Le refus de l'Art

Tzara 
   
DaDA
Breton 
  
Surréalisme
Debord 
  
Situationnistes
 
Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l’ai trouvée amère. - Et je l’ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié !
Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit toute l’espérance humaine. Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce.
J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot. [...]
Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs,- j’ai vu l’enfer des femmes là-bas;- et il me sera loisible de posséder le vérité dans une âme et un corps.
Rimbaud. Une saison en enfer
A ce point, et devant l’horreur et le mensonge, la beauté ne suffit plus à l’artiste qui incarne une nouvelle exigence de vérité "Le beau, en effet, doit être vrai en soi. Hegel. Esthétique. 160".

DADA, la guerre mondiale et la fin de l’Homme (Tzara)
Manifeste de Monsieur Antipyrine
DADA est notre intensité : qui érige les baïonnettes sans conséquence la tête sumatrale du bébé allemand ; Dada est la vie sans pantoufles ni parallèles ; qui est contre et pour l’unité et décidément contre le futur ; nous savons sagement que nos cerveaux deviendront des coussins douillets, que notre antidogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire et que nous ne sommes pas libres et crions liberté ; nécessité sévère sans discipline ni morale et crachons sur l’humanité.
DADA reste dans le cadre européen des faiblesses, c’est tout de même de la merde, mais nous voulons dorénavant chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l’art de tous les drapeaux des consulats [..] 357
DADA n’est pas folie, ni sagesse, ni ironie, regarde-moi, gentil bourgeois.
L’art était un jeu noisette, les enfants assemblaient les mots qui ont une sonnerie à la fin, puis ils pleuraient et criaient la strophe, et lui mettaient les bottines des poupées et la strophe devint reine pour mourir un peu et la reine devint baleine, les enfants couraient à perdre haleine.
Puis vinrent les grands ambassadeurs du sentiment qui s’écrièrent historiquement en choeur :
Psychologie Psychologie hihi
Science Science Science
Vive la France
Nous ne sommes pas naïfs
Nous sommes successifs
Nous sommes exclusifs
Nous ne sommes pas simples
et nous savons bien discuter l’intelligence.
Mais nous, DADA, nous ne sommes pas de leur avis, car l’art n’est pas sérieux, je vous assure, et si nous montrons le crime pour dire doctement ventilateur, c’est pour vous faire du plaisir, bons auditeurs, je vous aime tant, je vous assure et je vous adore. 358
Manifeste DADA 1918
Le magie d’un mot -
DADA - qui a mis les
journalistes devant la porte
d’un monde imprévu, n’a
 pour nous aucune importance
Pour lancer un manifeste il faut vouloir : A.B.C., foudroyer contre 1,2,3,
s’énerver et aiguiser les ailes pour conquérir et répandre de petits et de grands a, b, c, signer, crier, jurer, arranger la prose sous une forme d’évidence absolue, irréfutable, prouver son non-plus-ultra et soutenir que la nouveauté ressemble à la vie comme la dernière apparition d’une cocotte prouve l’essentiel de Dieu. Son existence fut déjà prouvée par l’accordéon, le paysage et la parole douce. Imposer son A.B.C. est une chose naturelle, - donc regrettable. Tout le monde le fait sous une forme de cristalbluffmadone, système monétaire, produit pharmaceutique, jambe nue conviant au printemps ardent et stérile. L’amour de la nouveauté est la croix sympathique, fait preuve d’un je m’enfoutisme naïf, signe sans cause, passager, positif. Mais ce besoin est aussi vieilli. 359
Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme ? Le principe : "aime ton prochain" est une hypocrisie. "Connais-toi" est une utopie plus acceptable car elle contient la méchanceté en elle. Pas de pitié. Il nous reste après le carnage l’espoir d’une humanité purifiée. Je parle toujours de moi puisque je ne veux convaincre, je n’ai pas le droit d’entraîner d’autres dans mon fleuve, je n’oblige personne à me suivre et tout le monde fait son art à sa façon, s’il connaît la joie montant en flèches vers les couches astrales, ou celle qui descend dans les mines aux fleurs de cadavres et de spasmes fertiles. Stalactites : les chercher partout, dans les crèches agrandies par la douleur, les yeux blancs comme les lièvres des anges. Ainsi naquit DADA d’un besoin d’indépendance, de méfiance envers la communauté. Ceux qui appartiennent à nous gardent leur liberté. Nous ne reconnaissons aucune théorie. Nous avons assez des académies cubistes et futuristes : laboratoires d’idées formelles. Fait-on l’art pour gagner de l’argent et caresser les gentils bourgeois ? 361
Le peintre nouveau crée un monde, dont les éléments sont aussi les moyens, une oeuvre sobre et définie, sans argument. L’artiste nouveau proteste : il ne peint plus (reproduction symbolique et illusionniste) mais crée directement en pierre, bois, fer, étain, des rocs, des organismes locomotives pouvant être tournés de tous côtés par le vent limpide de la sensation momentanée.
Toute oeuvre picturale ou plastique est inutile [..] Les écrivains qui enseignent la morale et discutent ou améliorent la base psychologique ont, à part un désir caché de gagner, une connaissance ridicule de la vie, qu’ils ont classifiée, partagée, canalisée ; ils s’entêtent à voir danser les catégories lorsqu’ils battent la mesure. Leurs lecteurs ricanent et continuent:à quoi bon?
Il y a une littérature qui n’arrive pas jusqu’à la masse vorace. Oeuvre de créateurs, sortie d’une vraie nécessité de l’auteur, et pour lui. Connaissance d’un suprême égoïsme, où les bois s’étiolent. Chaque page doit exploser, soit par le sérieux profond et lourd, le tourbillon, le vertige, le nouveau, l’éternel, par la blague écrasante, par l’enthousiasme des principes ou par la façon d’être imprimée. Voilà un monde chancelant qui fuit, fiancé aux grelots de la gamme infernale, voilà de l’autre côté : des hommes nouveaux. Rudes, bondissants, chevaucheurs de hoquets. Voilà un monde mutilé et les médicastres littéraires en mal d’amélioration.
Je vous dis : il n’y a pas de commencement et nous ne tremblons pas, nous ne sommes pas sentimentaux. Nous déchirons, vent furieux, le linge des nuages et des prières, et préparons le grand spectacle du désastre, l’incendie, la décomposition. Préparons la suppression du deuil et remplaçons les larmes par les sirènes tendues d’un continent à l’autre. Pavillons de joie intense et veufs de la tristesse du poison. DADA est l’enseigne de l’abstraction ; la réclame et les affaires sont aussi des éléments poétiques.
Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale : démoraliser partout et jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l’enfer au ciel, rétablir la roue féconde d’un cirque universel dans les puissances réelles et la fantaisie de chaque individu [..]
Idéal, idéal, idéal
Connaissance, connaissance, connaissance,
Boumboum, boumboum, boumboum
On croit pouvoir expliquer rationnellement, par la pensée, ce qu’on écrit. Mais c’est très relatif. La pensée est une belle chose pour la philosophie mais elle est relative. La psychanalyse est une maladie dangereuse, endort les penchants anti-réels de l’homme et systématise la bourgeoisie. Il n’y a pas de dernière Vérité. La dialectique est une machine amusante qui nous conduit / d’une manière banale / aux opinions que nous aurions eues de toute façon. 364
Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille, est dada; protestation aux poings de tout son être en action destructive : DADA ; connaissance de tous les moyens rejetés jusqu’à présent par le sexe pudique du compromis commode et de la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la création : DADA; de toute hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets : DADA [..] Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE. 367
L’art est une prétention chauffée à la timidité du bassin urinaire, l’hystérie née dans l’atelier. 369

