Dans une période où tout est séparé, l'art de penser peut lui-même former un métier à part.
Ferguson (cité dans Misère de la philosophie p138)
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Karl Marx (1818-1883) |
Une pensée pratique La question de l'attribution à la pensée humaine d'une vérité objective n'est pas une question de théorie, mais une question pratique. Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui importe, c'est de le transformer.
Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ?
Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante.Manifeste 44
Les prémisses dont nous partons ne sont pas des bases arbitraires, des dogmes ; ce sont des bases réelles dont on ne peut faire abstraction qu'en imagination. Ce sont les individus réels, leur action et leurs conditions d'existence matérielles, celles qu'ils ont trouvées toutes prêtes, comme aussi celles qui sont nées de leur propre action.L'idéologie allemande. 55 (1054)
Le langage est aussi vieux que la conscience, - le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d'autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi.L'idéologie allemande. 97 (1061)Une dialectique de la lutte, de la contradiction L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon - en un mot, oppresseurs et opprimés en perpétuelle opposition, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt secrète, tantôt ouverte et qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de toute la société, soit par la ruine commune des classes en lutte.
Manifeste 20
L'école Philanthrope est l'école humanitaire perfectionnée. Elle nie la nécessité de l'antagonisme; elle veut faire de tous les hommes des bourgeois; elle veut réaliser la théorie en tant qu'elle se distingue de la pratique et qu'elle ne renferme pas d'antagonisme. Il va sans dire que, dans la théorie, il est aisé de faire abstraction des contradictions qu'on rencontre à chaque instant dans la réalité. Cette théorie deviendrait alors la réalité idéalisée. Les philanthropes veulent donc conserver les catégories qui expriment les rapports bourgeois, sans avoir l'antagonisme qui les constitue et qui en est inséparable. Ils s'imaginent combattre sérieusement la pratique bourgeoise, et ils sont plus bourgeois que les autres.Misère de la philosophie. 133La force pratique de la théorie Il faut rendre l'oppression réelle encore plus opprimante, en lui adjoignant la conscience de l'oppression, la honte encore plus honteuse, en la rendant publique. 63 Sans doute l'arme de la critique ne peut-elle remplacer la critique des armes, et la force matérielle doit-elle être renversée par une force matérielle ; toutefois la théorie devient, elle aussi, force matérielle, dès qu'elle s'empare des masses. La théorie est capable d'émouvoir les masses, dès qu'elle démontre ad hominem, et elle démontre ad hominem dès qu'elle devient radicale.
La séparation comme oppression de l'abstraction : les droits de l’homme Le droit de l’homme à la liberté n’est pas fondé sur le lien de l’homme à l’homme, mais plutôt sur la séparation de l’homme avec l’homme. Il est le droit de cette séparation, le droit de l’individu limité, limité à lui-même.
La Question juive. Costes, I, 193
Aucun des prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. L'homme n'y est pas considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance initiale. Le seul lien qui les unisse c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leur propriété et de leur personne égoïste.La Question juive. Costes, I, 195
Il est apparemment de bonne méthode de commencer par le réel et le concret, la supposition véritable; donc, dans l'économie, par la population qui est la base et le sujet de l’acte social de la production dans son ensemble. Toutefois, a y regarder de près, cette méthode est fausse. La population est une abstraction si je laisse de côté, par exemple, les classes dont elle se compose. Ces classes sont a leur tour un mot vide de sens, si j'ignore les éléments sur lesquels elles reposent, par exemple le travail salarié, le capital, etc. Ceux-ci supposent l'échange, la division du travail, le prix, etc. Le capital, par exemple, n'est rien sans le travail salarié, sans la valeur, la monnaie, le prix, etc. Si donc je commençais par la population, je me ferais une représentation chaotique de l'ensembleL'aliénation (l'économie contre l'homme et la nature) La puissance sociale, c'est-à-dire la force productive décuplée qui naît de la coopération des divers individus conditionnée par la division du travail, n'apparaît pas à ces individus comme leur propre puissance conjuguée, parce que cette coopération elle-même n'est pas volontaire, mais naturelle ; elle leur apparaît au contraire comme une puissance étrangère, située en dehors d'eux, dont ils ne savent ni d'où elle vient ni où elle va, qu'ils ne peuvent donc plus dominer et qui, à l'inverse, parcourt maintenant une série particulière de phases et de stades de développement, si indépendante de la volonté et de la marche de l'humanité qu'elle dirige en vérité cette volonté et cette marche de l'humanité. Cette "aliénation", - pour se faire comprendre des philosophes -, ne peut naturellement être abolie qu'à deux conditions pratiques. Pour qu'elle devienne une puissance "insupportable", c'est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution, il est nécessaire qu'elle ait fait de la masse de l'humanité une masse totalement "privée de propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement de la force productive.
