Dieu et la science

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Un physicien brésilien, Marcelo Gleiser, vient d'être récompensé du prix Templeton pour avoir osé affirmer que l'athéisme ne serait pas scientifique, ce qui est un comble ! Il n'est pas question de s'imaginer que les sciences pourraient énoncer des vérités dernières comme les religions le prétendent, mais on ne peut faire comme si on avait affaire à des domaines entièrement séparés, position conciliatrice traditionnelle entre la foi et la raison mais qui n'est plus tenable, faisant comme si les diverses sciences n'auraient rien à dire sur les religions (histoire, sociologie, psychologie, neurologie, biologie, physique). Tout au contraire, les religions sont bien objets de sciences qui en réfutent incontestablement tous leurs dogmes, que ça plaise ou non, en premier lieu l'existence d'un Dieu dont il n'y a nulle trace dans tout l'univers - hors de la tête des croyants et de leurs temples. Comme disait déjà Pierre-Simon Laplace à Napoléon qui lui reprochait l'absence de Dieu dans son Traité de mécanique céleste : "Je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse".

Il n'y a certes jamais de preuve absolue d'une inexistence, qui peut toujours rester cachée comme une supposée matière noire qui n'interagirait pas du tout avec la matière ordinaire, mais ce Deus otiosus avec lequel on n'aurait aucune relation ne nous intéresse guère. On a beau faire, il faut bien admettre que Dieu est un concept que nous avons et dont on a bien du mal à se défaire (notamment les philosophes). C'est le contenu que nous lui donnons qui doit être confronté aux faits.

Or, la réalité, c'est que l'athéisme progresse en même temps que les sciences, ce qu'on appelle avec nostalgie le désenchantement du monde. Cela se comprend bien car il y avait avant tant de choses étranges que nous ne comprenions pas qu'il était à peu près impossible de ne pas leur supposer des causes mystérieuses, dieux ou diables, mais à mesure que les explications scientifiques s'accumulent, inévitablement l'obscurantisme recule qui consistait à expliquer un mystère par un mystère encore plus grand et l'intervention d'un esprit invisible. Ce qui est moins compréhensible, c'est qu'il y ait encore tant de scientifiques croyants (de moins en moins). Cela ne peut pas aller sans une dose de mauvaise foi, voire de schizophrénie entre deux mondes séparés, se rassurant sans doute après Francis Bacon et Pasteur que si "un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène" devant l'inexplicable restant mais ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. C'est bien du côté des scientifiques croyants qu'il y a une contradiction, pas des athées (comme le sont les plus grands scientifiques de nos jours).

Partir du concept de Dieu pose cependant un problème, car il y en a plusieurs et qu'on amalgame en général bien qu'ils soient peu compatibles, confusion revendiquée de trois personnes en une (je, tu, il) entre le dieu rationnel (éternel, Un, connaissance, universel), le dieu révélé (historique, dogme, foi, particulier), le dieu éprouvé (relation, amour, crainte, jugement, singulier). On retrouve d'ailleurs ces trois dimensions dans la place donnée au dieu créateur à l'origine du cosmos puis de la vie (de l'évolution) et enfin de l'esprit, supposé donc intervenir trois fois - après de très longues absences - pour expliquer ces inexplicables miracles. Sauf que ce n'est plus si inexplicable désormais.

Certes, il faut admettre avec Aristote une cause première et avec Thomas d'Aquin que la contingence du monde se fonde sur un être nécessaire mais l'appeler Dieu n'a pas grand sens (Aristote le justifie curieusement en référence à "l'opinion courante", Métaphysique, A, 2, p19). Pascal faisait justement reproche à Descartes de réduire Dieu à cette pichenette de départ que revendiquent aujourd'hui les partisans de l'intelligent design, d'un univers réglé exactement pour que nous puissions exister, nous le sommet de la création - tout étant programmé au départ sans plus besoin d'intervention divine (effectivement absente) ! Le principe anthropique suffit pourtant à exiger que nous soyons un produit de notre univers pour poser la question : si je pense et j'existe, c'est que je suis possible - d'autant plus dans l'hypothèse plausible d'un multivers. Un Dieu ici ne sert à rien, ni même à expliquer pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, car pourquoi un Dieu, qui est déjà quelque chose, plutôt que rien ? La question reste sans réponse, pas plus une réponse divine. On peut même dire que la physique multiplie les mystères (matière noire, énergie noire, intrication quantique, etc).

