La conscience après-coup de nos décisions et jugements

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On avait abordé, dans le mystère de la conscience expliqué, l'hypothèse de Todd E. Feinberg et Jon M. Mallatt, postulant que si notre conscience nous est mystérieuse, c'est parce que nous ne percevons pas notre système de perception et nos neurones (la perception s'oublie derrière le perçu). Il est intéressant de le compléter par les conclusions que tire Peter Carruthers de la réduction de la conscience à "l'espace de travail" du cerveau dans un interview qui est faussement titré "Il n'y a pas de pensée consciente", ce qui est absurde, alors que ce qu'il dit est bien plus précis, c'est que nos actes ne sont pas directement conscients, contrairement aux sensations, et le deviennent seulement après-coup par leur perception ou leur verbalisation.

Il y a bien confirmation du fait qu'on n'est pas conscient non plus du processus de décision ou du jugement, qui ne deviennent conscients qu'après coup, ce qui est assez logique, mais ce qu'ajoute Peter Carruthers, c'est qu'on en devient conscient, après-coup, seulement par les sensations, qu'il n'y aurait même que des sensations (des représentations?) qui peuvent être conscientes, c'est-à-dire présentes dans notre espace de travail mental.

On voit qu'il y a séparation entre théorie et pratique, représentation et action, réflexion et décision. Rappelons qu'en philosophie, si la conscience peut s'identifier à la conscience morale (responsabilité, conscience de soi et de ses actes), elle l'est plus primitivement à l'intentionalité, conscience entièrement absorbée par son objet, qu'elle n'est pas (aussi bien concept que perception) - cependant Husserl parle également de flux de conscience, comme ce qui nous arrive plus que ce qu'on vise, la première forme de conscience correspondant à la focalisation de l'attention et l'autre au circuit par défaut, à l'esprit vagabond (qui est surtout un discours ininterrompu plus que des images ou des sensations). Ici la conscience est plutôt réflexive et résolution de problèmes.

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Karl Jaspers, l’existentialisme de l’échec

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Karl Jaspers (1883-1969) reste assez méconnu en France. Ce qu'on peut considérer comme son premier ouvrage philosophique, "Psychologie des conceptions du monde" (1919), n'est même pas traduit alors qu'il fondait ainsi ce qui sera l'existentialisme à partir d'une typologie caractérielle de la relation au monde des différentes personnalités : attitude enthousiaste ou pragmatique, aspiration à l'élévation spirituelle, etc. Avec ce livre, il passait en fait de la psychologie à la philosophie, à ce qu'il appelait une philosophie de l'existence, toute existence étant "située" par rapport au monde, étant "orientation dans le monde". Le moi n'était plus ainsi une pure intériorité mais renvoyait désormais à la place où il se trouve, au rôle qu'il joue dans la situation, à son environnement extérieur (ce qui fait penser aux thérapies familiales ou systémiques).

On avait certes beaucoup de raisons de ne pas le lire, non seulement il était anti-scientiste, anti-communiste, anti-freudien, anti-darwinien, mais il défendait la foi, accusant l'athéisme de nihilisme. Il n'était pas vraiment chrétien car il considérait Dieu comme irreprésentable, pur concept englobant, et identifiait la transcendance au désir de tout humain à s'élever par la foi à quelque chose qui le dépasse. Il faut dire qu'avant de se lancer dans la philosophie, il avait été le fondateur d'une psychiatrie compréhensive (biographique) inspirée d'une psychologie phénoménologique. Sa "Psychopathologie générale" (1913), devenue un classique et que Sartre a traduite, était certainement un progrès à l'époque même si Lacan l'avait trouvé critiquable, sa propre thèse psychiatrique de 1932 répondant à l'article inaugural de Jaspers sur "L'origine de la paranoïa en rapport avec la personnalité" (1910).

Il faut dire aussi que sa philosophie n'avait pas la flamboyance prophétique de celle de Heidegger qui l'a éclipsé, mais on ne peut comprendre Heidegger pourtant sans Jaspers avec qui il avait constitué au début de sa carrière une "communauté de lutte sûre d'elle-même". Leurs chemins se sépareront assez vite mais il est intéressant de les confronter. Ainsi, ce que Jaspers appelle l'englobant, qui n'est pas objet, est remplacé chez Heidegger par l'Être, qui n'est pas l'étant. Il semble bien que Heidegger dans "Chemins qui ne mènent nulle part" polémique à plusieurs reprises avec Jaspers ("L'époque des conceptions du monde") qui l'avait d'ailleurs fait interdire d'enseignement après-guerre à cause de son nazisme non repenti.

Surtout l'existentialisme chrétien (au moins d'esprit, dans la lignée de Kierkegaard) avait de quoi rebuter la jeunesse en soulignant le côté tragique de l'existence dans un monde hostile, existence pleine d'échecs et de déceptions, proche en cela de Pascal. D'être "située" rendrait toute existence "coupable" de sa partialité, de sa finitude qui fait d’elle une existence individuelle concrète. L'expérience privilégiée pour Jaspers, c'est ce qu'il appelle les situations limites où se révèle l’impossibilité radicale de l'existence qui se cogne au réel, conduite à l'échec et au "naufrage" de toutes ses possibilités. Rien de séduisant, en effet. On est loin d'une liberté triomphante et des expériences existentielles positives alors que chez Heidegger, l'angoisse elle-même est positivée, tout comme l'être-pour-la-mort et l'ennui, supposés révéler nos possibilités les plus propres. Avec l'Être, on nage en pleine positivité jusqu'à la poétisation de la finitude et l'exaltation de l'existant, refoulant le négatif inhérent à toute vie pour le reporter sur la métaphysique ou la technique. C'est très différent chez Jaspers pour qui la liberté de choix qui caractérise l'existence nous mène immanquablement à la faute, révélant nos limites plutôt. C'est d'autant plus sans issue que, si je dois choisir, en réalité je suis déjà choisi, engagé, par la situation - ce qui est indéniable, cependant, aller jusqu'à dire que la liberté se réduirait alors à l'acceptation de sa propre destinée témoigne aussi d'un manque de négativité...

