Rétrospective 2006-2015

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   La critique de la critique
10/2015Si j'ai voulu revenir sur mon parcours de ces dix dernières années, c'est que sa cohérence m'est apparue après-coup et que j'ai éprouvé le besoin de faire le point sur une évolution qui n'était sans doute pas seulement la mienne dans ma génération. On peut dire, en effet, que notre situation métaphysique et politique a radicalement changé depuis notre jeunesse, poursuivant le mouvement d'une sortie de la religion, qui ne date pas d'hier, par une sortie de la politique (ou du théologico-politique des grandes idéologies) depuis la chute du communisme. Que cette situation soit objectivement la nôtre dans nos démocraties pluralistes à l'heure de la globalisation numérique, ne signifie pas une fin de l'histoire achevée, loin de là, nourrissant au contraire des réactions agressives de retour du religieux ou de la Nation (des guerres de religions et du rejet de l'étranger) avec les appels lancinants d'intellectuels attardés au réenchantement du monde et au retour des utopies les plus naïves.

Ma propre évolution, tirant les conséquences de cette déception du politique qui ne laisse plus que des alternatives locales à la globalisation marchande, peut se lire comme un approfondissement du matérialisme (dualiste) et du domaine de la nécessité sans pour autant viser, comme le stoïcisme à l'acceptation de son sort ni, comme le marxisme à une impossible réconciliation finale. Il ne peut être question de soutenir l'ordre établi ni renoncer à dénoncer ses injustices. Il ne peut être question de se satisfaire du monde tel qu'il est, ce n'est pas l'exigence de le changer qui doit être mise en cause mais, tout au contraire, qu'elle reste lettre morte, exigence qu'elle se traduise dans les faits quitte à en rabattre sur ses ambitions. C'est donc une conversion au réalisme de l'action, essentiellement locale, sans renier pour autant sa radicalité en allant toujours au maximum des possibilités du temps, ni oublier l'inadéquation de l'homme à l'universel et son étrangeté au monde (espèce invasive qui n'a pas de véritable nature et nulle part chez soi).

Dream is over, même s'il y a un nouveau monde à construire. La belle unité de la pensée et de l'être comme de l'individu et du cosmos est rompue, c'est le non-sens premier, l'absurde de nos vies (la misère de l'homme sans Dieu) que l'existentialisme avait déjà affronté mais qui maintenait une primauté du sujet. Cette position est devenue intenable avec les sciences sociales et surtout l'accélération technologique qui manifeste à quel point la causalité est extérieure - ce qu'il faut prendre en compte, y réagir, s'y adapter, ce dont il nous faut devenir responsables mais que nous ne choisissons pas. Malgré tous les efforts pour retrouver une société totalitaire et une identité perdue, la réalité qu'il nous faut affronter, c'est la pluralité et la non identité à soi, c'est celle d'un sujet divisé, et d'un réel étranger qui nous blesse, nous malmène, sur lequel on se cogne. "Il résulte des actions des hommes en général encore autre chose que ce qu'ils projettent et atteignent, que ce qu'ils savent et veulent" (Hegel). Que cela plaise ou non, on peut penser que le miroir de l'information finira par nous forcer à regarder la réalité en face au lieu de nous aveugler de beaux discours.

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La révolution nationale (le retour)

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revolution_nationaleLa confusion est à son comble avec des électeurs de gauche qui se mettent à voter à l'extrême-droite et des intellectuels de gauche qui ne comprennent pas qu'ils s'y trouvent assimilés, eux qui ont pourtant de si bonnes intentions ! S'il est presque impossible d'arrêter ce basculement vers la droite et le nationalisme (qui a des raisons objectives mais auquel l'ancien marxiste Jean-Pierre Chevènement sert de pivot), on peut du moins essayer de comprendre et dénoncer l'irrationalisme des "vestiges théologiques sur lesquels repose la souveraineté de l’État-nation" comme dit Wendy Brown, ce nouveau souverainisme n'étant qu'une forme de sécularisation ("démocratique") d'un pouvoir de droit divin, conception qu'on peut dire religieuse de la politique mais, surtout, symptôme d'une situation bloquée et de notre impuissance réelle devant la dégradation de nos conditions de vie.

L'incroyable résurgence de tendances fascisantes qu'on croyait complètement refoulées s'explique d'abord par une crise économique assez comparable à celle qui leur a donné naissance (bien que dans un contexte très différent) mais aussi par une méconnaissance de la nature du fascisme trop facilement assimilé aux régimes autoritaires, en oubliant qu'il vient de la gauche et prétend parler au nom du peuple qui le soutient de ses votes. A force de le diaboliser, avec quelques raisons, on n'y voyait plus que la violence alors que l'adhésion populaire considérable qu'il a suscité venait d'un besoin de solidarité et d'appartenance pas si éloigné des aspirations communistes (bien que s'y opposant radicalement par le matérialisme, l'internationalisme et le collectivisme). C'est à cause de cette image tronquée du fascisme que nos souverainistes de gauche ne peuvent absolument pas s'y reconnaître, découvrant soudain tout étonnés que cette solidarité nationale était tout ce qu'ils cherchaient à l'extrême-gauche !

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Des situationnistes aux djihadistes

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De la difficulté d'être radical

tsimtsoumLe Réel, c’est ce qui s’impose à nous, qu’on n’a pas choisi et qui nous échappe ou nous surprend, ce qui n’est pas conforme à notre vouloir, c’est la transcendance du monde sur lequel on se cogne, indifférent à notre existence. Le réel, c'est notre ennemi sans visage, de quelque nom qu’on le qualifie : que ce soit la finance, le marché, l’injustice, la violence, la domination, l'égoïsme, la bêtise, etc. A chaque fois, cependant, on cherche des coupables (il y en a), désignant quelques boucs émissaires commodes dont il faudrait se débarrasser afin de nous délivrer du mal. Pour cela, il semble bien qu’il suffirait d’un sursaut collectif (démocratique, religieux ou identitaire), sursaut révolutionnaire qui nous sortirait soudain de notre passivité et prétendue soumission volontaire, en laissant place à une merveilleuse société conviviale qui n’aurait plus d’ennemis !