L'origine de la vie est devenue par contre beaucoup moins mystérieuse ces dernières années où l'on commence à créer des cellules artificielles. Ce n'est pas du tout prétendre qu'on comprendrait tout de l'origine de la vie. Au contraire, chaque saut évolutif comporte ses zones d'ombre mais, ce qui est remarquable, c'est que la multiplication de ces trous, des chaînons manquants, dans l'histoire du vivant n'empêche absolument pas de dessiner une trajectoire assurée qui va du monde ARN aux archées et bactéries jusqu'aux eucaryotes, multicellulaires, etc. Nos ignorances de stades importants, dont on n'avait aucun soupçon quand on croyait que c'était Dieu qui insufflait la vie, nous assurent que nous avons affaire à un réel en devenir, pas à une idée préconçue où tout serait présent dès le départ mais bien le développement autonome de l'évolution d'une vie incréée comme sans doute sur d'autres planètes. C'est un vrai savoir qui sait ce qu'il ne sait pas et ne savait pas avant mais peut y constater du moins l'absence de toute volonté divine dans cette histoire chaotique d'adaptations à un milieu changeant (où une espèce de chien peut devenir baleine).

L'origine de l'esprit reste plus disputée encore mais à l'époque des neurosciences et de l'intelligence artificielle, le souffle divin n'y est plus de mise, c'est une question faisant l'objet de recherches scientifiques ayant déjà beaucoup avancé même si différentes théories sont en concurrence. Le dualisme du hardware et du software a pu donner une idée quand même moins mystique du dualisme de la pensée et de l'étendue, faisant comprendre que l'information immatérielle s'incarne toujours dans une matière (son, écriture, numérique), qu'il n'y a pas d'esprit flottant dans les airs. En tout cas, mêler Dieu à tout cela paraîtrait complètement incongru et serait à l'évidence anti-scientifique. En fait, ce Dieu de l'esprit et du coeur, qui est le seul qui nous intéresse, est d'abord un Dieu qui nous parle, ce qui est tout autre chose.

Si, au lieu de s'interroger sur l'origine du monde, on s'intéresse à l'origine de la religion et des figures divines, c'est encore plus clair. Rien de plus dévastateur pour les croyances que l'histoire des religions et la science des textes qui retrace leurs emprunts et leur fabrication trop humaine (au service du pouvoir en place). Une révélation historique, à un endroit et une date donnée, n'a vraiment aucun sens pour un être supposé éternel - sauf à se situer à la fin du monde sans doute comme beaucoup l'ont cru. Plus généralement, l'ethnologie nous montre comme les cultures se construisent sur des mythes, plus extravagants les uns que les autres bien que suivant une logique structurale assez stricte, et à quel point l'homme est un animal crédule qui se raconte des histoires à dormir debout et qui veut plus que tout s'inscrire dans un récit commun. Maurice Godelier a raison de souligner que pour les humains le surréel est plus réel que le réel.

Le pire, c'est qu'il semble qu'on tienne d'autant plus à ses convictions qu'elles sont absurdes (Credo quia absurdum), cette absurdité étant ce qui permet de distinguer les croyants des incrédules. Rien de mieux pour cela que de donner foi à des oxymores insensés (pour les chrétiens : vierge-mère, homme-dieu, vie après la mort) dont on peut être sûr qu'ils sont impossibles à comprendre pour un non croyant. Il faut céder sur la raison. Après cela on peut croire n'importe quoi, s'assurant de la fidélité aveugle au groupe. C'est tellement gros que c'est à se demander comment les croyants (que j'ai été) font pour y croire, mais c'est un fait. Cette dissonance cognitive généralisée pose question sur nos capacités intellectuelles (Bergson lui-même s'en alarmait). Il n'y a pas à s'étonner après qu'on soit inondé de fake news et de théories du complot, ou que les militants politiques croient à la révolution comme au Père Noël.