L'idéologie allemande. 109 (1065)
En fait, la domination du capitaliste sur les travailleurs n'est que la domination sur ceux-ci des conditions de travail devenues autonomes face à l'ouvrier (parmi lesquelles outre les conditions objectives du processus de production, les moyens de production, on trouve les conditions objectives du maintien et de l'efficacité de la force de travail c'est-à-dire les moyens de subsistance). Ce rapport, il ce vrai, ne se réalise que dans le processus réel de la production qui est comme nous l'avons vu essentiellement production de la plus-value, ce qui inclut la conservation de l'ancienne valeur; c'est le processus d'autovalorisation du capital avancé. Dans la circulation, le capitaliste et l'ouvrier se font face uniquement comme vendeurs de marchandises. Mais, en raison de la nature spécifique et bipolaire des marchandises qu'ils se vendent mutuellement, l'ouvrier entre nécessairement dans le processus de production comme partie intégrante de la valeur d'usage, du mode d'existence réel du capital comme valeur, bien que ce rapport ne se réalise qu'à l'intérieur du processus de production et que le capitaliste potentiel, acheteur du travail, ne devienne réellement capitaliste que si, par la vente de sa capacité de travail, le travailleur transformé virtuellement en salarié passe réellement dans ce processus sous le commandement du capital. Les fonctions exercées par le capitaliste ne sont que les fonctions du capital. Les fonctions du capital - de la valeur qui s'accroît par l’absorption du travail vivant - exécutées avec conscience et volonté. Le capitaliste remplit sa fonction uniquement comme capital personnifié, et il est le capital devenu personne. De même l'ouvrier n'est que le travail personnifié, le travail qui est à lui comme l'est sa peine et son effort, mais qui appartient au capitaliste comme une substance créatrice de richesse toujours croissante. Sous cette forme, le travail apparaît en fait comme un élément incorporé au capital dans le processus de la production, comme son facteur vivant, variable. La domination du capitaliste sur l'ouvrier est, par conséquent, la domination de l'objet sur l'homme, du travail mort sur le travail vivant, du produit sur le producteur, puisque les marchandises, qui deviennent des moyens pour dominer l'ouvrier (mais uniquement comme moyens de domination du capital lui-même), ne sont que les résultats et les produits du processus de production. Dans la production matérielle, véritable processus de la vie sociale - qui n'est autre que le processus de production - nous avons exactement le même rapport que celui qui se présente, dans le domaine idéologique, dans la religion : le sujet transformé en objet et vice-versa.
Du point de vue historique, cette inversion apparaît un stade de transition nécessaire pour obtenir, par la violence et aux dépens de la majorité, la création de la richesse en tant que telle, c'est-à-dire de la productivité illimitée du travail social, qui seule peut constituer la base matérielle d'une société humaine libre. Passer par cette forme antagonique est une nécessité, de même qu'il est inévitable que l'homme donne tout d'abord à ses forces spirituelles une forme religieuse en les érigeant face à lui-même en puissances autonomes.