Ces fadaises théologico-politiques sont assez universellement répandues, y compris chez de grands penseurs. Non pas qu'il n'y ait des moments révolutionnaires décisifs mais qui ne résultent pas tant que cela de la volonté des acteurs auxquels la situation échappe continuellement, car le réel est toujours là, quoiqu'on dise. Il y a dans l'idéologie révolutionnaire (à distinguer des révolutions effectives) deux contre-vérités patentes : d'abord l’idée qu’on pourrait se mettre d’accord entre nous, ce que pourtant tout réfute dans nos sociétés pluralistes (qu'on pense aussi bien aux religions qu'aux idéologies, aux controverses sur l'économie ou le climat, les impôts, etc.), ensuite l’idée que l’histoire pourrait s’arrêter, sans plus de pression évolutive, dans une vie vécue d’avance au service des biens et de l’ordre établi. Car, le comique dans l'affaire, c'est que le révolutionnaire qui prend le pouvoir (ou croit le restituer au peuple) ne voit plus du tout de raisons que celui-ci soit contesté désormais, prêt au règne de la pire terreur s'il le faut !

Le problème n'est pas seulement que ces illusions populistes sont fausses mais qu'elles sont dangereuses en particulier parce qu'elles font très logiquement de tous ceux qui ne suivent pas ces illuminés les responsables de l'injustice du monde, devenus de simples ennemis à éliminer, les chantres de l'unité produisant leur propre division. Être persuadé détenir la vérité divise en effet l'humanité en amis et ennemis, comme s'il y avait "eux", les esprits pervers de mauvaise foi qui refuseraient la vérité pour soutenir l'ordre établi, et "nous", les purs, les hommes de bonne volonté, ou les vrais Musulmans, sachant très bien ce qu'il faut faire pour détruire le système et sauver ce monde en perdition.

Ces tendances fascisantes sont à la mode un peu partout, reflets d'une impuissance de plus en plus flagrante qui appelle des politiques autoritaires qui s'y casseront le nez tout autant. Le point qu'il faut souligner ici, c'est que, bien sûr, ne pas adhérer aux délires des complotistes ou de militants "anti-système", plus ou moins violents ou stupides, ne peut absolument pas signifier qu'on ferait partie des partisans du système en place. Et ce n'est certainement pas en renforçant cette dichotomie entre eux et nous qu'on fera reculer la violence. En effet, le plus insupportable face au terrorisme, c’est l’indécence avec laquelle on célèbre une République idéalisée qui feint de découvrir la désespérance de ses banlieues alors qu’elle traite si mal tous ses exclus et qu’elle est accaparée par des élites complètement coupées de la population et des immenses transformations en cours. Non, ce monde dans lequel nous sommes venus à l'existence n’est pas le nôtre, ce n’est pas nous qui l’avons fait et, en dehors des progrès sociaux attaqués de nos jours, il n’y a aucune raison de le glorifier ni de s’en faire les rentiers satisfaits. Ce monde est inacceptable et il faut le dire. Cela ne suffit pas à savoir comment le rendre meilleur, mais c’est un premier pas incontournable.

On ne peut en rester à une condamnation morale, il faut avoir le souci de la traduire dans les faits, même si la mise en pratique n'a rien de l'évidence (j'en sais quelque chose pour la coopérative municipale). Il n'y a pas de raisons de ne pas essayer d'aller au maximum des possibilités du temps, encore moins de se satisfaire du monde tel qu'il est, mais il nous faut tenir les deux bouts d’une révolte nécessaire contre les injustices sociales en même temps que le réalisme obstiné des solutions qu'on y oppose en mesurant, hélas, l’insuffisance de nos moyens - au lieu de se chauffer la cervelle avec des rêves d'absolu qui ne font qu'empirer les choses.

A l'opposé de cette radicalité bien trop prosaïque, il y a, en effet, les révoltés métaphysiques. C'est ce qui va permettre l'étrange rapprochement des situationnistes avec les djihadistes d'aujourd'hui (prenant la place des guérillas communistes d'antan), rapprochement contre-nature et qu'on ne peut pousser trop loin mais qui est plus éclairant, sans aucun doute, que le recours à des diagnostics psychiatriques dignes de la façon dont le régime traitait ses ennemis à l'époque soviétique.

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La fin de la politique

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Politique_par_Miss_TicPlus la situation est bloquée, et dépourvue de toute perspective, et plus on se croit obligé de proclamer sa radicalité, appeler à l'insurrection et promettre une société idéale refaite à neuf, en rupture totale avec la société précédente et tous les millénaires passés... sans aucune chance, bien sûr, d'aboutir à rien, sinon au pire. Car ces visions exaltées, qui sont récurrentes dans l'histoire et auxquelles je n'ai pas échappé avec ma génération, ne sont pas du tout si innocentes qu'on croit mais répondent bien plutôt à un besoin profond dont les Islamistes nous rappellent le caractère à la fois religieux et criminel, en dépit d'intentions si pures (où, dans leur rêve, il n'y aurait aucune raison de ne pas être de leur côté sauf à être foncièrement mauvais).

Plutôt que s'imaginer devoir renforcer les convictions, gagner l'hégémonie idéologique, changer les esprits, appeler à l'amour universel, il faudrait pourtant en finir au contraire avec ces conceptions messianiques de la politique et d'une communauté fusionnelle pour revenir à la dimension matérialiste et pluraliste d'une politique démocratique qui n'est pas "souveraine" et dominatrice mais bien plutôt faite de compromis et de rapports de force. C'est ce qui est sans aucun doute inacceptable à la plupart dans ce besoin d'absolu devant l'injustice sociale et les désastres écologiques qui s'annoncent. C'est pourtant ce qui constitue la condition pour donner un minimum d'effectivité à nos protestations et avoir une petite chance d'améliorer les choses au lieu d'aller de défaites en défaites (en croyant garder la tête haute et n'avoir pas à s'en alarmer!). Il y a le feu, il n'est plus temps de faire des phrases et se donner des grands airs.

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Solutions imaginaires

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shadokPrendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe et de l'Euro, etc.

Comme une bonne partie de ma génération, j'ai voulu passionnément changer le monde après Mai68 mais, contrairement à la plupart et lorsque le chômage m'a permis d'y consacrer tout mon temps, je m'y suis attelé très sérieusement. En témoigne la quantité de textes que j'y ai consacré. Je ne peux pas dire, hélas, que cela m'ait rendu très optimiste sur les chances d'y arriver...

En fait, à comprendre la théorie de l'évolution par la théorie de l'information, c'est-à-dire par la détermination du milieu, et devenir de plus en plus matérialiste, j'y ai perdu toute illusion de pouvoir décider de l'avenir face à l'accélération technologique et l'étendue de nos limites cognitives, ce qui ne veut pas dire que notre action ne serait pas décisive dans ces temps de mutation mais en partant plutôt du local et de la nécessité de relocaliser une économie globalisée à l'ère du numérique. Il n'y a rien là cependant qui puisse provoquer l'enthousiasme des foules, ni satisfaire un quelconque besoin métaphysique ni même notre indignation devant les injustices du monde qu'on peut seulement réduire à notre mesure.

