La globalisation aggrave les risques systémiques

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C'est presque une tautologie de dire que la globalisation aggrave les risques systémiques, de même qu'elle aggrave les risques de pandémie, mais l'application de la théorie de l'évolution à l'économie permet plus précisément de prédire que la mondialisation devrait accroître le risque de récession et de récupération lente, un phénomène qui serait corroboré par des données réelles.

C'est pourtant le contraire de ce qu'on prétendait à nous vendre une "mondialisation heureuse" qui n'était qu'un emballement insoutenable même si elle a permis le décollage de la Chine ou du Brésil, entre autres. Notre seule chance de sortie réside d'ailleurs dans le découplage relatif de ces pays et des vieilles économies endettées mais les interdépendances sont probablement trop fortes. De quoi nous condamner sans doute à une crise plus longue, en rapport avec les masses en jeu, mais c'est surtout l'occasion de revenir à plus de modularité ainsi qu'à la pluralité des systèmes, sur le modèle du vivant, ce qui a toujours constitué le fondement explicitement anti-totalitaire de l'écologie-politique.

Les biologistes ont longtemps tenté de comprendre la structure modulaire des êtres vivants, un module étant une structure qui peut fonctionner de façon relativement indépendante des autres parties du système. Ainsi, on peut considérer comme module l'écologie d'un milieu, un groupe au sein de cette écologie, un animal, un organe, une cellule au sein de cet organe, un gène au sein de cette cellule, et ainsi de suite.

Il y a 2 ans, Sun Jun et Michael Deem, des physiciens de l'Université Rice à Houston, ont fait l'hypothèse que cette modularité permet à un système d'évoluer plus facilement et réduit les risques d'effondrement catastrophique face à une agression extérieure.

Ils ont surtout montré que la modularité émerge spontanément de processus évolutionnistes relativement lents et qui échangent des informations.

Rien de nouveau pour l'écologie sinon de faire émerger cette modularité de ces 2 conditions : un temps long et des échanges d'information. Cette fois Deem a voulu appliquer ces principes au commerce mondial dont il a pu vérifier effectivement la modularité à toutes les échelles (entreprises, groupes de commerce, pays, etc.) mais aussi que la mondialisation et la suppression des barrières douanières tend à supprimer cette modularité.

Cependant, la mondialisation est un processus qui réduit la modularité, car elle encourage l'égalité des échanges entre les différentes entités dans différentes parties du monde. Seulement, dans les systèmes naturels, loin d'augmenter la robustesse du système face aux perturbations, une baisse de la modularité la diminue.

Ce qui est intéressant, c'est que cela semble effectivement confirmé par les données. Ils ont étudié la nature des différentes récessions mondiales depuis 1969 et ont constaté que l'augmentation de la mondialisation rend l'économie mondiale moins stable. Qui plus est, lorsqu'une récession se produit, la récupération est plus lente à mesure que la mondialisation progresse.

A rebours du mouvement précédent, on pourrait donc connaître avec cette crise un certain reflux de la globalisation avec un retour à une plus grande régionalisation au moins, sinon à l'éclatement de la zone Euro comme nous l'annonce Joseph Stiglitz. L'histoire ne va pas en ligne droite. Une autre caractéristique des systèmes vivants, en effet, c'est leur caractère cyclique traitant alternativement les excès et les manques (l'homéostasie n'est pas statique mais vivante, réactive). C'est d'ailleurs ce qui n'est pas pris assez en compte par les physiciens et fausse sans doute un peu les données (d'une phase B d'un cycle de Kondratieff), sans leur faire perdre toute pertinence. Il faut bien dire aussi que le reflux de la globalisation ne peut aller très loin avec la globalisation effective des communications sur laquelle on ne reviendra pas.

Les auteurs de l'étude prédisent un retour des hiérarchies et des accords bilatéraux préférentiels mais on peut penser que les effets pourraient être plus profonds en faveur d'une pluralité des systèmes (Un seul monde, plusieurs systèmes). Il faut souligner que Bernard Lietaer défend depuis quelque années cet argument du besoin d'une pluralité de monnaies, entre efficacité et capacité de résilience. Ce qui a toujours opposé l'écologie-politique aux anciennes idéologies plus ou moins totalitaires, c'est la valorisation de la diversité et du local qui prend au dépourvu les tendances étatistes et toutes les utopies simplificatrices.