Le rôle des sciences ici, n'est pas la défense d'une vision du monde complète et d'une vérité dogmatique, mais la simple vérification des faits (l'athéisme n'étant rien que la négation de l'hypothèse divine avancée, pas son remplacement par une autre hypothèse définitive). Ce n'est pas nouveau, depuis leur origine, les sciences se construisent contre les traditions et les explications mythiques. Les religieux ont bien raison de vouloir nous garder dans l'ignorance, de se méfier des sciences et de la connaissance en général (Heureux les pauvres d'esprit).

Pour nous faire croire à de telles histoires invraisemblables, il faut pourtant de fortes raisons qu'il ne serait pas très scientifique d'ignorer. Il est clair que la foi en Dieu peut être d'un grand soutien et même parfois jusqu'à faire éprouver des joies mystiques qui nous inondent, mais il est tout aussi indéniable que ce père sévère, ce juge suprême peut nourrir tout autant des culpabilités maladives. La balance est difficile à faire entre avantages et inconvénients selon les circonstances et les gens mais, de toute façon, personne ne croit par calcul (le pari de Pascal, c'est de la blague). Les croyances sont transmises par le groupe, on ne fait qu'adopter la religion maternelle, croire en sa parole, croire en sa communauté. En tout cas, si on peut voir par la neuroimagerie les bienfaits de la croyance religieuse, ses "récompenses" semblables à une drogue (c'est bien l'opium du peuple), cela n'empêche pas que perdre la foi puisse être éprouvé comme un bienfait aussi. André Comte-Sponville témoigne ainsi comme perdre la foi a été pour lui une libération, délivré du regard divin - ce que j'avais ressenti également comme un soulagement (alors que perdre la foi révolutionnaire était si désespérant). Croire ou ne pas croire ne se commande pas, il ne suffit pas de s'agenouiller et prier, la foi est quelque chose qui peut se perdre, nous sortant de notre sommeil dogmatique. Cela atteste du moins l'étendue de notre crédulité et que perdre la foi religieuse n'empêche pas de tomber dans une autre forme de foi trompeuse, politique ou autre. On cherche forcément à combler l'absence de sens, à se sauver de la précarité de la vie, à intégrer une communauté. Rien de plus insupportable que le non-sens premier sans lequel, pourtant, l'existence n'aurait aucun enjeu, aucun sens justement, dans une vie déjà jouée d'avance.

Il y a évidemment une vérité de la religion qui ne peut se résumer à ses absurdités qui exigeraient au moins une lecture symbolique sinon ésotérique mais pas littérale (la lettre tue, on ne le voit que trop). Il ne s'agit pas juste d'une regrettable erreur ni d'un simple instrument de domination, mais bien d'un moment nécessaire. L'apparition de signes religieux est considérée par l'archéologie comme liée à l'émergence de la pensée humaine et, aux premiers stades de la civilisation (depuis Göbekli Tepe au moins), la religion s'est imposée pour souder les groupes élargis avec la construction d'un garant de la vérité, de la moralité et des échanges, au-delà de l'animisme. Il y a eu ensuite tout un long travail d'élaboration et de construction d'une société religieuse (d'abord religion de la cité) qui a résisté au temps car le pouvoir religieux transmettait des savoirs, mettait une limite à l'arbitraire du pouvoir, organisait des cérémonies où s'éprouvait la communion du groupe - et les temples avaient aussi une fonction économique de stockage des richesses et de distribution de nourriture (banquets rituels). A l'explication historique après ses bénéfices psychologiques ou thérapeutiques, il faudrait en effet ajouter des explications sociales, morales, métaphysiques pour rendre compte de toutes les religions du monde dans leurs diversités, prenant la suite des mythologies primitives et donc correspondant à un état de développement, au point que l'absence de religion dans une société a été longtemps impensable (y compris pour Rousseau). Si rien n'est sans raisons, les sciences sont là pour les trouver. Durkheim disait même (comme Alain) que toute religion est vraie dès lors qu'elle remplie sa fonction sociale, mais on n'est plus ici dans la théologie ou le Dieu des philosophes, on est déjà dans le vécu et la participation active aux rites comme aux grandes cérémonies collectives qui nous emportent.