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Du référendum et des conceptions naïves de la démocratie

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La révolte contre l'injustice et le mensonge des écotaxes, imposées de plus par celui qui apparaissait comme le président des riches, a manifesté un déficit de démocratie accaparée par les élites parisiennes. La revendication de justice fiscale s'est muée ainsi en revendication démocratique qui s'est fixée sur le référendum d'initiative citoyenne (RIC), vieille revendication qu'on retrouve de l'extrême-droite à la gauche populiste et qui semble évidente (qui pourrait être contre?) mais qui existe déjà et dépend largement de son cadre, n'étant pas l'instrument rêvé d'une démocratie directe qui serait l'expression du peuple (parmi les thèmes qu'on voudrait soumettre à référendum, on entend souvent le rétablissement de la peine de mort et la suppression du RSA, il n'est pas dit qu'ils obtiendraient la majorité mais il y a beaucoup de haine pour les plus pauvres aussi, plus que pour les riches parfois).

Comme c'est une revendication qui ne coûte rien au pouvoir, elle sera sans doute octroyée, occupant les esprits plus que les rond-points dans les mois qui viennent. On peut soutenir une forme de RIC mais il n'a pas l'importance qu'on lui donne. C'est une mauvaise réponse à l'aspiration légitime à plus de démocratie mais qui témoigne surtout de conceptions très naïves de la démocratie, s'appuyant d'ailleurs en grande partie sur l'idéologie officielle de notre république avec sa si belle proclamation des droits de l'homme et du citoyen.

Ainsi, les insurgés peuvent invoquer le récit national pour réclamer ce pouvoir du peuple promis et toujours confisqué par le parlementarisme, ce qui est en fait l'appel à un pouvoir fort et une dictature de la majorité, dont le référendum est l'instrument privilégié, alors qu'il faudrait défendre des politiques de dialogue, une démocratie des minorités et des municipalités, à l'opposé du mythe d'un peuple uniforme (qui se tourne contre les étrangers avant de se retourner contre l'ennemi intérieur). Le piège, c'est que chacun se croit majoritaire (être le peuple) mais finit par se découvrir minoritaire, la majorité ne pensant décidément pas comme nous ! Ce qui est étonnant, c'est que les intellectuels eux-même donnent foi à ces vieilles illusions unanimistes de la démocratie, toujours divisée pourtant (au moins entre droite et gauche), comme s'ils ne retenaient pas les leçons de l'histoire - la vraie, pas la reconstruite. Le démocratisme ne sort pas de la tête de quelques idéologues plus ou moins illuminés mais se nourrit de toute une littérature donnant l'impression d'une régression de la sociologie, de l'histoire et de la philosophie politique.

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La stabilisation du climat comme objectif économique

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Il faut revenir sur l'assimilation abusive du caractère effectivement dramatique du réchauffement climatique à la "fin du monde" et la fin de l'humanité, ou même à un effondrement général mal défini. Il est clair qu'on sort ainsi des prévisions scientifiques pourtant déjà assez alarmistes, annonçant bien l'effondrement de nombreux écosystèmes mais pas de tous, et une multiplication des catastrophes, voire une "terre étuve" si on ne fait rien, ce qui est incontestablement très grave mais n'a rien à voir avec une fin de l'humanité.

On peut s'interroger sur le besoin d'en rajouter à ce point comme si seule la montée aux extrêmes pouvait nous toucher. Il n'est pas question de minimiser les risques qui peuvent aller jusqu'à l'empoisonnement de l'atmosphère à très long terme alors que des boucles de rétroaction positives sont enclenchées, notamment la fonte du permafrost. On peut difficilement imaginer pire mais ce n'est pas tout-à-fait la même chose malgré tout que l'événement grandiose d'un effondrement final.

Il faut bien dire que lorsqu'on entend les scientifiques égrener avec prudence les conséquences probables du réchauffement, cela ne nous fait ni chaud ni froid en général (que la mer monte de 7m, qu'importe ?), on n'en est pas ébranlé dans notre être, chacun imaginant comment il pourrait s'en tirer, ce qui n'est plus possible si c'est l'humanité elle-même qui est menacée d'extinction. Il y a cependant un gros problème avec cette présentation. En dehors du fait qu'elle paraît bien absurde alors qu'on n'a jamais été aussi nombreux, elle suppose qu'on pourrait se mobiliser contre cette fin du monde catastrophique pour l'éviter alors que la question est plutôt de stabiliser le climat et d'empêcher la multiplication des catastrophes même si nous ne pourrons les empêcher toutes. Ce n'est pas tout ou rien, ce n'est donc pas la fin du monde qu'on aura évité, et ce sera toujours la fin du monde pour tous ceux qui resteront victimes des catastrophes futures, même à contenir le réchauffement (ce qui n'est pas encore le cas).

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Les prix du pétrole vont flamber

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Selon l'International Energy Agency (IEA) les prix du pétrole devraient repartir nettement à la hausse à partir de 2020 au moins. Bien sûr, les prédictions là-dessus ne sont jamais complètement assurées car cela dépend de nombreux facteurs (politiques, économiques, financiers, techniques) mais c'est tout de même plus que probable pour deux raisons principales : le développement de l'Inde et l'arrêt des prospections depuis la chute des prix.

Il est important de souligner cet état de fait alors qu'une relativement faible augmentation des taxes sur les carburants à provoqué un mouvement général de protestation mais il est tout aussi important de faire le bon diagnostic sur les causes de cette raréfaction à distinguer d'une prétendue fin du pétrole. On a déjà montré comme le thème de l'effondrement était trompeur dans sa supposée instantanéité où la clef de voûte retirée, toute la biosphère s'écroulerait alors qu'on a des situations très diversifiées et des temporalités en jeu souvent considérables. En fait cette conception de l'effondrement global se réfère plutôt aux crises économiques systémiques, dont la soudaineté surprend effectivement, mais aussi à une supposée fin du pétrole qui se traduirait en effondrement économique (alors que celui-ci diminuerait la demande d'énergie). La difficulté, c'est qu'on peut s'attendre malgré tout à un nouveau choc pétrolier même si ce n'est pas la fin du pétrole - de la même façon qu'il y a un choc robotique, pas une fin du travail, et qu'il y a bien un choc climatique même si ce n'est pas la fin du monde.

