Au tout début d'Internet, en 1997, une de mes premières "publications" avait été la "structure de la Logique" de Hegel dont la logique dialectique s'ancrait dans le déploiement implacable du réel, de sa négativité répondant à l'Esprit qui tente de le saisir et doit à chaque fois corriger et complexifier son acquis précédent par une série de négations (partielles) - toujours insuffisantes, trop simplistes, d'où leur dialectique sans fin... Il faut dire, qu'en dehors de certaines parties confuses, c'est assurément très convainquant. C'était en tout cas une conception objective de la logique échappant à tout psychologisme, logique aussi universelle que les mathématiques (ce n'est pas une catégorie innée de l'entendement).
Cette conception étendue de la logique débordait cependant la logique au sens habituel, telle que Aristote en avait posé les bases immuables, n'ayant guère fait l'objet de progrès depuis. On s'en étonne souvent, comme si Aristote avait inventé ces règles et qu'elles étaient arbitraires. Il faut se persuader plutôt qu'Aristote, qui était chargé de la Rhétorique dans l'académie de Platon, a pu dégager de la dialectique socratique mais surtout des argumentations juridiques (que les Athéniens avaient démocratisées), tout un organon formel (dont la logique ne constitue d'ailleurs qu'un aspect). Il n'y a aucune invention mais simple description. Il distinguait déjà cependant une raison réflexive (l'intellect agent), pouvant appliquer ces principes activement, à ne pas confondre avec l'intuition subjective, sensible ou intellectuelle (l'intellect passif) sur laquelle elle s'applique - un peu comme Kant[1] le fera bien plus tard en insistant sur leur caractère complémentaire, d'une forme vide au contenu effectif.
On ne peut donc réduire la pensée ou le langage à la logique, ce qui est apparu clairement avec les IA génératives qui en manquent encore à ce jour et auraient bien besoin de sa validation après coup, bien que leur programmation statistique suffise la plupart du temps à suivre une logique respectée communément. Ce qui distingue la logique du langage, c'est son caractère universel, extérieur, contraignant, passant certes par le langage mais, aussi bien dans les jugements que pour l'action, imposant la pratique à l'idéalisme, au sens, à l'intuition. Cette logique universelle contraste avec la multiplicité des grammaires et croyances par ce qui relie la logique à l'action et la pratique plus qu'à l'idée. Précisons que si la logique est inhérente à l'action, elle ne résulte pas seulement de l'activité de l'intellect lui-même (qui plaquerait sa grille logique sur le langage) mais bien du réel auquel se cogne l'action.
Il y a quelques années encore, on désespérait de jamais pouvoir implanter dans un robot nos capacités langagières tant les agents conversationnels étaient limités. L'échec (relatif) du traitement du langage malgré tout ce que la linguistique croyait savoir, entretenait la croyance dans une essence mystique du langage, inaccessible à notre raison comme aux intelligences artificielles. Les performances de ChatGPT ont permis de résoudre ce dernier mystère de notre humanité (celui du langage qui nous sépare de l'animalité), en dévoilant à l'étonnement de tous son mécanisme de prédiction probabiliste de la suite, éclairant du même coup les raisons pour lesquelles nous ne pouvions pas l'imaginer quand nous réduisions le langage à la logique et la grammaire. Ce qui nous semblait l'essence du langage y serait seulement sous-entendu, sélection par l'usage, et ne nous est pas si naturel sous cette forme de règles plaquées de l'extérieur (ainsi on prendra un exemple avec cheval/chevaux pour savoir si on doit employer le pluriel dans une expression, sans être bien clair avec la règle elle-même). Il nous faut donc réexaminer les théories linguistiques précédentes, de Saussure à Chomsky.