Impossible de s'y résoudre, sans doute. Pour Ernst Bloch, il serait impossible de vivre sans utopie, sans rêves, encore plus de transformer la société sans une bonne dose d'idéalisation. Le principe espérance serait indispensable à la vie comme à la politique, carotte devant notre nez pour nous faire avancer ! Le mythe de la boîte de Pandore nous assure pourtant que l'espérance y serait restée enfermée... Le désir qui nous porte paraît indissociable d'un esprit qui regarde le monde et veut le refaire (Bloch nous assure même que "le bâton tordu veut être redressé" !), dénonçant ses injustices et voulant le soumettre à notre jugement, le passer au cordeau, ne pouvant accepter enfin une réalité qui nous blesse et nous choque tant. D'avoir une pensée et de se projeter dans l'avenir nous oblige au moins à dire ce que nous voudrions - sans s'embarrasser hélas de sa faisabilité le plus souvent !

A de nombreuses reprises, en politique, on a bien expérimenté pourtant à quel point il n'était pas sans dangers de nourrir des fantasmes et ne pas tenir compte des rapports de force ou de la situation économique. Cela mène généralement à la confusion de ce qui est juste pensable et pur imaginaire, avec le possible effectif, le réalisable à notre portée. Rien ne sert de chauffer les foules en faisant appel à Jaurès, à Robespierre, si ce n'est à Dieu lui-même, pour nous éviter la confrontation avec les réalités matérielles. C'est, en effet, la première illusion, illusion religieuse d'une conversion universelle des coeurs qui nous ferait entrer soudain dans le royaume de la justice. La Révolution Culturelle chinoise a pu y ressembler, mais avec quel résultat ! Il nous faut revenir à des objectifs plus modestes, malgré qu'on en ait...

Selon certains, il ne faudrait pas tenir compte de l'échec du communisme qui resterait une hypothèse crédible comme s'il n'avait pas rassemblé déjà la majorité de la population mondiale ! Il ne faudrait pas non plus tenir compte des échecs des derniers mouvements sociaux et de la montée de l'extrême-droite, pas plus qu'il ne faudrait tenir compte du reste du monde, de l'écologie, du numérique, etc. C'est tout juste si la faute n'en reviendrait pas à ceux qui osent émettre des critiques là-dessus et ne feraient que désespérer Billancourt, empêchant qu'un grand mouvement progressiste ne balaye tout sur son passage ! On peut laisser ces militants autistes continuer à se taper la tête contre les murs, cela n'avancera à rien qu'à retarder les adaptations nécessaires et le retour des luttes d'émancipation.

L'autre attitude serait, au contraire, de coller aux évolutions, les orienter autant que faire se peut à notre profit, la seule solution serait de s'engager dans la grande transformation de l'ère du numérique et dans des solutions locales au désordre global, seule façon d'être fidèle en acte à ce refus de l'injustice mais c'est une fidélité trop dérisoire pour les utopistes refusant de faire le deuil de l'impossible en passant de l'éthique au politique.

Après avoir critiqué les propositions d'ATTAC ou du PNUD, on va donc essayer de passer en revue, de façon un peu trop sommaire j'en conviens, quelques fausses bonnes idées ne constituant que des solutions imaginaires : prendre aux riches, supprimer l'argent ou la propriété, arrêter le progrès ou la croissance, augmenter les salaires, réduire le temps de travail, ne pas rembourser ses dettes, supprimer l'armée, se réapproprier les médias, une démocratie radicale, sortir de l'Europe et de l'Euro, etc. Il ne s'agit pas de prétendre que la plupart de ces revendications ne seraient pas souhaitables, même si ce n'est pas toujours le cas, mais qu'elles ne sont pas faisables en l'état et surtout qu'elles nous détournent de solutions plus effectives.

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Le jeu de la guerre

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Le-Jeu-De-La-GuerreIl ne faudrait pas laisser croire qu'il n'y aurait que le travail dans la vie. S'il vient en premier, c'est qu'il en occupe la plus grande part dans la population, nous fournissant tout simplement les moyens de vivre. Cependant, une fois admis le vide des loisirs et de l'oisiveté, on ne peut prétendre qu'il n'y aurait qu'une seule façon d'y échapper. Il n'y a pas que le travail ou le jeu mais aussi l'amour et la guerre.

Le travail n'a jamais été le seul mode d'existence possible, ce qu'exprimait bien la tripartition (prétendument) indo-européenne entre "ceux qui travaillent" (laboratores), "ceux qui combattent" (bellatores) et "ceux qui prient" (oratores). La disparition de la guerre dans nos contrées, ou du moins cette paix inhabituellement longue dans notre histoire européenne, pouvait faire croire que la combativité se réfugierait désormais entièrement dans la compétition économique. Il était sans doute un peu naïf de s'imaginer qu'une fonction si ancienne et structurante que la guerre se dissolve sans laisser plus de traces. Il semble bien que, pour certains du moins, ce qui en prend la place, c'est une forme de militantisme politique aux accents effectivement militaires et qui va des révolutionnaires de gauche ou de droite jusqu'aux Islamistes.

Le hasard des commémorations du centenaire de la guerre de 1914 fait resurgir notamment les récits d'Ernst Jünger sur "La guerre comme expérience intérieure", témoignant de l'ivresse des combats, qui fait trouver si terne le retour à la vie civile, et pas seulement de ses horreurs - ce qui n'était pas précisément ce qu'on souhaitait rappeler de cette terrible boucherie (pas plus que ce qui relie les nations à la guerre). Or, cela va faire 20 ans, cette année aussi, que Guy Debord, devenu curieusement une icône et même un "trésor national", s'est donné la mort d'un coup de fusil. Il se trouve que ce n'est pas pour rien qu'il avait fait un "jeu de la guerre" et se proclamait stratège, justifiant ainsi une posture qu'on peut dire aristocratique de refus du travail. Significativement, quand on lui demandait ce qu'il faisait dans la vie, il ne disait pas qu'il ne travaillait pas, conformément à son grand principe. Non, mais, bien après que cela ait perdu tout sens, il se prétendait encore révolutionnaire professionnel ! Il avait donc bien une profession, faire la guerre, soldat de la révolution (enfin, il se voulait plutôt général!) comme bien d'autres militants dans l'âme et même s'il en critiquait le dévouement sacrificiel. Cet imaginaire héroïque a certainement participé à son prestige et il fait manifestement aujourd'hui le succès du jihad et d'apprentis terroristes mais imprègne beaucoup d'autres discours radicaux, de plus en plus à droite, hélas !