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Les contradictions au sein du peuple

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Ce qui fait événement dans l'histoire est toujours sa relative imprévisibilité, la surprise d'un élément déclencheur souvent dérisoire par rapport à l'étendue de ses conséquences, illustrant comme nous subissons l'histoire plus que nous la faisons, même à participer activement aux troubles. Personne ne sait à l'avance où cela aboutira.

On a bien du mal à déchiffrer le sens de l'événement qu'on découvre au fil du temps, prenant de l'ampleur, faisant ressortir de vieilles rancoeurs accumulées, agrégeant de toutes autres revendications et catégories de population qui recréent du collectif, suscitant l'enthousiasme des foules et l'emballement des propositions de toutes sortes, dans une sorte de bulle spéculative qui décolle des réalités avant l'inévitable krach des illusions créées (comme pour les révolutions arabes ou "de couleur"). A la fin, ce sont toujours les causes matérielles qui sont déterminantes, pas les bonnes intentions.

Il faut comprendre d'abord ce qu'a d'inédit le mouvement des gilets jaunes et qui tient entièrement à l'environnement technologique, puisqu'on peut dire que c'est le produit de la conjonction de Facebook et BFM : le réseau permettant la constitution d'un mouvement inorganisé et contradictoire alors que les chaînes d'information continue donnent une grande visibilité à des mobilisations pourtant assez faibles, leur apportant le soutien d'une grande majorité de la population - c'est cela le plus étonnant, malgré les violences, avec l'alliance des extrêmes.

Que sa forme soit nouvelle et déroutante, spécifique de l'époque, ne disqualifie aucunement cette protestation informelle qui n'est pas du tout sans cause réelle et sérieuse. J'ai rappelé immédiatement mes anciennes dénonciations de la logique des écotaxes, de leur injustice et de leur inutilité sans offrir d'alternatives - ce que les Verts ne voulaient pas entendre mais que la réalité rattrape. Ce qui est immédiatement apparu à ceux qui devaient la payer, c'est le mensonge sur la motivation écologique, voyant bien que cela ne pouvait modifier leur utilisation de la voiture et ne servait qu'à leur prendre dans les poches pour compenser les cadeaux faits aux riches. Il ne faudrait pas nous prendre pour des cons. Ce qui a renforcé la colère, par dessus le marché, c'est de ressentir le mépris de classe du président des riches, s'ajoutant au mensonge et à l'injustice.

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C’est la catastrophe qui nous sauvera…

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Une chose me surprend toujours lorsqu'on parle de la catastrophe écologique, c'est qu'on en parle comme d'une apocalypse totale et instantanée, plus proche en cela d'une guerre nucléaire qui d'ailleurs nous menace de plus en plus sauf qu'elle ne sera pas totale. Pour détruire la planète il faudrait vraiment mettre le paquet. Le pire qui pourrait se produire, ce serait un hiver nucléaire de quelques années. Ce serait catastrophique, faisant beaucoup de morts et favorisant les famines et les épidémies, mais pas la fin du monde (accélérant plutôt son unification sans doute?).

De leur côté, les catastrophes écologiques n'auront pas la soudaineté de l'explosion d'une bombe et ne seront pas simultanées sur toute l'étendue de la planète. Des effondrement écologiques locaux risquent bien de se multiplier mais il est délirant de prolonger les courbes à l'infini et s'affoler de la disparition de l'humanité au moment même où elle n'a jamais été aussi nombreuse. Ce qu'on peut craindre de ces catastrophes, c'est là aussi une mortalité accrue temporairement par famines, épidémies ou guerres qui pourront certes diminuer la population mais très loin d'une extinction.

D'autant qu'à mesure que la population diminuerait, son empreinte écologique diminuerait aussi (tout comme la crise a réduit pendant quelques années les émissions mondiales). Parler de fin du monde n'a aucun sens sinon, certes, la fin de notre monde actuel et de sa précieuse biodiversité qu'on ne réussit pas à préserver. Il ne s'agit pas de minimiser la gravité des effondrements écologiques qui se préparent et leur coût humain probable qu'il faudrait éviter à tout prix, mais cela n'empêche pas qu'à l'opposé de ce qu'on dit, les catastrophes ne s'ajoutent pas dans un emballement qui irait jusqu'à nous rayer de la carte. Non seulement les catastrophes attendues sont la plupart du temps progressives mais elles devraient provoquer des réactions de plus en plus fortes empêchant qu'on aille au pire. L'idée répandue que la totalité des catastrophes annoncées se produiraient toutes et en même temps ne tient pas debout, il faudra les affronter une à une.

Le malheur, c'est qu'en dépit de tous les lanceurs d'alerte et des prévisions scientifiques, il semble bien qu'il soit nécessaire qu'une catastrophe se produise pour que les solidarités en sortent renforcées et qu'on mobilise assez de moyens pour empêcher qu'elle se reproduise.

Notre situation est donc bien catastrophique, elle n'est pas complètement désespérée. Sortir de la naïveté du tout ou rien est indispensable pour mieux repérer les menaces réelles et leurs échéances afin de construire des stratégies à long terme capables de s'en prémunir. Il n'y a aucune raison d'être optimiste pour un court terme inquiétant tenté par les régressions écologiques, les pouvoirs autoritaires et les confrontations militaires mais la globalisation climatique et numérique est encore très récente et nous ne sommes pas sans ressources. Malgré les désastres qui se profilent à l'horizon, il faut se persuader que tout n'est pas perdu et que, si nous ne pouvons les empêcher encore, après les catastrophes les beaux jours reviendront, plus déterminés à préserver l'avenir.

