C'est trop méconnu mais la France a produit sans doute les principaux théoriciens de l'écologie-politique, en premier lieu Jacques Ellul et André Gorz (mais aussi René Passet, Jacques Robin, Edgar Morin, Serge Moscovici, etc.). Ce n'est pas que les écologistes français en aient tiré profit en quoi que ce soit car ils les ont toujours ignorés superbement. C'est même une des principales raisons pour lesquelles il m'avait paru si nécessaire de faire une revue écologiste où l'introduction de chaque numéro par un "classique" de l'écologie était donc essentiel pour s'inscrire dans une histoire durable de l'écologie.
Le premier texte que nous avons voulu mettre, dans le premier numéro d'EcoRev' (dans le numéro zéro!), c'était naturellement "Leur écologie et la nôtre" d'André Gorz...
Si André Gorz a été le plus important pour nous, c'est qu'il a été le premier à essayer d'articuler "écologie et politique", à partir du marxisme et de son échec, faisant pour toute une génération le chemin qui va d'un certain marxisme (celui de Sartre) à l'écologie-politique tout en conservant une optique "marxienne", une exigence de communauté, d'émancipation et de vérité rattachée à une histoire de la raison. Rien à voir avec les visions mystiques de l'écologie, même s'il y a, toujours présente, une exigence d'authenticité héritière de toute la culture critique de la philosophie occidentale et de la poésie moderne. On peut dire d'André Gorz qu'il était la conscience de Sartre, lui faisant la morale qu'il n'arrivait pas à faire et puis disant "adieu au prolétariat" comme aux illusions du maoïsme, tout en gardant à la fois l'anticapitalisme et l'idéal d'une existence authentique avec les autres.