Il faut bien avouer pourtant que le véritable Dieu sensible au coeur qui nous concerne intimement, ce compagnon de nos pensées auquel on adresse nos prières, ce regard qui nous juge, n'a plus rien à voir avec un hypothétique créateur de l'univers ou de la vie, perdu dans l'immensité de l'espace et du temps. C'est un Dieu qui nous parle, ici et maintenant, Dieu des vérités morales sans la crainte duquel il semble à la plupart que tout serait permis. Grande erreur, Kant ayant montré comme la morale est fondée sur l'universel de la raison et non sur le châtiment. Ce qui est vrai, c'est que partager la même religion a sans doute favorisé les échanges lointains et la confiance en des marchands inconnus, favorisant leur expansion. L'idée d'un dieu personnel qui nous sert d'interlocuteur ne se retrouve pourtant ni chez Aristote ni chez Spinoza, sans parler du bouddhisme, mais elle a réussi à imposer malgré tout un mode de pensée dont on a bien du mal à se défaire. C'est qu'on peut dire, en effet, que "Dieu est inconscient", c'est notre juge intérieur, notre surmoi (fait de discours extérieurs), même s'il est difficile de prêter existence à ce fantôme psychologique qui se manifeste surtout par sa douloureuse absence.

Enfin, une leçon importante devrait être tirée de l'abandon par les Romains du stoïcisme et des philosophies du bonheur, qui déjà voulaient nous guérir de la peur de la mort, pour se convertir à la religion chrétienne qui est la première religion philosophique intégrant et dépassant Platon et Aristote mais reprenant aussi les promesses de vie éternelle des Egyptiens et la résurrection des corps (momifiés), comme Osiris-Dyonisos. Il ne semble pas que cette surenchère partagée par d'autres syncrétismes religieux de l'époque aurait suffit à distinguer le christianisme. L'essentiel se situerait plutôt dans l'opposition aux philosophies du bonheur précédentes, dont apparaît toute la vanité trop centrée sur le moi ou les plaisirs, vanité à l'origine de la conversion de bien des jouisseurs frivoles (comme Augustin). Au lieu de prétendre à la sagesse et au bonheur dans ce monde, il s'agit de se délivrer du souci de soi par l'acceptation de notre finitude, nos limites, nos fautes (notre culpabilité) pour renvoyer la charge de la cause sur un Autre et s'ouvrir à l'extérieur, se projeter dans l'amour du prochain qui nous sort de notre petite personne. Cette fois, la religion est bien le témoignage de l'échec de la philosophie comme identification au maître - que Nietzsche voudra réanimer. Une des différences les plus notables, rejetée par Nietzsche mais constituant justement pour les Romains la supériorité du Chrétien sur le Sage, c'est en effet de reconnaître ses propres insuffisances, ce qui implique une position fraternelle d'humilité qui contraste avec l'orgueil du maître. "Le stoïcisme se trompait, car il ne voyait pas l’impuissance de l’homme dans toute sa radicalité" (Karl Jarspers). Bien sûr les confessions publiques se transforment vite en hypocrisie et peuvent produire toutes sortes de perversions mais la critique de la sagesse garde sa pertinence et, à notre époque de développement personnel et d'individualisme, c'est certainement l'un des enseignements que la philosophie et les sciences peuvent retenir de cette religion des esclaves et de la culpabilité, mais tournée vers les autres, qui a pu détrôner l'idéal aristocratique de perfection - même si, pour le reste, elle rejoint à sa façon les philosophies du bonheur en apportant satisfaction à de profonds désirs et de grandes espérances fallacieuses. Dépasser la religion n'est pas revenir en arrière à de fausses sagesses mais intégrer ce négatif, simplement en se passant de Dieu.

