Il faut sauver la liberté

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La liberté subjective

Comme le dénonçait Francis Bacon, la plupart des prétendues démonstrations philosophiques sont contestables et pur sophismes. C'est le cas notamment sur la liberté. Ainsi, contre les postulats de la philosophie, on a vu qu'être déterminés ne supprime pas le sentiment de notre liberté et de notre part de responsabilité, ce qui veut dire aussi qu'il n'y a pas besoin de se croire absolument libre pour être moral (même une IA générative peut l'être par pure raison ou convention). Pareillement, que nous importe que "la liberté humaine que tous se vantent de posséder consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent" lorsque, justement, on ne sait pas quoi faire (ce qui n'est pas du tout une "liberté d'indifférence" comme pour l'âne de Buridan) ? Toutes ces fausses évidences logiques nous égarent et nous détournent de l'expérience pratique. Ainsi, le plus souvent, il ne s'agit pas tellement d'ignorance des causes mais de ce qui nous attend, et ce n'est pas forcément quand on agit en connaissance de cause qu'on se sent le plus libre !

En réalité, que la liberté soit toujours déterminée ne diminue en rien notre soif de liberté et de libération de nos chaînes, qui ne se manifeste pas seulement dans la prise d'indépendance de l'adolescence et implique par exemple, en dépit du commandement, la liberté de mentir protégeant son intériorité. La liberté ici n'est pas du tout un libre-arbitre métaphysique et sans causes mais simplement de ne plus dépendre d'une autorité, nous laissant libres de nos mouvements et de nos choix, sans devoir pour cela s'imaginer agir parfaitement (sans droit à l'erreur), ni en dehors de toute détermination. Dans ce sens, on peut même dire, qu'à l'opposé de la sagesse d'un libre-arbitre souverain, d'une liberté à l'image de celle de Dieu, nous sommes plutôt possédés par notre passion de la liberté, presque animale, qui s'impose à nous, ruant dans les brancards d'une domestication toujours plus poussée par la civilisation et l'explosion démographique. Cette indépendance farouche est ainsi toujours très relative, soumise aux innombrables contraintes de la vie en société. Il ne faut pas trop en attendre (la fin de l'esclavage n'était pas la fin de l'exploitation) mais chaque période de libération est source de progrès comme des plus grandes joies de l'existence - certes au risque de dérives et d'effets pervers (qui apparaissent parfois très tardivement) devant être corrigés. C'est en partie le prix de "l'indéterminisme" et de l'imprévisibilité qui sont produits cette fois par les libertés elles-mêmes.

En tout cas, y compris dans les pires circonstances obligeant à les restreindre ou en corriger les excès, et malgré nos déterminations sociales ou les risques de l'émancipation, nous sommes prêts à tout pour défendre nos libertés (ou ce qui peut l'être), avec lucidité et "détermination", en s'appuyant sur son énergie et son efficience. Car les libertés ont effectivement besoin d'être défendues contre les tentations régressives et autoritaires toujours présentes - et qui peuvent même prétendre supprimer nos libertés au nom de leur propre liberté souveraine contre celle des autres (d'où l'intérêt de tenter d'éclaircir une fois de plus la question).

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Dialectique cognitive et Intelligences Artificielles

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Sur le temps long, le seul progrès incontestable et cumulatif, est celui des connaissances (de la techno-science). Bien sûr, cela ne veut pas dire que tout le monde y ait accès ni qu'il n'y aurait pas des retours en arrière, des savoirs oubliés ou refoulés à court terme avant d'être redécouverts, mais, en tout cas, et malgré ce qu'on prétend, ce progrès objectif est largement indépendant de nous, imposé par l'expérience contredisant la plupart du temps nos croyances. Loin d'atteindre un savoir absolu pourtant, cette accumulation de connaissances dévoile plutôt à chaque fois de nouvelles terres inconnues, si bien qu'on peut dire que l'ignorance croît à mesure de notre savoir qui détruit nos anciennes certitudes et préjugés.

Effectivement, les sciences ne progressent que par la rencontre de faits qui échappent aux théories en cours, obligeant à les reformuler. Ainsi, leurs avancées pas à pas démontrent qu'on n'accède pas directement au réel comme à une vérité révélée définitive devenue transparente mais qu'il y a une dialectique cognitive à l'oeuvre corrigeant à chaque fois la position précédente, la complexifiant par une négation partielle ou par un changement de paradigme qui ne peut être anticipé avant. Cette dialectique cognitive à partir de l'état des savoirs illustre bien qu'il n'y a pas d'accès à l'être, comme le disait déjà Montaigne, il n'y a que des approximations, des approches, comme d'une canne d'aveugle qui va de gauche à droite afin de cerner son objet, tester ses limites (Fichte définit le savoir par la rencontre d'un moi libre qui se cogne au non-moi qui lui résiste). Il y a un dualisme irrémédiable entre le savoir et le réel auquel il doit s'ajuster en tâtonnant, la connaissance n'est pas originelle, immédiate, directe, instinctive, mais s'élabore petit à petit avec le temps, se précise, se complète, se nuance.

Pour les sciences, même les théories les plus établies ne sont donc pas à l'abri d'une réinterprétation totale, comme la relativité a réinterprété la physique newtonienne, sans que cela puisse constituer un aboutissement définitif (problème de la gravité quantique, etc). Aucun argument ici pour les théories les plus farfelues ou spiritualistes contestant les sciences mais, au contraire, pour ne pas se fier à nos convictions et suspendre notre jugement en restant ouvert aux remises en cause par l'expérience de nos représentations (plus que des équations elles-mêmes qui restent vérifiées dans leur domaine de validité). On voit que, ce que l'histoire des sciences implique, c'est bien leur temporalité, tout comme l'évolution du vivant et nos propres apprentissages, entre l'héritage du passé et les découvertes à venir impossibles à prévoir, devant passer comme l'enfant par une série de stades de développement et s'enrichissant au cours du temps. Il n'y a dès lors aucune raison qu'on arrête de progresser et que le temps s'arrête. Si Hegel en avait fait l'hypothèse, c'était seulement pour l'accès à un "savoir absolu" qui n'était en réalité que le dépassement de la religion par la conscience de soi comme produit de l'histoire, et non une totale omniscience impensable pour des êtres finis (même artificiels).

