
J'ai coutume de répéter qu'il n'y a rien qui change plus que notre passé, notamment quand les données sont trop rares comme en paléoanthropologie, il est donc toujours risqué de faire le point des connaissances actuelles qui peuvent encore changer mais, en même temps, c'est ce qui rend utile de tenter régulièrement la mise à jour du récit de nos origines. Bien que tout récit soit trompeur, trop linéaire et simplificateur, réfuter les récits précédents permet d'en tirer un certain nombre de leçons.
On montrera notamment en quoi ce n'est pas l'hérédité ni une quelconque essence originaire qui se déploierait d'elle-même, le principe de l'évolution étant au contraire la violence de la sélection (des destructions créatrices) qui sculpte les esprits et les corps (un mammifère terrestre pouvant devenir baleine). Les convergences évolutives montrent clairement qu'il ne s'agit pas d'une logique interne de développement, d'une lignée particulière, mais d'une logique extérieure universelle, et pour nous d'une évolution contrainte sur l'ensemble du continent qui dessine au contraire une anthropologie de l’extériorité et de l'après-coup. En effet, comme les autres animaux, l’humain n’évolue pas "dans la nature" comme on le formule naïvement, il évolue contre elle et les coups qu'elle lui porte, sa spécificité, qui en a fait une espèce invasive, ayant été son adaptation au changement et à l'incertitude, plutôt qu'à son environnement actuel, passage de plus en plus marqué de l'adaptation à l'adaptabilité qui nous servira de fil.
Il y a aussi une réécriture à faire de ce qu'on a appelé, de façon trop réductrice, la "sortie d’Afrique" de Sapiens qui, d'une part, fut en réalité une sortie du Sahara et de la mer Rouge, non des forêts équatoriales, mais surtout la constitution d'une nouvelle culture et d'un nouveau type d'humanité qui ne colonisera pas seulement l'Europe mais l'Afrique presque autant (des gènes eurasiens sont présents dans l’ADN ancien d’Afrique de l’Est dès -50 000 à -30 000 ans), encore plus après l'arrivée des agriculteurs, ce qui change la perspective évolutionnaire. Ainsi, les Africains actuels ne sont pas plus "anciens" que les Eurasiens auxquels ils sont apparentés. On peut dire, en effet, que l'homme moderne n’a pas quitté l’Afrique : il a élargi son espace. Il n’est pas sorti de l’Afrique mais de son milieu originel, en même temps ouverture et séparation. C'est ce qui nous permettra, en effet, d'occuper tous les biotopes et fera notre réussite planétaire. L’hominisation part d'un déracinement, une adaptation à l'inconnu et l’imprévisible. Le propre de Sapiens est d’avoir franchi les limites - géographiques, biologiques, relationnelles - qui l'enfermaient dans les frontières d'un monde clos, observation de l'évolution objective plus que des mentalités et sur des durées bien au-delà d'une génération.
Pour reconstituer ce qui nous a mené là, on partira des premiers Sapiens, il y a 300 000 ans, dont la caractéristique principale est une néoténie plus marquée, puis l'utilisation d'un langage narratif à partir de 135 000 ans et la constitution de ce qu'on peut appeler des proto-eurasiatiques, au nord-est de l'Afrique, dont seront issus les nouveaux envahisseurs, mais seulement après des milliers d'années d'évolution sur les plateaux d'Iran (hors d'Afrique déjà), s'adaptant à un climat plus froid, mais réduits à un petit groupe après l'hiver volcanique, il y a 74 000 ans, avant de se répandre sur toute la terre.
Il est téméraire de parler des nouvelles théories physiques, il y en a bien trop dont on n'entendra plus jamais parler, et il faut bien dire que l’article du mois de janvier "

Il y a quelques années encore, on désespérait de jamais pouvoir implanter dans un robot nos capacités langagières tant les agents conversationnels étaient limités. L'échec (relatif) du traitement du langage malgré tout ce que la linguistique croyait savoir, entretenait la croyance dans une essence mystique du langage, inaccessible à notre raison comme aux intelligences artificielles. Les performances de ChatGPT ont permis de résoudre ce dernier mystère de notre humanité (celui du langage qui nous sépare de l'animalité), en dévoilant à l'étonnement de tous son mécanisme de prédiction probabiliste de la suite, éclairant du même coup les raisons pour lesquelles nous ne pouvions pas l'imaginer quand nous réduisions le langage à la logique et la grammaire. Ce qui nous semblait l'essence du langage y serait seulement sous-entendu, sélection par l'usage, et ne nous est pas si naturel sous cette forme de règles plaquées de l'extérieur (ainsi on prendra un exemple avec cheval/chevaux pour savoir si on doit employer le pluriel dans une expression, sans être bien clair avec la règle elle-même). Il nous faut donc réexaminer les théories linguistiques précédentes, de Saussure à Chomsky.

Pour les lecteurs de ce blog, et de son ancienne revue des sciences, il n'y a rien de surprenant à ce que la découverte de l'édition génétique ait été récompensée par un prix Nobel car c'est indubitablement une des découvertes les plus importantes qui soient. En effet, le mécanisme CRISPR-Cas9 utilisé par des bactéries pour se défendre des virus en coupant leur ADN s'est révélé un outil puissant d'intervention sur des séquences du génome, facilitant énormément les modifications génétiques jusqu'à les mettre à la portée de n'importe quel biologiste. Si ce n'est donc évidemment pas le début des OGM, c'est un changement d'échelle considérable qui devrait généraliser les manipulations génétiques, y compris sur notre propre génome (un Chinois l'a déjà fait), pour des améliorations qui seront le plus souvent très utiles mais pouvant constituer tout aussi bien une nouvelle "bombe nucléaire" (s'attaquant à l'ADN du noyau) plus dangereuse encore que la menace atomique.