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L’invention des peuples de Herder à Heidegger

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On peut faire remonter la notion de peuple aux tribus originaires se faisant rituellement la guerre pour ne pas trop se mélanger malgré l'échange de femmes, ou bien, dans l'antiquité, aux peuples colonisateurs de l'âge du bronze jusqu'à l'Empire de Cyrus reconnaissant la diversité des peuples et de leurs dieux. Les Hébreux, qui se présentent eux-mêmes comme les conquérants de leur terre promise, prétendent être un peuple élu, bien que formé de tribus disparates dont l'unité ne tient qu'à leur dieu - mais qui marquent leur appartenance dans leur corps par la circonsision. Pour les Grecs, qui ont été eux aussi les envahisseurs barbares de la civilisation mycénienne et qui ont fondé de nombreuses colonies (jusqu'à Marseille), l'ethnos désigne plutôt la diversité des coutumes (dont Hérodote rendra compte) même si Aristote prête aux Grecs des qualités exceptionnelles, supposés courageux et intelligents alors que les européens seraient courageux mais barbares et les asiatiques raffinés mais pleutres!

S'il n'y a donc rien de nouveau dans le sentiment d'appartenance à un peuple, on voit déjà la variabilité historique de ses conceptions. Surtout, aussi bien le règne des empires que des petits royaumes ramèneront le peuple à ne plus désigner que les sujets d'un prince alors même que le catholicisme après le stoïcisme affirmait l'universalité humaine communiant dans le même Dieu. C'est ce qui formera, à partir de l'Empire romain jusqu'au XVIIè, une culture chrétienne européenne (occidentale) plus que nationale.

Le retour des peuples dans l'histoire peut se dater de la Révolution française mais aura été préparé philosophiquement un peu avant, notamment par Herder, qui devait lancer avec Goethe le préromantisme du Sturm und drang, et qui opposait la diversité des langues et des cultures à l'universalisme kantien, fournissant ainsi les bases du principe de l'autodétermination des peuples, revendication très à gauche à l'origine, et même libertaire, avant qu'elle ne dégénère en nationalisme agressif...

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La guerre aux pauvres : amende et taxe

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Je suis un des rares écologistes qui était opposé aux écotaxes, préférant les quotas - que refusaient mes petits camarades, montant sur leurs grands chevaux pour dénoncer cet horrible "marché des droits à polluer" comme si les écotaxes étaient si différentes ! Cette rigidité idéologique a provoqué l'échec d'une gravité extrême de la conférence sur le climat de l'époque (la COP6 à La Haye en 2000). De précieuses années ont été perdues pour rien (et cela m'a fait quitter les Verts).

En tout cas, j'insistais déjà à cette époque sur la distinction entre "pollueurs choisis" et "pollueurs subis", l'essentiel étant d'offrir des alternatives. Juste payer plus cher sans pouvoir rouler moins n'a aucun intérêt écologique et pèse démesurément sur les plus pauvres. Les taxes sur les énergies fossiles devront certes augmenter en même temps que les énergies renouvelables vont se généraliser, devenant de plus en plus concurrentielles. Elles sont beaucoup moins utiles avant si on n'organise pas la transition. Le rattrapage du diesel sur l'essence est tout aussi contestable, le diesel émettant moins de CO2 et la tendance étant plutôt de l'interdire dans les agglomérations à cause de sa pollution aux microparticules - mais là aussi, on cible surtout les pauvres qui ont de vieilles voitures.

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Le mystère de la conscience expliqué

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Selon Todd E. Feinberg et Jon M. Mallatt, si notre conscience nous est mystérieuse, c'est parce que nous ne percevons pas notre système de perception et nos neurones. Notre opacité à nous-mêmes est donc constitutive.

On savait déjà que la perception s'oublie derrière le perçu car ce qui nous intéresse, c'est la chose par rapport à laquelle nous devons réagir et notre mouvement dans l'espace. Comme le disait Sartre, toute conscience est conscience de quelque chose, qui n'est pas elle et dans laquelle elle s'absorbe entièrement. Ainsi lorsqu'on met des lunettes qui inversent la vision avec le haut en bas, au bout de quelque temps on revoit à l'endroit, comme si de rien n'était. Or, le fait que les processus neuronaux disparaissent dans le résultat suffit à nous rendre la conscience mystérieuse, ce qu'ils appellent "l'auto-irréductibilité", barrière épistémologique à notre propre subjectivité (et qui fait d'ailleurs tout l’intérêt des drogues psychédéliques et autres "modificateurs de conscience").

Notre non transparence à soi est donc fondée sur le fonctionnement cérébral mais on peut penser que le deep learning le démontre tout autant, ces intelligences artificielles étant incapables de rendre compte de leurs décisions (ce qui pose problème et qu'on essaie de dépasser sans y arriver encore). Par contre, il ne devrait pas être difficile de doter un robot d'une conscience au sens où ils la définissent par la position dans l'espace et l'apprentissage du bien (plaisir) et du mal (peine) - conscience de soi animale que nous recouvrons cependant d'un récit de soi avec lequel il ne faut pas la confondre.

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Aux écologistes radicaux

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La situation est grave, cela commence à se savoir. Dans ce contexte, on a sans conteste besoin qu'il y ait de plus en plus d'écologistes radicaux si cela veut dire des écologistes ayant pris la mesure des problèmes et décidés à consacrer leurs forces à essayer de les résoudre. Par contre, on n'a pas du tout besoin de querelles de chapelles sur ce qui serait la véritable écologie surtout si c'est le prétexte à mettre des bâtons dans les roues de ceux qui agissent. La plupart des écolos qui traitent les autres d'écotartuffes pourraient bien en être accusés à leur tour et mis devant leurs contradictions. Reconnaître la gravité de la situation, c'est aussi reconnaître qu'il n'est plus temps de faire la fine bouche et carrément débile de s'opposer à la transition énergétique en cours (en prétendant "s’extraire de l’imaginaire transitionniste", on croit rêver !). Il faut redescendre sur terre où il ne suffit pas de vouloir sortir de la croissance, du capitalisme, de l'industrie pour que cela change quoique ce soit à ces puissances effectives qui ont conquis désormais toute la planète. C'est dramatique mais on ne change pas si facilement un système de production lié à l'état de la technique et qui se transforme profondément avec le numérique.

