L’échec politique, entre religiosité et déterminismes

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Et c’est parce que ce milieu imaginaire n’offre à l’esprit aucune résistance que celui-ci, ne se sentant contenu par rien, s’abandonne à des ambitions sans bornes et croit possible de construire ou, plutôt, de reconstruire le monde par ses seules forces et au gré de ses désirs.
Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique

 

politiqueLa politique est décidément bien décevante, chose acquise à peu près pour tout le monde aujourd'hui - surtout depuis la crise financière et les révolutions arabes - sauf qu'on s'obstine à mettre encore notre impuissance collective entièrement sur le compte de notre défaitisme et notre passivité, alors que notre activisme pourrait y participer tout autant à se tromper de cible et se croire obligé de répéter comme un mantra, d'échecs en échecs, qu'il faudrait rester utopistes car ce serait sinon accepter les injustices du monde ! On peut dire que c'est le privilège de l'âge, après des années de militantisme, de constater à quel point c'était une impasse et n'a servi à rien ou presque, mais cela ne date pas d'hier. Il ne s'agit pas de s'en accommoder mais d'essayer de comprendre pourquoi au lieu de le dénier bêtement en s'imaginant avoir trouvé cette fois la bonne martingale qui grâce aux réseaux sociaux, à notre excellence ou quelque autre merveille assurera le triomphe de ce qui a toujours échoué jusque là... Le premier obstacle est bien là, en effet, dans cette loi du coeur, simple refus du réel comme de reconnaître l'étendue de notre impuissance que personne pourtant ne peut plus feindre d'ignorer, et préférer croire aux miracles, toujours prêts à suivre les marchands de rêves. A n'en pas douter, se focaliser sur les problèmes concrets (reconversion énergétique, relocalisation, inégalités, précarité) donnerait une bien meilleure chance de les régler mais on préfère rehausser notre image avec des ambitions plus élevées et la dévotion à quelques grands idéaux ou la nostalgie d'une société fusionnelle, perdus dans une religiosité, mêlant l'abstraction et l'affectif, dont c'est la réalité qui fait les frais.

Durkheim explique assez bien cette projection dans la totalité par le fait que "le concept de totalité n'est que la forme abstraite du concept de société" même si, à l'origine, cela s'appliquait à des sociétés beaucoup plus restreintes (à taille humaine). Il y a une nécessité des rites d'unification d'une société pluraliste pour sa cohésion et la réduction des tensions internes, fonction des fêtes et commémorations (des banquets républicains chez les Grecs) mais il est aussi essentiel de ne pas en faire trop et de reconnaître nos divisions innombrables, qui nous opposent et réduisent d'autant le pouvoir du politique à un point d'équilibre entre droite et gauche. Hélas, après le désastre des totalitarismes fascistes et communistes, puis le remplacement des anciennes luttes de libération et des guérillas communistes par les djihadistes, il semble bien qu'il soit plus difficile qu'on ne croit de sortir des schémas religieux et de la quête de l'absolu pour prendre à bras le corps les questions matérielles considérables qui se posent alors que jamais période ne fut aussi révolutionnaire - mais pas au sens quasi théologique qu'on voudrait lui donner !

Dans le sillage du travail poursuivi sur la débandade des avant-gardes, la critique de la critique, la surestimation de nos moyens, les solutions imaginaires, la fin de la politique et l'ineffectivité de la philosophie politique, il m'a semblé utile de revenir d'abord sur ce qui nous trompe, nous empêchant de reconnaître nos déterminismes et résoudre nos problèmes, puis sur ce qui nous contraint matériellement, que cela nous plaise ou non, essayant de dessiner ainsi le cadre peu reluisant de l'action collective, nous laissant peu d'espoirs, et les mécanismes effectifs derrière la façade politicienne de la démocratie compétitive. Il n'y a là paradoxalement rien de nouveau, que du bien connu mais dont on ne veut rien savoir dans les discours politiques au moins. Dire ce qui est ne peut viser à décourager l'action mais tout au contraire lui donner un peu plus d'effectivité peut-être, en abandonnant la pensée magique ? En tout cas, même si c'est probablement en vain, c'est pour cela que je continue ce travail ingrat - car il est vital qu'on arrive à s'en sortir et qu'on ne se laisse pas faire, en dépit de tout ce qui nous en empêche (nous-mêmes en premier).

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Philosophie politique et politique effective

Temps de lecture : 53 minutes

Dans notre situation actuelle, il ne m'a pas paru inutile de confronter les prétentions de la philosophie politique depuis ses origines à la réalité des rapports de force et des processus matériels. La question de la politique remonte en effet aux débuts de la civilisation et de la philosophie. Ce n'est vraiment pas nouveau. Les réponses qu'on y a donné ont été, tout comme de nos jours, soit aussi irréalistes qu'effrayantes (comme la République de Platon) soit un simple rabâchage de jugements de valeur ou de condamnations morales sans aucune portée. On en a beaucoup voulu à Machiavel, pourtant on ne peut plus progressiste, de se préoccuper de l'effectivité du politique et de la politique effective telle que pratiquée à son époque comme du temps des Romains, en contradiction souvent avec les discours de façade. Il y a une profondeur historique qu'on s'imagine pouvoir superbement ignorer comme si rien ne pouvait nous empêcher de faire "tout autre chose" que les anciens peuples. Aussi intolérable cela puisse nous paraître, il y a bien une réalité qui s'impose à nous et qu'on peut juste essayer d'améliorer. Maintenant qu'on ne peut plus croire à l'histoire sainte marxiste, on peut y voir une simple variante d'illusions anciennes (victoires éphémères des prophètes armés) nous ayant ramenés au point de départ.

Dans nos sociétés de zapping permanent, il est difficile de croire qu'il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil, rien que nous puissions radicalement changer et, il est vrai que notre distance avec ces époques reculées est considérable, en particulier depuis l'essor du numérique, mais il ne faut pas croire que cela rendrait caduque l'histoire ancienne (ce qu'on appelait les "humanités") et tout notre passé. On reste frappé au contraire de la similitude avec les déplorations de notre actualité la plus brûlante. Le constat est toujours le même du gouffre entre les prétentions du politique et la réalité du gouvernement. Plutôt que de s'imaginer être les premiers au monde à vouloir le transformer, comme tout juste débarqués, il faudrait quand même finir par prendre la mesure de tout ce qui s'y oppose depuis toujours, en particulier nos limites cognitives qui nous font adopter des solutions simplistes et surévaluer nos capacités. La question n'est pas théorique mais au plus haut point pratique car il est désormais vital de transformer le monde. D'une part pour s'adapter aux nouvelles forces productives et aux réseaux globalisés, d'autre part pour faire face aux dérèglements écologiques que nous provoquons. Il le faut et pourtant on n'y arrive pas. C'est de là qu'il faut partir et se focaliser sur nos moyens, eux aussi tellement limités, pour aboutir à des résultats concrets au lieu de se déchirer sur nos visions du monde et des objectifs lointains inatteignables.