Dans le processus direct de production, le capitaliste agit déjà à la fois comme producteur de marchandises et directeur de la production. A ses yeux, ce processus ne vise donc pas simplement à la production de plus-value. Mais quelle que soit la plus-value que le capital a extrait, sous forme de marchandises, dans le processus de production, la valeur et la plus-value contenues dans ces marchandises doivent d'abord être réalisées dans le processus de circulation. Et la restitution des valeurs avancées dans la production aussi bien que la plus-value contenue dans les marchandises ne semblent pas simplement se réaliser dans la circulation, mais plutôt y trouver leur source. Deux facteurs semblent accréditer cette apparence en premier lieu, le profit à la vente qui dépend de la filouterie, de la roublardise, de la compétence, de l'habileté et des mille conjonctures du marché; puis le fait qu'au temps de travail s'ajoute ici un second élément déterminant, le temps de circulation. Celui-ci ne constitue en fait qu'une barrière négative à la formation de la valeur et de la plus-value; mais il semble en être une base tout aussi positive que le travail lui-même et ajouter un facteur déterminant indépendant du travail, issu de la nature même du capital.
Au Livre II, il nous a fallu présenter cette sphère de circulation uniquement en relation avec les formes et déterminations qu'elle fait naître et démontrer le développement ultérieur qu'y prend le capital dans tous ses aspects. Mais, en réalité, cette sphère est celle de la concurrence qui, si l'on envisage les cas isolés, est dominée par le hasard; la loi interne qui s'y affirme et règle les hasards, ne devient donc manifeste que si l'on réunit ces aléas en grand nombre, alors qu'elle reste invisible et inintelligible aux divers agents de la production. De surcroît, le processus réel de production, unité des actes de production et de circulation, engendre de nouveaux phénomènes, où la trame des liens internes disparaît de plus en plus, où les rapports de production se séparent et ou les éléments de la valeur se figent dans des formes indépendantes les unes des autres.
1° Ses produits sont des marchandises. Mais ce qui le distingue des autres modes de production, ce n’est pas le fait de produire aussi des marchandises ; ce qui constitue le caractère dominant et déterminant de ses produits, c'est le fait d'être avant tout des marchandises. Cela implique en premier lieu que le travailleur lui-même se présente uniquement comme vendeur de marchandises, donc comme travailleur salarié libre, de sorte que le travail apparaît essentiellement comme travail salarié. Il n'est pas besoin de démontrer une fois de plus que le rapport entre capital et travail salarié détermine le caractère tout entier du mode de production. Quant aux agents principaux de ce mode de production, le capitaliste et le salarié, ils sont de simples incarnations, des personnifications du capital et du travail salarié; des caractères sociaux déterminés que le processus social de production imprime aux individus; des produits de ces rapports sociaux de la production.
Le caractère, 1°, du produit en tant que marchandise et, 2°, de la marchandise en tant que produit du capital, implique déjà l'ensemble des rapports de circulation, c'est-à-dire un processus social déterminé que les produits doivent subir et au cours duquel ils adoptent des caractères sociaux déterminés; il implique également des rapports particuliers des agents de production dont dépendent la mise en valeur de leur produit et sa reconversion en moyens de subsistance ou en moyens de production. Même en dehors de cela, c'est de ces deux caractères du produit en tant que marchandise ou de la marchandise en tant que produit capitaliste que découlent toute la détermination de la valeur et la régulation de l'ensemble de la production par la valeur. Dans cette forme très spécifique de la valeur, le travail fonctionne uniquement comme travail social : sa répartition, l'intégration réciproque et l'échange de ses produits, la subordination au mécanisme social, tout cela est abandonné aux agissements aléatoires des capitalistes individuels dont les actes s'annulent mutuellement. Comme ils s'affrontent uniquement en tant que propriétaires de marchandises, chacun cherchant à vendre le plus cher possible (et n'obéissant apparemment, dans l'organisation de la production, qu'à son bon plaisir), la loi interne s'impose uniquement à travers leur concurrence et les pressions qu'ils exercent les uns sur les autres, de sorte que les écarts se compensent mutuellement. La loi de la valeur agit ici uniquement comme loi immanente et, vis-à-vis des divers agents, comme loi naturelle aveugle, réalisant l'équilibre social de la production au milieu des fluctuations accidentelles de celle-ci.