Il y a donc beaucoup que les sciences peuvent dire sur les religions et les figures divines mais il ne doit y avoir aucune ambiguïté, les sciences qui les étudient ne pourront jamais se substituer aux religions ni combler le besoin de spiritualité ni arriver à "justifier l'homme" ni, en particulier, fonder la distinction radicale de notre humanité, supposée divine, avec les animaux comme avec les robots. Il faut souligner que toute définition de l'homme avait immanquablement comme conséquence d'en exclure de prétendus inhumains, n'étant jamais tout-à-fait universelle. Comme la seule spécificité humaine est le langage narratif, cela pourrait nous rapprocher d'extraterrestres, pour autant que ce soient des parlêtres eux aussi, mais d'une IA qui parle ? C'est moins clair. C'est là qu'on aurait besoin des lumières de la religion, si l'on peut dire. Il faut effectivement une religion dogmatique pour trancher ces questions métaphysiques, et un Dieu pour être le garant de notre dignité humaine. Jusqu'à Schelling, l'humanité pouvait d'ailleurs être définie par le fait d'avoir l'idée de Dieu.

Ne plus croire dans cette étrange abstraction ne doit pas nous enfermer pour autant dans un matérialisme et un scientisme étroits, hors du langage et de l'histoire comme si on avait réponse à tout. La vie de l'esprit n'est pas biologique, c'est celle de nos récits communs et du sens. Il y a bien deux mondes dont l'un est fictif et l'autre objectif, même s'ils ne sont pas sans rapports, mais s'il n'y a pas de Dieu pour nous sauver, et même si elle peut parler de religion voire la réfuter, la science n'est certes pas une religion elle-même et ne peut la remplacer, ne pouvant en apporter les consolations - sens corrosif mais qui reste en suspens...

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21 réflexions au sujet de “Dieu et la science”

  1. Ce qui caractérise l’être humain c’est la complexité, la multiplicité de ses rapports au monde et à l’autre. Il partage avec l’animal un lien utilitaire au monde, mais il y ajoute des liens centrés sur des questionnements comme « pourquoi », « comment », « qu’est-ce que ». Le premier mène à la religion. Le questionnement sur le pourquoi des phénomènes, sur leur sens et leur origine mène à l’idée de forces élémentaires aux intentions bienveillantes ou malveillantes qu’il faut se rendre favorables, donc à la religion. la question « Comment ? » conduit à la science comme forme de compréhension du déroulement des choses qui permet de s’en protéger ou de les utiliser pour agir. Enfin, le questionnement « qu’est-ce que » est celui de la philosophie et plus précisément de la métaphysique. Il s’agit de connaitre la nature des choses, de comprendre à quel ordre elles appartiennent, comment elles sont reliées entre elles et ce qui fait leur spécificité. A cela s’ajoute le rapport ressenti au monde qui est celui de l’art.
    Aucun de ces questionnements (de ces rapports) ne peut effacer l’autre. L’homme ne peut éteindre son besoin que tout ce qui arrive ait un sens. Dans la détresse et le désarroi, il voudrait connaitre le pourquoi des choses. Ce besoin, si persistant dans la vie quotidienne, pénètre tous les domaines de la vie personnelle immédiate. Il actualise et généralise le tournant évolutif altruiste qui a permis à l’humanité de sortir de l’animalité (Patrick Tort) en permettant le développement de la morale (de l’affirmation de valeurs). Il est une condition nécessaire à l’expression des instincts sociaux.

    Rien ne semble pouvoir éteindre le besoin humain de sens, c’est pourquoi la science peut bien mettre à mal les religions, elles renaissent toujours et se transforment. Toutes les raisons du monde ne peuvent éteindre un besoin qui est constitutif de l’être humain. Il faudrait lui inventer une autre forme d’expression. Cela la science ne le peut pas et la philosophie n’y est pas encore arrivé.