Notre actualité est celle de la confrontation de conceptions fascisantes de la politique (ou de la démocratie comme volontarisme), ne pouvant que mener au pire, en opposition frontale avec la réalité de la politique et d'une démocratie pluraliste qui sont le lieu de la diversité et du compromis. Rien de révolutionnaire à en attendre, c'est la réalité qui est révolutionnaire avec l'accélération technologique et l'emballement du climat, ce qui rend notre impuissance d'autant plus dramatique et inexcusable, impossible de ne pas bouger, on n'a pas le choix. Le problème, c'est que plus la crise nous réduit à l'impuissance et plus on s'accroche à des rêves de révolutions miraculeuses, de communauté retrouvée, délivrés de nos dettes, de l'argent, du travail, véritable royaume de Dieu sur terre - qui n'est pas seulement trompeur mais en rajoute encore à notre impuissance. D'autres s'y sont essayés tant de fois, au nom de Dieu, de l'amour, de l'altruisme, de la solidarité, de la fraternité ou de la Nation (la race, la civilisation, la tradition, etc.). Toujours la même chanson. Il faut prendre au sérieux ces effusions qui remuent les âmes mais elles n'ont aucune prise sur les choses. Ce n'est pas comme cela qu'on s'en tirera mais en trouvant des solutions concrètes à des questions matérielles et en construisant les rapports de force nécessaires. On ne peut laisser se développer précarité et exclusion ni le creusement des inégalités ni la dévastation de nos territoires mais il faut pour cela désidéaliser la politique, la désenchanter pour revenir au réel enfin, il y a urgence !

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Des situationnistes aux djihadistes

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De la difficulté d'être radical

tsimtsoumLe Réel, c’est ce qui s’impose à nous, qu’on n’a pas choisi et qui nous échappe ou nous surprend, ce qui n’est pas conforme à notre vouloir, c’est la transcendance du monde sur lequel on se cogne, indifférent à notre existence. Le réel, c'est notre ennemi sans visage, de quelque nom qu’on le qualifie : que ce soit la finance, le marché, l’injustice, la violence, la domination, l'égoïsme, la bêtise, etc. A chaque fois, cependant, on cherche des coupables (il y en a), désignant quelques boucs émissaires commodes dont il faudrait se débarrasser afin de nous délivrer du mal. Pour cela, il semble bien qu’il suffirait d’un sursaut collectif (démocratique, religieux ou identitaire), sursaut révolutionnaire qui nous sortirait soudain de notre passivité et prétendue soumission volontaire, en laissant place à une merveilleuse société conviviale qui n’aurait plus d’ennemis !

Ces fadaises théologico-politiques sont assez universellement répandues, y compris chez de grands penseurs. Non pas qu'il n'y ait des moments révolutionnaires décisifs mais qui ne résultent pas tant que cela de la volonté des acteurs auxquels la situation échappe continuellement, car le réel est toujours là, quoiqu'on dise. Il y a dans l'idéologie révolutionnaire (à distinguer des révolutions effectives) deux contre-vérités patentes : d'abord l’idée qu’on pourrait se mettre d’accord entre nous, ce que pourtant tout réfute dans nos sociétés pluralistes (qu'on pense aussi bien aux religions qu'aux idéologies, aux controverses sur l'économie ou le climat, les impôts, etc.), ensuite l’idée que l’histoire pourrait s’arrêter, sans plus de pression évolutive, dans une vie vécue d’avance au service des biens et de l’ordre établi. Car, le comique dans l'affaire, c'est que le révolutionnaire qui prend le pouvoir (ou croit le restituer au peuple) ne voit plus du tout de raisons que celui-ci soit contesté désormais, prêt au règne de la pire terreur s'il le faut !

Le problème n'est pas seulement que ces illusions populistes sont fausses mais qu'elles sont dangereuses en particulier parce qu'elles font très logiquement de tous ceux qui ne suivent pas ces illuminés les responsables de l'injustice du monde, devenus de simples ennemis à éliminer, les chantres de l'unité produisant leur propre division. Être persuadé détenir la vérité divise en effet l'humanité en amis et ennemis, comme s'il y avait "eux", les esprits pervers de mauvaise foi qui refuseraient la vérité pour soutenir l'ordre établi, et "nous", les purs, les hommes de bonne volonté, ou les vrais Musulmans, sachant très bien ce qu'il faut faire pour détruire le système et sauver ce monde en perdition.

Ces tendances fascisantes sont à la mode un peu partout, reflets d'une impuissance de plus en plus flagrante qui appelle des politiques autoritaires qui s'y casseront le nez tout autant. Le point qu'il faut souligner ici, c'est que, bien sûr, ne pas adhérer aux délires des complotistes ou de militants "anti-système", plus ou moins violents ou stupides, ne peut absolument pas signifier qu'on ferait partie des partisans du système en place. Et ce n'est certainement pas en renforçant cette dichotomie entre eux et nous qu'on fera reculer la violence. En effet, le plus insupportable face au terrorisme, c’est l’indécence avec laquelle on célèbre une République idéalisée qui feint de découvrir la désespérance de ses banlieues alors qu’elle traite si mal tous ses exclus et qu’elle est accaparée par des élites complètement coupées de la population et des immenses transformations en cours. Non, ce monde dans lequel nous sommes venus à l'existence n’est pas le nôtre, ce n’est pas nous qui l’avons fait et, en dehors des progrès sociaux attaqués de nos jours, il n’y a aucune raison de le glorifier ni de s’en faire les rentiers satisfaits. Ce monde est inacceptable et il faut le dire. Cela ne suffit pas à savoir comment le rendre meilleur, mais c’est un premier pas incontournable.

On ne peut en rester à une condamnation morale, il faut avoir le souci de la traduire dans les faits, même si la mise en pratique n'a rien de l'évidence (j'en sais quelque chose pour la coopérative municipale). Il n'y a pas de raisons de ne pas essayer d'aller au maximum des possibilités du temps, encore moins de se satisfaire du monde tel qu'il est, mais il nous faut tenir les deux bouts d’une révolte nécessaire contre les injustices sociales en même temps que le réalisme obstiné des solutions qu'on y oppose en mesurant, hélas, l’insuffisance de nos moyens - au lieu de se chauffer la cervelle avec des rêves d'absolu qui ne font qu'empirer les choses.

A l'opposé de cette radicalité bien trop prosaïque, il y a, en effet, les révoltés métaphysiques. C'est ce qui va permettre l'étrange rapprochement des situationnistes avec les djihadistes d'aujourd'hui (prenant la place des guérillas communistes d'antan), rapprochement contre-nature et qu'on ne peut pousser trop loin mais qui est plus éclairant, sans aucun doute, que le recours à des diagnostics psychiatriques dignes de la façon dont le régime traitait ses ennemis à l'époque soviétique.