En tout cas, les bienfaits de la modularité et de la relocalisation pourraient se faire sentir en premier lieu sur le plan monétaire effectivement : sortie de l'Euro pour pouvoir dévaluer sa dette ou monnaies locales pour maintenir l'activité locale malgré les désordres monétaires ? De quoi se méfier d'une monnaie mondiale qui ne serait pas du tout un gage de stabilité à long terme, contrairement aux apparences, car l'économie n'est pas stable et doit pouvoir s'ajuster aux cycles générationnels et situations locales. C'est l'erreur de tous les monétarismes d'isoler la monnaie des autres facteurs de production.

Il faudrait que cette crise qui est une crise de la globalisation, et pourrait donc s'étirer dans la durée, soit l'occasion d'une véritable réflexion sur l'altermondialisme, sur l'équilibre entre une mondialisation qui a ses avantages (y compris écologiquement) et la nécessaire pluralité des systèmes avec la préservation de leur autonomie relative, attirant l'attention sur une indispensable relocalisation enfin qui n'est pas assez prise au sérieux et dont les monnaies locales sont l'instrument privilégié (avec des coopératives municipales) à l'opposé d'un renfermement sur soi et d'une montée des nationalismes, qui risque d'être irrépressible, hélas.

Il faudrait que ce soit l'occasion de comprendre ce que signifie véritablement l'écologie-politique au-delà de la défense de l'environnement, et en quoi c'est notre avenir qui n'est peut-être pas à l'extension sans fin de la globalisation marchande.

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15 réflexions au sujet de “La globalisation aggrave les risques systémiques”

  1. L'éclatement de la zone euro permettrait, au moins en France, une plus grande bêtise encore, je crois. Aujourd'hui l'Europe joue un peu le rôle de bouclier contre la débilité ambiante. Évidemment il y a des choses à dire, l'Europe n'est pas vraiment à la hauteur, mais si la France sortait aujourd'hui de l'Europe soit elle rentrerait rapidement en guerre civile, soit le gouvernement jouerait habilement la carte de la Nation et inventerait une guerre contre des voisins (proches: car il n'est plus question de faire des guerres trop lointaines qui ne tuent pas assez de gens et qui ne nous détruisent aucune infrastructure: la Nation aura besoin de destruction pour survivre). C'est peut-être inévitable, pour des raisons de corruption du système, mais pas vraiment souhaitable. Je suis bien plus favorable à une régionalisation de l'Europe mais pas en singeant la Nation à un niveau plus local, sinon ça sert à rien, à des monnaies locales d'accord mais en gardant l'Euro au-dessus.

  2. Il ne s'agit pas de ce qu'on pourrait souhaiter mais de ce qui risque de se passer ! Sauf disparition de l'Euro, peu probable, ce sont des pays comme la Grèce et l'Espagne, voire l'Irlande ou le Portugal qui risquent de quitter la zone Euro sous la pression des événements, pas la France. Il n'empêche que ce serait souhaitable que ces pays trop découplés de l'Europe du nord aient leur propre monnaie ou alors, il faut une aide massive de l'Europe et une repolitisation de la monnaie, non pour éviter les bêtises (hélas) mais pour pouvoir les réparer...

  3. @ropib :

    Ca me parait tout à fait l'argument des européistes béats que de prétendre que l'europe nous protège des guerres. Ca a été longtemps celui de Hollande, en tous cas pas celui de Védrine.

    Si les pays européens ont cessé de s'entre tuer, c'est que les 2 guerres mondiales leur ont appris un peu.

    La guerre des monnaies actuelles montre à quel point l'euro est un carcan et à quel point les monnaies sans accord international mènent au foutoir.

    Nous sommes dans la période protectionniste des années 30, un protectionnisme dans le désordre. C'est pas l'europe qui règlera quoi que ce soit, y compris celle des régions.

  4. @olaf> Je suis d'accord pour dire que l'Europe, en soi, ne protège pas des guerres, je dis que les logiques nationales ne pourront proposer que la guerre comme projet politique et que l'Europe empêche les Nations de faire n'importe quoi. Maintenant tout changera peut-être: l'Europe proposera-t-elle aussi la guerre comme solution à l'amoncellement de crises que nous connaissons ? J'en doute.
    @jean>L'Europe n'empeche pas la bêtise, elle est en concurrence avec les bêtises nationales. De plus je pense que si la pression des évènements ne force pas la France à quitter la zone Euro, je pense que la sortie des autres pays cités entraînera les évènements à même de mettre la pression suffisante pour en faire sortir la France à son tour... Nous verrons bien, mais en ce moment j'ai plutôt envie d'envisager la fuite et de me préparer un plan de sortie personnel.

