Renverser l’idéalisme de Hegel

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"Toute vraie philosophie est un idéalisme" affirme très justement Hegel, puisqu'elles ne font que manier des idées, mais, en fait, cela veut dire qu'elles sont trompeuses, reprenant les fausses promesses des religions dans la prétention de tout expliquer et nous guérir de la conscience de la mort par quelque formule bien frappée. Même en philosophie, on voudrait nous faire croire à des bobards. Les philosophies qui prétendent donner accès à une béatitude imbécile soustraite à l'extériorité, le Bien suprême à portée de main, rejoignent ainsi par les subterfuges de la raison ce que les Hindous atteignent par des pratiques du corps. L'alternative à cet idéalisme rationalisé n'est pas autre chose que la science et la théorie de l'évolution comme "philosophie" de l'extériorité où les causalités sont extérieures et non pas intérieures.

Pour autant, ce n'est pas une raison suffisante pour rejeter tout ce que ces philosophies idéalistes ont produit. La négation doit porter sur l'idéalisme tout en conservant ce qu'ils ont pu mettre au jour. Le meilleur exemple de ce renversement d'un idéalisme est sans doute celui de Platon avec sa fumeuse théorie des Idées et des âmes ailées supposées immortelles, théories avec lesquelles Aristote prendra très tôt ses distances, ce qui ne l'empêchera pas de recueillir et prolonger tout le travail considérable réalisé par Platon et son Académie sur tous les sujets. Si son biologisme se distinguait radicalement du monde des idées et qu'il ne croyait pas à l'immortalité de l'âme (liée au corps), il faut quand même remarquer que, dans sa Métaphysique, il donne une place éminente à un Dieu cause première qui serait tout occupé, comme le philosophe, à penser sa pensée. Ce qu'on retrouve chez Hegel :

L'Esprit parvient à un contenu qu'il ne trouve pas tout fait devant lui, mais qu'il crée en se faisant lui­ même son objet et son contenu. Le Savoir est sa forme et son mode d'être, mais le contenu est l'élément spirituel lui-même. Ainsi, de par sa nature, l'Esprit demeure toujours dans son propre élément, autrement dit, il est libre. p75

Ainsi tout se ramène à la conscience de soi de l'Esprit. Quand il sait qu'il est libre, c'est tout autre chose que lorsqu'il ne le sait pas. p76

Si l'on dit que l'Esprit est, cela semble d'abord signifier qu'il est quelque chose de tout fait. Mais il est actif. L'activité est son essence. Il est son propre produit, il est son commencement et sa fin. Sa liberté n'est pas une existence immobile, mais une négation constante de tout ce qui conteste la liberté. Se produire, se faire l'objet de soi-même, se connaître soi-même, voilà l'activité de l'Esprit. C'est de cette manière qu'il est pour soi. p76

Alors l'Esprit jouit de lui-même dans cette œuvre qui est son œuvre et dans ce monde qui est son monde. p89

On voit donc bien ce même court-circuit chez Hegel, la grande fresque historique qu'il déploie étant ramenée à la conscience de soi de l'Esprit - ou de Dieu ou de l'humanité. Pour être impressionnante, la grande unification qu'il arrive à construire n'est pas tenable jusqu'au bout et l'ipséité supposée de l'Esprit a tout d'une réflexivité narcissique un peu débile. Il ne faut pas croire que la volonté de garder la figure de Dieu, personnification de l'Esprit universel, soit de pure forme, aussi bien pour Hegel que Spinoza, quand elle assure la clôture du système, sa théodicée garantissant la bonne fin, son ambition religieuse initiale d'une unité supérieure, globalité de l'entièreté de l'Être, supprimant toute extériorité, toute altérité dans un savoir absolu ou connaissance du troisième genre. C'est bien ce qu'un point de vue scientifique ne peut accepter même si pour les sciences aussi tout est rationnel.

Lié à des enjeux plus immédiats, la critique de l'idéalisme des essences doit permettre de remettre en cause ce prétendu esprit du peuple au nom duquel on fait encore la guerre, voulant opposer sa particularité à l'Etat universel en construction. Justement, le petit livre consacré à cet esprit des peuples, "La raison dans l'histoire", rassemble des exposés adressés à un large public et considérés comme offrant un accès plus facile à la philosophie hégélienne. Sauf qu'on est là très loin de la rigueur des ouvrages majeurs de Hegel et qu'il donne l'exemple même d'un discours purement idéologique (un peu comme "L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État" d'Engels), prenant son aise avec les faits soigneusement choisis pour illustrer sa philosophie, quitte à inverser la chronologie (entre Chrétienté et Islam notamment), colportant sans retenu les préjugés et pires calomnies sur les autres peuples. C'est assez incroyable, véritable caricature d'une dialectique plaquée sur des connaissances parcellaires et qui a un fort pouvoir de conviction sur les ignorants mais révèle surtout ainsi les aspects douteux de cette conception populiste (héritée de Herder et de Fichte). En particulier, comme on le verra, alors que la Logique se terminait, par l'extériorité de notre position dans l'espace et dans le temps, les cours sur la philosophie de l'histoire évacuent d'emblée les causes extérieures dans l'autonomie donnée à l'Esprit et au destin de chaque peuple, idéalisme qu'il faut justement renverser au profit des causes matérielles.