Ceci rappelé rend douteux, en effet, que la situation puisse être complètement différente avec des Intelligences Artificielles, même si elles nous surpassent en tout, pouvant exploiter toutes les données disponibles et accélérer significativement les progrès des connaissances. Elles constituent incontestablement un nouveau stade cognitif avec l'accès au savoir pour tous (après wikipédia), mais on ne peut en attendre une révélation soudaine de la vérité (cachée), une "singularité" dont il n'y aurait plus d'au-delà, comme si le temps s'arrêtait. Certes, répétons-le, les IA devraient produire nombre de nouvelles connaissances ou équations en trouvant des corrélations inaperçues entre domaines éloignés, et pourraient même déboucher sur des théories révolutionnaires dépassant nos idées reçues. Cependant, pas plus que les humains, elles ne pourraient inventer des lois effectives et se passer de l'expérience - comme s'il n'y avait plus de monde extérieur, d'incertitudes, de questions. De même, malgré ses compétences universelles, l'Intelligence Artificielle, bien que nourrie aux meilleures sources, ne saurait tenir le rôle d'un Dieu omniscient et de garant ultime de la vérité. Elle peut tout au plus prendre une place de juge de première instance, peut-on dire, assez fiable et fort utile mais dont on sait qu'il peut se tromper et être désavoué par des juridictions supérieures.

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Toute négation est partielle

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La dialectique marxiste a donné de la dialectique une vision simpliste très éloignée de celle de Hegel, n'en retenant pas la leçon principale : que toute négation est partielle. En effet, lorsque Paul dit que l'Amour "abolit" la Loi (katargein que Luther traduit par aufheben, terme repris par Hegel), ce n'est pas pour renier le contenu de la Loi mais sa forme, et la porter à un niveau supérieur. De même, dans la dialectique hégélienne, l'aufhebung n'est pas une pure négation mais un dépassement qui conserve et ne supprime pas complètement le passé qu'il surmonte, ce passé ne pouvant être sans raison et juste effacé de nos mémoires alors qu'il doit seulement être corrigé, amélioré, redressé - voie réformiste même à prendre des allures révolutionnaires. C'est ce dont on ne veut rien savoir, semble-t-il, à rêver de victoires totales et définitives, avec l'anéantissement de l'ennemi et la fin de l'histoire - ce à quoi mène de traduire trop souvent aufhebung par "négation", comme le fait Kojève notamment.

La lecture de Kojève est fascinante, donnant l'impression d'une logique implacable qui rend le système hégélien limpide, mais c'est en le trahissant sur des points fondamentaux, notamment en substituant l'Homme à l'Esprit. Il réduit ainsi explicitement sa philosophie à une anthropologie, donnant du coup une place démesurée à l'être-pour-la-mort (hérité de Heidegger) mis en scène dans la dialectique du Maître et de l'Esclave - purement mythique. En effet, même si "c'est seulement par le risque de sa vie qu'on conserve la liberté" (p159), ce n'est pas ainsi qu'on devient maître (ou esclave) et "leur confrontation est la négation abstraite, non la négation de la conscience qui supprime de telle façon qu'elle conserve et retient ce qui est supprimé, et par là même survit au fait de devenir supprimé" (p160). Pour Hegel, l'Esprit n'est pas du tout une négation totale de la nature ou de la vie, l'Esprit est la vérité de la nature et une négation du particulier au profit de l'universel, ce qui est très différent. Ce qui importe le plus, ce n'est pas la négation de la vie par le Maître, s'élevant au-dessus de l'animal, mais bien la soumission de l'esclave, "la discipline du service et de l'obéissance" (p166) permettant la rationalisation et le Droit. Même dans l'interprétation de Kojève, l'essentiel n'est pas le risque de la mort, comme il le prétend, mais le désir de désir qui est son apport le plus important et n'a rien d'une négation totale. La lutte pour la reconnaissance est d'ailleurs plutôt présentée par Hegel comme une impasse initiale (ou le premier temps de la dialectique) et reste relativement anecdotique chez lui, expédiée en 2 pages dans son Encyclopédie où il précise :

La violence [meurtrière], qui, dans ces phénomènes, est un fondement, n'est pas pour autant un fondement du droit, encore qu'il constitue le moment nécessaire et justifié dans le passage qui s'opère de l'état de la conscience noyée dans le désir et dans la singularité à l'état de la conscience-de-soi universelle. C'est le commencement extérieur, ou phénoménal, des États, non point leur principe substantiel. §433

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L’anthropologie philosophique contre l’évolution

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Alors que nous vivons une des plus grandes ruptures avec l'unification du monde (aussi bien climatique, économique, pandémique, technologique) à laquelle s'ajoute l'arrivée de l'Intelligence Artificielle qui bouscule l'ordre ancien, nous nous trouvons devant le plus grand danger avec la violente résistance à cette mondialisation qui suscite la crispation des peuples sur leurs cultures traditionnelles dépassées, tout habités de leurs récits héroïques, si ce n'est de leurs vieux rêves de domination. L'actualité voit se déchaîner guerres et répressions sanglantes qu'on imaginait d'un autre âge. Cela peut d'autant plus nous mener au pire que ces conflits nous empêchent de faire face à une catastrophe climatique en avance sur son calendrier. Alors qu'on connaît de mieux en mieux les dangers du réchauffement que nous continuons à entretenir, et qu'on a incontestablement les moyens techniques de l'inverser, ce sont de vieilles pratiques et croyances obsolètes qui rejettent l'unification du monde et un état de Droit dénoncé comme un droit impérial attentatoire à leur souveraineté (de faire la guerre à leurs voisins et de réprimer leur population!).

Il n'y a pourtant pas le choix et les empires (ou les nations comme la France) ont depuis longtemps montré leur capacité à unifier des peuples disparates. Cela n'a donc rien d'aussi extraordinaire que voudrait nous le faire croire l'anthropologie réactionnaire refusant l'évolution, notamment deux des évolutions les plus importantes, la mondialisation et la libération des femmes, rejetées au nom du caractère "universel" de la xénophobie (du racisme) comme de la domination masculine - effectivement incontestable jusqu'ici bien que sous des formes plus ou moins marquées mais qui a surtout perdu sa base matérielle, les différences biologiques étant largement atténuées dans nos sociétés hyper-développés par rapport aux sociétés traditionnelles (patriarcales). Que ce soit à l'évidence bouleversant par rapport au monde d'avant, n'implique pas que cela outrepasserait nos capacités d'adaptation, seulement que ce ne sera pas facile, que les résistances seront fortes et qu'on ne pourra éviter les troubles pendant une assez longue période sans doute.

