Temps de lecture : 23 minutesDans la lignée de mon texte précédent, il s'agit de défaire la totalisation hégélienne qui va de l'existence individuelle à l'histoire, non pour réduire à rien la dialectique, qui reste si éclairante en de nombreuses occasions, mais pour montrer comme les différentes dimensions ont leur autonomie et leur propre logique, ne pouvant s'unifier en dépit des penchants totalitaires de la pensée, ce qu'ont pu confirmer encore les tentatives calamiteuses de traduction politique de l'existentialisme.
Il n'y a pas continuité de la subjectivité (singulière) aux sciences (universelles) ni au politique (particulier). La raison, qu'elle soit logique, calculante, technique ou cognitive, a incontestablement de larges domaines de pertinence mais à vouloir tout recouvrir de son scientisme, on s'aperçoit qu'elle efface ce qui nous distingue des machines, la part irrationnelle de l'âme dont on peut soutenir qu'elle constitue notre humanité au moins autant que la part rationnelle ("Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point"). Contre la simple identification d'Homo sapiens à un animal rationnel et à la conscience de soi, il faudrait admettre que nous sommes surtout des êtres parlants pris dans des récits familiaux et des croyances collectives, que nous sommes tout autant des Homo demens et que ce n'est pas un détail négligeable. En dehors de capacités techniques impersonnelles, notre humanité se manifeste en effet d'abord par ses mythes et religions (qui sont des histoires à dormir debout), comme au niveau individuel par la folie, le rêve, le fantasme, l'amour, le désir, les symptômes, actes manqués, etc., toutes choses dont les robots et intelligences artificielles sont complètement dépourvus, même à les doter de capacités émotionnelles. Ce sont paradoxalement les épreuves de la vie, nos traumatismes et blessures narcissiques, nos fragilités, nos défauts, nos bizarreries qui nous donnent une profondeur humaine, voire quelques talents spéciaux. La rationalité philosophique se trouve ainsi forcée de reconnaître son dehors et l'opacité à soi-même, tout comme la politique doit renoncer à forger un homme nouveau entièrement rationnel et le cognitivisme ou l'Intelligence Artificielle revoir leur conception de la conscience.
Après avoir montré la séparation de la pensée et de l'être, avec notamment l'autonomie de l'évolution cognitive et technique par rapport au politique, c'est donc l'autonomie de l'inconscient qu'on va mettre en lumière, ce qui oppose la philosophie à l'autre scène, celle de la psychanalyse, de l'incidence du langage et de notre enfance sur nos existences, au-delà de nos projets conscients et de tout souci cognitif puisqu'on est ici plutôt dans le refus de savoir, où la résistance est à la mesure de la vérité qui blesse. La démarche philosophique, y compris sous la forme d'une psychanalyse existentielle, se trouve ainsi débordée par l'évolution technique d'un côté, et par l'inconscient de l'autre, le véritable monde de la subjectivité et du récit de soi, qui se distingue radicalement de celui de l'économie ou du cognitif.
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