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De l’homme religieux à l’homme de science

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En dépit de l'opinion dominante, il ne semble pas que les religions puissent garder durablement la place qui est encore la leur dans le monde de la techno-science car il y a bien incompatibilité entre sciences et religions, ce qui n'échappe pas aux fanatiques religieux. Malgré toute la bonne volonté des scientifiques ne voulant pas empiéter sur le domaine spirituel, il n'est pas vrai que les sciences n'auraient rien à (re)dire des religions, au contraire, tant de sciences étudient les religions ou les contredisent (anthropologie, philologie, histoire, sociologie, psychologie, neurologie, biologie, physique). Il ne peut y avoir de pacte de non agression, ou il n'y a plus de science. Il ne peut y avoir un partage des savoirs entre foi et raison comme on le prétend un peu légèrement - et le progrès des sciences paraît inexorable.

Ce n'est certes pas d'aujourd'hui qu'on assiste à la tentative de remplacement de l'homme religieux par l'homme de science mais l'entreprise avait lamentablement échoué avec le scientisme utilitariste du XIXè siècle dont Auguste Comte et John Stuart Mill avaient reconnu le caractère invivable, véritable "insurrection de l'esprit contre le coeur" qu'Auguste Comte a cru pouvoir contrer par une religion de l'humanité singeant de façon un peu trop caricaturale la religion catholique. Le marxisme lui-même a pu servir de religion de l'humanité un peu plus convaincante mais, avec son histoire sainte confrontée aux réalités, on s'est aperçu que son matérialisme affiché recouvrait des attitudes religieuses et dogmatiques. En croyant ramener le ciel sur la terre, c'est la politique qu'il ramenait à l'idéologie.

"On est dans le monde suivant la manière dont on le voit" (Hegel, La raison dans l'histoire, p51) et il n'est pas si facile de se débarrasser de tous les attributs de la religion qui structure profondément l'expérience personnelle et la représentation de soi, en dialogue avec un Autre, sous son regard omniprésent (l'oeil d'Horus), ce qui, comme je le notais dans le texte précédent, produit "un type bien particulier de personnalité, très centrée sur soi et son intériorité malgré les apparences, et qui sera d'ailleurs à l'origine de l'existentialisme depuis Kierkegaard, personnalité qui diffère radicalement de la personnalité scientifique à venir", ce qu'on va essayer d'examiner.

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L’irrationalité d’Homo sapiens

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Les premiers hommes se sont distingués comme homo faber, par leurs outils, mais autour des 70 000 à 50 000 ans, il n'y a pas si longtemps, et bien après les premiers Sapiens, s'est produite une révolution culturelle à l'origine des hommes actuels et des tribus de chasseurs-cueilleurs tels qu'on a pu les connaître dans toute leur diversité (de langues et coutumes) alors que régnait avant une grande uniformité. Désormais ce qui va distinguer les hommes modernes (semblables à nous), ce sont surtout les signes de leurs fausses croyances, de la pensée symbolique dit-on pour ce qui est pur délire, histoires à dormir debout et mises en scène rituelles. Dès qu'on parle de culture, et non plus de techniques, c'est bien l'irrationnel de mythes invraisemblables qui se manifeste sous toutes sortes de formes artificielles et par la fabrication d'idoles ou d'amulettes, d'objets magiques ou sacrés, jusqu'à des constructions monumentales.