Un peu comme dans les années trente, la conception de l'Homme bousculée par les avancées de la techno-science est donc redevenue un enjeu vital, les idéologies identitaires, xénophobes, exterminatrices se revendiquant à nouveau d'une "anthropologie philosophique" pour justifier leur défense d'une nature humaine originelle menacée par le progrès. En effet, contrairement à l'anthropologie qui se contente de décrire les sociétés humaines et leurs régularités ou différences depuis la préhistoire, l'anthropologie philosophique se fait normative à prétendre aller au fond des choses, expliquer les spécificités de l'espèce, en tirer une essence humaine qu'il ne faudrait surtout pas transgresser. Cette essence humaine dessinée par l'anthropologie est habituellement invoquée par tous les conservatismes mais l'anthropologie marxiste sera tout autant normative, faisant de nous des travailleurs aliénés devant retrouver leur véritable nature sociale.

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Le sens de l’histoire dépassé par l’évolution

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L’homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon pour son espèce : elle veut la discorde.
E. Kant, Idée d'une histoire universelle

Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être : c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience.
K. Marx

Le doute sur le rôle des individus dans l'histoire ne date pas d'hier - au moins de Kant, Hegel et Marx - mais les marxistes eux-mêmes n'ont pu l'accepter et, pour justifier leur propre importance, n'ont eu de cesse de faire de la conscience politique (voire de l'hégémonie idéologique) la condition de la réalisation de l'idéal communiste - à l'opposé exact de leur matérialisme affiché. Cet idéalisme fatalement voué à l'échec de la Révolution Culturelle ne se heurte pas seulement à l'infrastructure productive mais tout autant à nos limites cognitives, trop sous-estimées par l'optimisme démocratique. Inutile de revenir sur la connerie humaine, qui s'étale partout, mais si l'irrationalité d'Homo sapiens s'explique par le langage narratif, qui nous fait habiter des fictions plus ou moins délirantes, la difficulté est du coup de rendre compte de ce qui fait de nous un animal "rationnel", tout comme du progrès de l'Histoire. C'est ce qu'on va essayer de comprendre à faire de la raison un produit de l'Histoire justement et de l'Histoire un processus de rationalisation imposé par la pression extérieure (notamment par la guerre qui est "Père de toutes choses"), ceci comme toute évolution, y compris technique, échappant aux volontés humaines, et faisant de notre espèce plutôt le produit de la technique.

Il faut renverser les représentations habituelles de notre rôle dans l'histoire et se déprendre de l'évidence à la fois que la raison nous serait naturelle, et que ce seraient les hommes qui font l'Histoire (et la raison) en poursuivant leurs fins. En effet, si c'est bien par les récits que nos nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont accédé à la culture, c'est-à-dire à l'humanité et à "l'esprit", ce n'est pas par la pensée rationnelle mais bien par une profusion de mythes et de causalités imaginaires (sorts, esprits des morts, transgressions, etc) attribuées systématiquement à des volontés mauvaises (sorciers ou démons). On en fait l'accès primitif à la causalité, grâce au langage narratif, sauf que ce ne sont pas encore des causes rationnelles mais des causes fictives et de faux coupables (boucs émissaires). En perdant l'immédiateté animale, les fictions nous on surtout fait entrer dans l'obscurantisme du monde des morts et de forces invisibles. Avec le besoin de sens des récits, ce n'est pas la vérité qui est au départ mais bien la fabulation, l'ignorance, l'illusion, le délire, le mensonge... du moins quand rien n'y fait obstacle.

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Evolution et révolutions anthropologiques

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- Humanité et langage

Alors que l'avenir de l'humanité est en jeu, aussi bien par les transformations technologiques que par la destruction de ses écosystèmes, il est bon de revenir sur notre préhistoire, et notamment sur la révolution culturelle qui commencerait vers 80 000 ans pour s'épanouir dans le registre fossile vers 40 000 ans. On peut considérer cette période comme notre véritable origine d'Homo sapiens, Homme de Cro-Magnon très semblable à nous, même s'il est resté chasseur-cueilleur jusqu'à il y a 12 000 ans au moins, et pas plus de 6000 ans la plupart du temps, avant de devenir agriculteur-soldat, et depuis seulement deux siècles, salarié de l'industrie et chair à canon. On entre désormais dans l'ère technologique et de l'Intelligence Artificielle qui annonce déjà une forme de post-humanisme aussi bien par rapport à une nature sauvage que cultivée, ce qui pourrait nous transformer presque aussi profondément qu'il y a 80 000 ans ?

Cette émergence de "l'homme moderne" est liée pour la plupart des préhistoriens à l'apparition de la "pensée symbolique" et, plus précisément, à l'émergence d'un langage tel que le pratiquent depuis tous les humains dans leur diversité. La façon dont on caractérise ce nouveau langage dépend des auteurs, mettant en avant ses capacités combinatoires ou symboliques, sa grammaire ou son vocabulaire, mais assez rarement le fait d'accéder au récit, au langage narratif, comme s'il allait de soi qu'un langage avait toujours servi à raconter des histoires. Pascal Picq fait même remonter le récit aux premiers bifaces, et donc à Homo erectus, il y aurait plus d'un million d'années ! Cela ne me semble pas crédible car les petits groupes de l'époque ne pouvaient avoir qu'un langage minimal (animal) et l'apprentissage de la taille des pierres ne se faisait pas du tout par la parole mais par l'observation. Il y a bien des arguments génétiques pour remonter si loin, si ce n'est vers 200 000 ans pour des gènes plus récents, car l'aire de Broca supposée la zone du langage est aussi celle de la mémoire procédurale, indispensable celle-là pour acquérir des méthodes de fabrication. Elles ne sont pas sans rapport et peuvent aisément se confondre.

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La part de l’humanité dans l’évolution

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Logos et anthropos
Après avoir braqué les projecteurs sur l'universel, l'immensité de l'univers et les lois de l'évolution à très long terme incarnées par des extraterrestres, on peut, en bonne dialectique, porter maintenant de ce lointain le regard plus près de nous sur les organismes vivants ou sociaux et l'histoire politique ici-bas mais là, c'est une toute autre histoire et le domaine de l'action qui a beau être contrainte reste à la fois indécise et nécessaire.

On n'est plus ici dans le règne de la raison pure mais plutôt d'une rationalité erratique et limitée qui se révèle d'autant plus maléfique qu'elle se surestime, ignore son ignorance et croit pouvoir faire fi des lois universelles comme du cadre limité de notre action, règne de l'opinion qui n'est jamais "personnelle" mais s'enferre à chaque fois dans l'erreur avec des conséquences bien plus graves encore que la simple ignorance. On a des exemples récents. La situation n'est pas aussi brillante qu'on le présente ordinairement d'un bon sens partagé très démocratiquement alors qu'en dehors des sciences, en rupture avec l'opinion justement, il n'y a que fausses croyances, fake news ou propagandes.