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Préface pour les temps futurs

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p-guyL'avenir est on ne peut plus incertain et les perspectives bien sombres alors même qu'on aurait les moyens comme jamais de relever les défis écologiques et sociaux auxquels nous devons faire face. Il semble cependant presqu'aussi difficile de faire un diagnostic juste de notre situation (entre négationnisme et catastrophisme) que d'arriver à s'entendre sur ce qu'il faudrait faire pour s'en sortir, le facteur humain sur lequel on voudrait s'appuyer étant, hélas, le maillon faible dans l'histoire.

Notre époque vit incontestablement la plus grande mutation non seulement de l'espèce humaine mais de la biosphère, au moins par sa rapidité. A la fois sur le plan de la technologie, de la population et de l'écologie, nous sommes confrontés à la nécessité d'une réorganisation complète de notre système de production. La plupart imagine ce changement de système comme un choix politique plus ou moins arbitraire de valeurs morales et une conversion des esprits pour leur idéal alors qu'il relève plutôt de la pression des faits. Au lieu d'imaginer d'autres mondes à sa guise, il vaudrait mieux se convaincre qu'il n'y a pas d'alternative et que nous sommes bien obligés de changer pour nous adapter à des changements matériels déjà effectifs. C'est ce monde qui ne peut plus durer et se transforme, mais il n'est que trop évident que la transition risque d'être très douloureuse pour les plus faibles et qu'il ne suffit pas de prendre le pouvoir pour savoir quoi faire.

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La révolution numérique

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Comme on m'a demandé, suite au billet précédent, de revenir sur la révolution numérique pour en préciser les enjeux et que je n'ai pas le temps actuellement de refaire un texte sur ce sujet que j'ai traité tant de fois, il ne m'a pas semblé inutile de reprendre ici l'introduction de mon livre de 2004 "Le monde de l'information" qui est sans doute mon livre le plus difficile mais certainement le plus indispensable pour comprendre notre temps. Occasion de rendre hommage à Jacques Robin dont la révolution informationnelle était l'obsession depuis toujours et à qui je dois d'en avoir compris toute la portée une fois clarifié ce concept d'information qui était resté si obscur.

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Du matérialisme historique au volontarisme fasciste

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A partir de Gentile et de l'interprétation du matérialisme historique comme praxis

Le principal défaut de tout matérialisme jusqu'ici est que l'objet extérieur, la réalité, le sensible ne sont saisis que sous la forme d'Objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine sensible, en tant que pratique, de façon subjective.
[...]
Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières mais ce qui importe, c'est de le transformer. (Thèses sur Feuerbach, Karl Marx)

Gentile, La Philosophie De MarxSi Heidegger a été nazi au nom d'une philosophie de l'existence, il avait été précédé par l'actualisme de Giovanni Gentile, philosophe officiel du fascisme. Il est primordial de comprendre de quelle façon le fascisme provient du marxisme, à partir d'une interprétation idéaliste à la fois de l'injonction de transformer le monde et de la praxis, d'un sujet actif opposé à un objet passif (bien avant Lukács). L'autonomie donnée à l'idéologie et aux conceptions du monde par rapport à l'infrastructure en fait un choix arbitraire de valeurs, dans un historicisme assumé, un peu comme celui de Heidegger à ses débuts (malgré de grandes différences) donnant l'illusion de pouvoir changer l'histoire elle-même. On peut y voir l'origine de la réduction du politique à la morale (l'éthico-politique de Gramsci - le plus influencé par Gentile - véritable religion laïque remplacée aujourd'hui logiquement par l'islamisme) menant tout droit aux tendances rouges-bruns qui contamineront les marxismes eux-mêmes. Ce processus de fascisation se caractérise par l'abandon du matérialisme au profit du volontarisme et d'un constructivisme dépourvu de dialectique (qu'on peut dire kantien) où la transformation du monde ne tient plus qu'à la lutte idéologique, à l'espoir que "l'idée devienne force matérielle en s'emparant des masses" (ce qui sera la force du mythe pour un Georges Sorel au parcours effectivement sinueux entre gauche et droite, syndicalisme révolutionnaire et royalistes ou fascistes).

Cette traduction bilingue de "La Filosofia di Marx" de Gentile (1899), préfacée par André Tosel, ne sera pas seulement l'occasion de dénoncer les fausses interprétations du rôle des hommes dans l'histoire, conceptions qui sont à l'origine de l'égarement de la gauche comme de la droite dans le siècle des idéologies, mais aussi de préciser le sens que peut avoir pour nous un matérialisme historique et dialectique, matérialisme pratique impliquant certes l'action de l'homme mais qui est plus déterminée que déterminante (en dernière instance).

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L’illusion démocratique

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Les révolutions arabes sont confrontées à la perte des illusions sur la démocratie et plus généralement aux limitations du politique. Il faut dire que les illusions ne manquent pas, ici comme là-bas, sur une démocratie qu'on s'imagine toute puissante et pouvant décider de la société dans laquelle on veut vivre, ce qui veut dire forcément imposer son mode de vie aux autres. C'est assez clair avec les tentatives d'islamisation des pays arabes comme de la Turquie (sans parler de l'Iran), mais ce n'est guère différent de nos démocrates révolutionnaires, de droite comme de gauche, qui s'imaginent remodeler la société française s'ils arrivaient à gagner une majorité aux élections. Cette conception d'une démocratie majoritaire est celle des totalitarismes et doit être abandonnée pour une démocratie des minorités qui n'est pas l'incarnation dans le vote d'une supposée volonté générale mais l'instrument de la démocratisation de la société. C'est ce qu'on pourrait sans doute appeler une démocratie libérale sauf que pour mériter son nom de démocratie, elle ne peut oublier sa dimension sociale.