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Comment l’esprit vient à la matière avec le numérique

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La question se pose de l’enseignement du numérique à l’école, entre simple apprentissage de son utilisation ou initiation à la programmation. J’avais émis l’opinion à Antonio Casilli, qui m’avait pris pour un débile, qu’il faudrait enseigner les rudiments du langage machine pour comprendre l’interface entre hardware et software, comment l’esprit venait à la matière, dissiper enfin le mystère de nos appareils numériques en même temps que celui de la pensée.

En effet, rien mieux que le numérique ne rend visible le dualisme de la pensée et de l’étendue, de l’esprit et du corps qui ne sont pas « une seule et même chose » comme le prétend Spinoza, le programme n’est pas l’envers de la machine, leurs existences sont à la fois distinctes et liées (mais pas inséparablement). Les conséquences philosophiques du numérique me semblent complètement négligées tant on rechigne à réduire « Les lois de la pensée » à une algèbre booléenne. Le risque de réductionnisme existe si on n’y introduit pas le langage narratif au moins et le mode de fonctionnement des réseaux de neurones ou du machine learning qui n’ont rien à voir avec un programme linéaire, cela ne doit pas empêcher de savoir par quelles procédures le numérique se matérialise, une pensée s’incarne (comme dans l’écriture) et les instructions s’exécutent (« comment l’esprit meut le corps »).

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La fin programmée de l’humanité

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Trouble dans le genre humain
la-planete-des-singes-les-origines-affiche-cinemaL'humanité a le chic pour se créer de faux problèmes, qui la détournent des vrais, et s'effrayer de sa propre disparition mais non pas pour des raisons écologiques, qu'elle néglige au contraire beaucoup trop, alors que cela pourrait faire de très nombreux morts. Non, ce qui est redouté, c'est la probable fin de notre espèce comme telle, à très long terme et sans faire aucune victime, par la faute de la génétique, des robots ou de l'intelligence artificielle (comme, pour d'autres, ce serait la faute du féminisme, de l'homosexualité ou autre transgression des normes) ! On ferait mieux de s'occuper des êtres humains qui partout sont en souffrance, mais non, on s'inquiète de l'Humanité avec un grand H, comme avant de la race des seigneurs!

Aux dernières nouvelles, il est effectivement certain que les frontières de l'humanité ne sont plus aussi assurées, ce n'est pas une raison pour s'en inquiéter outre mesure mais pour réinterroger nos catégories. C'est sûr que ce serait exaltant de se croire engagés dans un conflit hollywoodien de dimensions cosmiques où nous serions du côté des humains contre les machines, mais il faudrait se demander si on ne donne pas ainsi dans une bêtise trop humaine, en effet, à voir les déclarations récentes de quelques sommités faisant preuve d'une singulière peur de l'intelligence qui nous menacerait, fichtre ! Je croyais le contraire...

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Morale et politique dans la Phénoménologie

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Comme j'ai eu du mal à le retrouver et que je considère que c'est très éclairant, toujours utile à faire connaître et à relire, je republie ce condensé, qui date de 1996, des parties de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel consacrées à la moralité et à la politique, parties bien trop peu étudiées qui suivent la dialectique du Maître et de l'esclave. Je trouve que condenser ce texte touffu en fait mieux apparaître la dialectique des positions subjectives qu'on peut illustrer avec des exemples très actuels - comme je l'ai fait dans la "version longue" - bien que cela ne puisse évidemment en restituer toute la richesse (et la difficulté). Juste un outil pour ne pas rester coincé dans une posture morale ou politique et mesurer toutes les étapes à franchir...

Moralité

Après la confrontation à la nature extérieure (observation), nous en sommes au point où la conscience de soi n’est plus la certitude de la réalité immédiate, sensible, et de son objectivité, mais se rapporte essentiellement à une autre conscience de soi comme vérité sur soi-même, re-connaissance. "Elle est alors l'esprit qui a la certitude d'avoir son unité avec soi-même dans le dédoublement de sa conscience de soi et dans l'indépendance des deux consciences de soi. Cette certitude doit maintenant s'élever à la vérité".

La conscience de l'unité avec les autres prend d'abord la forme du traditionalisme. Mais celui-ci échoue à se justifier devant des traditions étrangères aussi bien qu'il renonce à se réaliser véritablement. Du coup, sous les critiques des intellectuels, l'unité avec les autres se réduit dès lors à l'égoïsme de la jouissance que chacun dispute à chacun. Mais la vérité de la jouissance est sa fin, consommation du désir qui s'épuise dans la répétition. Avec l'exaltation de la chair, "c'est l'esprit qui se nie avec la force infinie de l'esprit" mais ne peut empêcher que revienne à la conscience la présence angoissante de la mort. Par son côté universel, la conscience surmonte cette menace et trouve en soi le principe du dépassement de son plaisir égoïste comme de la mort dans l'universalité. Cette aspiration morale éprouvée immédiatement comme loi du coeur s'oppose au monde sans plus de raisons que de lui imposer une logique subjective (bonne volonté) qui ne rend pas compte d'elle-même. Ce rejet de la réalité extérieure au nom de pures utopies par une conscience individuelle qui se croit supérieure au monde relève d'un délire de présomption qui peut aller jusqu'à la "folie des grandeurs" et la paranoïa. Si la loi du coeur advient à se réaliser un tant soit peu et se cogne sur le réel, elle perd de son assurance, de sa légitimité face à tous ses ratés et le coeur invoque la fureur extérieure du complot, la main du diable sur de pures intentions. La leçon à tirer de ce délire de persécution est le rejet des prétentions de l'individualité à imposer son arbitraire au cours du monde. C'est plutôt contre cette individualité que va désormais s'appliquer son zèle par la discipline de la vertu. Le cours du monde auquel s'oppose la vertu est justement le règne de l'égoïsme universel et de la recherche du plaisir désormais rejetés. Mais la vertu ne se réalise qu'à la mesure des forces de chacun et sa valeur ne réside donc plus dans sa réalisation mais dans son effort et sa foi. Le mérite se mesurant à la peine, le monde qui nous fait souffrir est revalorisé d'autant comme révélateur de la vertu et de la foi. De plus l'effort et la foi concernent l'individualité dont la discipline voulait se défaire, ne pouvant jouir de ses propres réussites et sans pouvoir modérer l'orgueil de l'ascète comme une boursouflure vide. Plutôt que de rester tournée vers sa propre excellence la vertu ne se suffit plus de la foi mais exige les oeuvres. La vertu est jugée à ce qu'elle fait. Les oeuvres pourtant sont fragiles et multiples, éphémères, disparaissantes. Le but est dès lors tout entier dans le chemin mais l'oeuvre ne vaut plus alors que comme occupation et non plus comme accomplissement. La tromperie, l'escroquerie de cette vertu satisfaite se manifeste dans la compétition sociale ce qui finit par imposer la loi morale, dans son universalité inconditionnelle qui pourtant ne peut rendre compte de la singularité concrète et imposer sa loi sans réflexion. Du coup, ce qui importe à nouveau c'est bien encore la réflexion elle-même, la conscience qui examine la loi et se l'approprie, l'interprète, la loi se réduisant à son application par la conscience. Pourtant là encore la limite est vite trouvée dans le jésuitisme des rationalisations égalisant tout contenu. La conclusion qui s'impose est bien celle de l'impuissance de toute théorie générale à rendre compte des choix pratiques particuliers, tombant dans l'arbitraire. La théorie dépend plutôt désormais de la pratique, devenue politique et qui en détermine la perspective.