La reconstruction du sujet : le rêve d’or (Breton)
L’idéalisme de la liberté et Le rêve de révolution : Le sujet du rêve et de la politique (Hegel, Marx, Freud).
 
Manifeste du surréalisme (1924)
Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort, fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage, et que lui a livrés sa nonchalance, ou son effort, son effort presque toujours, car il a consenti à travailler, tout au moins il n’a pas répugné à jouer sa chance (ce qu’il appelle sa chance !). Une grande modestie est à présent son partage : il sait quelles femmes il a eues, dans quelles aventures risibles il a trempé ; sa richesse ou sa pauvreté ne lui est rien, il reste à cet égard l’enfant qui vient de naître et, quant à l’approbation de sa conscience morale, j’admets qu’il s’en passe aisément. S’il garde quelque lucidité, il ne peut que se retourner alors vers son enfance qui, pour massacrée qu’elle ait été par le soin des dresseurs, ne lui en semble pas moins pleine de charmes. Là, l’absence de toute rigueur connue lui laisse la perspective de plusieurs vies menées à la fois ; il s’enracine dans cette illusion ; il ne veut plus connaître que la facilité momentanée, extrême de toutes choses. 13
Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. A nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire l’imagination à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême. 14
L’esprit de l’homme qui rêve se satisfait pleinement de ce qui lui arrive. L’angoissante question de la possibilité ne se pose plus. 23
Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais, certain de n’y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supporter un peu les joies d’une telle possession. 24
Il s’agissait de remonter aux sources de l’imagination poétique, et, qui plus est, de s’y tenir. C’est ce que je ne prétends pas avoir fait. Il faut prendre beaucoup sur soi pour vouloir s’établir dans ces régions reculées où tout a d’abord l’air de se passer si mal, à plus forte raison pour vouloir y conduire quelqu’un. Encore n’est-on jamais sûr d’y être tout à fait. Tant qu’à se déplaire, on est aussi bien disposé à s’arrêter ailleurs. Toujours est-il qu’une flèche indique maintenant la direction de ces pays et que l’atteinte du but véritable ne dépend plus que de l’endurance du voyageur. Manifeste 29
Tout occupé que j’étais encore de Freud à cette époque et familiarisé avec ses méthodes d’examen que j’avais eu quelque peu l’occasion de pratiquer sur des malades pendant la guerre, je résolus d’obtenir de moi ce qu’on cherche à obtenir d’eux, soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l’esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s’embarrasse, par suite, d’aucune réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée. 33
SURREALISME, n. M. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
ENCYCL. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. 36
Le surréalisme, tel que je l’envisage, déclare assez notre non-conformisme absolu pour qu’il ne puisse être question de le traduire, au procès du monde réel, comme témoin à décharge. Il ne saurait, au contraire, justifier que de l’état complet de distraction auquel nous espérons bien parvenir ici-bas. LA DISTRACTION DE LA FEMME CHEZ KANT, LA DISTRACTION "DES RAISINS" CHEZ PASTEUR, LA DISTRACTION DES VÉHICULES CHEZ CURIE SONT À CET ÉGARD PROFONDÉMENT SYMPTOMATIQUES. Ce monde n’est que très relativement à la mesure de la pensée et les incidents de ce genre ne sont que les épisodes jusqu’ici les plus marquants d’une guerre d’indépendance à laquelle je me fais gloire de participer. Le surréalisme est le "rayon invisible" qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires. "Tu ne trembles plus, carcasse." Cet été les roses sont bleues ; le bois c’est du verre. La terre drapée dans sa verdure me fait aussi peu d’effet qu’un revenant. C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs. 60
Le résultat concret fut une libération du contenu que ne permettait pas vraiment le dadaïsme destructeur de toute forme mais aussi de tout idéal et, donc, de toute liberté. Breton a permis le foisonnement surréaliste en justifiant simplement l’expression des idées les plus singulières.
L’image est une création pure de l’esprit.
Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.
Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. Pierre Reverdy 31
Il est intéressant de noter que ce qui aurait pu dériver, dans tout autre groupe professionnel, dans la ritualisation et la dogmatisation, s’est traduit dans le surréalisme par une radicalisation, une sensibilité particulière à ce que pourrait avoir de normatif le recours à l’inconscient, pour renforcer ce qui dans le premier manifeste se voulait critique de l’existant par rapport aux présupposés de la doctrine positive. C’est le point de vue de l’artiste qui empêchait les déviations les plus faciles comme plus tard les situationnistes saurons subvertir l’hypnose du pouvoir en jugeant de ses prétentions au nom des exigences critiques que l’art avait portées.
