Le sujet de la science

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science-religionLa plupart des "intellectuels" de notre temps, y compris ceux qui se veulent les plus subversifs, ne sont que des moralistes et des idéologues qui produisent une littérature édifiante sans aucune portée et qui semble destinée plutôt à nous raconter ce qu'on veut entendre - ce qui les met du côté des religions. Cette réaction "humaniste" peut, en effet, être caractérisée comme une religion du sujet exaltant sa liberté contre les sciences et techniques qui en dénoncent au contraire les illusions, notamment politiques. C'est cette opposition du sujet à la science comme du volontarisme au déterminisme qui prend la place des grandes idéologies du siècle dernier, témoignage de la difficulté à intégrer les avancées des sciences et les bouleversements de technologies qui nous transforment au point de mettre en question notre humanité même (la mise en question de notre être devient une question très concrète).

C'est donc parce qu'elle serait menacée par les sciences et techniques qu'on va chercher à donner un contenu positif à une humanité qu'on reconnaît même aux fous et aux pires criminels, qui ne sont effectivement traités ni en animaux, ni en robots. Malheureusement, sans le support de la religion, il n'est pas si facile de démarquer l'un de l'autre par une qualité véritablement universelle, jusque dans les états les plus pathologiques (comateux par exemple). A la place, on ne fait souvent que surévaluer grossièrement la subjectivité, la parole, l'intelligence, la culture.

Sans avoir rien à renier de nos déterminismes ni des sciences, il est possible pourtant de sauvegarder une place éminente au sujet qui l'oppose radicalement aux simples objets mais aussi aux autres animaux (il ne s'agit pas de vitalisme). Ce sujet de la science est cependant dépouillé de tout narcissisme. En son universalité, ce n'est pas une identité ni une essence mais uniquement une "position de sujet", dissymétrie qu'on retrouve dans la position du citoyen par rapport aux pouvoirs, ce qui est sa dimension politique. Toute tentative de définir ce sujet de la science que nous sommes par quelque particularité ne peut qu'échouer en menant à la négation (plus ou moins violente) d'une partie de notre humanité mais aussi à la crainte de la perdre soi-même, alors qu'un sujet, cela résiste à tout comme on le voit notamment avec le sujet de la folie.

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Qu’est-ce que la subjectivité ?

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subjectiviteOn peut dire que l'année aura été consacrée à une mise en cause radicale de la subjectivité dans ses conceptions religieuses ou mythiques qui n'épargnent pas la philosophie, jusqu'à l'existentialisme au moins, ni bien sûr la politique, en particulier le supposé rationalisme démocratique plutôt démenti par les faits. Tout cela n'empêche pas la subjectivité d'exister et de constituer notre expérience intime de la vie.

Après avoir constaté à quel point elle était plus déterminée que déterminante - que nous ne sommes pas le centre de l'univers autant qu'il nous semble et que son destin ne dépend pas de nous autant qu'on l'imagine -, il faut bien réintroduire une subjectivité définie non seulement par la représentation mais par ce qu'on ressent et ce qu'on peut, par ce qui caractérise notre être-au-monde, c'est-à-dire d'être confronté à des rencontres et des possibilités qu'on n'a pas choisies mais qui constituent bien notre réalité actuelle, réalité constituée essentiellement de rapports sociaux (être-pour-les-autres). Réalité à laquelle le sujet s'oppose par construction, dénonçant son indifférence et ses injustices qu'on ne peut cependant corriger que localement, une par une. Il reste bien ce qui dépend de nous, l'intervention pratique de la subjectivité et du vivant, notre marge de liberté et d'action même si des forces supérieures ont finalement le dernier mot et que notre esprit est brouillé par toutes sortes d'influences néfastes qui l'aveuglent si souvent (il n'y a pas de désir de savoir mais seulement de croyances rassurantes).

Cette réintroduction de la subjectivité dans une histoire soumise à des causalités plus matérielles avait déjà été tentée par Jean-Paul Sartre autour de 1960, en réponse aux attaques de Lukàcs[1], avec "Question de méthode" essayant de concilier "Marxisme et existentialisme", ce qui aboutira à sa "Critique de la raison dialectique". Il n'arrivera pas à en achever le second tome qui tentait vainement de fonder une intelligibilité de l'histoire comme si elle était l'émanation de la subjectivité (et non le règne de l'après-coup). Sous le titre Qu'est-ce que la subjectivité ? vient de paraître justement une conférence italienne de 1962 initialement appelée "Marxisme et subjectivité", ce qu'on pourrait traduire par "matérialisme et subjectivité", voire déterminisme et liberté, illustrant avec des anecdotes son grand oeuvre qu'il venait de publier et préfigurant son travail sur Flaubert, sorte de psychanalyse matérialiste. Plutôt que d'en faire une véritable critique, c'est surtout l'occasion de réexaminer l'incidence politique d'une subjectivité dépouillée de sa transparence à soi.