En outre, il est de la nature de la marchandise et, plus encore, de la marchandise en tant que produit du capital que les caractères sociaux de la production se fixent dans des choses et que ses fondements matériels s'incarnent dans des personnes: voilà ce qui caractérise le système de production capitaliste.
2° Ce qui distingue tout particulièrement l'économie capitaliste, c'est que la production de la plus-value est son but immédiat et son mobile déterminant. Le capital produit essentiellement du capital, et il ne le fait que dans la mesure où il produit de la plus-value. Dans l'analyse de la plus-value relative, puis de la transformation de la plus-value en profit, nous avons vu comment, sur cette base, se constitue un mode de production particulier à l'ère capitaliste, une forme particulière du développement de la productivité sociale du travail; mais ces forces productives se dressent face au travailleur comme des puissances autonomes du capital et s'opposent directement à son développement individuel. La production en vue de la valeur et de la plus-value implique, comme nous l'a montré l'analyse antérieure, la tendance, toujours opérante, à réduire au-dessous de la moyenne sociale existante le temps de travail nécessaire à la production d'une marchandise, c'est-à-dire sa valeur. La tendance à réduire le coût de production à son minimum devient le levier le plus puissant de l'accroissement de la productivité sociale du travail; mais ce processus prend ici l'apparence d'un accroissement constant de la productivité du capital.
L'autorité que le capitaliste assume en tant que personnification du capital dans le processus direct de la production, la fonction sociale qu'il exerce comme directeur et maître de la production, diffèrent essentiellement de l'autorité fondée sur le système esclavagiste, féodal, etc.
Sur la base de la production capitaliste, la masse des producteurs directs affronte le caractère social de leur production sous forme d'une sévère autorité dirigeante et d'un mécanisme social complètement organisé et hiérarchisé du processus de travail; mais cette autorité n'appartient à ses détenteurs qu'en tant qu'ils personnifient les conditions du travail vis-à-vis du travail, et non, comme dans les anciens modes de production, en tant qu'ils agissent comme maîtres politiques ou théocratiques. En revanche, il règne parmi les détenteurs de cette autorité, les capitalistes eux-mêmes, qui ne s'affrontent qu'en tant que propriétaires de marchandises, l'anarchie la plus complète, au sein de laquelle la cohésion sociale de la production s'affirme uniquement comme une loi naturelle toute-puissante vis-à-vis de l'arbitraire individuel.
C'est seulement parce que le travail s'est fixé sous la forme du travail salarié et les moyens de production sous la forme du capital - donc uniquement à cause de ce caractère social spécifique des deux facteurs essentiels de la production - qu'une partie de la valeur (et du produit) se présente comme plus-value et cette plus-value comme profit (et rente) : c'est le gain du capitaliste, et c'est à lui qu'appartient cette richesse additionnelle disponible. Mais c'est seulement parce que cette plus-value se présente comme profit du capitaliste que les moyens de production additionnels qui sont destinés au développement de la reproduction et constituent une partie du profit apparaissent comme du capital additionnel nouveau, et que l'extension du processus de reproduction se présente comme processus d'accumulation capitaliste tout court.