Il est de la plus haute importance de prendre conscience de notre impuissance pour la dépasser au lieu de croire pouvoir réussir là où les générations précédentes ont échoué et halluciner une insurrection de toute la société qui nous sauverait in extremis. On n'a plus de temps à perdre avec ces enfantillages car cela ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire mais que nos moyens sont limités et qu'il faut combiner différentes formes d'action, où les écologistes radicaux restent indispensables, que ce soit pour construire des modes de vie plus écologiques ou défendre des territoires, mais à condition de ne pas se retourner contre les autres acteurs qui sont plus décisifs au niveau mondial - même si on n'appartient pas au même monde ! La première exigence est la prise de conscience de l'urgence, faisant des enjeux écologiques une priorité absolue, mais en second, vient la nécessité de prendre la mesure de l'ampleur du problème et de ce qui résiste à nos bonnes intentions. Il ne suffira ni de sortir tous dans la rue, ni d'une décision gouvernementale, encore moins d'une conversion des esprits.

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De Kant à Fichte

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  De l'incertitude de nos représentations à l'autonomie de la volonté
Le premier texte philosophique que j'ai lu, encore très jeune, était la Critique de la raison pratique de Kant (empruntée à mon grand frère), qui m'avait fait une très forte impression. Les commandements de la Bible pouvaient donc être déduits par simple raison, "Agis uniquement d'après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle", retrouvant d'ailleurs ainsi le rabbin Hillel (-110/+10!) résumant la Loi au principe : "Ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui. C'est là toute la Torah, le reste n'est que commentaire". Les croyants s'imaginent qu'ils n'auraient pas de principes s'ils n'obéissaient pas à leur Dieu, que la morale est basée sur la crainte. Kant prouve le contraire, le devoir étant une conséquence de la raison, de notre pensée (on devrait dire du langage), ce qui ouvre donc bien malgré lui la voie à l'athéisme alors qu'il croyait le combattre en faisant de l'existence de Dieu un postulat de la raison pratique au même titre que le temps et l'espace pour la raison pure. Après avoir rejeté la métaphysique, empêtrée dans ses contradictions, ainsi que le Dieu des philosophes et des théologiens comme chose-en-soi inaccessible, au-delà de ce qu'on peut connaître, il permettait de concevoir que la loi morale en nous pouvait se passer de commandements divins.

L'opposition entre le dogmatisme de la critique de la raison pratique et le scepticisme de la critique de la raison pure a suscité beaucoup de perplexité, comment pouvait-on tirer des impératifs catégoriques inconditionnels de la critique des conditions de possibilités de nos savoirs, de leurs limites ? Généralement, c'est effectivement la critique de la raison pure qui est considérée comme le fondement de la philosophie moderne, la plupart du temps restreinte à sa portée épistémologique et la place donnée au sujet de la connaissance comme synthèse unifiante, les catégories et formes a priori de la pensée organisant les sensations. En fait, comme le montrera Heidegger, il ne s'agit pas seulement de connaissance mais bien de constitution de l'objet, des cadres de la perception. En tout cas, cette philosophie post-newtonienne (avec un temps et un espace absolus mais devenus subjectifs) établissait ainsi une séparation radicale de la pensée et de l'être, de la représentation et de l'être en soi, ce qui allait plutôt nourrir le subjectivisme et le relativisme des cultures ou des époques (depuis Herder jusqu'aux post-modernes et cultural studies) alors que Kant voulait tout au contraire fonder une morale universelle (qui sera celle des Droits de l'homme). Il faudrait en effet comprendre la reprise du scepticisme de Hume par Kant, limitant ce qu'on peut savoir aux conditions de possibilité de nos connaissances, comme l'équivalent du doute cartésien balayant tous les anciens dogmatismes métaphysiques, les fausses certitudes sur le monde extérieur et les choses-en-soi, mais pour atteindre à la certitude absolue de la pensée et de la liberté du sujet affirmée par la morale qui la contraint. Le contraste se veut d'autant plus frappant entre la loi morale éprouvée et les incertitudes de la représentation.

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Revue des sciences octobre 2018