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Le plaisir du travail

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la valeur travailDebord considérait que son acte le plus subversif avait été d'écrire sur un mur "Ne travaillez jamais" et Rimbaud disait avoir "horreur de tous les métiers". Rien ne paraît plus réactionnaire que de vouloir valoriser le travail en soi, simple justification d'une exploitation éhontée et de la soumission passive au devoir comme à la peine (travail, famille, patrie).

Il y avait incontestablement quelques bonnes raisons, depuis notre exil du paradis des chasseurs-cueilleurs, d'identifier le travail à la peine et la contrainte, punition divine sinon forme d'esclavage. Il se pourrait cependant qu'à l'ère du numérique et de l'automatisation, le travail se dépouille de sa pénibilité physique pour ne plus consister en simple dépense d'énergie, comme dans la thermodynamique originelle, mais bien plutôt comme l'inverse de l'entropie ce qui n'est pas exactement la même chose et moins fatiguant à s'appuyer, tout comme la cueillette, plutôt sur l'information (comparable au démon de Maxwell triant les molécules les plus rapides au lieu de les accélérer). Sur cette face, on peut dire le travail "immatériel" du fait qu'il n'exploite pas une "force de travail" mais mobilise des subjectivités avec leurs compétences particulières pour l'exécution d'une tâche au service d'un objectif commun.

Dans ce contexte, il faut montrer en quoi l'autonomie est essentielle pour sortir de l'aliénation salariale mais aussi qu'il ne s'agit absolument pas de se délivrer du travail comme du royaume de la nécessité pour un royaume de la liberté qui se révèle bien vide et livré en général à de si piètres divertissements. Il ne s'agit pas de s'éviter toute difficulté, ni même d'épargner les corps mais de passer du travail forcé au travail choisi, du travail souffrance ("désutilité") au travail plaisir voire au travail passion, il s'agit enfin de rendre le travail désirable autant que faire se peut. Ce qu'il est déjà d'une certaine façon, si l'on en croit les sondages et malgré de nombreux contre-exemples, d'autant plus convoité sans doute qu'il manque (il faut voir comme les salariés défendent leur emploi). Il y a encore de grands progrès à faire pour qu'on puisse s'en satisfaire, notamment à gagner un peu plus en autonomie, mais ce qui pourrait passer raisonnablement pour de simples voeux pieux semble malgré tout confirmé par les évolutions en cours.

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Sortir du capitalisme. Le scénario Gorz

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Colloque organisé à Montreuil en novembre 2012 par le MAUSS
ScenarioGorzJe dois dire que j'ai trouvé cet ensemble de 16 courtes communications plus intéressant que le livre précédent sur Gorz ("André Gorz, un penseur pour le XXIème siècle") auquel j'avais pourtant participé, témoignant mieux, par les critiques même dont il est l'objet, de sa position singulière en même temps que de tous les débats auxquels il a été associé, principalement autour des thèmes de l'autonomie et du travail. S'y dessine d'une certaine façon la constellation intellectuelle de la gauche depuis Mai68 avec toutes ses divisions idéologiques (qu'on peut trouver risibles pour la plupart) et la suite d'échecs auxquels elle a été confrontée ainsi que les si difficiles révisions auxquelles il a fallu se résoudre (du communisme à l'autogestion puis la RTT et le travail autonome enfin), Gorz devançant souvent les autres et pas seulement dans sa politisation de l'écologie.

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Du matérialisme historique au volontarisme fasciste

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A partir de Gentile et de l'interprétation du matérialisme historique comme praxis

Le principal défaut de tout matérialisme jusqu'ici est que l'objet extérieur, la réalité, le sensible ne sont saisis que sous la forme d'Objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine sensible, en tant que pratique, de façon subjective.
[...]
Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de diverses manières mais ce qui importe, c'est de le transformer. (Thèses sur Feuerbach, Karl Marx)

Gentile, La Philosophie De MarxSi Heidegger a été nazi au nom d'une philosophie de l'existence, il avait été précédé par l'actualisme de Giovanni Gentile, philosophe officiel du fascisme. Il est primordial de comprendre de quelle façon le fascisme provient du marxisme, à partir d'une interprétation idéaliste à la fois de l'injonction de transformer le monde et de la praxis, d'un sujet actif opposé à un objet passif (bien avant Lukács). L'autonomie donnée à l'idéologie et aux conceptions du monde par rapport à l'infrastructure en fait un choix arbitraire de valeurs, dans un historicisme assumé, un peu comme celui de Heidegger à ses débuts (malgré de grandes différences) donnant l'illusion de pouvoir changer l'histoire elle-même. On peut y voir l'origine de la réduction du politique à la morale (l'éthico-politique de Gramsci - le plus influencé par Gentile - véritable religion laïque remplacée aujourd'hui logiquement par l'islamisme) menant tout droit aux tendances rouges-bruns qui contamineront les marxismes eux-mêmes. Ce processus de fascisation se caractérise par l'abandon du matérialisme au profit du volontarisme et d'un constructivisme dépourvu de dialectique (qu'on peut dire kantien) où la transformation du monde ne tient plus qu'à la lutte idéologique, à l'espoir que "l'idée devienne force matérielle en s'emparant des masses" (ce qui sera la force du mythe pour un Georges Sorel au parcours effectivement sinueux entre gauche et droite, syndicalisme révolutionnaire et royalistes ou fascistes).