On est élevé, dès les contes de l'enfance, dans l'idée qu'on serait des êtres supérieurs, au moins par rapport aux animaux (mais souvent aussi par rapport aux autres par privilège de naissance). On se voit en maître de l'univers et d'un avenir qui dépendrait de nous, de notre bonne volonté, de notre foi, de notre excellence alors que nous n'arrêtons pas d'échouer, de faire des erreurs et nous montrer malhabiles devant l'inhabituel. En tout cas, selon la tradition, notre supériorité serait dans la raison qui nous permettrait de maîtriser nos instincts et de nous donner accès à la vérité comme à la liberté et la citoyenneté. Nous désigner comme Homo sapiens ou animal rationnel revient effectivement à situer notre supériorité à l'animal dans notre bien plus gros cerveau et dans le travail intellectuel, non dans nos capacités physiques. Cette intelligence supérieure aux animaux est indéniable, de même que notre accès à la rationalité, en particulier la rationalité procédurale dont les outils fossiles témoignent suffisamment mais encore plus le langage narratif et sa logique avec la question de sa vérité ou du mensonge. Pour autant, il n'est absolument pas raisonnable de nous identifier à cette intelligence quand nous donnons le spectacle permanent de notre bêtise (pandémie, guerres, idéologies, religions, etc).

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La part de l’humanité dans l’évolution

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Logos et anthropos
Après avoir braqué les projecteurs sur l'universel, l'immensité de l'univers et les lois de l'évolution à très long terme incarnées par des extraterrestres, on peut, en bonne dialectique, porter maintenant de ce lointain le regard plus près de nous sur les organismes vivants ou sociaux et l'histoire politique ici-bas mais là, c'est une toute autre histoire et le domaine de l'action qui a beau être contrainte reste à la fois indécise et nécessaire.

On n'est plus ici dans le règne de la raison pure mais plutôt d'une rationalité erratique et limitée qui se révèle d'autant plus maléfique qu'elle se surestime, ignore son ignorance et croit pouvoir faire fi des lois universelles comme du cadre limité de notre action, règne de l'opinion qui n'est jamais "personnelle" mais s'enferre à chaque fois dans l'erreur avec des conséquences bien plus graves encore que la simple ignorance. On a des exemples récents. La situation n'est pas aussi brillante qu'on le présente ordinairement d'un bon sens partagé très démocratiquement alors qu'en dehors des sciences, en rupture avec l'opinion justement, il n'y a que fausses croyances, fake news ou propagandes.

On semble redécouvrir à chaque fois l'étendue des dégâts. Des théories du complot aux va-t-en-guerre, ce ne sont pas les idées claires et distinctes qui manquent pourtant ! Une série télé va même jusqu'à dire avec un brin d'exagération que les députés sont soit des psychopathes soit des imbéciles... On sait bien que ce n'est pas complètement faux, hélas, mais avec cela, il y a de quoi en rabattre sur les utopies démocratiques et il ne suffit pas de déclarer, sûr de soi, qu'on va tout changer. Avec les hommes tels qu'ils sont, et malgré tous les moyens déployés, la démocratie cognitive reste un rêve (une tendance?).

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Ce que les extraterrestres nous apprennent

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Il y a des révolutions cognitives à bas bruit qui passent d'abord inaperçues dans le fracas des actualités, n'étant pas de l'ordre d'une découverte soudaine mais d'un progressif changement de paradigme, de façon de poser les questions.

C'est le cas pour l'existence d'extraterrestres qui est passée du statut de pure fiction plus ou moins délirante, témoignant d'un excès de crédulité, à celle d'hypothèse scientifique de plus en plus fondée au regard des connaissances sur les possibles origines de la vie - dont on retrouve tous les composants dans les météorites - ainsi que par l'évolution animale vers la complexité jusqu'à un cerveau développé dont les capacités cognitives sont de mieux en mieux comprises. Tout ceci ajouté à la détection de planètes "habitables" suffit à rendre incontournable l'hypothèse de la reproduction sur d'autres planètes d'une telle évolution qui n'a aucune raison d'être unique, vie extraterrestre devenue dès lors objet scientifique.

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La méprise sur l’universel de la morale et de la science

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L'universel peut désigner des concepts très différents qui font l'objet d'une confusion constante très dommageable entre ce qui est nécessaire, obligé, éternel, et ce qui est simplement général, commun à notre espèce ou notre univers, entre la logique pure et l'étendue, plus précisément entre l'universel de la morale ou de la science et l'universel cosmopolite de l'anthropologie si ce n'est l'humanisme de "tous les hommes". On parlera ainsi d'une compétence universelle pour une juridiction étendue à la terre entière, ou d'un suffrage universel supposé ouvert à tous les citoyens bien que les femmes en aient longtemps été exclues, etc. La nuance entre ces différents sens peut paraître négligeable alors qu'on n'est pas du tout sur le même plan et surtout que la confusion des sens n'est pas sans conséquences politiques funestes, empêchant l'adhésion à l'idéologie universaliste appelée par l'unification planétaire écologique, économique, technologique, scientifique, médiatique, épidémique, etc.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les conceptions de l'universel des différentes philosophies, religions ou idéologies se trouvent bien avoir des implications politiques très concrètes, nourrissant entre autres les passions identitaires, revendication mal venue de sa particularité pour ce qui relève de l'universel. Si les causalités matérielles sont bien déterminantes en dernière instance, sélectionnant les idéologies dominantes, cela n'empêche pas que les idées les plus abstraites peuvent structurer des représentations idéologiques antagoniques - un peu comme la querelle des universaux au Moyen-Âge.