      • Je ne sais pas. Je pense seulement que l'art, la philosophie et la religion abordent le réel sous un mode différent. Les plus profondément ancrés et les premiers modes de rapport au réel sont la religion et l'art (présents à toutes les époques et dans toutes les sociétés). Je pense donc que la critique de la science envers la religion est utile mais ne pourra jamais l'épuiser. Les athées (comme moi) le savent : face à la mort, ils sont dans l'incapacité de ne pas rêver ou plutôt fantasmer une forme de survie. Aucune raison ne peut éteindre cette fuite et ce déni.

        • Il était étonnant de voir comme la religion est revenue immédiatement dans les pays communistes - sauf le Chine, mais malgré cela le recul de la religion est un fait, les athées n'existaient pratiquement pas avant (sauf en France) et le Canada notamment a connu une chute impressionnante de la pratique religieuse.

          Il me semble que l'écologie et les ONG par exemple (ou des communautés) pourraient remplacer en partie les religions. Dépasser les religions serait se passer de Dieu et des fausses histoires mais garder le dépassement des sagesses dans l'ouverture aux autres (un peu comme Lévinas sauf qu'il en fait trop et trop dogmatique). Ce sont de toute façon des évolutions qui arrivent et dont on ne décide pas.

          Il est sûr qu'il n'y a pas de langage narratif sans conscience de la mort mais pour la vie après la mort, on aura des versions numériques, ou la mort de la mort transhumaniste. Il est vrai que l'angoisse de la mort est presque universelle mais pourtant tout le monde ne rêve pas d'une vie éternelle, pas les Bouddhistes en tout cas. Lacan en faisait même une figure de l'enfer, la mort nous rassurant que ça va cesser...

        • " Les athées (comme moi) le savent : face à la mort, ils sont dans l'incapacité de ne pas rêver ou plutôt fantasmer une forme de survie."

          Il me semble que la psychanalyse et d'une certaine façon le bouddhisme ou le taoïsme ont tenté de répondre à cette question avec des résultats, mais limités. Peut être que les neurosciences apporteront des éclaircissements sur cette question, mais c'est pas gagné.

          L'être humain est une sorte de ravi de la crèche, il naît, il est étonné de vivre, de ses plaisirs et déplaisirs, et meurt sans avoir trop compris ce qui lui était arrivé.

          "Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s'est passé".

          Terry Pratchett

  2. De culture catholique, je suis rapidement à 14 ans devenu une sorte de schizophrène, croyant en Dieu d'une façon intrinsèque et considérant qu'il s'agissait également de balivernes extrinsèques. A 9 ans, c'est un copain d'origine juive qui m'avait initié à l'athéisme en m'expliquant que Dieu c'est que des conneries.

  3. On sent bien qu'il vous a un peu énervé, ce Gleiser.
    N'empêche qu'il se débrouille. J'ai lu son interview. Il se planque derrière l'inconsistance molle de l'agnosticisme, ainsi il ne choque personne (surtout pas les américains), il passe pour un vrai scientifique, pondéré, et il empoche 1,5 millions de dollars.
    Quand on sait les difficultés que vivent les scientifiques, on ne peut pas trop lui en vouloir. Il est vrai que son paragraphe sur l'athéisme est un salmigondis de contrevérités, mais il faut bien qu'il vende un peu la salade spiritualiste de qui lui offre sa retraite dorée.

    La question, c'est la politique vicieuse de la fondation Templeton. L'océan de polémiques dans lequel elle louvoie est éloquent. Elle prétend soutenir la science mais la pervertit en finançant les "* personnes vivantes qui ont contribué de façon exceptionnelle à affirmer la dimension spirituelle de la vie*", c'est à dire, dans le cas d'un scientifique, à quelqu'un qui a déjà une réponse à la question avant de la poser.

    Il serait curieux d'étudier les projets financés par la fondation et d'analyser leur apport dans l'avancement des connaissances.

    Votre billet est un plaisir, une gourmandise.