Cette traduction bilingue de "La Filosofia di Marx" de Gentile (1899), préfacée par André Tosel, ne sera pas seulement l'occasion de dénoncer les fausses interprétations du rôle des hommes dans l'histoire, conceptions qui sont à l'origine de l'égarement de la gauche comme de la droite dans le siècle des idéologies, mais aussi de préciser le sens que peut avoir pour nous un matérialisme historique et dialectique, matérialisme pratique impliquant certes l'action de l'homme mais qui est plus déterminée que déterminante (en dernière instance).

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Une existence digne de ce nom

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WPBanksy-life-is-beautifulLa remise en cause de notre existence est à la fois la chose la plus banale et la plus embrouillée. Difficile d'en tirer les fils sans s'y perdre, marché florissant des sagesses, des religions comme du "développement personnel", sinon des philosophes médiatiques qui prétendent nous donner les clés du bonheur et nous apprendre à être nous-mêmes ! S'il y a tant de charlatans, c'est malgré tout que la question de l'exigence d'une "existence digne de ce nom" se pose et n'est pas de celles dont on se débarrasse si facilement même si elle n'a pas forcément de réponse (ou alors plusieurs).

Ce serait une erreur de réduire la philosophie à cette question de la vie bonne, comme beaucoup le font dans la confusion entre la passion de la vérité et le souci thérapeutique (ou les technologies du bien-être). Il n'empêche que la question se pose à laquelle tous les philosophes sont confrontés, s'empressant d'y répondre en général par le plaisir de la connaissance et de la contemplation ainsi que par le mépris des autres plaisirs, trop éphémères et bestiaux à leur goût - avec le souci, au nom du gouvernement de soi et de l'auto-nomie, du détachement des passions et de nous délivrer du singulier par l'universel, autant dire nous délivrer du souci de l'existence, tout au plus nous apprendre à mourir (consolation de la philosophie). De ne pas situer la vérité hors de la vie ni la réduire aux plaisirs du corps, l'existentialisme introduit une toute autre exigence d'intensité, de créativité, de prise de risque qui est sans aucun doute sa part d'irrationalisme mais peut-être pas aussi fou qu'un rationalisme qui se croirait dépourvu de contradictions (alors qu'il en vit) et resterait insensible au vécu individuel. Pour Sartre, l'existentialisme est un humanisme, ce que récusera Heidegger, mais c'est incontestablement pour l'un comme pour l'autre, une nouvelle éthique plus qu'une ontologie, dans le rapport à soi-même au lieu d'une morale du rapport à l'autre et sa liberté (comme l'avait cru Gorz). Mon récent retour sur les premiers cours de Heidegger m'a semblé en tout cas l'occasion de se confronter à cette exigence de vérité dans l'existence qui nous met face à notre liberté et à nos choix.

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Retour à l’origine de la pensée de Heidegger

Temps de lecture : 31 minutes

OntologieLa parution des premiers cours de Heidegger est un événement important pour comprendre les origines de sa pensée, lui qui prônait justement de toujours revenir à l'origine pour se délester de tous les discours qui la recouvrent. Cela permet aussi de se réconcilier avec les problématiques qu'il a mises au jour, et qui alimenteront toute la période existentialiste, avant leur contamination par la période nazie (et même s'il fréquentait déjà les cercles réactionnaires et pangermanistes). De quoi mieux comprendre à quel point son parcours s'enracine dans la théologie (notamment Luther et Kierkegaard bien qu'il soit lui-même catholique "à l'origine" O22), ce qui expliquerait la religiosité de ses partisans, ainsi que ce qui l'oppose radicalement à la phénoménologie dans laquelle il s'est pourtant formé comme assistant de Husserl. Celui-ci est en effet accusé de scientisme, à viser une certitude impersonnelle, alors qu'il s'attache lui-même à la temporalité de l'existence et son historicisme vécu (nébulosité éloignée d'idées claires et distinctes), assumant sa finitude et son point de vue dont nul ne saurait s'abstraire. Ce qui est mis ainsi en valeur, c'est le rapport direct et personnel de chacun à l'histoire, historicité de l'être-là humain comme ouverture aux possibilités du moment (être dans un monde).