A quoi sert de faire la révolution alors se diront tous ceux qui veulent tout changer sinon rien ? A changer le personnel dirigeant, au moins, ce qui est souvent plus que nécessaire comme on le voit mais ne va pas beaucoup plus loin effectivement car les réalités ne changent pas qui s'imposent aux beaux discours et il ne suffit pas de faire étalage de sa bonne volonté ou de sa bonne foi pour savoir gérer un pays. Quand ça ne marche pas, le pouvoir est renversé fût-il démocratiquement élu. Il faut s'en persuader malgré la mythologie révolutionnaire, la démocratie n'est que le pire des régimes à l'exception de tous les autres, juste une façon de pacifier les conflits. Non seulement ce ne sont pas les meilleurs qui sont élus (ce sont les plus ambitieux, les plus habiles, les plus démagogues), mais on ne peut décider de tout, et même de pas grand chose en fait (moins qu'avant en tout cas). Pour le comprendre, il faudrait comprendre que le fonctionnement d'un système dépend assez peu de nous et qu'il y a des phénomènes sociaux qui nous dépassent comme il y a une évolution du monde irréversible (notamment technologique). Il n'est pas possible d'imposer la charia dans les pays musulmans, pas plus qu'on ne pourrait décider ici d'un monde sans musulmans. Il n'est pas vrai qu'on puisse mettre tous les étrangers dehors, ni fermer nos frontières, ni changer toute l'économie. Tout cela est pur fantasme et verbiage prétentieux. Ce n'est pas que certains autocrates ne tentent de forcer le destin, mais cela ne peut qu'empirer les choses. Ce qui est curieux, c'est comme ces prétentions de dicter sa loi ne posent pas question, malgré l'expérience séculaire de la démocratie, pas plus que l'idée que le monde devrait être conforme à nos souhaits, ce qu'il n'a jamais été, comme s'il n'avait pas d'existence propre et ne dépendait que de nous par devoir moral dirait-on. On fait comme si sa dérive était toute récente par rapport à un état antérieur idéalisé, témoignant simplement ainsi d'avoir un peu trop cru à la propagande officielle quand on était petit.

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La Turquie peut-elle ébranler l’Europe ?

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turquieLoin d'être finie, la crise ne fait que s'aggraver et préparer un krach pire que les précédents. Le temps des révolutions ne fait lui-même que commencer sans doute dans cette période de grands bouleversements. Ce n'est qu'un début ! Il est impossible de savoir à l'heure actuelle quel sera le destin d'un mouvement encore informel mais si les manifestations en Turquie sont très émouvantes, c'est dans un tout autre sens que les révolutions arabes car "ceci n'est pas une révolution". C'est plutôt un souffle de liberté qui a été comparé spontanément à Mai68 plus qu'à un renversement de dictature. Il n'est pas insignifiant, en effet, que se revendique ouvertement pour la première fois une sorte de droit à l'alcool, ceci après le Mali où les djihadistes avaient fait de l'interdiction du tabac et de l'alcool un marqueur de leur pouvoir régressif.

On peut dire que cette revendication d'occidentalisation rapproche la jeunesse turque de l'Europe. Bien qu'il y ait un nationalisme assez fort, il semble bien, en effet, que ce soit aussi un mouvement pour l'Europe, dont ils se sentent exclus, et non pas contre, alors que ceux qui sont dedans en font l'origine de tous les maux...

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Changement climatique et révolutions arabes

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- Changement climatique et révolutions arabes

Il est intéressant de lier la sécheresse faisant monter le prix du pain et les révolutions arabes, un peu comme en 1789, mais la situation devrait empirer avec le réchauffement.

Dans une région aride, où les terres cultivables sont rares, la question de l’approvisionnement alimentaire est politiquement sensible. Déjà en janvier 1977, les émeutes du pain en Egypte avaient marqué les esprits et fait vaciller le régime (79 morts, plus de 500 blessés et de 1000 arrestations). Or, en 2010 et 2011, un enchaînement catastrophe se produit : des phénomènes climatiques extrêmes (vagues de chaleur, vagues de froid, fortes intempéries) font chuter dramatiquement le niveau des récoltes de blé en Russie (-32.7%), en Ukraine (-19.3%), au Canada (-13.7%), en Australie (-8.7%). Au même moment, la Chine connaît une sécheresse hivernale exceptionnelle (« a once-in-a-century winter drought ») : le souvenir des famines tragiques (la dernière en 1958-1961) et la crainte de mauvaises récoltes poussent le géant asiatique à compenser sa mauvaise année en achetant en quantité du blé sur les marchés internationaux. Les cours du blé explosent : de 157$ la tonne en juin 2010 à 326$ la tonne en février 2011.

Les pays arabes seront parmi les plus touchés par cette vertigineuse hausse des prix. En effet, parmi les 10 plus gros importateurs de blé ... 8 sont des pays arabes.

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Pour une société duale

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alterLa crise commence à nous atteindre, confirmant que nous sommes le suivant sur la liste du club Med. Même si les chiffres ont été révisés à la baisse, jusqu'ici les protections sociales avaient servi d'amortisseur et les salaires avaient continué à augmenter globalement, même très peu, mais c'est fini, le pouvoir d'achat est sur la pente descendante risquant d'aggraver la récession et malgré tous ceux qui prétendent pouvoir nous sortir d'affaire, nous allons nous heurter comme les autres à l'impuissance des peuples (qui est celle de leurs gouvernements). Face à cet appauvrissement programmé, il vaudrait mieux essayer de s'y adapter que de compter sur un nationalisme exacerbé qui n'est plus de saison même s'il a fait le succès économique des totalitarismes des années 1930.

Une Europe unie et forte pourrait nous faire retrouver une certaine prospérité mais plusieurs processus matériels menacent le modèle européen salarial (numérique, déclin de l'industrie et de l'Occident, développement des pays les plus peuplés, contraintes écologiques), cette crise pouvant n'être qu'un avant-goût de ce qui nous attend par la suite. Du point de vue écologique, on pourrait même considérer la crise comme une chance - à condition de s'organiser pour cela et ne pas faire porter le plus gros du poids sur les plus pauvres comme maintenant.

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Le refus du réel

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deni_realiteIl ne suffit pas d'avoir des idées claires et distinctes pour que ce soient des idées justes. Il ne suffit pas non plus de trouver une situation intolérable pour trouver comment s'en sortir, ni surtout pour se mettre d'accord sur les solutions. Il n'y a pas que les divisions entre droite et gauche mais au sein même de la gauche, il y a profonde division sur les politiques à suivre. Cette division est notre réalité première qu'il faudrait reconnaître, nous condamnant sinon à l'impuissance ou à l'échec, mais cela devrait nous faire renoncer à toute vision totalitaire d'une société unie, ce que chacun désire sans aucun doute mais qui ne se peut pour de très bonnes raisons et d'abord parce que personne ne détient la vérité qui n'est pas donnée mais fait l'objet de luttes acharnées et ne se détermine qu'après-coup dans l'expérience du réel.