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Le féminisme d’un point de vue matérialiste

Temps de lecture : 29 minutes

letorchonbruleLe féminisme fournit un exemple emblématique de représentations collectives intériorisées et d'un changement idéologique qui se fonde sur des changements matériels et n'a donc rien d'arbitraire ni ne dépend d'inclinations personnelles et pas autant qu'on le croit de l'activisme féministe. Le féminisme manifeste ce qu'il y a de culturel mais aussi de lié à l'évolution technique, dans la division sexuelle qui n'explique donc pas tout, ce qui ne doit pas aller jusqu'à nier la part du biologique qui saute aux yeux (de façon trompeuse parfois). C'est un réel qui détermine l'idéologie, pas l'inverse. Le féminisme l'illustre à merveille, même à se persuader du contraire et s'imaginer que ce ne serait qu'une question de valeurs individuelles...

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Matérialisme et idéologie

Temps de lecture : 20 minutes

dossier-materialisme-dialectiqueOn peut penser qu'une philosophie matérialiste ne sert pas à grand chose, puisque la philosophie en perd sa primauté et qu'elle ne peut nous promettre aucune consolation ni même de vraiment se libérer des déterminismes sociaux. C'est ce qui fait que dans le domaine politique, domaine où il reste pourtant le plus indispensable, le matérialisme semble être devenu, depuis le déclin du marxisme, absolument intolérable, assimilé à un réalisme cynique. Il est incontestable qu'en faisant du sujet le produit de son temps, les sciences sociales réduisent en effet à la peau de chagrin le rôle des militants et discréditent tout volontarisme face aux forces en présence alors que les foules s'enthousiasment facilement aux discours enflammés de tribuns appelant au soulèvement pour changer d'imaginaire, renverser les savoirs établis, se libérer des anciennes lois et des siècles passés, casser l'histoire en deux pour faire enfin triompher le Bien et la Justice !

N'étant pas nés de la dernière pluie, on ne devrait plus pouvoir croire ces vaines rengaines mais il faut bien constater qu'il est presque impossible de se défaire de la fausse évidence que si "nous" le voulions et si nous nous rassemblions, tout deviendrait possible (Yes we can, si tous les gars du monde voulaient se donner la main, prolétaires de tous pays unissez-vous, paix sur terre aux hommes de bonne volonté, etc). Y renoncer, ce serait consentir à notre servitude et on se perd en conjectures sur les raisons pour lesquelles cela ne marche pas, incompréhensibles, en effet, si c'étaient les hommes qui faisaient l'histoire, ou un esprit qui nous guide et non des processus très matériels, histoire qui n'est pas cette marche triomphante vers la civilisation qu'on imagine à la gloire de notre humanité mais bien plutôt une évolution subie - notamment l'évolution technologique mais tout autant l'évolution culturelle qui l'accompagne.

Nous sommes victimes d'une double erreur de perspective : celle de surestimer notre rôle dans l'histoire et donc la puissance des idéologies par rapport aux causalités matérielles, celle de nous placer à l'origine de nos pensées en déniant leur origine sociale, culturelle, historique qui nous est inaccessible, renvoyée à un jugement moral. Nous ne sommes pas transparents à nous-même, vides de tout présupposés, la part de l'inconscient nous domine plus qu'on ne veut bien l'admettre. Ce qui nous empêche de percevoir l'énorme influence des représentations collectives, c'est que nous les avons intériorisées, notamment en prenant parti. Ce qui montre qu'elles sont cependant plus déterminées que déterminantes au regard des évolutions matérielles, c'est bien qu'elles changent selon les pays et les époques, dans une histoire dont nous sommes le résultat et non pas l'aboutissement, y compris dans notre opposition à l'ordre établi qui épouse elle aussi les discours du moment avec tous leurs codes et illusions (le jihad religieux se substituant aujourd'hui aux révolutionnaires communistes d'antan).

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Un revenu de base nécessaire mais pas suffisant

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revenu de baseCela fait plusieurs années que je n'interviens plus en public mais la situation est on ne peut plus mauvaise. Bien que les prévisions économiques restent toujours hasardeuses, le risque d'une nouvelle crise systémique pire que la précédente est loin d'être écarté (cela fait même un moment qu'elle aurait dû se produire). En dépit de l'indifférence générale et malgré les incertitudes du climat, il est encore plus certain hélas qu'on assiste, en Arctique notamment, à un emballement des dégagements de méthane qui s'annonce ingérable. A plus court terme, sans parler des guerres qui se rallument à nos portes, les perspectives politiques sont dramatiques, avec la montée de l'extrême-droite et du nationalisme. Sur tous ces fronts, il n'est certes plus temps de rêver...

Cela ne doit pas empêcher de porter la revendication d'un revenu de base dont le besoin se fait de plus en plus sentir mais devrait empêcher du moins tout optimisme excessif et de s'égarer sur son caractère supposé miraculeux. Qu'on ne puisse vivre sans revenu est une évidence qui tarde à s'imposer et dont c'est tout le mérite du revenu de base de la mettre au premier plan. Reste qu'il ne suffit pas de revendiquer un droit, fut-il vital, ni d'exiger des montants déraisonnables. On est bien obligé de tenir compte de sa faisabilité et de son acceptabilité. Surtout, un "revenu garanti" dans l'esprit du régime des intermittents (mieux qu'un simple revenu de base) ne peut éviter de s'inscrire dans un projet plus global, tenant compte des évolutions du travail et de la production, tout comme des enjeux écologiques et de la nécessité d'une relocalisation de l'économie.

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La fin de la politique

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Politique_par_Miss_TicPlus la situation est bloquée, et dépourvue de toute perspective, et plus on se croit obligé de proclamer sa radicalité, appeler à l'insurrection et promettre une société idéale refaite à neuf, en rupture totale avec la société précédente et tous les millénaires passés... sans aucune chance, bien sûr, d'aboutir à rien, sinon au pire. Car ces visions exaltées, qui sont récurrentes dans l'histoire et auxquelles je n'ai pas échappé avec ma génération, ne sont pas du tout si innocentes qu'on croit mais répondent bien plutôt à un besoin profond dont les Islamistes nous rappellent le caractère à la fois religieux et criminel, en dépit d'intentions si pures (où, dans leur rêve, il n'y aurait aucune raison de ne pas être de leur côté sauf à être foncièrement mauvais).