Bien que, sous sa forme de travail salarié, le travail soit décisif pour tout le processus et le mode spécifique de la production, ce n'est pas le travail salarié qui détermine la valeur. Dans la détermination de la valeur, il s agit uniquement du temps de travail social, de la quantité totale de travail dont la société peut disposer et dont l'absorption relative par les différents produits en fixe, pour ainsi dire, le poids social respectif. Toutefois, la forme dans laquelle le temps de travail social agit sur la détermination de la valeur des marchandises est intimement liée à la forme du travail en tant que travail salarié et à la forme correspondante des moyens de production en tant que capital; à la vérité, c'est uniquement à partir de cette base que la production marchande devient la forme générale de la production, etc.
Considérons d'ailleurs les rapports dits "de distribution". Le salaire et le profit supposent l'un le travail salarié, l'autre le capital. Ces formes de distribution supposent donc des conditions de production ayant des caractères sociaux déterminés, et des relations sociales déterminées entre les agents de production. En bref, le système spécifique de distribution n'est que l'expression du système de production historiquement déterminé.
La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandise.Capital p561
Vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d'échange, de trafic et pouvait s'aliéner. C'est le temps où les choses mêmes qui jusqu'alors étaient communiquées, mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises, mais jamais achetées - vertu, amour, opinion, science, conscience, etc., - où tout enfin passa dans le commerce. C'est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle, ou, pour parler en termes d'économie politique, le temps où toute chose, morale ou physique, étant devenue valeur vénale, est portée au marché pour être appréciée à sa plus juste valeur.Misère de la philosophie. 46
La grande influence civilisatrice du capital a haussé la société à un niveau au regard duquel toutes les époques antérieures font figure de formes infantiles, marquées par l'idolâtrie de la nature.La nature devient enfin un pur objet pour l'homme, une simple affaire d'utilité, elle n'est plus tenue pour une puissance en soi. L'intelligence théorique de ses lois autonomes apparaît simplement comme une ruse pour la subordonner aux besoins humains soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production. En vertu de cette tendance, le capital aspire à dépasser les barrières et les préjugés nationaux aussi bien que la divinisation de la nature et la satisfaction des besoins existants, légués par le passé et enfermés dans les limites d'un contentement borné et dans la reproduction du mode de vie traditionnel. Il est destructif à l'égard de tout cela, il est en révolution permanente.
Grundisse Dietz 313
La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Là où elle prit le pouvoir, elle détruisit toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser d'autre lien entre l'homme et l'homme que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange et, à la place des nombreuses libertés si chèrement acquises, elle a substitué l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, aride. La bourgeoisie a dépouillé de leurs auréoles toutes les activités qui passaient jusqu'alors pour vénérables et que l'on considérait avec un saint respect. Médecin, juriste, prêtre, poète, homme de science, de tous elle a fait des salariés à gages.La bourgeoisie a déchiré le voile de sentiment et d'émotion qui couvrait les relations familiales et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent.Manifeste 23
La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d'énormes cités, elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celle des campagnes et par là, elle a arraché une importante partie de la population à l'abrutissement de la vie des champs.
Ayant déjà abordé ce point plus haut, nous serons ici très bref. Il s'agit d'une production qui n'est pas liée à des besoins préalablement limités ou qui lui imposent des limites. (Son caractère antagonique implique des limites qu'elle tend constamment à franchir; d'où crises, surproduction, etc.) C'est là un des côtés – disons : le côté positif - qui la distingue des modes de production anciens. Le côté négatif réside dans son caractère antagonique : la production opposée au producteur, indifférente à l'égard du producteur réel, qui apparaît comme simple moyen de production, tandis que, devenant une fin en soi, la richesse matérielle se développe contre l'individu et à ses dépens. Productivité du travail = maximum de produits obtenus avec le minimum de travail, partant, marchandises au prix le plus bas possible. C'est une loi du système de production capitaliste, indépendante de la volonté des capitalistes. Elle en implique une autre : ce ne sont pas les besoins existants qui déterminent l'échelle de la production, mais, inversement, c’est la masse des produits qui est fonction de l'échelle sans cesse croissante de la production, elle-même déterminée par le système capitaliste. Le but, qui est d'obtenir des produits contenant le maximum de travail non payé, ne peut être atteint que par une production qui est sa propre fin. Ce fait se présente, d'une part, comme une loi dans la mesure où le petit capitaliste matérialise dans le produit une quantité de travail supérieure au quantum socialement nécessaire ; c'est la manifestation adéquate de la la loi de la valeur, qui ne se développe complètement que sur la base du mode de production capitaliste. Mais, d'autre part, c’est l’instinct même de chaque capitaliste qui, pour violer cette loi ou la tourner par la ruse à son profit, cherche à abaisser la valeur individuelle de sa marchandise au-dessous de sa valeur socialement déterminée.
