Pour finir la série, après avoir survolé l'histoire de l'humanisation du monde et de sa transformation matérielle, il s'agit de comprendre en quoi précisément le langage narratif a pu tout changer de notre vécu au point de nous séparer des autres animaux.
Il n'y a pas de nature humaine, ce qui fait l'homme, c'est la culture qui s'oppose à la nature par construction, la raison qui nous détache du biologique, la civilisation qui réprime nos instincts, l'histoire qui prend le relais de l'évolution. C'est un nouveau stade de la séparation du sujet et de l'objet, de l'autonomisation de l'individu par rapport à son environnement, processus qui vient de loin et n'est pas réservé à notre temps. Tout n'est pas culturel pour autant. Il ne s'agit en aucun cas de nier les mécanismes biologiques étudiés avant, par exemple dans la différence des sexes, mais de ne pas les assimiler trop rapidement à ce que la culture y superpose de systématisation (dans la division actif/passif notamment). Pour les sociétés humaines, rien ne justifie de faire du biologique une raison suffisante, encore moins une norme culturelle, et il faudrait éviter les tentations scientistes de mettre sur le compte de la biologie ce qui résulte d'une longue histoire.
L'essentiel, c'est le lien de la culture et du langage tel qu'il avait été établi par le structuralisme dont l'apport là-dessus est considérable et ne peut être ignoré. On peut regretter le discrédit dans lequel il est tombé de nos jours, certes à cause de ses excès, ses erreurs, ses errements. Le phénomène est on ne peut plus classique et relève justement d'une analyse structurale : chaque génération se construit sur l'opposition à la génération précédente et toute théorie trop dominante est destinée à un temps de purgatoire quand elle est passée de mode ! Il n'empêche que la culture, les contes, les mythes, les rites, les modes relèvent bien d'une approche linguistique et structurale, ce qui n'est en rien une négation de l'histoire comme le craignait Jean-Paul Sartre, ni même de l'humanisme, encore moins de la liberté. On devrait parler plutôt, comme Lucien Goldmann, d'un structuralisme génétique car les structures évoluent, bien sûr. Ce n'est pas parce qu'il y a des règles qu'elles ne peuvent pas changer, simplement elles doivent garder une certaine cohérence, un peu comme l'évolution du squelette doit respecter des contraintes structurelles, évoluant donc plutôt par sauts et changements de paradigme (ou d'épistémé).
On a tenté de dégager les principes de la biologie, d'une compréhension scientifique de l'évolution, mais cela nous a mené à reconnaître la subjectivité du vivant, sa spontanéité. Je m'aventure un peu loin sans doute à vouloir aborder la question non plus cette fois du côté de l'objectivité des processus biologiques mais du ressenti, du vécu lui-même que nous ne pouvons connaître que par notre expérience d'être vivant mais qui commence indubitablement avec le plus simple des organismes et donc avec la cellule bien avant l'animal.
Voulez-vous savoir le secret de notre monde globalisé tout comme du passage de la mort à la vie ? Vous verrez que, aussi décevant que cela puisse paraître, ce n'est rien d'autre que l'information !

On peut prendre pour une provocation de parler d'optimisme de la raison au moment de la montée de tous les périls, pourtant c'est justement dans ces moments qu'il ne faut pas céder à la panique mais préparer les "lendemains qui chantent", car les beaux jours reviendront même si beaucoup en doutent. On peut dire qu'on en voit déjà les premières lueurs, un peu comme les premiers résistants annonçaient la libération au coeur de la nuit nazie.

Toute la raison humaine ne serait rien sans son grain de folie car il faut inévitablement être sa propre dupe de quelque façon, attachés au désir plus qu'à son objet, plus qu'à la vie même. C'est pourquoi nous ne serons jamais sages, tout au plus philo-sophes dans notre quête obstinée de vérité. Nous sommes des chercheurs d'impossible, il n'y a pas d'homme ni de femme qui ne recherche le Graal, le Bonheur, l'Amour, la Vérité jamais possédée ou quelque nom qu'on veuille lui donner. Nous vivons inévitablement dans une course éperdue et l'illusion de l'espérance qui nous projette dans l'au-delà d'un avenir rêvé. L'ensorcellement des mots, leur poésie est bien ce qui nous fait humains et notre désir plus qu'animal, désir de désir et d'y croire avant même d'être
Au commencement, il y a le récit, l'histoire qu'on se raconte, le langage narratif qui produit toutes sortes de mythes en nous faisant prendre les mots pour les choses, leur prêtant des intentions, personnifiant la nature enfin, tout en nous différenciant des animaux, humanité fragile qui nous coupe déjà de l'origine et toujours à retrouver (par des sacrifices).