Plutôt que s'imaginer devoir renforcer les convictions, gagner l'hégémonie idéologique, changer les esprits, appeler à l'amour universel, il faudrait pourtant en finir au contraire avec ces conceptions messianiques de la politique et d'une communauté fusionnelle pour revenir à la dimension matérialiste et pluraliste d'une politique démocratique qui n'est pas "souveraine" et dominatrice mais bien plutôt faite de compromis et de rapports de force. C'est ce qui est sans aucun doute inacceptable à la plupart dans ce besoin d'absolu devant l'injustice sociale et les désastres écologiques qui s'annoncent. C'est pourtant ce qui constitue la condition pour donner un minimum d'effectivité à nos protestations et avoir une petite chance d'améliorer les choses au lieu d'aller de défaites en défaites (en croyant garder la tête haute et n'avoir pas à s'en alarmer!). Il y a le feu, il n'est plus temps de faire des phrases et se donner des grands airs.

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Heidegger, sauveur du monde

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Apports à la philosophie. De l'avenance (1936-1938)
ou Contributions à la philosophie. De l'événement
apports à la philosophie
Après avoir dénoncé sa compromission avec le nazisme, dans sa philosophie même, j'ai essayé de rendre compte des origines, largement religieuses, de la pensée heideggerienne dont l'existentialisme s'est nourri mais à partir de ce qu'on peut appeler son moment athée. Celui-ci commence avec son cours sur l'Ontologie et prendra toute sa force dans Être et Temps. Il s'agit avec ce livre posthume, qui est en même temps, surtout dans sa première moitié, une critique du nazisme réel (par rapport au sien), d'aborder ce qu'on appelle le "tournant" et qui est plutôt de l'ordre d'une conversion (ou re-conversion!) puisqu'il s'agit bien d'un retour au religieux sous la forme du "Dieu à venir", incroyable personnification de la totalité de l'Être et de l'histoire qui prend la place de l'humanisme existentialiste en refondant l'appel à une transcendance capable de donner toute sa valeur à l'existence.

Le plus paradoxal (il n'est d'ailleurs pas sans en éprouver la contradiction et vouloir en sortir, par exemple p517), c'est qu'on peut considérer que son errance tient malgré tout à la surévaluation de la place qu'il laisse à l'homme dans l'histoire (berger de l'Être). En quoi il se révèle finalement solidaire des errements de son temps (et de son nihilisme), à rebours des critiques qu'il en fait de la façon la plus explicite (dans "la lettre sur l'humanisme" notamment) et de ce qui constitue l'objet même de son "tournant" :

Ce retournement où ce n'est pas l'étant qui est fondé par l'homme, mais où, tout au contraire, c'est être homme qui se voit fondé par l'Etre. (p214)

Malgré un vocabulaire abscons et des pages illisibles (par exemple p322), ce qu'on peut considérer comme un délire pénible et répétitif a du moins l'intérêt de pousser jusqu'au bout les conséquences (religieuses) de positions qu'on retrouve largement dans l'écologie et les discours technophobes, tout comme chez les critiques de l'aliénation ou les discours élitistes qui se croient subversifs, tous ceux enfin qui se voudraient effectivement les sauveurs du monde (et ils sont nombreux). Le plus tragique, en effet, c'est que tous ces utopistes à côté de la plaque sont de nouveau prêts à s'allier avec les pires populistes et réactionnaires au nom de leurs rêves de retour au passé sous couvert d'avenir et d'une nature idéalisée, sinon de croyances ouvertement religieuses, sans voir qu'ils prêtent ainsi main forte à des périls bien plus grands et qui n'ont rien d'imaginaires cette fois !

Il ne peut s'agir pour autant de réduire à rien les apports d'un des si rares grands philosophes sous prétexte qu'il a été un nazi convaincu - avant certes de le regretter amèrement (mais sans véritable repentir, ne s'offusquant pas tant de "la brutalité de la violence" p279, encore moins comme on le verra dans les cahiers noirs de l'antisémitisme qu'il partage ou la régénération de la race allemande, et prônant plutôt une désertion de la politique). Cela prouve à quel point les philosophes peuvent se tromper et comme la recherche de la vérité peut égarer les plus grands esprits et pas seulement les masses incultes comme on voudrait s'en rassurer. Lorsqu'on touche à l'essentiel, le risque de l'erreur en est décuplé, la moindre déviation, une négation de trop, peut porter à de lourdes conséquences. Il ne suffit pas pour autant de se délecter d'une critique facile et moralisante qui s'imagine pouvoir, au nom de ses propres certitudes, rejeter de l'histoire comme nuls et non advenus tous ces errements, simplement les oublier comme s'ils n'avaient jamais eu lieu, faire un trou dans nos mémoires...

Au contraire, il n'est pas possible de se soustraire à l'exigence de faire du faux un moment du vrai, ce qu'on essaiera pour finir dans ce qu'on peut appeler une inversion matérialiste ou scientifique de son idéalisme mystique ouvertement anti-scientifique. La subjectivité de l'être-parlant, qui n'est effectivement plus cause de soi - ce sur quoi on s'accorde - peut être renvoyée au désir de désir et à l'énonciation plus qu'à un Etre mythifié (et sans nous réduire à nos neurones). Ces dimensions sociale et symbolique sont partie intégrante de notre monde, très matériellement, même si elles structurent la part subjective, le fait d'y être concerné dans son être et dans l'urgence, ce qui constitue bien l'expérience de l'existence sur laquelle il nous éclaire, engagée dans les rapports humains et sociaux, les paroles trompeuses, les promesses non tenues et la manie de se raconter des histoires. Qu'on ne puisse nier nos déterminations, et qu'on soit bien obligés d'admettre que nous sommes forcément limités à l'état des savoirs et des représentations de notre temps, n'est pas une raison pour autant d'adopter un point de vue extérieur, de surplomb, indifférent, ni de se dérober à la nécessité de fonder la dignité du sujet et la valeur de l'existence - sans avoir besoin pourtant d'un Dieu qui nous les donne (mais l'Autre, garant de la vérité, qui n'existe pas?).

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Solutions imaginaires

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shadokPrendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe et de l'Euro, etc.

Comme une bonne partie de ma génération, j'ai voulu passionnément changer le monde après Mai68 mais, contrairement à la plupart et lorsque le chômage m'a permis d'y consacrer tout mon temps, je m'y suis attelé très sérieusement. En témoigne la quantité de textes que j'y ai consacré. Je ne peux pas dire, hélas, que cela m'ait rendu très optimiste sur les chances d'y arriver...