On semble redécouvrir à chaque fois l'étendue des dégâts. Des théories du complot aux va-t-en-guerre, ce ne sont pas les idées claires et distinctes qui manquent pourtant ! Une série télé va même jusqu'à dire avec un brin d'exagération que les députés sont soit des psychopathes soit des imbéciles... On sait bien que ce n'est pas complètement faux, hélas, mais avec cela, il y a de quoi en rabattre sur les utopies démocratiques et il ne suffit pas de déclarer, sûr de soi, qu'on va tout changer. Avec les hommes tels qu'ils sont, et malgré tous les moyens déployés, la démocratie cognitive reste un rêve (une tendance?).

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La beauté sauvage de l’évolution

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Ainsi l'homme doute et désespère, en se fondant il est vrai sur bien des expériences apparentes de l'histoire ; et même en une certaine mesure cette triste plainte a pour elle toute l'étendue superficielle des événements mondiaux; c'est pourquoi j'en ai connu plus d'un qui sur l'immensité océanique de l'histoire humaine cherchaient en vain le Dieu que sur la terre ferme de l'histoire naturelle ils voyaient avec les yeux de l'esprit et avec une émotion toujours renouvelée dans chaque brin d'herbe et chaque grain de sable.

Dans le temple de la création, tout leur apparaissait plein de toute-puissance et de bienveillante sagesse. Au contraire sur le théâtre des actions humaines auquel notre durée de vie est proportionnée, ils ne voyaient que le conflit permanent de passions aveugles, de forces déréglées, d'armes de destruction ne servant aucun dessein positif. L'histoire pour eux ressemblait à une toile d'araignée, dans le coin de ce merveilleux palais, dont les fils entremêlés conservent encore les traces d'un carnage bien après que l'araignée qui la tissa se soit dérobée aux regards.

Cependant, s'il est un Dieu dans la Nature, il existe aussi en histoire.
Herder, Histoire et cultures, p187

Bien sûr, en tant qu'évêque réformé, le pré-romantique Herder prêche pour sa paroisse en s'opposant au Voltaire de l'Essai sur l’histoire générale après le désastre de Lisbonne impossible à justifier aux yeux de ceux qui voulaient croire à la providence divine. Pour nous convaincre que nous vivons malgré tout dans le meilleur des mondes possibles, Herder reprend l'argumentation de Leibniz dans sa Théodicée faisant de l'imperfection du monde et de l'existence du mal l'indispensable condition de la biodiversité sans quoi nous serions certes dans un paradis de créatures parfaites, semblables à Dieu mais toutes identiques. Ce rôle fondamental donné à la biodiversité devrait nous parler, à notre époque d'extinctions de masse mais aussi pendant cette période de pandémie, mal dont la fonction biologique est notamment la régulation des populations trop nombreuses, et donc la préservation de la biodiversité justement...

Le bon côté des religions, c'est qu'attribuer à Dieu la création du monde suscite l'admiration pour son oeuvre et engage à lui rendre grâce pour ses bienfaits et la magnificence de la nature, gratitude des enfants pour leurs parents qui veillent sur eux malgré tous les dangers, alors que, sans cette garantie divine, injustices et malheurs nourrissent plutôt la révolte et le désespoir en dépit de tous les paysages somptueux, des grandes civilisations et leurs créations artistiques, ou même des trop rares mouvements de solidarité et générosité. Impossible de célébrer la sauvagerie régnante. On ne peut nier pour autant les beautés de la nature et l'exaltation qu'elles peuvent produire. Si on doit les attribuer à l'évolution plutôt qu'à un projet divin, substituant au nom de Dieu dans la citation en exergue celui d'évolution, on comprendra mieux le ressort du progrès humain qui semblerait sinon trop paradoxal au milieu du désastre et de la connerie universelle, en l'absence de toute providence divine ou rationnelle.

Il faut, en effet, qu'on soit contraint par la pression extérieure d'être raisonnable et de s'unir, c'est ce que ça veut dire, sinon la folie et l'avidité dominent. Pas d'évolution sans catastrophes, sans échecs répétés. Il ne s'agit pas d'un développement endogène, de la réalisation d'une essence (humaine), d'un sens de l'histoire, d'une production de notre liberté. Il faut y voir plutôt un processus d'optimisation, de complexification, ou un apprentissage, une intériorisation souvent douloureuse de l'extériorité plus que l'expression d'une intériorité préalable, relevant ainsi d'une causalité écologique. De même les beautés de la nature ne sont pas tombées du ciel mais les vestiges de grandes destructions, des difficultés rencontrées par la vie et d'une sélection féroce (de l'adaptabilité). L'évolution biologique est jonchée de cadavres et ce n'est pas par un malheureux hasard car sans la mort, pas d'évolution des organismes, tout comme, sans la guerre et la disparition d'anciennes civilisations, il n'y aurait pas d'histoire. Dans l'amour de la nature le plus naïf, la violence naturelle est beaucoup trop déniée de même que le fait qu'il n'y a d'évolution que forcée. C'est oublier le travail du négatif et le processus dans le résultat, le cri de la créature derrière la beauté des paysages, des ruines même, tout comme l'émerveillement de l'improbable miracle d'exister en gomme les plus terribles épreuves.

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Eléments d’une philosophie écologique (de l’extériorité)

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J'ai tenté de regrouper ici, pour un travail préparatoire, les éléments d'une philosophie écologique, d'une évolution déterminée par l'extériorité aussi bien matérielle et biologique, économique et technique, que sociale et culturelle.

Il faut partir des causes matérielles : écologie, économie, technique qui s'imposent à nous au moins sur le long terme, notre part de liberté étant locale, comme toute réduction de l'entropie. Un bref survol de l'histoire de l’homme, produit de la technique permet de mesurer comme l'évolution nous a façonnés, en premier lieu nos mains pour tailler la pierre, au lieu du développement d'une supposée essence humaine plus ou moins divine. La part de l'homme est celle de l'erreur, comme disait Poincaré du rôle de l'homme dans le progrès des sciences. Ce n'est pas qu'il y aurait pour autant une essence de la technique qui se déploierait de façon autonome quand elle est, là aussi, produite par son milieu, par le réel extérieur au-delà de la technique, ce pourquoi on ne choisit pas ses techniques pas plus que l'état des sciences ni celui du monde qui nous a vu naître. On est bien dans un pur matérialisme mais qui est écologique et non pas mécaniste, y compris pour le milieu technique.

