La dictature de l'économie
(Marx)

Dans une période où tout est séparé, l'art de penser peut lui-même former un métier à part.
Ferguson (cité dans Misère de la philosophie p138)
 
La Lutte 
Pratique, dialectique, théorie, abstraction, aliénation
L'objectivation 
Fétichisme, domination, concurrence
Le système de production comme totalité 
Production, salariat, valeur, domination
La Marchandise
Le productivisme
La fin d'un monde
Travail et temps libre
Petit Traité Post-marxiste 
Séparation, engagement, production, temps libre
 
Le jeune Marx 
Karl Marx (1818-1883)

La lutte concrète pour le pouvoir
  • Une pensée pratique
  • La question de l'attribution à la pensée humaine d'une vérité objective n'est pas une question de théorie, mais une question pratique. Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui importe, c'est de le transformer.

    Thèses sur Feuerbach
     
    Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ?
    Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante.
    Manifeste 44
     
    Les prémisses dont nous partons ne sont pas des bases arbitraires, des dogmes ; ce sont des bases réelles dont on ne peut faire abstraction qu'en imagination. Ce sont les individus réels, leur action et leurs conditions d'existence matérielles, celles qu'ils ont trouvées toutes prêtes, comme aussi celles qui sont nées de leur propre action.
    L'idéologie allemande. 55 (1054)
     
    Le langage est aussi vieux que la conscience, - le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d'autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi.
    L'idéologie allemande. 97 (1061)
     
  • Une dialectique de la lutte, de la contradiction
  • L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon - en un mot, oppresseurs et opprimés en perpétuelle opposition, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt secrète, tantôt ouverte et qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de toute la société, soit par la ruine commune des classes en lutte.

    Manifeste 20
     
    L'école Philanthrope est l'école humanitaire perfectionnée. Elle nie la nécessité de l'antagonisme; elle veut faire de tous les hommes des bourgeois; elle veut réaliser la théorie en tant qu'elle se distingue de la pratique et qu'elle ne renferme pas d'antagonisme. Il va sans dire que, dans la théorie, il est aisé de faire abstraction des contradictions qu'on rencontre à chaque instant dans la réalité. Cette théorie deviendrait alors la réalité idéalisée. Les philanthropes veulent donc conserver les catégories qui expriment les rapports bourgeois, sans avoir l'antagonisme qui les constitue et qui en est inséparable. Ils s'imaginent combattre sérieusement la pratique bourgeoise, et ils sont plus bourgeois que les autres.
    Misère de la philosophie. 133
     
  • La force pratique de la théorie
  • Il faut rendre l'oppression réelle encore plus opprimante, en lui adjoignant la conscience de l'oppression, la honte encore plus honteuse, en la rendant publique. 63 Sans doute l'arme de la critique ne peut-elle remplacer la critique des armes, et la force matérielle doit-elle être renversée par une force matérielle ; toutefois la théorie devient, elle aussi, force matérielle, dès qu'elle s'empare des masses. La théorie est capable d'émouvoir les masses, dès qu'elle démontre ad hominem, et elle démontre ad hominem dès qu'elle devient radicale.

    Critique de la philosophie de droit de Hegel
     
  • La séparation comme oppression de l'abstraction : les droits de l’homme
  • Le droit de l’homme à la liberté n’est pas fondé sur le lien de l’homme à l’homme, mais plutôt sur la séparation de l’homme avec l’homme. Il est le droit de cette séparation, le droit de l’individu limité, limité à lui-même.

    La Question juive. Costes, I, 193
     
    Aucun des prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. L'homme n'y est pas considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance initiale. Le seul lien qui les unisse c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leur propriété et de leur personne égoïste.
    La Question juive. Costes, I, 195
     
    Il est apparemment de bonne méthode de commencer par le réel et le concret, la supposition véritable; donc, dans l'économie, par la population qui est la base et le sujet de l’acte social de la production dans son ensemble. Toutefois, a y regarder de près, cette méthode est fausse. La population est une abstraction si je laisse de côté, par exemple, les classes dont elle se compose. Ces classes sont a leur tour un mot vide de sens, si j'ignore les éléments sur lesquels elles reposent, par exemple le travail salarié, le capital, etc. Ceux-ci supposent l'échange, la division du travail, le prix, etc. Le capital, par exemple, n'est rien sans le travail salarié, sans la valeur, la monnaie, le prix, etc. Si donc je commençais par la population, je me ferais une représentation chaotique de l'ensemble
    Introduction de 1857
     