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Pour la Science

La Recherche

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

C'est donc la dernière revue des sciences, commencée début 2006 dans le cadre du GRIT par la théorie holographique de la gravitation, un gros morceau assurément, il n'y a pas eu mieux (l'excitation provoquée par la découverte du boson de Higgs en 2012 étant bien retombée). Le climat était déjà ma préoccupation principale mais les choses ont beaucoup évolué depuis. Alors qu'il y avait des interrogations légitimes, en particulier à cause d'un ralentissement apparent du réchauffement du fait d'un cycle naturel, il n'y a plus maintenant que les fous furieux pour ne plus croire au réchauffement (il en reste), les scientifiques se faisant même de plus en plus catastrophistes, sans parler de la disparition récente des insectes. Le temps est désormais à l'action et une transition énergétique bien engagée déjà (ce qui n'est pas le cas encore pour l'agriculture et la biodiversité) mais il a bien fallu constater la faillite de l'écologie-politique (et la fin des espérances révolutionnaires après la crise et les révolutions arabes). On discutait beaucoup aussi au début de la convergence NBIC, avec des interrogations sur les nanotechnologies et les biotechnologies qui ont été clarifiées depuis. C'est l'explosion de l'intelligence artificielle avec le deep learning qui a été sans doute l'événement principal de la période, montrant qu'il y a des sauts qualitatifs et de longues stagnations, pas seulement des progrès continus réguliers, menant bien plus vite qu'on l'imaginait aux voitures autonomes et même aux taxi-volants (même si on devra attendre encore quelques années). La connaissance et la manipulation du cerveau avancent en même temps que l'IA mais la recherche piétine notamment sur l'Alzheimer et la compréhension du langage qui reste hors de portée. Alors que je croyais encore en 2006 à la critique de la technique (qui n'a pourtant jamais servi à rien), l'accélération technologique avec la généralisation des smartphones (l'iPhone étant apparu en 2007 seulement) a fini par me convaincre que rien ne peut l'arrêter et que nous sommes nous-mêmes plutôt un produit de la technique avant même de modifier nos propres gènes. Raison de plus pour s'inquiéter de ce qui nous arrive mais il semble malgré tout que les "disruptions" annoncées dans tous les domaines se font maintenant répétitives car ces transformations de grande ampleur prennent du temps, comme il faudra du temps pour aller sur Mars, malgré les annonces prématurées d'Elon Musk, personnalité la plus emblématique de cette période de grandes transformations dominée par les GAFA. Actuellement, avec Amazon (et Alibaba) le commerce semble finir par reprendre le dessus mais nous subissons encore les contre-coups, politiques cette fois, de la crise de 2007-2008 comme après celle de 1929, avec des tentatives de retour au protectionnisme, alors que commence à peine la transformation du travail par l'IA et les robots, nourrissant tous les fantasmes. On aura vu tout de même le début de la légalisation du cannabis et le retour en grâce très récent des drogues psychédéliques. Par contre, ce regard en arrière montre aussi qu'à côté de tous ces bouleversements, il y a tout ce qui n'a pas changé, ou bien progresse mais très très lentement (comme la nécessité d'un revenu garanti), le temps de l'histoire n'est décidément pas celui de l'homme et l'inertie planétaire considérable, obligeant à compter, comme pour le climat, en dizaines d'années voire plusieurs générations - pour que tout change du tout au tout, tout en restant à peu près le même pourtant...

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La température n’arrête pas de monter

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Après les avertissements des scientifiques de plus en plus catastrophistes, les dernières "marches pour le climat" qui ont eu lieu un peu partout dans le monde peuvent être jugés bien trop timides mais pourraient en annoncer d'autres. On n'est pas du tout au niveau des mobilisations sociales (ou des manifestations sportives) alors qu'il faudrait une mobilisation de toute la société mais il y a une chose dont on peut être sûr, ce n'est qu'un début, le combat ne fera que prendre de l'ampleur à mesure que la température va continuer à monter et il faut encourager cet élan citoyen hors parti même s'il est pour l'instant de peu de poids. Il faut parier sur la montée en puissance de la conscience écologique et du soutien populaire qui seront absolument déterminants, même si on ne peut pas attendre une conversion de l'humanité entière à l'écologie.

Cette tendance de fond regardant vers le futur est cependant concurrencée, au moins à court terme, par le réveil des nationalisme, souverainisme, protectionnisme (anti-immigrants), tournés vers le passé et qui pourraient conduire à des catastrophes d'un autre ordre. Ces réactions autoritaires peuvent malgré tout s'appuyer d'une certaine façon sur l'écologie (qu'elles contestent souvent) du fait que l'écologie aussi introduit des limites au libéralisme et défend un certain protectionnisme (plutôt local). Il est significatif de voir dans un rapport de l'ONU que l'enjeu écologique oblige à dépasser l'économie néoclassique et le libéralisme économique, jusqu'à prendre en modèle un régime autoritaire comme la Chine ! La différence avec le populisme tient dans la prétention de rétablir une véritable démocratie et souveraineté, contre le mondialisme y compris celui de l'écologie, le leader élu incarnant une volonté populaire libre de toute contrainte alors que l'écologie et les enjeux planétaires, tout comme l'Etat de Droit, limitent réellement ce pouvoir "populaire" fantasmé qui n'aboutit finalement qu'à la xénophobie et au rejet des migrants.

On peut remarquer comme, du coup, l'idéologie démocratique se trouve en porte-à-faux quand elle critique ces régimes populistes, obligée de reconnaître la globalisation des problèmes et la constitution effective d'une gouvernance globale (objectif de l'ONU et de ses organisations) qui réduisent largement le pouvoir démocratique et contredisent le mythe d'une démocratie fondée sur elle-même, d'un pouvoir qui vient du peuple. Cette idéologie démocratique officielle qui reste fixée sur le niveau national et un imaginaire appartenant à l'histoire n'est plus assez crédible pour s'opposer aux démocratures autoritaires. Pour se mettre à jour d'une démocratie consciente de son intégration dans l'écologie planétaire, ce n'est plus cette volonté générale arbitraire qu'on doit revendiquer comme fondement d'une démocratie qui retrouve sa dimension humaine et locale, celle d'une démocratie de face à face et d'une nécessaire relocalisation qui est loin de la dimension nationale mais où la démocratie réelle, quotidienne, est celle du développement humain et de la préservation de son environnement, non de la souveraineté.

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La jouissance de l’idiot

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Alors que le désir avait été jusque-là constamment réprimé par la morale, les sagesses et religions, une certaine pente de la modernité, qui va du freudo-marxisme à Deleuze (si ce n'est aux spinozistes à la mode) prétend faire l'apologie du désir. Lacan, lui aussi nous enjoint à ne pas céder sur notre désir mais c'est en référence à Antigone et très différent, signifiant tout au contraire qu'on ne peut en rester au culte des plaisirs ni au service des biens. Il ne s'agit sûrement pas d'inventer des désirs artificiels - ni de céder aux séductions marchandes ni de cultiver un érotisme raffiné (mais si vain) - plutôt de prendre au sérieux ses désirs profonds et de s'affronter à la déception de leur réalisation (ce n'était que ça) au lieu de les refouler.