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Le tournant identitaire et gnostique du nazi Heidegger

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Jean-Pierre Faye, L'expérience narrative et ses transformations, 2010

Jusqu'ici les philosophes n'ont fait qu'examiner les récits, la narration, le mythos à la lumière du logos, de la raison. N'est-il pas urgent d'examiner les "raisons" à la lumière des positions de narration ? Une simple "tache" narrative peut contribuer à renverser la position de la "pensée". p59

S'il y a bien un aveuglement consternant, c'est celui d'un grand nombre d'intellectuels envers le nazisme de Heidegger, qui n'aurait jamais dû faire le moindre doute pourtant, et qu'on peut assimiler à du négationnisme (il faut voir comme Guillaume Fagniez, dans le numéro de l'hiver 2012 de la revue Philosophie, tente de désamorcer, en dépit du contexte lourdement antisémite, la charge de Heidegger contre "l'Asiatique" dans une conférence italienne de 1936 "L'Europe et la philosophie allemande" et de le disculper entièrement par la méfiance qu'il suscite malgré tout chez les idéologues officiels alors qu'il est quand même l'ambassadeur du régime à cette occasion et membre du parti - certes du côté des SA qui avaient perdu la partie en 1934). Il faut bien dire que même ceux qui parlaient déjà, comme moi, du nazi Heidegger, avaient cependant tendance à atténuer sa responsabilité, en faisant tout au plus un "idiot utile" du régime, sa conception toute personnelle du national-socialisme étant supposée très éloignée de la vulgarité d'un racisme biologique et de toute politique d'extermination. C'était sans doute le croire plus bête qu'il n'était car on découvre depuis quelques années à quel point il adhérait à l'idéologie hitlérienne et tentait de l'intégrer à sa philosophie, d'en donner sa version du moins, certes critique mais avec le souci de se conformer à l'orthodoxie nazi, et pas seulement pour se protéger.

Ce qu'il appellera lui-même un tournant de sa philosophie, daté de son époque nazie, se révélera effectivement une véritable introduction du nazisme dans la philosophie, passant de l'angoisse de la mort trop individuelle à l'enracinement, l'identitaire, l'originaire, l'appartenance à un peuple mythique, le retour d'une religiosité vaguement mystique et la réduction de l'histoire à une décadence où nous perdrions notre humanité et notre âme à cause de l'empire de la technique et de la raison. On ne peut dire que ce soit un tournant nazi car il était encore plus nazi avant mais bien l'introduction de son nazisme dans sa philosophie (devenue en même temps critique du nazisme réel, un peu comme un trotskiste critiquant Staline). On ne peut dire non plus que ces thèmes soient étrangers à notre actualité, leur résurgence témoignant plutôt qu'ils n'ont pas fait l'objet d'assez d'attention de la part de nos penseurs.

Il faut tout de suite préciser que cette faute originelle ne suffit pas à l'annulation de tout ce que Heidegger a pu apporter à la philosophie et qui est considérable mais c'est justement le scandale, exigeant d'y penser à deux fois et qui ne peut laisser indemne ses apports justement. Le point sur lequel je voudrais insister et qui rapproche l'existentialisme d'une sagesse plus que d'une philo-sophie avec le thème de l'aliénation, c'est la complicité entre authenticité et extermination. De quoi choquer, certes, les âmes sensibles qui trouveront cela trop exagéré pour leurs intentions si pures mais qu'on ne peut que constater chez les critiques de la technique comme de l'aliénation ravalant facilement les autres à des automates ou des bêtes en troupeau, délestés de toute humanité. La recherche de l'origine comme de leur propre identité en aura décidément ébloui beaucoup trop par ses promesses d'inouï (et il faut bien dire que ses analyses existentiales pouvaient être éblouissantes, tout comme sa lecture du Sophiste par exemple, et ce qu'il peut avoir de plus faux reste un moment de la vérité comme sujet qui se dévoile dans ses errements mêmes, impossible à expulser de l'histoire de la philosophie, pas plus qu'on ne peut expulser le nazisme de l'Histoire qui ne renvoie pas à une vérité de l'origine mais au compte de ses impasses et illusions).