Second manifeste du surréalisme (1930)
En dépit des démarches particulières à chacun de ceux qui s’en sont réclamés ou s’en réclament, on finira bien par accorder que le surréalisme ne tendit à rien tant qu’à provoquer, au point de vue intellectuel et moral, une crise de conscience de l’espèce la plus générale et la plus grave et que l’obtention ou la non-obtention de ce résultat peut seule décider de sa réussite ou de son échec historique.
Au point de vue intellectuel il s’agissait, il s’agit encore d’éprouver par tous les moyens et de faire reconnaître à tout prix le caractère factice des vieilles antinomies destinées hypocritement à prévenir toute agitation insolite de la part de l’homme, ne serait-ce qu’en lui donnant une idée indigente de ses moyens, qu’en le défiant d’échapper dans une mesure valable à la contrainte universelle. L’épouvantail de la mort, les cafés chantants de l’au-delà, le naufrage de la plus belle raison dans le sommeil, l’écrasant rideau de l’avenir, les tours de Babel, les miroirs d’inconsistance, l’infranchissable mur d’argent éclaboussé de cervelle, ces images trop saisissantes de la catastrophe humaine ne sont peut-être que des images. Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. On voit assez par là combien il serait absurde de lui prêter un sens uniquement destructeur, ou constructeur : le point dont il est question est a fortiori celui où la construction et la destruction cessent de pouvoir être brandies l’une contre l’autre. Il est clair, aussi, que le surréalisme n’est pas intéressé à tenir grand compte de ce qui se produit à côté de lui sous prétexte d’art, voire d’anti-art, de philosophie ou d’anti-philosophie, en un mot de tout ce qui n’a pas pour fin l’anéantissement de l’être en un brillant, intérieur et aveugle, qui ne soit pas plus l’âme de la glace que celle du feu. Que pourraient bien attendre de l’expérience surréaliste ceux qui gardent quelque souci de la place qu’ils occuperont dans le monde ? En ce lieu mental d’où l’on ne peut plus entreprendre que pour soi-même une périlleuse mais, pensons-nous, une suprême reconnaissance, il ne saurait être question non plus d’attacher la moindre importance aux pas de ceux qui arrivent ou aux pas de ceux qui sortent, ces pas se produisant dans une région où, par définition, le surréalisme n’a pas d’oreille. On ne voudrait pas qu’il fût à la merci de l’humeur de tels ou tels hommes; s’il déclare pouvoir, par ses méthodes propres, arracher la pensée à un servage toujours plus dur, la remettre sur la voie de la compréhension totale, la rendre à sa pureté originelle, c’est assez pour qu’on ne le juge que sur ce qu’il a fait et sur ce qui lui reste à faire pour tenir sa promesse.
Avant de procéder, toutefois, à la vérification de ces comptes, il importe de savoir à quelles sorte de vertus morales le surréalisme fait exactement appel puisque aussi bien il plonge ses racines dans la vie, et, non sans doute par hasard, dans la vie de ce temps. [..]
Nous combattons sous toutes leurs formes l’indifférence poétique, la distraction d’art, la recherche érudite, la spéculation pure, nous ne voulons rien avoir de commun avec les petits ni avec les grands épargnants de l’esprit. Tous les lâchages, toutes les abdications, toutes les trahisons possibles ne nous empêcheront pas d’en finir avec ces foutaises. Il est remarquable, d’ailleurs, que, livrés à eux-mêmes et à eux seuls, les gens qui nous ont mis un jour dans la nécessité de nous passer d’eux ont aussitôt perdu pied, ont dû aussitôt recourir aux expédients les plus misérables pour rentrer en grâce auprès des défenseurs de l’ordre, tous grands partisans du nivellement par la tête. C’est que la fidélité sans défaillance aux engagements du surréalisme suppose un désintéressement, un mépris du risque, un refus de composition dont très peu d’hommes se révèlent, à la longue, capables. N’en resterait-il aucun, de tous ceux qui les premiers ont mesuré à lui leur chance de signification et leur désir de vérité, que cependant le surréalisme vivrait. 78 [..]