Ce n'est pas non plus qu'il y aurait une harmonie préétablie entre l'homme et la technique, pas plus qu'entre nous et le monde. Comme dit René Passet "La loi des milieux naturels et humains n'est pas l'équilibre qui les fige, mais le déséquilibre par lequel ils évoluent" (p901). Avec le vivant se produit une scission dans l'être par son opposition locale à l'entropie universelle, vie définie par Bichat comme "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". Un se divise en deux, c'est la loi du vivant et de sa différenciation, l'unité brisée se reconstituant en unité de l'organisme confronté à son extériorité en même temps qu'il en est le produit. Tout organisme est inséré dans son milieu tout en y étant séparé ("Au sens ontique, le monde est l'étant que le Dasein, qui est au monde, n'est manifestement pas lui-même", étant l'objet de sa préoccupation. p245). C'est ce dont témoigne l'information supposant la division de l'émetteur et du récepteur, d'un savoir qui n'est pas inné et de la possibilité de l'erreur au principe de la sélection naturelle. Il faut rapprocher théorie de l'évolution et théorie de l'information dans un monde changeant et incertain, incertitude de l'avenir sans laquelle il n'y a pas d'information qui vaille, avec toutes les conséquences qu'on peut tirer d'une philosophie de l'information inséparable de nos finalités mais qui nous coupe de la présence immédiate, fondant plutôt une éthique de la réaction et de la correction de nos erreurs. Nous agissons toujours dans un contexte d'informations imparfaites, un peu à l'aveuglette, soumis au verdict du résultat final, dans le temps de l’après-coup qui n'est ni la présence du présent, ni la fidélité au passé, ni la projection dans l'avenir mais le temps de l'apprentissage, de l'adaptation et des remises en cause. Ce temps de la culpabilité et des remords rejoint les vieux principes de la prudence et d'une bonne méthode expérimentale, témoins là encore de l'extériorité du monde que nous avons à découvrir et de la prédominance des dures leçons de l'acquis sur l'expression d'une nature innée. Un cerveau a besoin d'interactions pour se développer mais la détermination écologique n'est pas pour autant immédiate, nous réduisant à un simple reflet de l'extérieur, se déployant au contraire sur une pluralité de temporalités (génétique, historique, cognitive, psychologique, intersubjective, locale, etc). Un nouveau survol historique suffit à montrer comme une telle philosophie écologique, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire, prend à rebours la plupart des philosophies (en dehors de Canguilhem notamment pour qui la vie est assimilation), aussi bien leur idéalisme ou essentialisme qu'un matérialisme mécaniste ou un biologisme vitaliste.

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Introduction à une philosophie écologique

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Il est sans doute contestable d'appeler philosophie ce qui ne promet aucune sagesse, philosophie sans consolation s'affrontant à une vérité déceptive et qu'on pourrait appeler à meilleur escient une anti-philosophie. Parler de philosophie écologique paraîtra tout autant spécieux par rapport à ce qu'on entend généralement sous ce terme puisqu'à rebours de l'unité supposée du vivant, il sera question ici de ses contradictions et d'un dualisme irréductible, d'une détermination par le milieu, par l'extériorité au lieu du développement d'une intériorité ou d'une essence humaine originaire. La question n'est donc plus celle de notre identité éternelle mais de notre situation concrète, d'une existence située qui précède bien notre essence, ce qu'on est et ce qu'on pense (conformément à l'ethnologie et la sociologie). La difficulté est de reconnaître le primat des causes matérielles en dernière instance (après-coup), opposant le matérialisme notamment économique à l'idéalisme volontariste, cela sans pour autant renier la dimension spirituelle et morale, le monde du langage et des récits, dualisme non seulement de la pensée et de l'étendue, de l'esprit et de la matière, du software et du hardware, mais de l'entropie et du vivant anti-entropique, du monde des finalités s'opposant au monde des causes, division de l'être et du devoir-être sans réconciliation finale. Ce matérialisme (ou plutôt réalisme) dualiste s'ancre à la fois dans l'évolution biologique ou technique et dans une philosophie de l'information et du langage, philosophie actuelle, qu'on peut dire post-structuraliste et reflétant les dernières avancées des sciences et des techniques (informatiques et biologiques) mais aussi la nouvelle importance prise par l'écologie en passe de devenir le nouveau paradigme du XXIème siècle.

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Il n’y a pas d’espèce humaine

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Homo sapiens, d’origine africaine, aurait quitté le continent et remplacé implacablement tous les humains archaïques qu’il a rencontrés jusqu’à rester le seul représentant du genre. Ce scénario de conquête irrépressible et « sans pitié » a longtemps prévalu : la génétique l’a rendu obsolète. En effet, depuis quelques années, on se rend compte que notre génome comporte des fragments d’ADN appartenant à d’autres espèces du genre Homo, notamment les Néandertaliens et les Dénisoviens, preuve de métissages anciens, d’hybridation entre espèces. (Pour la Science)

Cela fait quelques années à peine que le soupçon est apparu chez les paléo-anthropologues qu'il n'y avait pas d'évolution linéaire de l'humanité, ni une espèce originaire mais une évolution buissonnante. Il n'y a donc pas d'ancêtre primordial, ni d'Eve ni d'Adam, ni une seule espèce humaine qui se séparerait des autres espèces mais la divergence des populations et leur métissage local transmettant des mutations adaptatives ou immunitaires aussi bien que des innovations techniques. Même si, selon la génétique, toute l'humanité descendrait d'une même femme dont l'ADN mitochondriale aurait été conservé depuis 150 000 ans, cela ne signifie pas qu'il n'y aurait qu'une seule lignée mais que des goulots d'étranglement ont réduit la population d'origine, l'unité de l'espèce ne résultant que du "flux de gènes" relativement important entre les populations dont la sélection assurera la convergence en humains modernes, avec une certaine variation régionale.

Les conséquences sur nos représentations habituelles sont considérables puisqu'il n'y a plus une essence originaire de l'espèce humaine aspirant à développer ses potentialités spirituelles - et qui serait en train de les réaliser - pas plus que la baleine prenant le corps d'un poisson ne peut être considérée comme contenue déjà dans l'espèce de chien dont elle descend. Le genre Homo se caractérise non par l'utilisation d'outils mais par son adaptation à l'outil (d'abord la main pour tailler la pierre). On voit que dans un cas comme dans l'autre, c'est l'environnement qui sculpte les corps, et de plus en plus pour nous l'environnement humain et technique, "l'humanisation du monde" imposant donc une certaine convergence évolutive, y compris culturelle, l'agriculture ayant été "inventée" de façon similaire en différents continents.