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Critique de la critique

Temps de lecture : 32 minutes

J'avais déjà montré comme les mouvements d'avant-garde post-révolutionnaires pouvaient trouver leur modèle originel dans le trio d'étudiants formé par Hölderlin, Schelling et Hegel (la poésie, la mythologie et la science) voulant réaliser immédiatement ce qui leur apparaissait comme la Vérité même dont la Révolution française leur avait donné la preuve en même temps qu'un sentiment d'inachèvement avec la grande déception thermidorienne finissant en césarisme... On peut dire que Hegel a forgé sa dialectique sur ces contradictions de l'affirmation d'une liberté absolue qui mène à la Terreur supprimant toute liberté alors qu'ensuite l'Empire dominateur répand le Code civil et le règne du Droit, apportant la liberté dans une grande part de l'Europe ! Ce renoncement à l'immédiateté est de l'ordre d'un deuil impossible qui plongera Hegel dans une grande dépression mais il ne faut pas voir dans ses élans de jeunesse un simple égarement qu'il aurait dû surmonter car l'opposition au monde et la négation de l'existant constituent le moment initial de la dialectique qui s'enclenche avec la nécessité que ce premier positionnement critique soit suivi d'une "critique de la critique". C'est effectivement ce qu'on désigne habituellement comme le troisième temps d'une dialectique qui ne se limite certes pas à l'opposition des bons et des méchants car après la thèse puis l'antithèse, il y a la "négation de la négation" qu'on appelle trop rapidement synthèse. C'est, en effet, loin d'être la fin de l'histoire, plutôt l'engagement dans une série de rebondissements futurs et de retournements contradictoires dont le schéma est toujours à peu près le même. Si un mouvement révolutionnaire se pose d'abord en s'opposant à l'ordre établi et son discours trompeur, son arbitraire, ses injustices, il lui faut ensuite faire face à ses divisions internes et ses propres préjugés à mesure qu'il devient lui-même un pouvoir.

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La débandade de l’avant-garde

Temps de lecture : 35 minutes

Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée. (Une saison en enfer)

Il arrive qu'on se réveille de notre sommeil dogmatique, contemplant avec étonnement nos anciennes croyances. Il parait soudain inimaginable qu'on ait pu donner foi avec tant d'arrogance à pareilles fadaises. Bien sûr, c'était chaque fois pour la bonne cause, et nos trop bonnes intentions qui nous trompaient. Mieux vaut croire à l'impossible que renoncer ! Du coup, ceux qui retrouvent un minimum de lucidité s'imaginent en général qu'il n'y a pas d'autre choix que de passer à l'ennemi, toute honte bue. On en fait même souvent une simple question d'âge !

Cela pose surtout la question de savoir s'il faut obligatoirement être un crétin ou un allumé pour être un activiste, avant-garde qui reste engluée dans la religiosité, mais il faut bien avouer que le mauvais exemple vient de haut, les plus grands esprits ayant pu s'y laisser prendre à se croire effectivement l'avant-garde de l'humanité et la conscience du monde!

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Le savoir-vivre à l’usage des post-modernes

Temps de lecture : 26 minutes

C'est fou le nombre de gens qui voudraient nous apprendre à vivre, flics, curés, psychologues, éducateurs, philosophes médiatiques, etc. A cette foule innombrable, se joignent désormais quelques pseudo-révolutionnaires pontifiants et surtout les nouveaux écologistes qui nous font la morale et prétendent savoir ce qu'il nous faut : une vie naturelle et même pour certains une écologie mentale, mazette ! D'une certaine façon, on peut dire que cette pression sociale est inévitable mais si « le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard », c'est qu'apprendre à vivre, on ne fait que ça, c'est la vie elle-même et pourquoi il ne peut y avoir de véritable « savoir-vivre » en même temps que ce savoir nous constitue et se construit tout au long de notre existence avec son lot de ruptures, de retournements, de désillusions, de surprises.

Ce serait une terrible régression pour nos libertés de ne pas respecter une stricte laïcité sur ce sujet et, de même que les professeurs n'ont pas à se prendre pour des éducateurs mais à transmettre leur savoir, l'écologie-politique ne peut décider de ce que serait la bonne vie, devant absolument se limiter aux dimensions cognitives et politiques sans pénétrer aucunement dans l'espace privé auquel doit être laissé la plus grande autonomie.

Comme toute séparation, celle du privé et du public reste malgré tout relative et poreuse, ce qui était déjà sensible dans la médecine et ses enjeux biopolitiques mais se manifeste singulièrement de nos jours avec le féminisme ou l'écologie. C'est pourtant cette séparation entre morale et politique qu'on cherchera à maintenir fermement ici en montrant d'abord pourquoi il ne peut y avoir de véritable savoir-vivre (qui serait une vie déjà vécue) malgré ce qui se présente comme tel, puis, on essaiera de démêler dans les préceptes écologistes ce qui relève de la politique et ce qui relève d'un strict moralisme.

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La réalisation de la philosophie

Temps de lecture : 25 minutes

Entrer dans le 21ème siècle avec la pensée d’André Gorz, CitéPhilo.

Je ne suis pas un homme de parole, je crois que je l'ai prouvé de nouveau à Lille, le 28 novembre, où j'étais invité à parler d'André Gorz ! Si nous étions trop nombreux et le temps imparti trop court, l'intérêt de ces rendez-vous manqués, c'est de se poser la question de ce qu'on aurait à dire à un public qu'on imagine philosophique.


Il m'est apparu indispensable de ne pas réduire la dimension philosophique d'André Gorz au seul ouvrage qui en relève explicitement, "Fondements pour une morale" qui n'est pas sans faiblesses, et d'insister plutôt sur sa dimension politique de reprise du projet de "réaliser la philosophie" après le terrible échec du communisme.