Je ne sais s’il y a lieu de répondre ici aux objections puériles de ceux qui, supputant les conquêtes possibles du surréalisme dans le domaine poétique où il a commencé par s’exercer, s’inquiètent de lui voir prendre parti dans la querelle sociale et prétendent qu’il a tout à y perdre. C’est incontestablement paresse de leur part ou expression détournée du désir qu’ils ont de nous réduire. Dans la sphère de la moralité, estimons-nous qu’a dit une fois pour toutes Hegel, dans la sphère de la moralité en tant qu’elle se distingue de la sphère sociale, on n’a qu’une conviction formelle, et si nous faisons mention de la vraie conviction c’est pour en montrer la différence et pour éviter la confusion en laquelle on pourrait tomber en considérant la conviction telle qu’elle est ici, c’est-à-dire la conviction formelle, comme si c’était la conviction véritable, tandis que celle-ci ne se produit d’abord que dans la vie sociale. (Philosophie du Droit.) 87 [..]
Si j’ai cru bon de m’étendre assez longuement sur de tels sujets, c’est d’abord pour signifier que, contrairement à ce qu’ils voudraient faire croire, tous ceux de nos anciens collaborateurs qui se disent aujourd’hui bien revenus du surréalisme, sans en excepter un seul, en ont été par nous exclus. 98 [..]
Pour que de tels écarts, de telles volte-face, de tels abus de confiance de tous ordres soient possible sur le terrain même où je viens de me placer, il faut assurément que tout soit un assez beau parterre de dérision et qu’il y ait à peine lieu de compter sur l’activité désintéressée de plus de quelques hommes à la fois. 100 [..]
Le problème de l’action sociale n’est, je tiens à y revenir et j’y insiste, qu’une des formes d’un problème plus général que le surréalisme s’est mis en devoir de soulever et qui est celui de l’expression humaine sous toutes ses formes. Qui dit expression dit, pour commencer, langage. 101 [..]
Nul ne fait, en s’exprimant, mieux que s’accomoder d’une possibilité de conciliation très obscure de ce qu’il savait avoir à dire avec ce que, sur le même sujet, il ne savait pas avoir à dire et que cependant il a dit. La pensée la plus rigoureuse est hors d’état de se passer de ce secours pourtant indésirable du point de vue de la rigueur. Il y a bel et bien torpillage de l’idée au sein de la phrase qui l’énonce, quand bien même cette phrase serait nette de toute charmante liberté prise avec son sens. Le dadaïsme avait surtout voulu attirer l’attention sur ce torpillage. On sait que le surréalisme s’est préoccupé, par l’appel à l’automatisme, de mettre à l’abri de ce torpillage un bâtiment quelconque : quelque chose comme un vaisseau fantôme (cette image, dont on a cru pouvoir se servir contre moi, si usée soit-elle, me paraît bonne et je la reprends).
A nous, disais-je donc, de chercher à apercevoir de plus en plus clairement ce qui se trame à l’insu de l’homme dans les profondeurs de son esprit, quand bien même il commencerait par nous en vouloir de son propre tourbillon. Nous sommes loin, en tout ceci, de vouloir réduire la part de démêlable et rien ne saurait s’imposer moins que nous renvoyer à l’étude scientifique des "complexes". Certes le surréalisme, que nous avons vu socialement adopter de propos délibéré la formule marxiste, n’entend pas faire bon marché de la critique freudienne des idées : tout au contraire il tient cette critique pour la première et pour la seule vraiment fondée. 108-109 [..]
Il est vrai que la question poétique a cessé ces dernières années de se poser sous l’angle essentiellement formel et, certes, il nous intéresse davantage de juger de la valeur subversive d’une oeuvre. 119 [..]
Nous croyons à l’efficacité de la poésie de Tzara et autant dire que nous la considérons, en dehors du surréalisme, comme la seule vraiment située. Quand je parle de son efficacité, j’entends signifier qu’elle est opérante dans le domaine le plus vaste et qu’elle est un pas marqué aujourd’hui dans le sens de la délivrance humaine. 121 [..]
L’homme qui s’intimiderait à tort de quelques monstrueux échecs historiques, est encore libre de croire à sa liberté. Il est son maître, en dépit des vieux nuages qui passent et de ses forces aveugles qui butent. N’a-t-il pas le sens de la courte beauté dérobable ? La clé de l’amour, que le poète disait avoir trouvée, lui aussi, qu’il cherche bien : il l’a. Il ne tient qu’à lui de s’élever au-dessus du sentiment passager de vivre dangereusement et de mourir. Qu’il use, au mépris de toutes les prohibitions, de l’arme vengeresse de l’idée contre la bestialité de tous les êtres et de toutes les choses et qu’un jour, vaincu - mais vaincu seulement si le monde est monde - il accueille la décharge de ses tristes fusils comme un feu de salve. 137
 
Précédent (Marx. La dictature de l'économie)
 Suite (Debord. Le pouvoir de la critique

[Prêt-à-penser]
 
Religions
Sciences
Politiques
Histoire des religions, Hermès trimégiste
 
Einstein, Khun, Prigogine, Thom, Kojève, Lacan
Histoire politique, Hitler, Hegel, Kojève, Marx, Tzara-Breton, Debord, Principe de Peter, Ecologie, Art, Stratégie
[Café philosophique] [Hegel]
[Philosophie] [Psychanalyse] [Poèsie]
[Sommaire] [Page d'accueil]