C'est fou le nombre de gens qui voudraient nous apprendre à vivre, flics, curés, psychologues, éducateurs, philosophes médiatiques, etc. A cette foule innombrable, se joignent désormais quelques pseudo-révolutionnaires pontifiants et surtout les nouveaux écologistes qui nous font la morale et prétendent savoir ce qu'il nous faut : une vie naturelle et même pour certains une écologie mentale, mazette ! D'une certaine façon, on peut dire que cette pression sociale est inévitable mais si « le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard », c'est qu'apprendre à vivre, on ne fait que ça, c'est la vie elle-même et pourquoi il ne peut y avoir de véritable « savoir-vivre » en même temps que ce savoir nous constitue et se construit tout au long de notre existence avec son lot de ruptures, de retournements, de désillusions, de surprises.
On ne peut rien comprendre au monde sans dialectique, on ne peut rien comprendre à la succession des idéologies libérales, totalitaires, néolibérales, etc. Ce n'est pas seulement l'identité des contraires, fondement de l'ésotérisme et d'un savoir paradoxal réservé au petit nombre, ni même leur complémentarité ("L'erreur n'est pas le contraire de la vérité. Elle est l'oubli de la vérité contraire". Pascal). Il s'agit bien de leur contradiction active dont nous sommes plutôt les sujets, produits de l'époque que nous produisons, de même que nous sommes les produits des autres, d'une culture et d'un langage que nous participons à (dé)former et transmettre. Le désir illustre parfaitement cette dialectique entre intérieur et extérieur en tant qu'il est désir de désir.
Tout le monde pense, cela ne fait pas question : tout vient de là, c'est une évidence, le pire comme le meilleur, non seulement notre intelligence plus qu'animale mais aussi toute l'étendue de la bêtise humaine qui en représente l'envers, aussi vrai que l'homo sapiens est tout autant l'homo demens. Les progrès des sciences et les grands penseurs du passé nous aveuglent sur nos propres capacités qui n'ont pas tellement progressé pourtant depuis la préhistoire : nous ne sommes guère que des "nains juchés sur des épaules de géants" selon l'expression de Bernard de Chartres.
Dans la conjonction des crises actuelles (économique, écologique, géopolitique, anthropologique) aucune des solutions du passé ne peut plus convenir, toutes ayant échoué d'une façon ou d'une autre, leur échec étant à chaque fois un échec de la liberté. La dialectique de l'histoire nous force donc à innover non seulement pour sauvegarder nos libertés menacées mais en conquérir de nouvelles.
Entrer dans le 21ème siècle avec la pensée d’André Gorz, CitéPhilo.
C'est pour répondre à de multiples demandes que j'ai fini par me résoudre à reprendre la critique de la critique lorsqu'elle s'égare sur le terrain des valeurs et prétend nous découvrir le secret du monde dans la tromperie de la marchandise. J'ai déjà eu l'occasion de dénoncer les propensions de notre époque à
C'est un livre original et important que nous offre, directement en poche, Frédéric Worms, spécialiste de Bergson et de la philosophie du vivant. Autant le dire tout de suite, cette histoire n'est pas du tout mon histoire, ignorant tout un pan de la philosophie française contemporaine mais son découpage en moments philosophiques n'est pas sans intérêt même s'il est bien sûr contestable et partial, privilégiant ses propres thèmes. En révélant l'autonomie relative du champ philosophique et son caractère autoréférentiel (ou relationnel), il fournit de nouveaux éclairages sur quelques philosophes et donne cohérence à la trajectoire d'une French theory qui ne peut malgré tout être déconnectée qu'artificiellement de la philosophie allemande en particulier. Le plus fascinant pourtant, c'est de retrouver, malgré la volonté expresse d'y échapper, une histoire strictement hégélienne de la philosophie après Hegel, avec les thèmes qui se répondent et se déplacent d'une période à l'autre : l'histoire, le processus, la dialectique, le négatif, la mort, le concept, etc.
Au lieu de supprimer la rareté, une surabondance d'informations ou de biens ne fait que mettre en évidence à quel point c'est le temps qui nous manque toujours, constituant notre bien le plus précieux et le plus rare.