En fait, à comprendre la théorie de l'évolution par la théorie de l'information, c'est-à-dire par la détermination du milieu, et devenir de plus en plus matérialiste, j'y ai perdu toute illusion de pouvoir décider de l'avenir face à l'accélération technologique et l'étendue de nos limites cognitives, ce qui ne veut pas dire que notre action ne serait pas décisive dans ces temps de mutation mais en partant plutôt du local et de la nécessité de relocaliser une économie globalisée à l'ère du numérique. Il n'y a rien là cependant qui puisse provoquer l'enthousiasme des foules, ni satisfaire un quelconque besoin métaphysique ni même notre indignation devant les injustices du monde qu'on peut seulement réduire à notre mesure.

Impossible de s'y résoudre, sans doute. Pour Ernst Bloch, il serait impossible de vivre sans utopie, sans rêves, encore plus de transformer la société sans une bonne dose d'idéalisation. Le principe espérance serait indispensable à la vie comme à la politique, carotte devant notre nez pour nous faire avancer ! Le mythe de la boîte de Pandore nous assure pourtant que l'espérance y serait restée enfermée... Le désir qui nous porte paraît indissociable d'un esprit qui regarde le monde et veut le refaire (Bloch nous assure même que "le bâton tordu veut être redressé" !), dénonçant ses injustices et voulant le soumettre à notre jugement, le passer au cordeau, ne pouvant accepter enfin une réalité qui nous blesse et nous choque tant. D'avoir une pensée et de se projeter dans l'avenir nous oblige au moins à dire ce que nous voudrions - sans s'embarrasser hélas de sa faisabilité le plus souvent !

A de nombreuses reprises, en politique, on a bien expérimenté pourtant à quel point il n'était pas sans dangers de nourrir des fantasmes et ne pas tenir compte des rapports de force ou de la situation économique. Cela mène généralement à la confusion de ce qui est juste pensable et pur imaginaire, avec le possible effectif, le réalisable à notre portée. Rien ne sert de chauffer les foules en faisant appel à Jaurès, à Robespierre, si ce n'est à Dieu lui-même, pour nous éviter la confrontation avec les réalités matérielles. C'est, en effet, la première illusion, illusion religieuse d'une conversion universelle des coeurs qui nous ferait entrer soudain dans le royaume de la justice. La Révolution Culturelle chinoise a pu y ressembler, mais avec quel résultat ! Il nous faut revenir à des objectifs plus modestes, malgré qu'on en ait...

Selon certains, il ne faudrait pas tenir compte de l'échec du communisme qui resterait une hypothèse crédible comme s'il n'avait pas rassemblé déjà la majorité de la population mondiale ! Il ne faudrait pas non plus tenir compte des échecs des derniers mouvements sociaux et de la montée de l'extrême-droite, pas plus qu'il ne faudrait tenir compte du reste du monde, de l'écologie, du numérique, etc. C'est tout juste si la faute n'en reviendrait pas à ceux qui osent émettre des critiques là-dessus et ne feraient que désespérer Billancourt, empêchant qu'un grand mouvement progressiste ne balaye tout sur son passage ! On peut laisser ces militants autistes continuer à se taper la tête contre les murs, cela n'avancera à rien qu'à retarder les adaptations nécessaires et le retour des luttes d'émancipation.

L'autre attitude serait, au contraire, de coller aux évolutions, les orienter autant que faire se peut à notre profit, la seule solution serait de s'engager dans la grande transformation de l'ère du numérique et dans des solutions locales au désordre global, seule façon d'être fidèle en acte à ce refus de l'injustice mais c'est une fidélité trop dérisoire pour les utopistes refusant de faire le deuil de l'impossible en passant de l'éthique au politique.

Après avoir critiqué les propositions d'ATTAC ou du PNUD, on va donc essayer de passer en revue, de façon un peu trop sommaire j'en conviens, quelques fausses bonnes idées ne constituant que des solutions imaginaires : prendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe et de l'Euro, etc. Il ne s'agit pas de prétendre que la plupart de ces revendications ne seraient pas souhaitables, même si ce n'est pas toujours le cas, mais qu'elles ne sont pas faisables en l'état et surtout qu'elles nous détournent de solutions plus effectives.

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Permanence et fonctions des hiérarchies

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hierarchie_ca_suffitLa contestation des hiérarchies en tant que telles est stérile et même contre-productive quand ce qu'il faudrait, c'est les alléger et les démocratiser! C'est ce qui fait toute la différence entre d'inutiles utopies et le véritable progrès social. Il s'agit de comprendre les nécessités de l'organisation et la fonction des structures hiérarchiques pour bien distinguer les hiérarchies opérationnelles des systèmes de domination et avoir la capacité d'en réduire l'hétéronomie ainsi que l'infériorisation des acteurs, c'est-à-dire tout simplement remplacer la contrainte par l'information.

Ces idées ne sont pas nouvelles puisqu'elles ont été à l'origine de la formation du GRIT (plutôt "le groupe des dix" à l'époque), portées surtout par Henri Laborit, notamment dans "la nouvelle grille" comme on le verra plus loin. Tout ce mouvement venait de la théorie des systèmes et de l'écologie (des écosystèmes, inspirant notamment le rapport de Rome sur les limites de la croissance. Voir aussi le Macroscope de Joël de Rosnay avec son dernier chapitre sur l'écosocialisme). Ce mouvement devait hélas, comme toute la "cybernétique de deuxième ordre", un peu trop s'engluer ensuite dans une auto-organisation informe qui inspirera une bonne part du néolibéralisme (sous le nom d'ordre spontané). L'auto-organisation a une place certes irremplaçable, qu'il fallait intégrer, mais bien plus réduite qu'on ne l'a imaginée (comme si la sélection naturelle en était restée aux bactéries au lieu d'organismes de plus en plus complexes).

Les choses sont moins immédiates et bien plus subtiles (dialectiques) que les mots d'ordre politiques, devant combiner l'organisation collective et l'autonomie des acteurs - d'autant plus à l'ère du numérique. Il n'y a pas de truc miraculeux pour cela même s'il y a quelques dispositifs utiles, le plus important étant de garder un point de vue critique sur les pouvoirs et de chercher à réduire les dominations sans refouler les rapports de pouvoir ni le fonctionnement effectifs.

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La passion de la liberté

Temps de lecture : 18 minutes

liberteImpossible de s'en raconter, faire comme si nous n'étions pas coincés de toutes parts à nous débattre entre mille contraintes, nous cogner contre une dure réalité qui n'a rien d'idéale (où les autres nous font si souvent souffrir). Pour ne rien arranger, il nous faut bien admettre nos limites cognitives et perdre de notre superbe, tant de fois nous nous sommes trompés ou avons été trompés, pris dans les modes du moment ou victimes de notre propre connerie. Perdus au milieu d'un monde dont nous avons tellement de mal à suivre le rythme, le nez dans le guidon, il n'y a pas à la ramener ! Nous sommes bien le jouet de nos humeurs et de nos désirs, le produit de notre milieu et de notre histoire, d'une nature animale aussi bien que d'une culture symbolique...