Il est tout aussi impossible de se couper d'une histoire de l'émancipation que de faire comme si le collectivisme bureaucratique n'avait pas échoué partout. L'indigence de ce qui reste des théoriciens marxistes devrait inciter à refaire ce parcours qui va du marxisme à l'écologie politique, en passant du collectivisme à l'autogestion puis à la réduction du temps de travail avant de se focaliser sur le travail autonome et la sortie du salariat grâce au revenu garanti et l'économie de l'immatériel. Il ne s'agit en aucun cas de revenir en arrière mais bien de continuer l'histoire, et dans l'état de confusion actuelle, une clarification des enjeux semble on ne peut plus nécessaire !

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Critique de la valeur, valeur de la critique

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Anselm Jappe, Les aventures de la marchandise, pour une nouvelle critique de la valeur
C'est pour répondre à de multiples demandes que j'ai fini par me résoudre à reprendre la critique de la critique lorsqu'elle s'égare sur le terrain des valeurs et prétend nous découvrir le secret du monde dans la tromperie de la marchandise. J'ai déjà eu l'occasion de dénoncer les propensions de notre époque à l'idéalisme qui s'insinue jusque chez les derniers marxistes s'imaginant encore que ce sont les idées qui mènent le monde !

Il faut bien dire qu'il peut être très difficile de sortir de certaines fourchettes mentales, fasciné par des déductions trop logiques. Ici, on se monte la tête avec un Marx ésotérique, bien caché en effet puisque c'est celui du premier chapitre du Capital (!), et qui n'aurait d'autre souci que de nous guérir de notre fétichisme ! Il est tout de même étrange que les analyses de Marx soient interprétées de façon si peu matérialiste et qu'une critique métaphysique de la valeur prétende nous sauver alors que c'est très matériellement que la valeur-travail est attaquée par les nouvelles forces productives immatérielles.

Il y a une grande étrangeté à pouvoir être d'accord avec une grande partie de ce livre, sur l'abstraction de la valeur et des rapports sociaux dans un système de production devenu autonome, en particulier sur la nécessité de sortir du salariat mais sans que cela puisse signifier une quelconque "fin du travail" ou de tout "système" de production, seulement passer du travail forcé au travail choisi et du salariat au travail autonome ! Il est effectivement très inquiétant de constater qu'on puisse être si proche de la vérité et la rater complètement pourtant, en inversant simplement l'ordre des causalités. Car ce qui est déterminant, qu'on le veuille ou non, c'est bien la production matérielle et "le bon marché des marchandises qui est la grosse artillerie renversant toutes les murailles de Chine" (K.Marx, Manifeste) !

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L’historicité de l’être social (aliénation et liberté)

Temps de lecture : 53 minutes

Georges Lukács, Prolégomènes à l'ontologie de l'être social

"La genèse de l'être social est avant tout une transformation de l'homme". p337

C'est le dernier livre de Georg Lukács (1885-1971), l'auteur du fameux "Histoire et conscience de classe" (1923) qui avait tant inspiré l'école de Francfort mais surtout Lucien Goldmann et Guy Debord dans la critique du fétichisme de la marchandise et du spectateur passif. Il est donc assez incompréhensible que ce livre posthume vienne seulement d'être traduit en français !

Certes, il n'est pas sans faiblesses mais à défaut d'être un grand livre, il n'en demeure pas moins absolument indispensable, et à plus d'un titre dans le contexte actuel. Pas pour les fausses raisons qu'on en donne en dos de couverture. Pas seulement non plus pour prolonger et corriger les analyses d'"Histoire et conscience de classe", ni juste pour réfuter les post-situationnistes qui sont restés scotchés à une période historique révolue, mais plutôt pour son insistance sur notre historicité et la part active que nous prenons à la détermination de notre avenir même s'il n'est jamais conforme à nos rêves et qu'on ne fait que troquer une ancienne aliénation contre une nouvelle, sans fin de l'histoire pensable. Au soir de sa vie, c'est l'irréversibilité du temps qu'il essaie de penser, en même temps que l'expérience de tous nos échecs sans renoncer à vouloir faire l'histoire, une histoire qui nous dépasse mais qui n'est pas écrite à l'avance et dont nous faisons partie, où nous avons un rôle à jouer même à notre insu.

Au-delà de l'historicité de l'existence et de la dialectique entre sujet et objet comme entre infrastructure et superstructure, ce livre est précieux de rappeler cette évidence, contre une vision trop "socialiste" ou unanimiste de la "volonté générale", que, si les sociétés humaines ne sont pas des corps biologiques intégrant leurs finalités et régulations, ni des troupeaux d'animaux grégaires, et si elles doivent se constituer politiquement (explicitement), elles sont nécessairement divisés et plurielles car faites d'êtres parlants et de travailleurs ayant leurs propres finalités qui se diversifient et ne se totalisent pas, sinon après-coup, même si ces finalités ont pourtant bien une origine sociale.