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L’éternel retour du même et nous

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Il est assez agaçant de voir annoncer tous les matins la découverte d'une planète habitable sous prétexte que les conditions n'y seraient pas trop infernales ou qu'il y a de l'eau, alors qu'on en sait si peu mais assez pour savoir qu'il ne peut y avoir de vie terrestre et que la gravité y est huit fois plus forte. Cela témoigne d'une attente fébrile, et de la déception de n'avoir trouvé aucune trace de vie jusqu'ici, donc du caractère exceptionnel de la vie, sa rareté extrême dans tout l'univers même si, étant donné les milliards de milliards de planètes, cela n'empêche pas qu'il est à peu près certain qu'on finira par en trouver.

Cela veut dire qu'on estime que les mêmes processus devraient se reproduire nécessairement, que la sélection darwinienne après-coup est universelle, aboutissant aux mêmes résultats, après des temps très longs, et donc à une complexification croissante pour autant que les catastrophes cosmiques épargnent ces planètes pendant des milliards d'années, ce qui n'est pas rien...

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De l’humanisme à l’écologie

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La communauté de destin de l'humanité est devenue planétaire et son souci devient celui de son écologie. Dépassant la diversité des populations, des histoires et traditions locales, l'écologie a donc toutes les chances de devenir l'idéologie de l'avenir unifiant l'humanité toute entière, malgré la déroute des écologistes actuels. Encore faut-il savoir de quelle écologie on parle, devant se positionner par rapport à l'humanisme qu'elle remplace, en le réintégrant dans son milieu, tout comme elle remplace la transcendance divine par la transcendance du monde. Ce sont les enjeux idéologiques de notre temps, succédant à celui de l'émancipation que l'écologie prolonge, et dont nous devons débattre.

L'écologie a suscité toutes sortes d'approches contradictoires, des plus mystiques aux plus pragmatiques, avec notamment l'opposition d'une écologie sociale (humaniste) à une écologie profonde (anti-humaniste), illustrée, entre autres, par le débat entre Murray Bookchin et Dave Foreman. On peut considérer cependant les deux positions insuffisantes car, si l'humanisme doit effectivement être dépassé, il est absolument nécessaire de le conserver, de garder le caractère sacré de la vie humaine et revendiquer de ne pas être ramené à l'animal. Même si l'écologie implique évidemment un décentrement de l'humanité, c'est bien l'humanité qui est la cause de la dégradation de la planète et qui doit la prendre en charge.

En fait, on va voir qu'il est contestable de faire de l'humanité, en tant que telle, la cause d'une évolution éco-techno-scientique qui est subie plus que voulue. Plutôt que de faire l'histoire, comme on le prétend, nous sommes plutôt le jouet de puissances matérielles implacables, économiques aussi bien que militaires. Notre préhistoire, tout comme l'hypothèse de possibles civilisations extraterrestres, permet de comprendre comme les stades de notre développement sont contraints et partout à peu près les mêmes, ne dépendant pas de notre espèce qui est plutôt le produit de cette évolution cognitive toujours en cours. Dès lors, dans cette position d'apprenti, le concept d'humanité perd beaucoup de sa substance, n'étant plus l'élément moteur, pris dans le flot de l'histoire planétaire voire cosmique. De ramener l'humanité sur terre n'empêche pas de lui garder toute sa dignité.

L'anti-spécisme a certes bien raison de souligner notre proximité des animaux, notre dépendance de la vie animale et l'importance de la biodiversité. On peut voir un progrès de la civilisation sur la barbarie d'être devenus plus sensibles au sort des animaux et à leur souffrance. Il n'empêche que brouiller la différence ontologique entre l'homme et l'animal relève du paradoxe, menant à toutes sortes de contradictions alors qu'il s'agit de remettre l'homme dans son monde, à la fois un monde fictif, symbolique, culturel, celui des récits et de la parole, qui nous spécifie, en même temps qu'un monde matériel et biologique extérieur et fragile, constituant nos conditions de vie.