J'ai moi-même souligné qu'on tenait à notre désir plus que la vie, rien de pire, en effet, que cet ennui mortel lorsque le manque nous manque. Ce n'est pas mythifier pour autant un désir toujours un peu absurde, trompeur ou tyrannique et poursuivant l'impossible, ni surtout laisser croire qu'on pourrait soi-même susciter son propre manque et désir ! Nous avons besoin pour cela d'être pris dans le rapport aux autres et d'y croire (être dans l'illusio du jeu, comme disait Bourdieu, pour courir après le ballon). Ne plus y croire nous plonge dans un certain désêtre, une humeur dépressive de désoeuvrement et de désorientation qui témoigne certes de notre liberté dans son indétermination mais ne peut trouver en soi-même son dépassement. Contredisant ce rêve d'auto-engendrement d'un self made man, nous avons besoin d'une causalité extérieure nous divertissant de nous-mêmes pour sortir de l'ennui d'une liberté vide. Le désir vient bien de l'Autre. S'il n'y a pas d'essence humaine, de sens universel traçant notre destin d'avance, il y a toujours pour y suppléer un sens pratique immédiat, des exigences sociales, des processus en cours et surtout nos rapports, plus ou moins bons, avec nos proches.

Vouloir cultiver le désir n'a donc aucun sens, sinon comme nouvelle injonction à la jouissance et moralisme inversé, identification au Maître qui ne mène comme toute sagesse qu'à se duper soi-même et frimer devant les autres. Si le désir est manque et désir de l'Autre, désir de désir et désir de reconnaissance, il est inséparable de son milieu humain dont il est le produit, dans sa négativité même - à l'opposé d'un désir purement positif ou machinique qui serait l'expression spontanée d'une supposée créativité individuelle, ce que tout dément ! La levée de l'interdit ne libère pas l'authenticité d'un désir intérieur mais dévoile plutôt sa construction sociale. Le désir mimétique ou jaloux exprime à l'évidence notre existence sociale, faite de passions qu'Aristote décrit dans sa Rhétorique comme effets de la représentation que nous nous faisons de la représentation que les autres se font de nous - passion de corriger cette fausse image comme une injustice et revenir à plus de justesse (à nos yeux). Ce souci narcissique de notre réputation constitue le versant public et actif de l'identification (aux yeux des autres), se manifestant dans nos rivalités aussi bien que dans nos appartenances et nos idéaux, mais dont l'identité est paradoxalement fuyante et change selon les groupes, nos humeurs, ce qui nous arrive. C'est un premier point.

Il y a pourtant une identité qui nous colle à la peau et ne relève plus de la dialectique des désirs ni d'un "projet fondamental" plus ou moins conscient mais se manifeste par des traits de caractère répétitifs, non plus inconstants cette fois mais bien plutôt symptômes indestructibles, relevant de ce qu'on peut appeler une sorte d'habitus, et qui est en tout cas notre seconde nature, part intégrante de notre personnalité aux yeux des autres au moins. L'interprétation hégélienne du désir comme désir de reconnaissance peut sembler en faire un rapport immédiat aux autres comme du Maître à l'esclave, mais cette intersubjectivité en temps réel réduit le sujet à un simple noeud de relations - position dans un groupe, dans une structure synchronique (justifiant thérapies de groupe, familiales, systémiques) tout comme certaines conceptions de la conscience en font un simple appareil photographique intériorisant l'extériorité. Ce présentisme n'a effectivement aucune stabilité, ouvert à tout vent, réponse instantanée, téléphonée, du tac au tac. La référence freudienne y ajoute l'épaisseur d'un passé qui ne passe pas, avec toutes les perturbations que ces fixions névrotiques peuvent apporter à l'intersubjectivité aussi bien qu'aux phénomènes collectifs.

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Revue des sciences septembre 2018

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Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

On ne peut pas dire qu'il manque de nouvelles importantes pour cette avant-dernière revue alors que le catastrophisme climatique monte d'un cran - m'ayant fait revenir sur le risque d’empoisonnement de l'atmosphère par l'hydrogène sulfuré qui à petite dose rajeunit pourtant nos mitochondries ! Alors que la biodiversité s'effondre autour de nous, il est quasi certain qu'on arrivera à prolonger la vie en bonne santé. L'annonce sinon qu'on aurait trouvé des traces d'un univers précédent dans le fond cosmologique serait un événement considérable si c'était confirmé, mais on a toutes les raisons d'en douter. Un des changements les plus surprenants depuis le début de cette revue, c'est la revalorisation à laquelle on assiste des bienfaits des drogues psychédéliques, y compris des micro-doses, justifiant après-coup un mouvement psychédélique qui avait été si décrié. En tout cas, même si on s'y habitue et que c'est même un peu répétitif, on n'en a pas fini avec les disruptions dans tous les domaines (agriculture, nourriture, transport, médecine, construction, industrie, espace, IA, robots, éducation, travail, etc.), et comme jamais il n'y a eu autant de capital disponible facilement (notamment avec le crowdfunding), cela ne va pas s'arrêter de sitôt. Ainsi, des implants cérébraux connectés et des prothèses qui s'intègrent au corps, comme un membre originel, ouvrent la voie au cyborg qui paraissait pourtant si lointain. Enfin, ce qu'il faut retenir de la découverte d'une fillette de 90 000 ans dont la mère est néandertalienne et le père dénisovien, c'est qu'il n'y a sans doute qu'une seule espèce humaine malgré ses diversifications régionales. D'ailleurs, notre préhistoire sans cesse réécrite illustre bien la fragilité de nos savoirs. La science n'est pas la Vérité, et il n'y en a pas d'autre ! C'était l'un des objectifs de cette revue d'entretenir l'esprit scientifique, son humilité si difficile à garder, en s'affrontant aux limites de nos connaissances et au verdict de l'expérience. Mes capacités étant limitées, je n'ai sûrement pas été à hauteur de la tâche mais au moins, j'espère avoir montré l'intérêt d'une véritable synthèse mensuelle des avancées de la recherche (il ne suffit pas de retweeter les dernières nouvelles). Dans le monde de l'information et de l'Intelligence Artificielle, la question de la vérité est, en effet, d'autant plus essentielle alors que les réseaux rendent si facile la manipulation des opinions par la diffusion de fausses nouvelles. C'est ce qui rend aussi la censure incontournable en même temps qu'injustifiable (par des sociétés privées) et change la nature même de la démocratie. C'est bien, en tout cas, la fin des utopies numériques avec le gouvernement par les nombres, la généralisation de la surveillance et même la reconnaissance faciale open source désormais à la portée de n'importe qui...