On ne s'unit que dans le combat contre l'ennemi, extérieur aussi bien qu'intérieur (prenant ainsi immanquablement le parti pour le tout). On devrait le savoir désormais, l'idée que "le" peuple prenne le pouvoir n'a pas de sens dans nos démocraties pluralistes, du moins en dehors du niveau local et d'une démocratie de face à face. Plus le pouvoir s'étend sur de vastes contrées et plus il doit composer avec des forces et des masses en jeu qui ne dépendent pas de notre bon vouloir (pas plus que les sciences ne peuvent dépendre de la démocratie). A ce niveau, ce qui compte, c'est moins le volontarisme que la justesse et la réactivité des politiques suivies, largement aux mains de technocrates. Le "déficit démocratique" n'est pas très différent entre les USA, la Chine et l'Europe même si ce n'est pas pour les mêmes raisons (l'argent, le parti, le jeu des nations), la pertinence des politiques suivies se jugeant au résultat. L'enjeu est donc bien d'abord cognitif, non pas qu'un hypothétique peuple accède au pouvoir on ne sait comment mais de savoir quoi faire. L'important serait d'avoir une analyse juste de la situation, ce qui n'est pas du tout le cas de la gauche actuelle dont les discours se caractérisent plutôt par un refus du réel obstiné et sans issue où l'imputation à la crise de causes imaginaires amène à des solutions tout aussi imaginaires (on va en examiner quelques unes), essuyant avec constance défaite sur défaite.

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Stopping creative destructions

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destructionAt a time of financial bubbles, there is a surrealist aspect to watching an entire scaffolding, incapable of standing upright but nonetheless failing to collapse, as if suspended in the air. It can only hold for a certain time, until the bubble bursts, but one shouldn't underestimate the essential inertia that is a function of the masses at stake and that perturbs judgment. One can interpret the current euphoric phase as if the crisis is already behind us, although nothing has been resolved yet. The most likely outcome is that we will relapse like the Arabic revolutions that turned sour. Worst case scenarios are still possible but we should still consider the very unlikely hypothesis that we will manage to avoid complete collapse (at least to repel it indefinitely). It isn't completely impossible, as we have the means to do so in any case in an era of information and ecology, global regulations and the establishment of a universal state. Especially this time, there isn't just natural inertia but active coordination between states, even at minimum, even reluctantly, which already sets us in a very different regime.

Avoiding systematic crisis, the principal worry since the bankruptcy of Lehman Brothers, could reveal itself as the already main effective vector of the achievement of a world unification. This new situation couldn't be without consequences. In the first place, to get rid of what Schumpeter called the "creative destructions" which according to him is caused by innovation ("the novelty doesn't come from the old but appears beside the old, competes with it and ruins it"). Some have even said that there is crisis only if there is innovation, which is very exaggerated. For René Passet, the necessity of these creative destructions would be rather a characteristic of complex systems obliged to pass through collapse in order to get rebuilt on a different basis. In any case wanting to prevent systemic crisis would decidedly be a way of stopping the economic evolution or at least to slow it down. Indeed, it has been clearly demonstrated, firstly by a state warranty of the banks that suppresses the risk ‘the moral hazard’ yet composing their first matter as much as their private character. Many take offense, demanding that the banks are allowed to become bankrupt in a very good liberal logic but, like the nuclear bomb, it is a bomb that has been revealed far too devastating to be released again.

However one doesn't see how we could avoid this protection being extended to other big companies including those who have a strong local impact, in what would look more like an administered economy rather than market laws. Big part of the economy could be irresistibly contaminated in the long run. So behind the posted liberalism, what is being set is a global governance that we can call cybernetic as it evolves at sight under the pressure of events and not at all according to a preconceived plan like the old planned economies. One has to see it as a major event that can be analysed like the transformation of the planetary ecosystem in an organism, thanks not only to the digital networks but also to the systemic crisis that could have made us enter in the end of liberalism. Like an organism is defined by its resistance to death, the prevention of systemic crisis (including ecological ones) contains the requirements of global regulations and change the deal regarding the international competition, a sign that we are to quit the wild economy and market jungle to form a kind of planetary organism with regulated exchanges.

We are not there yet, but wanting to prevent the closure of companies, the collapse is also preventing the recovery, to be deprived of outbursts by positive feedbacks (snowball effect) and elimination of the less performing that makes the dynamism of capitalism. We will enter in a entirely new environment and if not at an end of cycles at least to their neutralisation, an end of their seriousness and of their revolutionary character. There are no reasons to be alarmed by a slow-down of innovation and growth in developed countries (except if it is to be paid by unemployment), but we have to wonder how that can be viable.

An ecosystem isn't an organism even if it shares some similar systematic characteristics. What distinguishes an organism is that it behaves as a whole, there are internal regulations (homeostasis) and it is organised towards purposes, which are
missing from an ecosystem or a market. An organism, as a result of evolution doesn't evolve so much by it self, it is rather through learning that it evolves and not by creative destructions like an ecosystem does. An organism preserves itself and if we are to change planetary systems, (it might one day be destroyed under the weight of its own complexity, its stiffness, its inequalities, its unsustainability) the living world shows us that we can come to pass of creative destructions providing that we form a learning organisation.

As we are at the start of this process, we cannot for now expect the overturn of a global power, though still not alive, but rather its strengthening in the long run (even if we go through a phase of breakouts and conflicts in the short term). It is still fragile, quite new, but it has nothing to do with an empire whose leaders we could change, and the perspective of an economic collapse is strong enough to dictate its law with much urgency. It would undoubtedly need a last collapse to convince us, like feeling closely the blast of a bullet. This has nothing to do with a determined will, or an obscure plot, just systematic constraints. Indeed, a system is compelling, as it determines the behavior of its individuals more than the individuals impact its functioning because it is composed of circulating flux, like streams that can carry away everything. There is no alternative to the plain arithmetic. States are well informed of it and although they can call for a mythic sovereignty, they have no choices. They can't allow their economy collapse (neither the biggest companies) making us enter in this new era of stability that sets positions.

Therefore to be part of the same ecosystem and above all to know that it constitutes us as an organism; it means that politics from the right or the left can't be that different and remain inevitably at the equilibrium. Even if each presidential election promises to change everything, it never goes very far, thankfully by the way. Despite constant denials from the experience, it is very difficult to get rid of the illusion that it would be easy to change things and that it would only be a question of good will or of high aspirations, as it appears that we are thoughtful beings. Yet we are forced to consider the reality in all its complexity and seek to understand why we are where we are and how to get out of it, materially more than spiritually. Unlike what we think, the more a system is complex, the more it is robust and opposes a resistance to change and to individual deeds. We don't need revolutionary heros, it doesn't help to assume being a god that can decide world destiny, which is the natural position of the author or of the narrative language that makes us human but has little to do by its simplicity with the interacting effective processes. All what we can do, it is to displace the flux, to get networked and act locally.