    • En fait, il n'y a pas que Gleiser mais c'est aussi que j'avais visionné quelques vidéos sur Dieu et la science d'un colloque au Collège des Bernardins organisé par Sciences et Avenir et La Recherche en 2015 et j'avais été agacé par le souci à chaque fois de ménager la religion, ce qui est compréhensible et d'une élémentaire courtoisie mais me semblait très faux-cul et faisant comme si les croyances tombaient du ciel, purement individuelles, et qu'il n'y avait pas d'histoire des religions. On peut vouloir réconcilier tout le monde mais c'est impossible sans renier la démarche scientifique, ce que j'ai voulu montrer, sans vouloir en convaincre personne sinon que l'athéisme est quand même plus scientifique qu'une foi religieuse.

    • ....l'inconsistance molle de l'agnosticisme... je ne crois pas que l"agnosticisme soit inconsistant et mou, il me semble que c'est même l'inverse. D'éducation catholique, je me suis découvert agnostique vers l'âge de 12 ans dans un collège catho mais pas du tout radical, mais sans avoir les mots à mettre sur ce ressenti. Ce n'est que vers mes 18 ans que j'ai découvert ce mot sous la plume d'Albert Jacquard. J'ai dû résister aussi bien aux pressions intellectuelles des croyants qu'aux athées, à tous ceux qui sont pétris de certitudes sur ce sujet qui me semble pourtant être celui de l'inconnaissable, celui qui commence où s'arrêtent nos limites. Je me sens, vis à vis des religions, un peu comme l'homme blanc de Jérôme Mesnager, un observateur qui demeure interrogatif et songeur.

      • L'agnosticisme est inconsistant en ce qu'il ne dit pas sur quel concept il réserve son jugement. S'il s'agit de suspendre son jugement en général, c'est le point de vue de la science qui s'en remet à l'expérience. S'il s'agit de dire qu'on n'a pas les moyens de juger les différentes religions, c'est ce qu'implique le mot religion qui vient de relegere (et non de religare), impliquant la transmission d'un savoir traditionnel sur ce qu'on ne peut savoir soi-même. Cependant, pour Hegel, il n'y avait pas de foi dans ces religions traditionnelles, foi qui serait apparue avec le christianisme, puis l'Islam. La question posée à l'agnosticisme est de savoir s'il prête foi à leur dogme ou non. Ne pas prendre position alors, c'est ne pas prendre position sur l'essentiel, comme si cela n'avait pas d'importance...

        Il ne faut pas non plus confondre religion et spiritualité. On peut nommer Dieu la totalité de l'univers comme Spinoza ou la logique (ou l'infini) comme Hegel, une dimension spirituelle de l'existence mais c'est un peu abusif de leur donner ce nom. Il n'y a certes pas que la matière brute, il y a des discours, du sens (dualisme). Lévinas se réclame d'un a-théisme qui est séparation de Dieu, du tout Autre. Sur tout cela, il n'y a rien à dire du point de vue scientifique, ce ne sont pas des dogmes qui interfèrent avec la science contrairement aux religions instituées et leurs cosmogonies imaginaires. L'athéisme scientifique n'est pas un dogme, pas une foi, c'est la constatation de la non vérification d'une intervention divine.

        • Je ne perçois aucune preuve de Dieu, et d'ailleurs je n'ai aucune idée de ce que pourrait être Dieu ou même n'importe quel dieu. Le fait qu'il y ait tant de représentations de Dieu indique que sa définition ne nous est pas accessible. Mais est-ce une preuve de son inexistence ou une preuve de mon incapacité à le percevoir? Idem pour l'âme, etc... Je ne vois pas en quoi cet agnosticisme est inconsistant.

          • Ça me parait avant tout une sorte d'instance psychique( surmoi, inconscient ? ), ensuite pour l'idée qu'on peut s'en faire est aussi variée que l'idée que l'on peut se faire d'extraterrestres ou de comment peindre un paysage( classique figuratif, impressionniste, cubiste, abstrait... ), toutes les fantaisies sont possibles.

