et d'un rêve d'harmonie (divine). En dehors de l'humanité et de sa rage de vengeance et de justice (la dette de sang des vendettas), cette cruauté n'a pas de sens.
Ce n'est pas dire que le mal n'existe pas en dehors de l'humanité. Au niveau biologique, il y est même premier puisqu'on peut l'identifier à l'entropie destructrice contre laquelle l'activité vitale lutte de toutes ses forces pour retarder la mort. L'activité ici a un résultat positif dans la négation de la négation contre ce qui nous menace, elle est bénéfique et le mal qu'elle peut éventuellement produire résulte simplement du ratage (éliminé après-coup par la sélection). C'est tout autre chose pour Homo sapiens depuis qu'il se raconte des histoires et s'invente des réponses imaginaires à ses maux naturels comme aux mystères du monde.