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Monnaie, société et individuation

Temps de lecture : 24 minutes

Entre une simple réforme du capitalisme financier suite à son effondrement et le réveil des utopies métaphysiques provoquées par le caractère apocalyptique de la conjonction des crises, il y a une seule voie praticable qui est celle à la fois de la régulation globale et des alternatives locales. C'est ce qu'illustrent à merveille les monnaies locales bien que la monnaie soit si mystérieuse et difficile à penser dans ses deux faces sociales et individualisantes, témoignant de nos limites cognitives mais aussi d'une réalité plus riche et contradictoire que toutes nos théories.

Il s'agit de comprendre que la monnaie est un instrument entièrement social, véritable fétiche plus encore que la marchandise mais en tant qu'elle incarne la société comme telle et constitue une façon d'une société d'agir sur elle-même tout en augmentant le degré d'indépendance des individus (mais aussi leurs inégalités!).

Voilà qui devrait inciter à la réappropriation politique de la monnaie, notamment au niveau local par des monnaies locales, mais ce sera l'occasion aussi de revenir sur le fétichisme de la marchandise et la théorie de la valeur comme théorie systémique et théorie de la représentation plutôt que théorie de l'aliénation.

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La fin de l’aliénation

Temps de lecture : 27 minutes

no alienation Ces quelques réflexions prennent la suite de "la part du négatif" et se motivent du fait que l'utilisation du concept d'aliénation apparaît de plus en plus dépourvue de sens, après toutes ces années à en faire la critique. Ou plutôt, la lutte contre l'aliénation telle qu'elle est revendiquée aujourd'hui, en particulier par certains écologistes, me semble être devenue complètement normative et d'essence religieuse, pleine de contradictions aussi, devenue elle-même facteur d'aliénation, en tout cas pas assez questionnée.

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La part du négatif

Temps de lecture : 17 minutes

"A la base de chaque être, il existe un principe d'insuffisance" (Georges Bataille, Principe d'incomplétude).

NégatifIl faut enfoncer le clou, l'écharde dans la chair, car on tombe toujours au pire à s'enivrer de mots et se faire une image trop idéalisée de soi-même comme des autres. "Qui veut faire l'ange, fait la bête" disait déjà Pascal, mais l'histoire nous a appris que c'est surtout la porte ouverte à toutes sortes de barbaries, dans la négation de l'existant au nom d'un monde futur supposé purifié de tout négatif !

Ce n'est donc pas seulement ce qu'on peut savoir qui est limité mais bien ce qu'on peut espérer de l'action politique, sans que cela ne diminue en rien pourtant notre devoir de résistance et d'engagement dans la transformation du monde. Il faudra simplement faire preuve d'un peu plus de prudence et de modestie, prendre soin de corriger ses erreurs et de ne laisser aucun pouvoir sans contre-pouvoirs pour l'équilibrer. Refuser l'extrémisme et rabaisser nos prétentions n'est pas se condamner à l'inaction pour autant, ni à un réformisme mou. C'est même tout le contraire puisque c'est ne pas se cacher la réalité des faits. Il faut y voir un préalable à l'indispensable "réalisme révolutionnaire", seul susceptible de se réaliser ! Dans cette perspective, reconnaître la part du négatif (ce qui pourrait définir l'écologie-politique) n'est pas un raffinement intellectuel et marginal, c'est la condition première de toute alternative effective.

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Le massacre des utopies

Temps de lecture : 22 minutes

http://raforum.apinc.org/IMG/jpg/Mscroi.jpgC'est peu de dire que notre rationalité est limitée et qu'il n'y a aucune alternative crédible. Lorsque le Monde diplomatique prétend le contraire et nous donne les dernières nouvelles de l'Utopie, c'est vraiment à pleurer ! A lire le niveau des propositions et des débats, la situation semble décidément bien plus grave qu'on ne pouvait le penser. Qu'on dérange des gens de si loin pour des bêtises pareilles, c'est incroyable ! Il y a de quoi être en colère contre ces mondes imaginaires qui se présentent comme libertaires alors qu'ils sont encore plus contraignants et moralistes, jusqu'à un certain totalitarisme ne tolérant aucune survivance du passé, et tout cela au nom de principes illusoires et de fausses analyses ! Il faut en finir avec ces utopies stupides et dangereuses alors que c'est la globalisation marchande qui est complètement utopique et qu'il faudrait y opposer rapidement des alternatives locales.