Le sujet de la science nous dépouille de toutes nos illusions et ce savoir sur le savoir semble bien réduire la liberté, comme le pensait Spinoza, à la simple ignorance des causes qui nous font agir, tout à l'opposé de nos rêves de toute-puissance et de la fascination de penser le monde, un monde qui serait forgé à notre image ! Depuis toujours la sagesse, sinon la guérison, serait paraît-il de s'en arranger, d'accepter notre état de créature et comme s'absenter du monde dans sa contemplation passive ; mais il n'est pas si sûr qu'on pourrait s'en satisfaire, ni surtout que ce serait souhaitable, à perdre l'essentiel de ce qui fait notre humanité en reniant ainsi notre part de liberté - encore faut-il dire laquelle.

On pourrait d'abord rétorquer à cette sorte de monde psychotique implacable de la science (monde compact et sans interstices d'une causalité mécanique abolissant le temps) que la liberté consiste justement à ne pas savoir, tiraillé entre des exigences contradictoires ou hésitant par manque d'informations. Pour Norbert Elias, ce serait même la multiplication des contraintes comme des choix auquel l'individu se trouve confronté qui renforcerait notre sentiment de liberté ! Ne pas savoir quoi faire est indubitablement la preuve qu'on n'est pas si déterminé qu'on le prétend mais cela ne veut pas dire qu'on ne serait pas très largement déterminé quand même, et, surtout, ne rend absolument pas compte de ce qui est en jeu et nous concerne plus intimement, de cette passion de la liberté qui nous habite et qui n'est en rien contradictoire cette fois avec toutes nos déterminations. Il faut complètement inverser la façon dont on pense liberté et détermination pour en faire, non pas un impossible libre-arbitre ni la voix de l'universel en nous ni une question métaphysique, mais bien une passion subie, la négativité d'une rupture, d'un acte qui tranche, d'une limite franchie.

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Le sujet de la science

Temps de lecture : 25 minutes

science-religionLa plupart des "intellectuels" de notre temps, y compris ceux qui se veulent les plus subversifs, ne sont que des moralistes et des idéologues qui produisent une littérature édifiante sans aucune portée et qui semble destinée plutôt à nous raconter ce qu'on veut entendre - ce qui les met du côté des religions. Cette réaction "humaniste" peut, en effet, être caractérisée comme une religion du sujet exaltant sa liberté contre les sciences et techniques qui en dénoncent au contraire les illusions, notamment politiques. C'est cette opposition du sujet à la science comme du volontarisme au déterminisme qui prend la place des grandes idéologies du siècle dernier, témoignage de la difficulté à intégrer les avancées des sciences et les bouleversements de technologies qui nous transforment au point de mettre en question notre humanité même (la mise en question de notre être devient une question très concrète).

C'est donc parce qu'elle serait menacée par les sciences et techniques qu'on va chercher à donner un contenu positif à une humanité qu'on reconnaît même aux fous et aux pires criminels, qui ne sont effectivement traités ni en animaux, ni en robots. Malheureusement, sans le support de la religion, il n'est pas si facile de démarquer l'un de l'autre par une qualité véritablement universelle, jusque dans les états les plus pathologiques (comateux par exemple). A la place, on ne fait souvent que surévaluer grossièrement la subjectivité, la parole, l'intelligence, la culture.

Sans avoir rien à renier de nos déterminismes ni des sciences, il est possible pourtant de sauvegarder une place éminente au sujet qui l'oppose radicalement aux simples objets mais aussi aux autres animaux (il ne s'agit pas de vitalisme). Ce sujet de la science est cependant dépouillé de tout narcissisme. En son universalité, ce n'est pas une identité ni une essence mais uniquement une "position de sujet", dissymétrie qu'on retrouve dans la position du citoyen par rapport aux pouvoirs, ce qui est sa dimension politique. Toute tentative de définir ce sujet de la science que nous sommes par quelque particularité ne peut qu'échouer en menant à la négation (plus ou moins violente) d'une partie de notre humanité mais aussi à la crainte de la perdre soi-même, alors qu'un sujet, cela résiste à tout comme on le voit notamment avec le sujet de la folie.

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L’accélération technologique

Temps de lecture : 11 minutes

nbicLa critique de la technique fait partie des fondements de l'écologie depuis Ellul mettant en cause le système technicien ou Illich les monopoles radicaux de la mégamachine et plaidant pour des outils conviviaux. Avec Gorz, la critique se fait plus politique d'un nucléaire incompatible avec la démocratie et de techniques hétéronomes opposées à celles qui nous donnent plus d'autonomie (passant d'une critique de la technique à une critique du travail et de la subordination salariale). Après-coup, on ne peut que constater à quel point cette critique de la technique a pu être assez souvent exagérée mais surtout qu'elle a échoué sur toute la ligne, ne parvenant pas à infléchir en quoi que ce soit une évolution technique qu'on subit entièrement et dont nous sommes beaucoup plus spectateurs qu'acteurs.

Le rattrapage actuel de la Chine rappelle l'échec de la Révolution Culturelle à suivre sa propre voie, avec ses propres techniques, d'avoir oublié les principes d'un matérialisme historique si dénigré alors que le progrès technique bouleverse les rapports sociaux comme jamais et s'impose très matériellement au système de production comme, en son temps, la machine à vapeur à l'industrie. En fait, ce qui rend désormais si tangible le caractère impersonnel et inéluctable de l'évolution technique, c'est bien son accélération dont on n'a encore rien vu, étant donné ce qui nous attend dans les prochaines années. Ce déferlement incessant suscite inévitablement une levée des résistances individuelles et ce qui devient simplement une critique des nouvelles techniques soumises à des comités d'éthique absolument sans autre effectivité qu'un très léger retard dans leur adoption. Il n'y a pas à s'en étonner, la résistance à l'évolution fait partie intégrante de l'évolution, de sa robustesse, mais sans autre effet qu'éphémère et très localisé. On peut empêcher localement des infrastructures, interdire des OGM (mais importer du soja modifié), tenter de sortir du nucléaire, réglementer à tour de bras mais pas empêcher partout dans le monde ces techniques d'être employées et perfectionnées, jusqu'à devoir s'y convertir malgré nous.

Il est en effet impossible d'oublier ce qu'on a appris, notre histoire étant celle d'un savoir cumulatif dans les sciences et techniques. L'évolution technique est largement darwinienne, guidée dans l'après-coup par l'information, l'extérieur, le milieu et non par les individus qui l'explorent, prenant ainsi véritablement le relais de l'évolution génétique qu'elle accélère déjà. Au même titre que l'évolution de l'espèce, mais pour des temps nettement plus réduits, l'état des techniques constitue le marqueur d'une époque et de notre être-au-monde, des transformations auxquelles nous sommes confrontés dans notre existence historique concrète et singulière, le vrai passage du temps qu'on ne rattrape jamais. Il vaut mieux le savoir et savoir que ça n'est pas près de s'arrêter, que nous ne pourrons ni sauter du train en marche ni faire barrage de notre corps à la vague qui nous engloutit.