  • L'aliénation (l'économie contre l'homme et la nature)
  • La puissance sociale, c'est-à-dire la force productive décuplée qui naît de la coopération des divers individus conditionnée par la division du travail, n'apparaît pas à ces individus comme leur propre puissance conjuguée, parce que cette coopération elle-même n'est pas volontaire, mais naturelle ; elle leur apparaît au contraire comme une puissance étrangère, située en dehors d'eux, dont ils ne savent ni d'où elle vient ni où elle va, qu'ils ne peuvent donc plus dominer et qui, à l'inverse, parcourt maintenant une série particulière de phases et de stades de développement, si indépendante de la volonté et de la marche de l'humanité qu'elle dirige en vérité cette volonté et cette marche de l'humanité. Cette "aliénation", - pour se faire comprendre des philosophes -, ne peut naturellement être abolie qu'à deux conditions pratiques. Pour qu'elle devienne une puissance "insupportable", c'est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution, il est nécessaire qu'elle ait fait de la masse de l'humanité une masse totalement "privée de propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement de la force productive.

    L'idéologie allemande. 109 (1065)
     L'objectivation, fétichisme et domination
    Le système de production comme totalité
    L'universalisation de la marchandise (destruction de la nature)
    La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandise.
    Capital p561
     
    Vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d'échange, de trafic et pouvait s'aliéner. C'est le temps où les choses mêmes qui jusqu'alors étaient communiquées, mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises, mais jamais achetées - vertu, amour, opinion, science, conscience, etc., - où tout enfin passa dans le commerce. C'est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle, ou, pour parler en termes d'économie politique, le temps où toute chose, morale ou physique, étant devenue valeur vénale, est portée au marché pour être appréciée à sa plus juste valeur.
    Misère de la philosophie. 46
     
    La grande influence civilisatrice du capital a haussé la société à un niveau au regard duquel toutes les époques antérieures font figure de formes infantiles, marquées par l'idolâtrie de la nature.

    La nature devient enfin un pur objet pour l'homme, une simple affaire d'utilité, elle n'est plus tenue pour une puissance en soi. L'intelligence théorique de ses lois autonomes apparaît simplement comme une ruse pour la subordonner aux besoins humains soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production. En vertu de cette tendance, le capital aspire à dépasser les barrières et les préjugés nationaux aussi bien que la divinisation de la nature et la satisfaction des besoins existants, légués par le passé et enfermés dans les limites d'un contentement borné et dans la reproduction du mode de vie traditionnel. Il est destructif à l'égard de tout cela, il est en révolution permanente.

    Grundisse Dietz 313
     
    La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Là où elle prit le pouvoir, elle détruisit toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser d'autre lien entre l'homme et l'homme que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange et, à la place des nombreuses libertés si chèrement acquises, elle a substitué l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, aride. La bourgeoisie a dépouillé de leurs auréoles toutes les activités qui passaient jusqu'alors pour vénérables et que l'on considérait avec un saint respect. Médecin, juriste, prêtre, poète, homme de science, de tous elle a fait des salariés à gages.La bourgeoisie a déchiré le voile de sentiment et d'émotion qui couvrait les relations familiales et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent.
    Manifeste 23
    Le productivisme capitaliste
    La fin d'un monde
    Dans les crises, on voit se répandre une épidémie sociale qui, à toute autre époque, aurait semblé absurde : l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; il semble qu'une famine, une guerre d'extermination, lui aient coupé ses moyens de vivre - l'industrie et le commerce semblent anéantis ; et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce.
    Manifeste 27
     
    Quand le prolétariat annonce la dissolution de l'ordre du monde existant jusqu'alors, il ne fait qu'exprimer le secret de sa propre existence, car il est la dissolution effective de cet ordre du monde.
    Critique de la philosophie de droit de Hegel
     
    La société ne peut plus vivre sous sa domination; c'est dire que l'existence de la bourgeoisie n'est plus compatible avec l'existence de la société. La condition essentielle de l'existence et de la domination de la classe bourgeoise est l'accumulation de la richesse entre les mains des particuliers, la formation et l'accroissement du capital ; la condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux.
    Manifeste 35
     
    Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal, sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses.
    Idéologie allemande p111
     
    Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n'ont pas d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat. [..]Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres : théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat, l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.
    Manifeste 36
    La réalisation de la liberté et de l'équité : le temps libre.
    Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni personnalité. Et l'abolition d'un pareil état de choses, la bourgeoisie l'appelle l'abolition de l'individualité et de la liberté !
    Manifeste 39
     
    A la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. Tout comme l'homme primitif, l'homme civilisé est forcé de se mesurer avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie; cette contrainte existe pour l'homme dans toutes les formes de la société et sous tous les types de production. Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s'élargit parce que les besoins se multiplient; mais, en même temps, se développe le processus productif pour les satisfaire. Dans ce domaine, la liberté ne peut consister qu'en ceci : les producteurs associés - l'homme socialisé - règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d'être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et ils les accomplissent en dépensant le moins d'énergie possible, dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais l'empire de la nécessité n'en subsiste pas moins. C'est au-delà que commence l'épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté qui, cependant, ne peut fleurir qu'en se fondant sur ce règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération.
    fin Capital III 1488
     
    En dépit de ce progrès [à travail égal, salaire égal], ce droit égal reste prisonnier d'une limitation bourgeoise. Le droit des producteurs est proportionnel au travail qu'ils fournissent. L'égalité consiste en ce que le travail fait fonction de mesure commune. Toutefois, tel individu est physiquement ou intellectuellement supérieur à tel autre, et il fournit donc en un même temps plus de travail ou peut travailler plus longtemps. Le travail, pour servir de mesure, doit être calculé d'après la durée ou l'intensité, sinon il cesserait d'être un étalon de mesure. Ce droit égal est un droit inégal pour un travail inégal. Il ne reconnaît aucune distinction de classe, puisque tout homme n'est qu'un travailleur comme tous les autres, mais il reconnaît tacitement comme un privilège de nature le talent inégal des travailleurs, et, par suite, l'inégalité de leur capacité productive. C'est donc, dans sa teneur, un droit de l'inégalité, comme tout droit. Par sa nature, le droit ne peut consister que dans l'emploi d'une mesure égale pour tous; mais les individus inégaux (et ils ne seraient pas distincts, s'ils n'étaient pas inégaux) ne peuvent être mesurés à une mesure égale qu'autant qu'on les considère d'un même point de vue, qu'on les regarde sous un aspect unique et déterminé ; par exemple, dans notre cas, uniquement comme des travailleurs, en faisant abstraction de tout le reste. En outre: tel ouvrier est marié, tel autre non ; celui-ci a plus d'enfants que celui-là, etc.. A rendement égal, et donc à participation égale au fonds social de consommation, l'un reçoit effectivement plus que l'autre, l'un sera plus riche que l'autre, etc. Pour éviter tous ces inconvénients, le droit devrait être non pas égal, mais inégal.Or tous ces inconvénients sont inévitables dans la première phase de la société communiste, quand elle ne fait que sortir de la société capitaliste, après un long et douloureux enfantement. Le droit ne peut jamais être plus élevé que la structure économique de la société et le développement culturel qui en dépend. Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, par suite, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail corporel; quand le travail sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais encore le premier besoin de la vie ; quand, avec l'épanouissement universel des individus, les forces productives se sont accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance - alors seulement on pourra s'évader une bonne fois de l'étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !" ...
    Critique du programme de Gotha.
     
    A mesure que la grande industrie se développe, la création de richesses en vient à dépendre moins du temps de travail et de la quantité de travail utilisée, que de la puissance des agents qui sont mis en mouvement pendant la durée du travail. L'énorme efficience de ces agents est, à son tour, sans rapport aucun avec le temps de travail immédiat que coûte leur production. Elle dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie ou de l'application de cette science à la production.
    Grundisse II, p. 220-221 /592
     