1° que la société tout entière
se fixe un temps de travail moindre ;
2° que la société travailleuse affronte
scientifiquement le procès de sa reproduction sans cesse
croissante, dans une plénitude toujours plus grande.
Autrement dit : l'homme ne fera plus les travaux qui peuvent être faits à sa place. Le capital et le travail ont un rapport semblable à celui de l'argent et de la marchandise : l'un est la forme générale de la richesse, l'autre uniquement sa substance destinée à la consommation immédiate. Dans sa course éperdue à la forme générale de la richesse, le capital pousse le travail au-delà des limites de ses besoins naturels et crée de la sorte les éléments matériels pour le développement d'une individualité riche, aussi universelle dans sa production que dans sa consommation, et dont le travail n'apparaît plus comme travail, mais comme plein développement de l'activité : sous sa forme immédiate, la nécessité naturelle y a disparu, parce qu'à la place du besoin naturel a surgi le besoin produit historiquement. C'est pourquoi le capital est productif, autrement dit, il a un rapport essentiel au développement des forces productives sociales. Mais, il cesse de l'être à partir du moment où le développement de ces forces productives trouve une barrière dans le capital lui-même.
Dans les crises, on voit se répandre une épidémie sociale qui, à toute autre époque, aurait semblé absurde : l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; il semble qu'une famine, une guerre d'extermination, lui aient coupé ses moyens de vivre - l'industrie et le commerce semblent anéantis ; et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce.Manifeste 27
Quand le prolétariat annonce la dissolution de l'ordre du monde existant jusqu'alors, il ne fait qu'exprimer le secret de sa propre existence, car il est la dissolution effective de cet ordre du monde.
La société ne peut plus vivre sous sa domination; c'est dire que l'existence de la bourgeoisie n'est plus compatible avec l'existence de la société. La condition essentielle de l'existence et de la domination de la classe bourgeoise est l'accumulation de la richesse entre les mains des particuliers, la formation et l'accroissement du capital ; la condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux.Manifeste 35
Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal, sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses.Idéologie allemande p111
Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n'ont pas d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat. [..]Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres : théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat, l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.Manifeste 36
Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni personnalité. Et l'abolition d'un pareil état de choses, la bourgeoisie l'appelle l'abolition de l'individualité et de la liberté !Manifeste 39
A la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. Tout comme l'homme primitif, l'homme civilisé est forcé de se mesurer avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie; cette contrainte existe pour l'homme dans toutes les formes de la société et sous tous les types de production. Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s'élargit parce que les besoins se multiplient; mais, en même temps, se développe le processus productif pour les satisfaire. Dans ce domaine, la liberté ne peut consister qu'en ceci : les producteurs associés - l'homme socialisé - règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d'être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et ils les accomplissent en dépensant le moins d'énergie possible, dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais l'empire de la nécessité n'en subsiste pas moins. C'est au-delà que commence l'épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté qui, cependant, ne peut fleurir qu'en se fondant sur ce règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération.fin Capital III 1488