Il y a des problèmes pratiques à résoudre et nous avons besoin d'une alternative concrète au productivisme et au libéralisme qui nous menacent, pas d'un monde prétendu parfait, ni d'un homme nouveau complètement fantasmé, bien loin de ce que nous sommes réellement. C'est pour défendre notre liberté concrète qu'il nous faut nous organiser collectivement et combattre les utopies "libertaires" tout aussi bien que l'utopie libérale. C'est pour avoir une chance de s'en sortir qu'il faut remplacer les idéologies abstraites et les déclarations de principe par une véritable intelligence collective qui prenne en compte les contraintes écologiques, sociales et matérielles. C'est contre nos propre rangs qu'il faut nous retourner car c'est de là que vient le danger, de là ce qui nous condamne à l'impuissance. Après le constat théorique, les travaux pratiques, donc.

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La question de la technique

Temps de lecture : 35 minutes

Jacques Ellul, Le bluff technologique, 1988
Jacques EllulLe bluff technologiqueA l'évidence, le progrès technique s'emballe (omniprésence des réseaux, télésurveillance, biotechnologies, nanotechnologies, etc.) jusqu'à pouvoir nous menacer dans notre existence même. L'optimisme technologique n'est plus de mise devant les dérives, les déceptions et les nuisances qui se multiplient. Il faut absolument dénoncer, avec Jacques Ellul, l'obscurantisme du "bluff technologique" qui prétend résoudre tous nos problèmes et nous faire accéder à l'épanouissement individuel, ou même une surhumanité (si ce n'est l'immortalité), tout aussi bien qu'à une véritable intelligence collective qui brille surtout par son absence, jusqu'à présent du moins !

Au-delà de l'indispensable critique écologiste de la technique, sommes-nous condamnés pour autant à son rejet pur et simple, tombant ainsi d'un obscurantisme dans l'autre ? La technique est-elle ce "processus sans sujet", d'essence totalitaire, qui nous mène à notre perte plus sûrement que le totalitarisme du marché ? Société de la Technique ou société du Spectacle ? Forces matérielles ou rapports sociaux ? C'est une question vitale, celle en tout cas de la transformation des moyens en fin, et plus difficile à trancher qu'il n'y paraît à première vue tant les choses sont intriquées, mais, ce qui est sûr, c'est que cela constitue l'enjeu même de notre temps, la question qui nous est posée et à laquelle nous devons répondre collectivement.

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Les aventures de la dialectique

Temps de lecture : 74 minutes

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Phénoménologie de l'esprit II (VI)

Phénoménologie

L'histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté - progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité. (Philosophie de l'Histoire, p27-28)

Voici donc la suite de la misère de la morale. Le chapitre précédent ayant exploré les contradictions des positions morales et leur insuffisance concluait sur la nécessité du passage au politique pour la réalisation de la justice. On entre ainsi dans la dialectique de la prise de conscience historique de notre existence collective, histoire politique succédant à la morale individuelle.

Faite dans des conditions matérielles difficiles et m'ayant demandé beaucoup plus de travail que je ne pensais, je n'ai pas réussi à simplifier autant cette partie, bien plus longue et moins convaincante sans doute que le parcours des impasses morales, mais il y a malgré tout de précieuses analyses historiques qui font tout le charme de la Phénoménologie de l'Esprit (Antigone, l'individualisme romain, la critique trop réductionniste des religions par les lumières, les contradictions de la liberté menant à la Terreur révolutionnaire, etc.). Comme Marx le soulignait :

La "conscience malheureuse", la "conscience honnête", le combat de la "conscience noble" et de la "conscience vile", etc., toutes ces parties isolées contiennent (bien que sous une forme encore aliénée) les éléments nécessaires à la critique de domaines entiers, tels que la religion, l'État, la vie bourgeoise, etc. (Marx II p125)

Je ne prétends pas rendre compte de toute la richesse de la dialectique hégélienne, juste donner un aperçu de sa puissance de dévoilement et de son caractère indispensable en politique. Si cela pouvait permettre à tous ceux qui se prétendent anti-hégéliens (qui ne l'est pas de nos jours?) de savoir au moins un peu de quoi il est question... Par exemple, et à l'opposé de ce qu'on croit, il serait bien salutaire que les marxistes reviennent à Hegel pour comprendre qu'il n'y a pas plus d'abolition des classes qu'il n'y a de volonté générale quelque soit l'acharnement de la Terreur pour en imposer l'existence par la négation de l'existant.

Les figures de la moralité pouvaient être représentées par des contemporains, les figures de la politique renvoient à des situations ou des personnages historiques, et donc moins actuels, même si on peut en tirer des enseignements pour notre temps et surtout pour l'action politique qu'elle éclaire singulièrement.

En effet, la dialectique n'est plus individuelle, elle est collective avec ses retournements et ses changements de mode, ses retours de bâton toujours surprenants, où progresse, malgré d'inévitables régressions, la conscience de notre liberté (et de notre responsabilité collective). Il est, en tout cas, très amusant d'en suivre les tribulations, de contradictions en effets pervers (du Conformisme à l'Ethique puis au Droit et à la Culture jusqu'à la reconnaissance mutuelle dans l'Etat démocratique comme intelligence collective consciente d'elle-même).

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