A mesure que la mondialisation progresse, plus nombreux sont ceux qui voudraient s'y soustraire par un retour à une Nation idéalisée dans un splendide isolement alors même que la moindre mesure originale tentée soulève des tempêtes et oblige à revenir en arrière. La pression extérieure est incontestablement homogénéisante, tout comme les prix ont tendance à s'unifier dans des marchés ouverts. Le déplorer ou vouloir le refuser ne change rien à l'affaire, sauf à vouloir dresser un mur entre nous et le reste du monde, ce qui n'est plus du tout tenable. Nous faisons partie de ce monde et de ce temps, comme de cette Europe si faiblarde. Le seul territoire qu'il nous reste est celui de la proximité, ce qui n'est pas rien et le lieu des alternatives locales à la globalisation marchande mais ce n'est pas ce qui empêchera le monde de continuer à s'unifier.
Il fut un temps, pas si lointain, où le mondialisme semblait n'être qu'une idéologie d'élites cosmopolites alors qu'on semble découvrir avec retard l'effacement effectif des frontières qui se manifeste bruyamment par l'exil fiscal notamment. Sur la fiscalité, là aussi, nous avons donc perdu la possibilité de trop nous écarter de la norme européenne. La démocratie nationale a bien perdu l'essentiel de sa substance. On peut en éprouver légitimement un sentiment de dépossession. Nous appartenons indubitablement à un Empire plus large dont l'éclatement est toujours possible dans ces moments de crise mais qui ne nous redonnerait pas l'éclat d'antan et précipiterait plutôt notre déclin alors qu'une Europe unie redeviendrait, pour un temps au moins, la première puissance.
Ce n'est pourtant qu'une partie de la question car, on observe surtout la constitution d'une sorte de gouvernement mondial de l'économie, notamment à travers les politiques coordonnées des banques centrales et la régulation des marchés financiers - mais pas sur les monnaies qui restent encore nationales. Impossible de savoir, donc, si cette solidarité résistera à la guerre des devises qui a commencé mais ce ne serait sans doute qu'un accroc dans un mouvement de plus long terme d'unification du monde déjà largement effective, Etat universel en formation depuis longtemps.
Certains voient dans l'émergence d'un Etat supra-national le résultat d'un complot américain, ou même plus précisément des Rothschild, et auquel Kojève notamment aurait prêté main forte ! L'histoire ne serait ainsi qu'une suite d'intentions mauvaises, comme dans les conceptions policières de l'histoire ignorant les forces matérielles et les tendances de fond. On peut faire plutôt de l'unification du monde une conséquence de l'entropie universelle et du développement des communications. C'est cette dimension entropique qu'on va examiner ici et que René Passet pense retrouver dans l'interprétation de la fin de l'histoire et des classes sociales comme homogénéisation des populations en même temps que différenciation des individus.