Not overestimating our means and measuring the obstacles is primordial if we don't want just to talk and be satisfied with good intentions. On the contrary we shouldn't fear going backward as if social progress had just been a whim without reasons. The "social model of Europe" risks knowing new regressions but that can't challenge everything. Here as well we should be able to count on the inertia of societies. Whatever the political movement, vital emergencies, material constraints and global environment have to be taken in account, and sorted at best. So despite the ideologues of neo-liberalism, who are giving evidence of a too logical madness, inequalities when they are too glaring aren't a good thing, neither for society nor for the economy and the care for the social welfare isn't going to disappear because brainless guys from deep USA think they are alone in the jungle. As far as that goes ecological problems can't be swept under the carpet by going back to every man for himself, it is simply no more possible.

Basically, the global economical governance joins the ecological governance that imposes itself since mankind has become a geophysical force and characterises the anthropocene era. We are far away from the cool ecologists or the coming back to earth movement (farming) but one has to say that there is a huge misunderstanding about political ecology. Many think that it is just a matter of letting nature go, to act as if we weren't here and returning to a more primitive way of life, when in fact it is the opposite, a civilizing entreprise that preserves our life conditions and therefore fixes the evolution. The "natural" attitude would be to let (laisser faire) the human species do what they want, who are integrated in nature, until its destruction, leaving an empty place; its excesses being punished by its annihilation. The political ecology is opposed to this extreme liberalism, and sides rather with the fight against entropy, which sets us on the active side of the living and not one of an inert passivity or a simple ecosystem wrongly supposed to be self-regulated. We can see it with the climate who we have become responsible for not only because we are disrupting it but also because we now have the means to control it. It isn't only that we must limit the warming but that we may have to reheat the atmosphere when the ice-age comes back. Here we may have a global action, which limits itself to fix the climate as it is, to prevent it from changing and maintain a certain homeostasis. Out of this global stabilising action we can agree on, we can't imagine to change the totality just by speech. However, as long as we are alive it shouldn't stop us being concrete in detail, in our range of actions and in our daily life to make retreat death and injustice.

Are we to know the end of revolutions like the one of the creative destructions? It is a bit paradoxical to pretend at a time when there are revolutions, countries collapsing and that the worst is still expected but to make the hypothesis isn't as stupid as it looks; as despite appearances it would undoubtedly be a mistake to focus on endangered liberalism when it is a completely different system that is being established and should deeply affect the running of economies. Not to place oneself in the framework of a revolutionary rupture shouldn't mean that one can't do anything but one has to take a more experimental and progressive position, building from the bottom up, a new system of relocated production in the era of information, ecology and human development. It would nevertheless be a complete paradigm's change from the old still fashionable ideologies.

Traduction par Loïc Barbarin de l'article En finir avec les destructions créatrices.

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En finir avec les destructions créatrices

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De l'écosystème à l'organisme
destruction_creatriceComme au moment des bulles financières, il y a un côté surréaliste à voir tout un échafaudage qui ne devrait pas tenir debout et qui pourtant ne s'écroule pas, comme suspendu dans les airs. Cela ne dure qu'un temps, le krach finissant toujours par se produire, mais il ne faut pas sous-estimer cette force d'inertie importante qui est fonction des masses en jeu et qui brouille le jugement. On peut expliquer ainsi la période actuelle d'euphorie comme si la crise était derrière nous alors que rien n'a été réglé pourtant. C'est peu de dire que le plus probable serait qu'on replonge, comme les révolutions arabes qui tournent mal. Le pire est toujours possible mais cela ne doit pas empêcher d'envisager l'hypothèse beaucoup plus improbable qu'on arrive à éviter l'effondrement (à le repousser indéfiniment au moins). Ce n'est pas, en effet complètement impossible, on en aurait en tout cas les moyens à l'ère de l'information et de l'écologie, de régulations globales et de la constitution d'un Etat universel. Surtout, cette fois, on voit qu'il n'y a pas seulement l'inertie naturelle mais bien une coordination active des Etats, même minimale, même à contre-coeur, ce qui nous installe déjà dans un tout autre régime.

Arriver à éviter les crises systémiques, principal souci depuis la faillite de Lehman Brothers, pourrait se révéler le principal vecteur de l'achèvement d'une unification du monde déjà effective mais cette situation inédite ne serait pas sans conséquences, en premier lieu de se priver de ce que Schumpeter appelait des "destructions créatrices", provoquées pour lui par l'innovation ("le nouveau ne sort pas de l'ancien mais apparaît à côté de l'ancien et lui fait concurrence jusqu'à le ruiner"). Certains ont pu même dire qu'il n’y a crise que s’il y a innovation, ce qui est très exagéré. Pour René Passet, la nécessité de ces destructions créatrices serait plutôt une caractéristique des systèmes complexes obligeant à passer par l'effondrement pour se reconstruire sur d'autres bases. Dans un cas comme dans l'autre, vouloir empêcher les crises systémiques, ce serait incontestablement une façon d'arrêter l'évolution économique, au moins de la freiner. En effet, cela se traduit très concrètement d'abord par une garantie étatique des banques qui en supprime le risque ("l'aléa moral"), constituant pourtant sa matière première, tout autant que son caractère privé. Beaucoup s'en offusquent exigeant qu'on laisse les banques faire faillite en toute bonne logique libérale mais, comme la bombe nucléaire, c'est une arme qui s'est révélée bien trop dévastatrice pour répéter l'opération.

On ne voit pas bien cependant comment on éviterait dès lors d'étendre cette protection aux autres grandes entreprises jusqu'à celles qui ont un impact local fort, dans ce qui s'apparenterait de plus en plus à une économie administrée plus qu'aux lois du marché. La contamination à une grande partie de l'économie pourrait être irrésistible à la longue. Derrière le libéralisme affiché, ce qui se met en place, ce serait ainsi une gouvernance mondiale qu'on peut qualifier de cybernétique de naviguer à vue sous la pression des événements et pas du tout selon un plan préconçu comme les anciennes économies planifiées. Il faut y voir un événement majeur qu'on peut analyser comme la transformation de l'écosystème planétaire en organisme, en grande partie grâce aux réseaux numériques mais pas seulement puisque c'est la crise systémique qui nous a fait rentrer dans la fin d'un certain libéralisme. Tout comme un organisme se définit par sa résistance à la mort, la prévention des crises systémiques (y compris écologiques) contient l'exigence de régulations globales et change la donne par rapport à la concurrence internationale, signe qu'on quitterait l'économie sauvage et la jungle du marché pour constituer une sorte d'organisme planétaire avec des échanges régulés.