Tout cela conforte l'hypothèse d'un déterminisme historique qui laisse place à la diversité (des langues et cultures) mais devrait être à peu près identique sur les autres planètes voire dans d'autres univers (éternel retour du même ?). C'est difficile à croire sans doute mais une bonne part de l'évolution, notamment technique et scientifique, ne dépend pas tellement de nous mais suit bien des lois universelles. Du coup, dans cette préhistoire plus que millénaire, il n'y a pas d'événement fondateur de notre humanité mais une évolution qui se continue dans le développement économique, procès sans sujet (qui nous assujettit) avec une pluralité d'innovations techniques ou de stades cognitifs, franchis ici ou là, d'une "métapopulation" assez diverse s'y adaptant ensuite petit à petit par les échanges et la compétition ou la guerre.

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Hegel et les extraterrestres

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A l'exemple de Kant dans son "Idée d'une histoire universelle", on va se servir ici des extraterrestres pour dépasser l'humanité comme espèce et l'universaliser, mais aussi pour insister sur la séparation de la pensée et de l'être, de l'Esprit et de la Nature qu'on ne peut unir qu'en reconnaissant leur contradiction. Dépasser cette contradiction n'est pas l'annuler comme on le croit trop souvent, mais implique une certaine négation de l'Esprit, science soumise à la discipline de l'expérience, à la Nature donc, à l'extériorité ainsi intériorisée (plus qu'intentionalité extériorisée).

S'il apparaît nécessaire, depuis Marx, de renverser l'idéalisme hégélien au profit de déterminations plus matérielles, on peut dire, comme l'avait d'ailleurs bien vu Lénine, que Hegel avait opéré lui-même ce renversement à la fin de sa Logique qui s'achève par "l'idée pratique", idée qui n'est plus abstraite mais part du possible actuel, "fait face au réel effectif en tant que réel effectif", et se comprend comme nécessité, où le subjectif renonce à son arbitraire et sa particularité pour s'unir à l'objectif. Il reste malgré tout chez Hegel (et ceux qui s'en réclament) un primat de la causalité logique et spirituelle à laquelle on doit opposer la prépondérance des causalités matérielles, ainsi que la temporalité de l'après-coup à la place du projet initial ou de l'incarnation d'un logos (jouissance divine supposée à la fin de l'Encyclopédie!).

Il reste aussi chez lui une certaine identification de l'Esprit à l'Homme, qu'on peut dire inévitable à son époque mais qui a pour conséquence de biologiser l'Esprit en quelque sorte. Or, le simple fait que des scientifiques se soient mis à la recherche de signes d'une civilisation extraterrestre suffit à faire vaciller une identité humaine biologisante (sans parler de l'Intelligence Artificielle et des Transhumanistes). Cela relativise aussi notre rôle dans l'histoire. L'existence hypothétique de civilisations extraterrestres implique en effet une vision de l'évolution cognitive largement indépendante de nous et de notre espèce. C'est tout-à-fait conforme à la conception hégélienne d'une action souterraine de la raison dans l'histoire, en dépit des passions humaines, mais la supposition d'autres civilisations technologiques renforce l'autonomie de l'histoire et de l'Esprit au détriment de la liberté de l'Homme - qui n'en est plus qu'un agent quelconque.

Une conception cosmologique de l'évolution cognitive, avec des lois scientifiques identiques dans tout l'univers, constitue un nouveau progrès dans l'universalité. Du coup, c'est l'Esprit qui apparaît d'abord radicalement indépendant de la Nature et purement nécessaire en soi, progrès scientifique et processus de civilisation. Mais si la Nature semble l'inessentiel dans ses particularités planétaires par rapport à la logique ou la physique, en même temps, cet Esprit apparaît comme le résultat nécessaire de l'évolution naturelle et de la sélection par le résultat, restant dès lors un degré de la Nature malgré tout, soumis à l'urgence (histoire subie et non conçue). Cet "Esprit vivant", qui agit dans le monde, reconstitue certes l'unité du concept et du réel mais pas sans leur douloureuse contradiction, Esprit qui se cogne à une Nature qui lui résiste et sur laquelle il doit se régler dans la pratique.

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La domestication de l’homme par l’homme

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crâne humain et crâne néandertalienRené Riesel n'avait aucune idée d'à quel point il avait raison en parlant "Du progrès dans la domestication" puisque, plusieurs études semblent bien confirmer que notre espèce se caractérise justement par le fait que nous nous sommes domestiqués nous-mêmes (et féminisés) avant de domestiquer les animaux (d'abord les chiens). C'est un nouvel exemple de la façon dont nous avons été modelés par le milieu et la technique dans le sens d'une dénaturation culturelle nous séparant de l'animal sauvage en nous faisant plus dociles, capables de se retenir et de suivre des règles sociales, d'obéir enfin (c'est la capacité d'obéir qui donne sens à notre liberté).

Bien sûr, tout est relatif et progressif mais notre domestication signifie que nous avons dû apprendre à réfréner, voire refouler, nos instincts, ce qui se serait fait par élimination (de la reproduction au moins) des plus agressifs et impulsifs, c'est-à-dire principalement ceux qui avaient le plus de testostérone (cela se voit sur les crânes). La causalité hormonale n'est qu'un des aspects de cette sélection sociale mais elle constitue la condition nécessaire à une plus grande socialité, capable de remplacer la violence par le langage ou des rites (ce que Norbert Elias appelait la civilisation des moeurs, qui ne s'est donc pas arrêtée depuis). Il faut dire que les Bonobos aussi ont évolué dans cette direction mais en privilégiant la sexualité.

L'hypothèse intéressante ici, c'est que le développement de notre gros cerveau était antérieur à celui de la culture, précédant l'élimination des plus agressifs qui aurait été la conséquence de nos capacités cognitives permettant de se liguer contre les plus violents (condition de la culture). En d'autres termes, chez les humains, les gentils gagnent contre les méchants (contre la brute blonde néandertalienne), les fils peuvent tuer le père tyrannique de la horde primitive !

On peut d'ailleurs voir dans cette contestation des dominants et l'émergence de la force des faibles, la simple conséquence du perfectionnement et de la disponibilité des armes (qui permettent effectivement aux plus faibles de tuer les plus forts). C'est une hypothèse complémentaire à celle de l'extermination des autres populations consacrant la supériorité des armes et qui pouvait expliquer également l'accélération de l'évolution génétique constatée à cette époque, le rôle de la sélection interne ayant donc été tout autant déterminant, avec sans doute pour partie aussi une certaine domestication des hommes par les femmes (sélection sexuelle).

