La dialectique marxiste a donné de la dialectique une vision simpliste très éloignée de celle de Hegel, n'en retenant pas la leçon principale : que toute négation est partielle. En effet, lorsque Paul dit que l'Amour "abolit" la Loi (katargein que Luther traduit par aufheben, terme repris par Hegel), ce n'est pas pour renier le contenu de la Loi mais sa forme, et la porter à un niveau supérieur. De même, dans la dialectique hégélienne, l'aufhebung n'est pas une pure négation mais un dépassement qui conserve et ne supprime pas complètement le passé qu'il surmonte, ce passé ne pouvant être sans raison et juste effacé de nos mémoires alors qu'il doit seulement être corrigé, amélioré, redressé - voie réformiste même à prendre des allures révolutionnaires. C'est ce dont on ne veut rien savoir, semble-t-il, à rêver de victoires totales et définitives, avec l'anéantissement de l'ennemi et la fin de l'histoire - ce à quoi mène de traduire trop souvent aufhebung par "négation", comme le fait Kojève notamment.
La lecture de Kojève est fascinante, donnant l'impression d'une logique implacable qui rend le système hégélien limpide, mais c'est en le trahissant sur des points fondamentaux, notamment en substituant l'Homme à l'Esprit. Il réduit ainsi explicitement sa philosophie à une anthropologie, donnant du coup une place démesurée à l'être-pour-la-mort (hérité de Heidegger) mis en scène dans la dialectique du Maître et de l'Esclave - purement mythique. En effet, même si "c'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve la liberté" (p159), ce n'est pas ainsi qu'on devient maître (ou esclave) et "leur confrontation est la négation abstraite, non la négation de la conscience qui supprime de telle façon qu'elle conserve et retient ce qui est supprimé, et par là même survit au fait de devenir supprimé" (p160). Pour Hegel, l'Esprit n'est pas du tout une négation totale de la nature ou de la vie, l'Esprit est la vérité de la nature et une négation du particulier au profit de l'universel, ce qui est très différent. Ce qui importe le plus, ce n'est pas la négation de la vie par le Maître, s'élevant au-dessus de l'animal, mais bien la soumission de l'esclave, "la discipline du service et de l'obéissance" (p166) permettant la rationalisation et le Droit. Même dans l'interprétation de Kojève, l'essentiel n'est pas le risque de la mort, comme il le prétend, mais le désir de désir qui est son apport le plus important et n'a rien d'une négation totale. La lutte pour la reconnaissance est d'ailleurs plutôt présentée par Hegel comme une impasse initiale (ou le premier temps de la dialectique) et reste relativement anecdotique chez lui, expédiée en 2 pages dans son Encyclopédie où il précise :
La violence [meurtrière], qui, dans ces phénomènes, est un fondement, n'est pas pour autant un fondement du droit, encore qu'il constitue le moment nécessaire et justifié dans le passage qui s'opère de l'état de la conscience noyée dans le désir et dans la singularité à l'état de la conscience-de-soi universelle. C'est le commencement extérieur, ou phénoménal, des États, non point leur principe substantiel. §433