En dépit de ce progrès [à travail égal, salaire égal], ce droit égal reste prisonnier d'une limitation bourgeoise. Le droit des producteurs est proportionnel au travail qu'ils fournissent. L'égalité consiste en ce que le travail fait fonction de mesure commune. Toutefois, tel individu est physiquement ou intellectuellement supérieur à tel autre, et il fournit donc en un même temps plus de travail ou peut travailler plus longtemps. Le travail, pour servir de mesure, doit être calculé d'après la durée ou l'intensité, sinon il cesserait d'être un étalon de mesure. Ce droit égal est un droit inégal pour un travail inégal. Il ne reconnaît aucune distinction de classe, puisque tout homme n'est qu'un travailleur comme tous les autres, mais il reconnaît tacitement comme un privilège de nature le talent inégal des travailleurs, et, par suite, l'inégalité de leur capacité productive. C'est donc, dans sa teneur, un droit de l'inégalité, comme tout droit. Par sa nature, le droit ne peut consister que dans l'emploi d'une mesure égale pour tous; mais les individus inégaux (et ils ne seraient pas distincts, s'ils n'étaient pas inégaux) ne peuvent être mesurés à une mesure égale qu'autant qu'on les considère d'un même point de vue, qu'on les regarde sous un aspect unique et déterminé ; par exemple, dans notre cas, uniquement comme des travailleurs, en faisant abstraction de tout le reste. En outre: tel ouvrier est marié, tel autre non ; celui-ci a plus d'enfants que celui-là, etc.. A rendement égal, et donc à participation égale au fonds social de consommation, l'un reçoit effectivement plus que l'autre, l'un sera plus riche que l'autre, etc. Pour éviter tous ces inconvénients, le droit devrait être non pas égal, mais inégal.Or tous ces inconvénients sont inévitables dans la première phase de la société communiste, quand elle ne fait que sortir de la société capitaliste, après un long et douloureux enfantement. Le droit ne peut jamais être plus élevé que la structure économique de la société et le développement culturel qui en dépend. Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, par suite, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail corporel; quand le travail sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais encore le premier besoin de la vie ; quand, avec l'épanouissement universel des individus, les forces productives se sont accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance - alors seulement on pourra s'évader une bonne fois de l'étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !" ...Critique du programme de Gotha.
A mesure que la grande industrie se développe, la création de richesses en vient à dépendre moins du temps de travail et de la quantité de travail utilisée, que de la puissance des agents qui sont mis en mouvement pendant la durée du travail. L'énorme efficience de ces agents est, à son tour, sans rapport aucun avec le temps de travail immédiat que coûte leur production. Elle dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie ou de l'application de cette science à la production.Grundisse II, p. 220-221 /592
[La production s'automatise, la force de travail du producteur n'est plus exploitée] Mais lui-même trouve place à côté du procès de production, au lieu d'en être l'agent principal. Avec ce bouleversement, ce n'est ni le temps de travail utilisé, ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent comme le fondement principal de la production et de la richesse; c'est l'appropriation de sa force productive générale, son intelligence de la nature et sa faculté de la dominer, dès lors qu'il s'est constitué en un corps social; en un mot le développement de l'individu social représente le fondement essentiel de la production et de la richesse. Le vol du temps de travail sur lequel repose la richesse actuelle apparaît comme une base misérable par rapport à la base nouvelle, créée et développée par la grande industrie elle-même. Dés que le travail, sous sa forme immédiate, a cessé d'être la source principale de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d'être sa mesure, et la valeur d'échange cesse donc aussi d'être la mesure de la valeur d'usage Le surtravail des grandes masses a cessé d'être la condition du développement de la richesse générale, tout comme le non-travail de quelques-uns a cessé d'être la condition du développement des forces générales du cerveau humain. La production basée sur la valeur d'échange s'effondre de ce fait et le procès de production matériel immédiat se voit lui-même dépouillé de sa forme mesquine, misérable et antagonique. C'est alors le libre développement des individualités. Il ne s'agit plus dès lors de réduire le temps de travail