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Le réel au-delà de la technique

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On se croit facilement le centre du monde. Ainsi, il est tout aussi naturel de croire que le Soleil tourne autour de la Terre que de croire que ce sont les hommes qui font leur histoire ou que l'économie est déterminée par nos désirs alors que la réalité, c'est que nous sommes les produits de l'évolution (biologique et technique) aussi bien que de notre milieu social, ballotés par les événements et soumis à des puissances matérielles (militaires ou économiques). Nos désirs eux-mêmes sont déterminés socialement comme nos besoins le sont par l'organisation matérielle.

Croire que l'histoire serait voulue la rend incohérente sauf à imaginer un esprit mauvais qui se repaît de nos malheurs. Quand on est jeune on accuse facilement la génération de ses parents d'être responsable de ce monde sans âme et de toutes ses inadmissibles turpitudes. Quand on est plus grand, le bouc émissaire pourra être l'étranger, l'élite ou quelques complots puisqu'il faut un coupable au désastre. Beaucoup vont s'en prendre à des entités plus abstraites comme la technique, le capitalisme ou le néolibéralisme, mais personnalisées, comme si elles avaient des intentions, et conçues comme étant l'émanation d'une volonté perverse, d'une avidité sans limite, dont la domination serait plus totale que dans les régimes autoritaires, arrivant à coloniser les esprits par la publicité ou la propagande des médias. Ces concepts abstraits cherchent encore à désigner des coupables. Il y en a, incontestablement, mais en se focalisant sur les personnes, on ne fait pas que se tromper de cause, c'est le réel lui-même qui disparaît derrière ces accusations ad hominem.

Après s'être laissé aller dans sa jeunesse à ces indignations morales, Marx a voulu ensuite, avec le concept de système de production et d'infrastructure, revenir aux véritables causes matérielles du capitalisme qui s'imposait par sa productivité et "le bon marché des marchandises" (Manifeste). Il ne fait aucun doute que ce n'est plus pour lui le résultat d'un dérèglement individuel ou moral mais un stade nécessaire de notre développement, malgré toutes ses horreurs - qui devait seulement être dépassé par un communisme supposé encore plus efficient et rationnel. Pour Marx, il y avait bien un déterminisme de l'histoire et du système de production par le progrès des techniques, ne laissant guère de place aux acteurs, sinon celle d'accélérer le pas (ou le ralentir) vers un avenir tout tracé, supposé être miraculeusement ce dont on a toujours rêvé puisque la technique nous délivrant de la nécessité ouvrait enfin sur le règne de la liberté ! Comme c'est la lutte des classes qui devait assurer le passage au communisme, aboutissement de la grande industrie, le déterminisme technologique passait cependant au second plan dans l'action politique (mais on n'attendait pas la révolution de pays arriérés comme la Russie ou la Chine).

Jacques Ellul remettra (comme Kostas Axelos) la technique au centre du marxisme, mais cette fois comme système technicien devenu autonome et se retournant contre nous (déshumanisant et limitant notre liberté) - tout en maintenant l'illusion, au nom des sociétés du passé mais en contradiction avec son analyse systémique, que ce ne serait qu'un effet de l'idéologie progressiste, d'un bluff technologique, d'une perte de nos valeurs humaines. Il voudrait donc conjurer le déterminisme technologique par l'idéalisme (écolo ou religieux) ! Pourtant, s'il est vraiment autonome, le système technicien ne dépend plus de nous puisque c'est de son propre mouvement qu'il arraisonne le monde - et c'est bien ce qu'on constate - causalité extérieure à l'homme qui ne fait que courir après, ayant souvent du mal à suivre. Encore faut-il éclairer les raisons matérielles de cette course en avant (guerre, concurrence, profit, rareté) au lieu d'y opposer vainement des valeurs spirituelles et la nostalgie d'une nature perdue.

La dernière façon de réintroduire le désir humain dans l'évolution technique, c'est de considérer toute technique comme ambivalente, ce que Bernard Stiegler appelle des pharmaka, au nom du fait que les instruments techniques ne sont pas biologiquement régulés, étant hors du corps (exosomatiques), pouvant donc servir au bien autant qu'au mal, de remède (néguentropique) comme de poison (entropique). Nous resterions ainsi les acteurs de l'histoire par ses bons côtés (nos rêves) en le payant de ses effets pervers (cauchemardesques) mais en fait, Ellul montre que souvent on ne peut séparer les deux faces de la même pièce et, surtout, on rate ainsi la dynamique propre de l'évolution et sa détermination par le milieu.

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Brève histoire de l’homme, produit de la technique

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Il ne m'a pas semblé inutile de tenter une brève récapitulation à grands traits de l'histoire humaine d'un point de vue matérialiste, c'est-à-dire non pas tant de l'émergence de l'homme que de ce qui l'a modelé par la pression extérieure et nous a mené jusqu'ici où le règne de l'esprit reste celui de l'information et donc de l'extériorité. S'en tenir aux grandes lignes est certes trop simplificateur mais vaut toujours mieux que les récits mythiques encore plus simplistes qu'on s'en fait. De plus, cela permet de montrer comme on peut s'appuyer sur tout ce qu'on ignore pour réfuter les convictions idéalistes aussi bien que les constructions idéologiques genre "L'origine de la famille, de la propriété et de l'Etat" de Engels, sans aucun rapport avec la réalité.

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Les origines du miracle grec

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Ce qu'on appelle, pas pour rien, "le miracle grec" est un bon exemple de l'histoire idéaliste qui voudrait en faire une origine absolue et inexplicable, au lieu d'un stade nécessaire de la civilisation. Il y a deux erreurs qu'on peut faire sur le miracle grec : penser qu'il était une exception, une origine absolue, ou penser que ce n'était qu'un événement spirituel (Heidegger faisant les deux erreurs). Rien de mieux pour réfuter l'idéalisme et montrer que l'histoire résulte de causalités extérieures qu'un examen rapide des trois éléments matériels à l'origine de cette révolution cognitive (en dehors de conditions climatiques très favorables) : l'économie marchande, la guerre entre cités et la démocratisation de l'écriture par l'invention des voyelles.