  4. En fait ce n'est pas vraiment l'athéisme qui se passe de Dieu, mais d'abord le point de vue matérialiste. On peut être athée sans être matérialiste, et alors il y a toujours un risque de glissade vers des éléments de religiosité inconsciente (comme par exemple la croyance ou une sorte de foi dans la volonté, celle d'une liberté venue dont ne sait où qui n'est plus très loin d'une espèce de religiosité). Mais la position matérialiste mène à coup sûr à l'athéisme.

    • L'étonnant, c'est que le marxisme qui était un véritable matérialisme athée soit devenu une idéologie quasi religieuse. Ce n'est donc pas si simple.

      Par ailleurs, il ne faut pas en rester à un matérialisme étroit, mécanique mais un matérialisme pratique au moins et je défends pour ma part un matérialisme spirituel (dualiste) qui fait toute sa place au langage et à l'information, qui est notre monde, même si c'est la matière qui a forcément le dernier mot.

  5. Je trouve G Haddad intéressant concernant l'aspect fratricide qui apparaît dans la religion et que Pontalis avait aussi mentionné.

    Ça me touche dans la mesure où j'ai vécu une véritable guerre contre mes sœurs récemment, et où j'ai tenté de protéger mon père contre leurs agressions, tout en essayant de protéger ma mère, mais je n'ai pas réussi dans mes tentatives diplomatiques, ce qui est très décevant et même déprimant de se sentir aussi nul, tout ça m'a complètement dépassé de voir des gens quasiment s'entre tuer pour conneries.

    https://www.youtube.com/watch?v=eEWVBouRz-c

    • Haddad est la figure caricaturale du croyant - à la psychanalyse (à Lacan). Le rapport analytique peut être cependant un bon substitut à la religion, une façon de vivre dans le sens qui peut permettre de mieux supporter la vie, ce pourquoi il est si difficile de lâcher (les psychanalystes travaillent jusqu'à la mort!).

      • " ce pourquoi il est si difficile de lâcher"

        J'ai fait une sorte de cure pendant 2 ans, le gars lacanien m'agaçait un peu parfois, j'avais l'impression qu'il ne faisait aucune attention à ce que je racontais, mais finalement je le trouvais assez sympa.

        Au début, j'ai trouvé un certain intérêt à cette démarche, des effets particuliers, et puis au bout de 2 ans j'ai arrêté, je trouvais que ça tournait en rond et qu'il fallait que je parte ailleurs du fait de mes contraintes professionnelles contingentes, ça a été l'Allemagne.

  6. Sinon, perso, je me suis noté ça :

    Thérapies "religiantes" : dans les phases dépressives, un "réflexe logique" à revenir vers un stoïcisme pré-chrétien ?

    (inspiré de la lecture de l'avant-dernier paragraphe de JZ sur "Dieu et la science", avril 2019 => fb.com/groups/rezoleo/permalink/10157197237887088/ )

  7. A Jean Zin.
    Merci d'écrire que la Science ne peut pas rester étrangère aux concepts philosophiques, au sens de la Vie et à l'origine de l'Esprit. En effet, les connaissances scientifiques font progressivement reculer les mystères qui restent les domaines troubles des philosophies et des religions. Les Dieux et les croyances, refuges de l'Homme, sont écartés les uns après les autres et laissent l'Homme en proie à ses illusions et à ses angoisses existentielles.

    L'histoire scientifique du Vivant révèle une trajectoire et un sens de développement de la vie sur terre. Arriverons-nous à percer le mystère de la ''cause première'' et des origines de la Vie ?

    De même la connaissance du fonctionnement du cerveau humain, celles du développement de ses raisonnements et du stockage de ses informations, nous conduiront-elles à découvrir l'origine de l'Esprit et de son incorporation dans la matière ?

    J'ai tenté de répondre dans mon blog ''Physique des ondes'' : paulpb eklablog.fr
    Je viens de tomber sur votre excellent texte ''les champs quantiques'' du 19 Juillet 2006.
    http://jeanzin.fr/2006/07/19/les-champs-quantiques/
    Si j'en avais eu connaissance à cette date cela m'aurait été une grande économie de neurones.
    Vives félicitations pour la qualité de vos textes.

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