nécessaire en vue de développer le surtravail, mais de réduire en général le travail nécessaire de la société à un minimum. Cette réduction permet ensuite que les individus reçoivent une formation artistique et scientifique, etc., grâce au temps libéré et aux moyens créés au bénéfice de tous.Le capital crée une contradiction en procès : d'une part il pousse à la réduction du temps de travail à un minimum et d'autre part il pose le temps de travail comme la seule source et la seule mesure de la richesse. Il diminue donc le temps de travail sous sa forme nécessaire pour l'accroître sous sa forme de travail superflu. Dans une proportion croissante, il pose donc le travail superflu comme la condition - question de vie ou de mort - du travail nécessaire. D'une part, il éveille toutes les forces de la science et de la nature ainsi que celles de la coopération et de la circulation sociales, afin de rendre la création de la richesse indépendante (relativement) du temps de travail utilisé pour elle. D'autre part, il prétend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi créées d'après l'étalon du temps de travail, et les enserrer dans des limites étroites, nécessaires au maintien, en tant que valeur, de la valeur déjà produite. Les forces productives et les rapports sociaux - simples faces différentes du développement de l'individu social - apparaissent uniquement au capital seulement comme des moyens, et des moyens pour produire sur une base limitée. Mais en fait ce sont les conditions matérielles capables de faire éclater cette base.
Grundisse II, p. 221-223 / 592-594.
Quoi qu'il en soit, le capital crée une grande quantité de temps disponible, en dehors du temps de travail nécessaire à la société en général et à chacun de ses membres en particulier, autrement dit, une marge d'espace pour le développement de toutes les forces productives de chaque individu, et donc aussi de la société. Cette création de temps de non-travail apparaît, pour le capital et les systèmes antérieurs, comme un simple temps de non-travail, du temps libre pour quelques-uns. Mais en ce qui concerne le capital, celui-ci augmente le temps de surtravail de la masse par tous les moyens de la science et de l'art, parce que sa richesse est directement fonction de l'appropriation du temps de surtravail, son but étant directement la valeur, et non la valeur d'usage. Il est ainsi, malgré lui, l'instrument qui crée les moyens du temps sociaI disponible, qui réduit sans cesse à un minimum le temps de travail pour toute la société et libère donc le temps de tous en vue du développement propre de chacun. Cependant, il tend toujours lui-même a créer du temps disponible d'un côté, pour le transformer en surtravail l'autre. S'il réussit trop bien à créer du temps disponible, il souffrira de surproduction, et le travail nécessaire sera interrompu, parce que le capital ne peut plus mettre valeur aucun surtravail. Plus cette contradiction se développe, plus il se révèle que la croissance des forces productives ne saurait être freinée davantage par l'appropriation du surtravail d'autrui. Les masses ouvrières doivent donc s'approprier elles-mêmes leur surtravail. De ce fait le temps disponible cesse d'avoir une existence contradictoire. Le temps de travail nécessaire se mesure dès lors aux besoins de l'individu social, et le développement de la force productive sociale croit avec une rapidité si grande que, même si la production est calculée en fonction de la richesse de tous, le temps disponible croît pour tous. La Richesse véritable signifie, en effet, le développement de la force productive de tous les individus. Dès lors, ce n'est plus le temps de travail, mais le temps disponible qui mesure la richesse.Si le temps de travail est la mesure de la richesse, c'est que la richesse est fondée sur la pauvreté, et que le temps libre résulte de la base contradictoire du surtravail; en d'autres termes cela suppose que tout le temps de l'ouvrier soit posé comme du temps de travail et que lui-même soit ravalé au rang de simple travailleur et subordonné au travail. C'est pourquoi la machinerie la plus développée contraint aujourd'hui l'ouvrier à travailler plus longtemps que ne le faisaient le sauvage ou lui-même, lorsqu'il disposait d'outils plus rudimentaires et primitifs.
Grundisse II, p. 225-226/595-596.
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