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La naturalisation du capitalisme

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Les critiques du capitalisme ont toujours réfuté la naturalisation du capitalisme. Ainsi, du côté de Polanyi, c'est l'encastrement de l'économie dans le social qui est prétendu notre état naturel, et Bourdieu ajoutera qu'il y a, dans les sociétés traditionnelles, une négation constante des rapports économiques entre proches, remplacés autant que possible par le circuit du don. Certains vont même remonter jusqu'à la préhistoire pour démontrer que le capitalisme n'existait pas du tout à cette époque, et que donc nous pouvons vivre sans ! Il faut dire que ces critiques mènent souvent, sinon à la négation de l'évolution, du moins à prendre leurs distances avec le darwinisme considéré comme simple expression de l'idéologie capitaliste (ce qui est le cas pour Spencer, il est vrai) alors que Darwin avait souligné l'importance des instincts sociaux et de l'altruisme dans notre survie, c'est-à-dire des tendances anti-darwiniennes à court terme mais donnant un avantage à long terme. Il faut s'inquiéter lorsqu'une loi scientifique aussi fondamentale est contestée pour des raisons politiques mais il y a effectivement un conflit des interprétations et manipulation du concept d'évolution par les uns ou les autres, justifiant la domination d'un côté ou l'émancipation de l'autre. L'essentiel à reconnaître pourtant, c'est d'abord l'évolution elle-même, sa dynamique comme phénomène extérieur qui s'impose à tous et dans lequel nous sommes pris.

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Le féminisme d’un point de vue matérialiste

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letorchonbruleLe féminisme fournit un exemple emblématique de représentations collectives intériorisées et d'un changement idéologique qui se fonde sur des changements matériels et n'a donc rien d'arbitraire ni ne dépend d'inclinations personnelles et pas autant qu'on le croit de l'activisme féministe. Le féminisme manifeste ce qu'il y a de culturel mais aussi de lié à l'évolution technique, dans la division sexuelle qui n'explique donc pas tout, ce qui ne doit pas aller jusqu'à nier la part du biologique qui saute aux yeux (de façon trompeuse parfois). C'est un réel qui détermine l'idéologie, pas l'inverse. Le féminisme l'illustre à merveille, même à se persuader du contraire et s'imaginer que ce ne serait qu'une question de valeurs individuelles...

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L’accélération technologique

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nbicLa critique de la technique fait partie des fondements de l'écologie depuis Ellul mettant en cause le système technicien ou Illich les monopoles radicaux de la mégamachine et plaidant pour des outils conviviaux. Avec Gorz, la critique se fait plus politique d'un nucléaire incompatible avec la démocratie et de techniques hétéronomes opposées à celles qui nous donnent plus d'autonomie (passant d'une critique de la technique à une critique du travail et de la subordination salariale). Après-coup, on ne peut que constater à quel point cette critique de la technique a pu être assez souvent exagérée mais surtout qu'elle a échoué sur toute la ligne, ne parvenant pas à infléchir en quoi que ce soit une évolution technique qu'on subit entièrement et dont nous sommes beaucoup plus spectateurs qu'acteurs.

Le rattrapage actuel de la Chine rappelle l'échec de la Révolution Culturelle à suivre sa propre voie, avec ses propres techniques, d'avoir oublié les principes d'un matérialisme historique si dénigré alors que le progrès technique bouleverse les rapports sociaux comme jamais et s'impose très matériellement au système de production comme, en son temps, la machine à vapeur à l'industrie. En fait, ce qui rend désormais si tangible le caractère impersonnel et inéluctable de l'évolution technique, c'est bien son accélération dont on n'a encore rien vu, étant donné ce qui nous attend dans les prochaines années. Ce déferlement incessant suscite inévitablement une levée des résistances individuelles et ce qui devient simplement une critique des nouvelles techniques soumises à des comités d'éthique absolument sans autre effectivité qu'un très léger retard dans leur adoption. Il n'y a pas à s'en étonner, la résistance à l'évolution fait partie intégrante de l'évolution, de sa robustesse, mais sans autre effet qu'éphémère et très localisé. On peut empêcher localement des infrastructures, interdire des OGM (mais importer du soja modifié), tenter de sortir du nucléaire, réglementer à tour de bras mais pas empêcher partout dans le monde ces techniques d'être employées et perfectionnées, jusqu'à devoir s'y convertir malgré nous.

Il est en effet impossible d'oublier ce qu'on a appris, notre histoire étant celle d'un savoir cumulatif dans les sciences et techniques. L'évolution technique est largement darwinienne, guidée dans l'après-coup par l'information, l'extérieur, le milieu et non par les individus qui l'explorent, prenant ainsi véritablement le relais de l'évolution génétique qu'elle accélère déjà. Au même titre que l'évolution de l'espèce, mais pour des temps nettement plus réduits, l'état des techniques constitue le marqueur d'une époque et de notre être-au-monde, des transformations auxquelles nous sommes confrontés dans notre existence historique concrète et singulière, le vrai passage du temps qu'on ne rattrape jamais. Il vaut mieux le savoir et savoir que ça n'est pas près de s'arrêter, que nous ne pourrons ni sauter du train en marche ni faire barrage de notre corps à la vague qui nous engloutit.

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La théorie de l’évolution comme théorie de l’information

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L'interprétation de la théorie de l'évolution comme théorie de l'information et processus cognitif n'est pas nouvelle où c'est l'acquisition (la sélection) et la transmission d'informations génétiques par l'ADN qui produit, dans l'après-coup, une inversion locale de l'entropie par réaction adaptée, correction d'erreurs et reproduction. Le nouveau deep learning ou apprentissage autonome par renforcement, dont les performances en reconnaissance d'image surclassent largement les autres algorithmes, est lui-même basé sur la théorie de l'évolution comme théorie de l'information. Ce n'est pas ce qu'on discutera ici cependant, mais les conséquences sur notre être au monde d'une causalité qui vient de l'extérieur, dans l'après-coup, et d'une évolution dont nous continuons d'être les sujets loin d'en être les auteurs, matérialisme historique rénové qui réduit notre horizon temporel mais où se dissout la figure de l'homme et les prétentions de la subjectivité comme de l'identité.

En bouleversant complètement le monde et nos modes de vie, l'organisation sociale et le travail lui-même, le déferlement du numérique montre très concrètement qu'il y a un point sur lequel Marx avait complètement raison, et ce n'est certes pas sur le prophétisme communiste comme réalisation de la religion mais, tout au contraire, sur la détermination matérielle de l'histoire par la technique et l'impossible conservatisme face à une réalité révolutionnaire, découverte de l'évolution dans les systèmes de production indépendamment de notre bon vouloir. C'est cette appartenance à une évolution qui nous dépasse qui est inacceptable à la plupart, tout comme le déterminisme économique longtemps dénié et pourtant on ne peut plus manifeste.

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