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Qu’est-ce que la subjectivité ?

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subjectiviteOn peut dire que l'année aura été consacrée à une mise en cause radicale de la subjectivité dans ses conceptions religieuses ou mythiques qui n'épargnent pas la philosophie, jusqu'à l'existentialisme au moins, ni bien sûr la politique, en particulier le supposé rationalisme démocratique plutôt démenti par les faits. Tout cela n'empêche pas la subjectivité d'exister et de constituer notre expérience intime de la vie.

Après avoir constaté à quel point elle était plus déterminée que déterminante - que nous ne sommes pas le centre de l'univers autant qu'il nous semble et que son destin ne dépend pas de nous autant qu'on l'imagine -, il faut bien réintroduire une subjectivité définie non seulement par la représentation mais par ce qu'on ressent et ce qu'on peut, par ce qui caractérise notre être-au-monde, c'est-à-dire d'être confronté à des rencontres et des possibilités qu'on n'a pas choisies mais qui constituent bien notre réalité actuelle, réalité constituée essentiellement de rapports sociaux (être-pour-les-autres). Réalité à laquelle le sujet s'oppose par construction, dénonçant son indifférence et ses injustices qu'on ne peut cependant corriger que localement, une par une. Il reste bien ce qui dépend de nous, l'intervention pratique de la subjectivité et du vivant, notre marge de liberté et d'action même si des forces supérieures ont finalement le dernier mot et que notre esprit est brouillé par toutes sortes d'influences néfastes qui l'aveuglent si souvent (il n'y a pas de désir de savoir mais seulement de croyances rassurantes).

Cette réintroduction de la subjectivité dans une histoire soumise à des causalités plus matérielles avait déjà été tentée par Jean-Paul Sartre autour de 1960, en réponse aux attaques de Lukàcs[1], avec "Question de méthode" essayant de concilier "Marxisme et existentialisme", ce qui aboutira à sa "Critique de la raison dialectique". Il n'arrivera pas à en achever le second tome qui tentait vainement de fonder une intelligibilité de l'histoire comme si elle était l'émanation de la subjectivité (et non le règne de l'après-coup). Sous le titre Qu'est-ce que la subjectivité ? vient de paraître justement une conférence italienne de 1962 initialement appelée "Marxisme et subjectivité", ce qu'on pourrait traduire par "matérialisme et subjectivité", voire déterminisme et liberté, illustrant avec des anecdotes son grand oeuvre qu'il venait de publier et préfigurant son travail sur Flaubert, sorte de psychanalyse matérialiste. Plutôt que d'en faire une véritable critique, c'est surtout l'occasion de réexaminer l'incidence politique d'une subjectivité dépouillée de sa transparence à soi.

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La révolution numérique

Temps de lecture : 22 minutes

Comme on m'a demandé, suite au billet précédent, de revenir sur la révolution numérique pour en préciser les enjeux et que je n'ai pas le temps actuellement de refaire un texte sur ce sujet que j'ai traité tant de fois, il ne m'a pas semblé inutile de reprendre ici l'introduction de mon livre de 2004 "Le monde de l'information" qui est sans doute mon livre le plus difficile mais certainement le plus indispensable pour comprendre notre temps. Occasion de rendre hommage à Jacques Robin dont la révolution informationnelle était l'obsession depuis toujours et à qui je dois d'en avoir compris toute la portée une fois clarifié ce concept d'information qui était resté si obscur.

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La théorie de l’évolution comme théorie de l’information

Temps de lecture : 24 minutes

L'interprétation de la théorie de l'évolution comme théorie de l'information et processus cognitif n'est pas nouvelle où c'est l'acquisition (la sélection) et la transmission d'informations génétiques par l'ADN qui produit, dans l'après-coup, une inversion locale de l'entropie par réaction adaptée, correction d'erreurs et reproduction. Le nouveau deep learning ou apprentissage autonome par renforcement, dont les performances en reconnaissance d'image surclassent largement les autres algorithmes, est lui-même basé sur la théorie de l'évolution comme théorie de l'information. Ce n'est pas ce qu'on discutera ici cependant, mais les conséquences sur notre être au monde d'une causalité qui vient de l'extérieur, dans l'après-coup, et d'une évolution dont nous continuons d'être les sujets loin d'en être les auteurs, matérialisme historique rénové qui réduit notre horizon temporel mais où se dissout la figure de l'homme et les prétentions de la subjectivité comme de l'identité.

En bouleversant complètement le monde et nos modes de vie, l'organisation sociale et le travail lui-même, le déferlement du numérique montre très concrètement qu'il y a un point sur lequel Marx avait complètement raison, et ce n'est certes pas sur le prophétisme communiste comme réalisation de la religion mais, tout au contraire, sur la détermination matérielle de l'histoire par la technique et l'impossible conservatisme face à une réalité révolutionnaire, découverte de l'évolution dans les systèmes de production indépendamment de notre bon vouloir. C'est cette appartenance à une évolution qui nous dépasse qui est inacceptable à la plupart, tout comme le déterminisme économique longtemps dénié et pourtant on ne peut plus manifeste.

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La place de la commune dans l’économie post-industrielle

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placeDerrière les soubresauts d'une crise financière qui menace les protections sociales et provoque un chômage de masse dans l'Europe du sud, nous vivons une mutation d'une toute autre ampleur dont on ne semble toujours pas bien prendre la mesure. En effet, ce n'est pas seulement le développement des pays les plus peuplés qui remet en cause notre ancienne base industrielle mais bien plus l'entrée du monde entier dans l'ère du numérique à une rapidité sans précédent, comparable à celle d'une véritable pandémie. S'il est compréhensible de vouloir récupérer des emplois perdus, on ne peut se cacher que la diminution des emplois industriels est plus liée à l'automatisation et la robotisation qu'aux délocalisations, même si celles-ci existent aussi.

Dès lors, il n'y a pas grand chose à espérer d'une relocalisation industrielle même s'il faut toujours encourager la production au plus près de la demande (ce que les imprimantes 3D et autres Fab Labs faciliteront de plus en plus). Toutes les nostalgies n'y feront rien à vouloir revenir aux 30 glorieuses si ce n'est au XIXème, nous n'avons pas le choix sinon d'entrer résolument dans l'ère du numérique qui sape petit à petit et en profondeur l'organisation sociale précédente. C'est notamment le cas du niveau national qui perd pas mal de son importance alors que le local s'en trouve d'autant plus revalorisé. Dès lors, il ne s'agit plus tant d'une relocalisation qui nous ramènerait à un état antérieur ou limiterait simplement la globalisation marchande, il s'agit bien plutôt de recentrer toute l'économie sur le local.

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