  5. Je ne crois pas trop au retour des guerres dans les sociétés développées, domaine où la suprématie des USA est totale tout en étant impuissante mais la dissuasion joue toujours. Je crois beaucoup plus au retour de la violence et à une fascisation des esprits que j'espère assez courte.

    Il ne faut pas sous-estimer l'accélération des échanges d'information et des capacités de réaction. On ne peut prévoir plusieurs coups d'avance car tout dépend de l'après-coup et si je nous crois trop bêtes pour éviter d'aller au pire (errare), je nous crois capables d'éviter de nous enferrer dans l'erreur (persevare).

    Il ne semble pas possible qu'on s'en sorte dès que les taux d'intérêt vont remonter mais, le problème, c'est que c'est globalisé, il n'y a pas de dehors. Ce n'est pas seulement l'euro qui risque d'éclater, c'est le dollar qui devrait s'effondrer, sans parler de la livre, etc., avec des répercussions sur toutes les économies. D'un autre côté, une fois la catastrophe certaine, la globalisation nous donne les moyens de nous en sortir par un pilotage fin au niveau mondial qui n'est possible qu'une fois les rapports de force reconnus. Tout cela pourrait prendre beaucoup de temps ou se précipiter par une panique générale mais il sera difficile de s'en sortir tout seul, ni même en comptant sur le parrainage bienveillant de la Chine (comme Paul Jorion l'a pertinemment remarqué, ce n'est pas la fin de l'hégémonie avec le déclin de l'hégémonie américaine, c'est le passage à une autre hégémonie, mais la situation reste inextricable).

    En attendant, l'étonnant c'est toujours que les affaires continuent mais peut-être plus pour longtemps. Je doute de la réussite de la grève reconductible mais un échec ne ferait que relancer le besoin de radicalité, ça va sûrement bouger. On n'est pas dans un processus linéaire mais fractal...

  6. Votre commentaire sur la Chine illustre combien vous ignorez tout de ce pays. On ne peut pas déduire de son attitude économique sa stratégie géo-politique. Ayant vécu 8 ans à Beijing et 3 ans à Chengdu, j'ai acquis la certitude que lorsque le temps de la Chine sera venu, nous regretterons à coup sûr les velléités américaines. Car si les Etats-Unis ont une tradition politique historique qui temporise les effets collatéraux de la surpuissance, ce n'est pas le cas de la Chine.

    Je sais bien que cela ne dit rien à personne, obnubilé par les ravages de l'hégémonie américaine, nous oublions trop souvent que toute montée en puissance s'accompagne corrélativement d'une poussée natio-fasciste. Cet aspect est d'autant plus fort que le sentiment de fierté culturelle est très fort en Chine. Le dernier aspect est sans doute le plus effrayant, c'est l'immense passivité du peuple chinois. Les chinois appellent eux-même la Chine "La dure mère", parce qu'historiquement le peuple chinois supporte et endure ce que lui fait subir leur 母亲, leur mère. Pour comprendre la portée d'une phrase aussi simple, il faut percevoir derrière "la mère" toutes l'importance de la structure familiale et l'emprise générationnelle, mais si il l'appelle "mère", c'est aussi pour dire "celle qui éduque", "celle contre qui on ne se révolte pas".

    Et ce n'est pas Liu Xiaobo ou la Charte 08 qui changera en quelques années une inclinaison pluri-millénaire du peuple chinois.

  7. Il est vrai que j'ignore tout de la Chine mais ce que je dis n'est pourtant pas si différent, ce commentaire ne répondant peut-être pas au précédent ?

    Je serais quand même plus circonspect sur l'attitude des Chinois qui me semblent pouvoir évoluer rapidement, une résurgence de la révolution culturelle sous une forme ou une autre me semble aussi inévitable que le retour des tendances fascisantes ici, qui semblaient impensables il y a peu, mais l'histoire fait bouger les lignes et la globalisation est devenue bien réelle des communications et technologies au moins, nous sommes au tout début de l'unification du monde.