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La plus grande menace sur la vie a l’odeur d’oeufs pourris

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  Ça sent très mauvais !
Lorsque j'étudiais, en 2006 déjà, les risques climatiques majeurs, il y avait deux de ces risques qui semblaient très sous-estimés, la bombe méthane en premier lieu et à plus long terme les émanations mortelles d'hydrogène sulfuré (ou sulfure d'hydrogène, H2S) mais les études qui ont suivi sur les dégagements de méthane étaient pour la plupart rassurantes, restant ainsi dans un scénario plus graduel de réchauffement.

Ce n'est plus le cas désormais, les changements du régime des vents accélérant de façon inquiétante la fonte du pôle Nord, ce qui fait donc craindre des libérations massives de méthane venant du permafrost comme des hydrates de méthane marins. Le catastrophisme scientifique est monté d'un cran.

Bien sûr tout est une question d'échelle de temps mais, du coup, je m'étonne qu'on ne parle pas plus de ce qui représente le véritable risque d'extinction à plus long terme d'une acidification de l'océan menant à des zones mortes sans assez d'oxygène puis au dégagement de ce gaz toxique, l'hydrogène sulfuré, qui répand une odeur d'oeufs pourris sur toute la terre en exterminant plantes et animaux sur son passage.

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De l’humanisme à l’écologie

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La communauté de destin de l'humanité est devenue planétaire et son souci devient celui de son écologie. Dépassant la diversité des populations, des histoires et traditions locales, l'écologie a donc toutes les chances de devenir l'idéologie de l'avenir unifiant l'humanité toute entière, malgré la déroute des écologistes actuels. Encore faut-il savoir de quelle écologie on parle, devant se positionner par rapport à l'humanisme qu'elle remplace, en le réintégrant dans son milieu, tout comme elle remplace la transcendance divine par la transcendance du monde. Ce sont les enjeux idéologiques de notre temps, succédant à celui de l'émancipation que l'écologie prolonge, et dont nous devons débattre.

L'écologie a suscité toutes sortes d'approches contradictoires, des plus mystiques aux plus pragmatiques, avec notamment l'opposition d'une écologie sociale (humaniste) à une écologie profonde (anti-humaniste), illustrée, entre autres, par le débat entre Murray Bookchin et Dave Foreman. On peut considérer cependant les deux positions insuffisantes car, si l'humanisme doit effectivement être dépassé, il est absolument nécessaire de le conserver, de garder le caractère sacré de la vie humaine et revendiquer de ne pas être ramené à l'animal. Même si l'écologie implique évidemment un décentrement de l'humanité, c'est bien l'humanité qui est la cause de la dégradation de la planète et qui doit la prendre en charge.

En fait, on va voir qu'il est contestable de faire de l'humanité, en tant que telle, la cause d'une évolution éco-techno-scientique qui est subie plus que voulue. Plutôt que de faire l'histoire, comme on le prétend, nous sommes plutôt le jouet de puissances matérielles implacables, économiques aussi bien que militaires. Notre préhistoire, tout comme l'hypothèse de possibles civilisations extraterrestres, permet de comprendre comme les stades de notre développement sont contraints et partout à peu près les mêmes, ne dépendant pas de notre espèce qui est plutôt le produit de cette évolution cognitive toujours en cours. Dès lors, dans cette position d'apprenti, le concept d'humanité perd beaucoup de sa substance, n'étant plus l'élément moteur, pris dans le flot de l'histoire planétaire voire cosmique. De ramener l'humanité sur terre n'empêche pas de lui garder toute sa dignité.

L'anti-spécisme a certes bien raison de souligner notre proximité des animaux, notre dépendance de la vie animale et l'importance de la biodiversité. On peut voir un progrès de la civilisation sur la barbarie d'être devenus plus sensibles au sort des animaux et à leur souffrance. Il n'empêche que brouiller la différence ontologique entre l'homme et l'animal relève du paradoxe, menant à toutes sortes de contradictions alors qu'il s'agit de remettre l'homme dans son monde, à la fois un monde fictif, symbolique, culturel, celui des récits et de la parole, qui nous spécifie, en même temps qu'un monde matériel et biologique extérieur et fragile, constituant nos conditions de vie.

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Revue des sciences août 2018

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Pour la Science

Physique, espace, nanos

Climat, écologie, énergie

Biologie, préhistoire, cerveau

Santé

Techno

Qu'il n'y ait pas d'asymétrie causale entre passé et avenir au niveau quantique (permettant la reconstitution des événements précédents) a de quoi interloquer en laissant croire qu'on pourrait inverser l'entropie mais, si on ne peut pour autant inverser le temps, il ne serait pas impossible, nous dit-on, d'inverser le vieillissement puisqu'il suffirait de régénérer nos mitochondries défaillantes pour que nos rides disparaissent et nos cheveux repoussent ! On a du mal à croire aussi qu'un ver ait pu revivre après 40 000 ans dans les sols gelés de Sibérie. Il est toujours difficile d'évaluer la portée d'une innovation mais des plantes modifiées pour fixer l'azote de l'air sans engrais changeraient profondément l'agriculture. Ce qui change nos représentations, en revanche, c'est la découverte qu'Homo Sapiens est issu du métissage de plusieurs espèces, et non pas du développement linéaire d'une population originelle, renforçant l'hypothèse d'une convergence multirégionale et que l'homme est bien le produit de la technique plus que de ses gènes, lui permettant d'investir les milieux les plus hostiles. Il faut d'ailleurs s'attendre à des enfants génétiquement modifiés. Il est intéressant enfin de voir que l'ADN peut servir d'intelligence artificielle (pour la reconnaissance  des formes), fonction cognitive qu'il assurait dans les cellules bien avant les neurones. On pourra trouver le reste très répétitif : réchauffement, batteries, blockchain, IA, impression 3D, robots, CRISPR, Alzheimer, Mars, et même les taxis volants...

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