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Hegel et les extraterrestres

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A l'exemple de Kant dans son "Idée d'une histoire universelle", on va se servir ici des extraterrestres pour dépasser l'humanité comme espèce et l'universaliser, mais aussi pour insister sur la séparation de la pensée et de l'être, de l'Esprit et de la Nature qu'on ne peut unir qu'en reconnaissant leur contradiction. Dépasser cette contradiction n'est pas l'annuler comme on le croit trop souvent, mais implique une certaine négation de l'Esprit, science soumise à la discipline de l'expérience, à la Nature donc, à l'extériorité ainsi intériorisée (plus qu'intentionalité extériorisée).

S'il apparaît nécessaire, depuis Marx, de renverser l'idéalisme hégélien au profit de déterminations plus matérielles, on peut dire, comme l'avait d'ailleurs bien vu Lénine, que Hegel avait opéré lui-même ce renversement à la fin de sa Logique qui s'achève par "l'idée pratique", idée qui n'est plus abstraite mais part du possible actuel, "fait face au réel effectif en tant que réel effectif", et se comprend comme nécessité, où le subjectif renonce à son arbitraire et sa particularité pour s'unir à l'objectif. Il reste malgré tout chez Hegel (et ceux qui s'en réclament) un primat de la causalité logique et spirituelle à laquelle on doit opposer la prépondérance des causalités matérielles, ainsi que la temporalité de l'après-coup à la place du projet initial ou de l'incarnation d'un logos (jouissance divine supposée à la fin de l'Encyclopédie!).

Il reste aussi chez lui une certaine identification de l'Esprit à l'Homme, qu'on peut dire inévitable à son époque mais qui a pour conséquence de biologiser l'Esprit en quelque sorte. Or, le simple fait que des scientifiques se soient mis à la recherche de signes d'une civilisation extraterrestre suffit à faire vaciller une identité humaine biologisante (sans parler de l'Intelligence Artificielle et des Transhumanistes). Cela relativise aussi notre rôle dans l'histoire. L'existence hypothétique de civilisations extraterrestres implique en effet une vision de l'évolution cognitive largement indépendante de nous et de notre espèce. C'est tout-à-fait conforme à la conception hégélienne d'une action souterraine de la raison dans l'histoire, en dépit des passions humaines, mais la supposition d'autres civilisations technologiques renforce l'autonomie de l'histoire et de l'Esprit au détriment de la liberté de l'Homme - qui n'en est plus qu'un agent quelconque.

Une conception cosmologique de l'évolution cognitive, avec des lois scientifiques identiques dans tout l'univers, constitue un nouveau progrès dans l'universalité. Du coup, c'est l'Esprit qui apparaît d'abord radicalement indépendant de la Nature et purement nécessaire en soi, progrès scientifique et processus de civilisation. Mais si la Nature semble l'inessentiel dans ses particularités planétaires par rapport à la logique ou la physique, en même temps, cet Esprit apparaît comme le résultat nécessaire de l'évolution naturelle et de la sélection par le résultat, restant dès lors un degré de la Nature malgré tout, soumis à l'urgence (histoire subie et non conçue). Cet "Esprit vivant", qui agit dans le monde, reconstitue certes l'unité du concept et du réel mais pas sans leur douloureuse contradiction, Esprit qui se cogne à une Nature qui lui résiste et sur laquelle il doit se régler dans la pratique.

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Seuls sur la Terre ?

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Le petit princeSommes-nous seuls sur la Terre ou bien existe-t-il d'autres vies extra-terrestres ?

Contrairement à ce qu'on croit habituellement, la réponse est loin d'être évidente. En effet, si le nombre d'étoiles et de galaxies semble faire pencher la balance du côté de l'existence de planètes semblables à la nôtre, les conditions à rassembler pour l'apparition de la vie restent vraiment exceptionnelles, encore plus pour pouvoir abriter des êtres évolués, et les chances que d'autres civilisations puissent exister en même temps que la nôtre sont pratiquement nulles...

Sans qu'on puisse être vraiment certain qu'on soit un cas unique dans l'histoire de l'univers, comme certains le prétendent, on ne peut non plus être aussi certain qu'on a pu le penser qu'il y aurait d'autres formes d'intelligence en dehors de la nôtre, ce qui a de quoi nous interloquer. Il est intéressant, en tout cas, d'essayer d'en évaluer les probabilités en dehors de toute idée préconçue, la question se divisant en 3 parties : 1) la probabilité d'un environnement qui permette l'éclosion de la vie, 2) la probabilité que la vie apparaisse lorsque les conditions y sont favorables, 3) la probabilité que la vie évolue vers des formes complexes et une intelligence comparable à l'intelligence humaine, lorsqu'on lui en laisse le temps.

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