  8. Effectivement mon commentaire ne répondait pas au précédent, il s'agit d'une malencontreuse coïncidence. Mon commentaire était en écho à : "... Chine puisse nous sauver mais son rôle est étonnant, avec une vision à long terme et un retour de la politique jouant l'alliance avec l'Europe pour mettre fin à l'hégémonie américaine (et au dollar roi)"

    Je pense, au sujet de la Chine, qu'il ne faut pas confondre une "vision à long terme" qui aurait déjà les moyens de sa réalisation et une "projection stratégique". Les évènements récents sur l'ïle de Senkaku illustre la position chinoise à merveille. Cette île représente une position stratégique essentielle vis-à-vis de Taïwan et du Japon, il permettrait à une éventuelle flotte d'atteindre le pacifique sans passer par les eaux territoriales japonaises. La Chine sait que, pour l'instant, elle ne dispose d'aucune puissance matérielle et moins encore logistique pour faire face à la 7e flotte américaine qui patrouille dans le pacifique. En revanche elle prépare le passage qu'emprunterait une flotte dans les décennies à venir.

    Quoi qu'il en soit, il ne faut pas confondre "vision à long terme", qui n'existe dans l'esprit chinois qu'autant que les préparatifs de leurs hégémonies prendront quelques décennies (du point de vue militaire), et la position d'attente du serpent.

    Le mot d'ordre n'est donc pas "vision à long terme" mais "patience" : "Le pouvoir est patience ; avec du temps et de la patience, la feuille du mûrier devient soie" dit justement le proverbe.

  9. Oui mais The times they are a-changin'. Hegel n'est pas si optimiste qu'on le dit puisqu'il faut toujours passer par le travail du négatif (et du scepticisme) mais son côté optimiste vient de ce qu'il appelle la "ruse de la raison" qui consiste à ce que les intérêts particuliers doivent se justifier dès lors qu'on parle et qu'ils s'universalisent ainsi malgré eux, la raison finissant par l'emporter à long terme en dépit des vicissitudes du présent livré aux aléas de la puissance. Le monde changera plus dans les 10 ans qui viennent que les Chinois ne l'imaginent (pas seulement eux) !

  10. sur la fascisation des esprits , , c'est plus du tout un phénomène émergeant , comme dans les années 80 , mais très installé ( au bas mot 90 % de la population est microfasciste et le racisme anti pauvre est plus que milliénéaire ) les déclarations de guerres aux banlieues s'accéllère et j'ai du mal à croire en quoi ça pourrait monter d'un cran, sauf à faire intervenir l'armée . les foules parano sont là elle s'exprimes depuis quelques années déjà . non le nouveaux ici ça serait qu'il y a une foule en face pour leur barrer le chemin . il y a des chance qu'on l'attende longtemps .

  11. C'est vrai que la technique peut encore nous surprendre, donc d'accord pour dire que "The times they are a-changin" par contre, en ce qui concerne les risques systémiques je ne crois pas qu'ils puissent être encore plus aggravés! D'ailleurs, si la globalisation est un phénomène moderne qu'en était-il du temps des empires européens?

  12. Il semble certain que les risques systémiques sont d'autant plus élevés qu'il y a la globalisation sans les institutions de régulation nécessaires, de même qu'il y a l'Euro sans unité des systèmes fiscaux ou sociaux. L'écologie-politique devrait réduire les risques systémiques à coupler la globalisation avec un penser global et une autonomie locale.

    La mondialisation commence depuis le début selon Toynbee, mais il y avait toujours rapport à l'autre, à un autre empire, à un extérieur qui n'existe plus. La première crise économique mondiale se situe sans doute vers 1860 et la première mondialisation mais le monde était encore très morcelé. Notre situation est vraiment inédite.

  13. Cette démorcelisation virtuelle du monde me parait liée à l'évolution de la perception de l'information et des transports qui nous intuite qu'il n'y pas tant de barrières. Sauf que dans la vraie vie, il y en a. Les barrières sont de l'ordre de l'artisanat, des nano machines, dit autrement.

    Finalement, Virilio n'a pas tord de critiquer la tentation de réduction de l'espace et du temps, sans pour autant rejeter le progrès à long terme.

  14. Un livre intéressant, les empires dans l'histoire, montre que les nations ne sont pas aussi importantes qu'on le croit, avec l'illusion de peuples qui se gouverneraient eux-mêmes alors qu'on fait toujours partie d'un empire. C'est une salutaire remise en cause de l'idéologie officielle. On peut ajouter que ces empires sont sujets à des cycles entre grandeur et décadence, conquêtes et dislocation. C'est en tout cas un niveau qu'on ne peut négliger entre local, national et global.

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