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Jamais période ne fut aussi révolutionnaire…

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Peut-être devrait-on parler d'évolution plutôt que de révolution tant ce mot est chargé d'illusions mais nous sommes indubitablement, malgré une impression d'immobilisme et de régression, dans une période révolutionnaire de bouleversements accélérés comme il n'y en a peut-être jamais eu dans l'histoire humaine à cette rapidité, avec des risques mais aussi des potentialités inouïes. Pas celles que la plupart de ceux qui se disent révolutionnaires espèrent encore, surévaluant notre pouvoir sur les événements et notamment sur une crise qui n'en finit pas de s'aggraver.

La crise de 1929 n'a pas été aussi fulgurante qu'on l'imagine, les choses n'arrêtaient pas de s'arranger, on voyait le bout du tunnel tout le temps bien que le chômage n'en finissait pas de monter... On a vraiment l'impression de refaire exactement les mêmes erreurs que dans les années 1930, un véritable décalque mené tambour battant. Il semble qu'on n'ait pas le choix et que les événements décident de nous plus que nous ne décidons d'eux. Il faut en prendre la mesure. Par rapport à cette sombre époque, nous avons à faire face en plus au déclin industriel résultant du développement des anciens pays du tiers monde, des nouveaux enjeux écologiques et du déferlement numérique tout aussi planétaire. Tout cela conspire à l'affaiblissement de la politique et du niveau national mais aussi à la mise en concurrence des systèmes sociaux.

Dans ces moments de complète transformation, les tentations de retour en arrière sont aussi compréhensibles que vaines, ne faisant que retarder la prise en compte de ces nouvelles réalités. Ainsi, on peut être sidéré aussi bien de la minimisation de la crise que de l'ignorance par les gauches des nouvelles conditions de production et des nouveaux rapports de force géopolitiques ! Quand on voit l'inadéquation à la fois des politiques suivies par les gouvernements et de ce qu'y opposent ceux qui les contestent, il est clair que la question est d'abord cognitive, témoignant de notre impuissance et d'une désorientation générale. C'est sur ce point qu'il faudrait un progrès décisif, exigé par l'unification du monde déjà effective. On n'y est pas du tout.

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La révolution avant la révolution, et après…

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La Révolution Française a servi de référence à toutes les révolutions suivantes, ce n'était pourtant pas du tout une révolution préméditée, conséquence plutôt d'une révolution déjà effectuée dans les esprits à l'époque des Lumières, d'une culture politique exprimée par les écrivains se substituant à la religion. Elle a pourtant bien servi de nouvel événement fondateur et de modèle aux révolutions futures dans sa prétention à reconstruire la société sur des bases entièrement rationnelles avec l'unification des mesures, de la langue, de l'école, des populations enfin.

Il y a toujours à apprendre des échecs de la Révolution dans sa tentative d'incarner par la Terreur la volonté générale et un usage déraisonnable de la raison, dérives dénoncées tout de suite par les réactionnaires comme Burke et que reproduiront peu ou prou la plupart des révolutions qui suivront. Ce sont ces mêmes dérives qui seront la cible des critiques du totalitarisme mais par d'anciens révolutionnaires cette fois. Il y a sans doute plus à apprendre encore de ce qui a précédé la Révolution, y trouvant là un débouché inespéré sans que ce soit toujours conscient, en empruntant des parcours improbables et sinueux, à l'opposé de toute stratégie préétablie, les plus conservateurs et fanatiques provoquant eux-mêmes leur perte.

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La politique est un théâtre

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Certains ont de la démocratie et de la politique une vision on ne peut plus naïve, comme s'il suffisait de changer de général pour gagner la guerre, de donner un mandat ou un ordre pour qu'il soit exécuté, comme si ce n'était qu'une question de choix rationnel dans un contexte d'information parfaite ou même de simple bonne volonté. Evidemment, les choses doivent leur paraître fort étranges, au point d'imaginer quelque complot ou forces obscures pour expliquer que les gouvernants ne fassent pas ce qu'ils voulaient faire et parlent tous la même langue de bois. Il y a pourtant de bonnes raisons à cette impuissance du pouvoir, qu'il faudrait mieux comprendre et dont l'épisode que nous vivons peut servir de parfaite illustration.

Ce n'est pas seulement que les gouvernements ne font pas ce qu'ils veulent mais ils prennent des décisions absurdes au su et au vu de tout le monde. Ce n'est pourtant pas qu'ils sont complètement idiots. On fait comme si c'était une question de morale ou simplement d'intérêt voire de rapport de force mais c'est plutôt que le champ politique a ses contraintes spécifiques. La notion de discours élaborée par Foucault ou Lacan, implique que, loin de ce qu'on s'imagine, l'on ne peut ni dire ni faire n'importe quoi, il y a des formes et des codes à respecter, un jargon spécial à utiliser, des procédures à suivre, des instances de validation, avant de subir dans l'après-coup l'épreuve du réel, la pression des faits sur lesquels on se cogne.

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De quelques aspects de la situation

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Ce qui caractérise les grandes crises, c'est leur capacité de propagation, leur caractère multifactoriel et générationnel provoquant une complète restructuration en fonction de changements précédents des rapports de force, ce qu'on peut comparer à un tremblement de terre qui enregistre le déplacement des plaques tectoniques ou bien aux vibrations qui vont permettre à des aimants de "s'auto-organiser" entre eux à égale distance. Il faut toujours distinguer l'incident souvent mineur qui peut déclencher un conflit de ses causes profondes, de même qu'il ne faut pas réduire un krach à sa cause factuelle alors que la véritable cause n'est autre que la bulle précédente.

On a malgré tout tendance à se fixer sur l'une ou l'autre cause plus ou moins contingente, quand on n'y voit pas un simple complot, de même qu'on a toujours eu tendance à vouloir minimiser une crise qu'on a cru d'abord de courte durée, puis uniquement bancaire ou financière avant de faire porter le chapeau à l'Euro voire aux politiques d'austérité, pendant que les pays s'enfoncent un à un dans la dépression. Chacun y va de sa petite mesurette sensée nous sortir de cet accident historique et permettre de revenir à l'état antérieur, au business as usual. Sauf que, dès qu'on ne se focalise plus sur l'un ou l'autre aspect de la crise mais qu'on en prend une vue d'ensemble, c'est une série de phénomènes massifs, dont j'ai essayé de faire la liste, qui s'imposent à nous et dessinent un monde futur bien différent de l'ancien.

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