    [La production s'automatise, la force de travail du producteur n'est plus exploitée] Mais lui-même trouve place à côté du procès de production, au lieu d'en être l'agent principal. Avec ce bouleversement, ce n'est ni le temps de travail utilisé, ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent comme le fondement principal de la production et de la richesse; c'est l'appropriation de sa force productive générale, son intelligence de la nature et sa faculté de la dominer, dès lors qu'il s'est constitué en un corps social; en un mot le développement de l'individu social représente le fondement essentiel de la production et de la richesse. Le vol du temps de travail sur lequel repose la richesse actuelle apparaît comme une base misérable par rapport à la base nouvelle, créée et développée par la grande industrie elle-même. Dés que le travail, sous sa forme immédiate, a cessé d'être la source principale de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d'être sa mesure, et la valeur d'échange cesse donc aussi d'être la mesure de la valeur d'usage Le surtravail des grandes masses a cessé d'être la condition du développement de la richesse générale, tout comme le non-travail de quelques-uns a cessé d'être la condition du développement des forces générales du cerveau humain. La production basée sur la valeur d'échange s'effondre de ce fait et le procès de production matériel immédiat se voit lui-même dépouillé de sa forme mesquine, misérable et antagonique. C'est alors le libre développement des individualités. Il ne s'agit plus dès lors de réduire le temps de travail nécessaire en vue de développer le surtravail, mais de réduire en général le travail nécessaire de la société à un minimum. Cette réduction permet ensuite que les individus reçoivent une formation artistique et scientifique, etc., grâce au temps libéré et aux moyens créés au bénéfice de tous.

    Le capital crée une contradiction en procès : d'une part il pousse à la réduction du temps de travail à un minimum et d'autre part il pose le temps de travail comme la seule source et la seule mesure de la richesse. Il diminue donc le temps de travail sous sa forme nécessaire pour l'accroître sous sa forme de travail superflu. Dans une proportion croissante, il pose donc le travail superflu comme la condition - question de vie ou de mort - du travail nécessaire. D'une part, il éveille toutes les forces de la science et de la nature ainsi que celles de la coopération et de la circulation sociales, afin de rendre la création de la richesse indépendante (relativement) du temps de travail utilisé pour elle. D'autre part, il prétend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi créées d'après l'étalon du temps de travail, et les enserrer dans des limites étroites, nécessaires au maintien, en tant que valeur, de la valeur déjà produite. Les forces productives et les rapports sociaux - simples faces différentes du développement de l'individu social - apparaissent uniquement au capital seulement comme des moyens, et des moyens pour produire sur une base limitée. Mais en fait ce sont les conditions matérielles capables de faire éclater cette base.

    Grundisse II, p. 221-223 / 592-594.
     
    Quoi qu'il en soit, le capital crée une grande quantité de temps disponible, en dehors du temps de travail nécessaire à la société en général et à chacun de ses membres en particulier, autrement dit, une marge d'espace pour le développement de toutes les forces productives de chaque individu, et donc aussi de la société. Cette création de temps de non-travail apparaît, pour le capital et les systèmes antérieurs, comme un simple temps de non-travail, du temps libre pour quelques-uns. Mais en ce qui concerne le capital, celui-ci augmente le temps de surtravail de la masse par tous les moyens de la science et de l'art, parce que sa richesse est directement fonction de l'appropriation du temps de surtravail, son but étant directement la valeur, et non la valeur d'usage. Il est ainsi, malgré lui, l'instrument qui crée les moyens du temps sociaI disponible, qui réduit sans cesse à un minimum le temps de travail pour toute la société et libère donc le temps de tous en vue du développement propre de chacun. Cependant, il tend toujours lui-même a créer du temps disponible d'un côté, pour le transformer en surtravail l'autre. S'il réussit trop bien à créer du temps disponible, il souffrira de surproduction, et le travail nécessaire sera interrompu, parce que le capital ne peut plus mettre valeur aucun surtravail. Plus cette contradiction se développe, plus il se révèle que la croissance des forces productives ne saurait être freinée davantage par l'appropriation du surtravail d'autrui. Les masses ouvrières doivent donc s'approprier elles-mêmes leur surtravail. De ce fait le temps disponible cesse d'avoir une existence contradictoire. Le temps de travail nécessaire se mesure dès lors aux besoins de l'individu social, et le développement de la force productive sociale croit avec une rapidité si grande que, même si la production est calculée en fonction de la richesse de tous, le temps disponible croît pour tous. La Richesse véritable signifie, en effet, le développement de la force productive de tous les individus. Dès lors, ce n'est plus le temps de travail, mais le temps disponible qui mesure la richesse.

    Si le temps de travail est la mesure de la richesse, c'est que la richesse est fondée sur la pauvreté, et que le temps libre résulte de la base contradictoire du surtravail; en d'autres termes cela suppose que tout le temps de l'ouvrier soit posé comme du temps de travail et que lui-même soit ravalé au rang de simple travailleur et subordonné au travail. C'est pourquoi la machinerie la plus développée contraint aujourd'hui l'ouvrier à travailler plus longtemps que ne le faisaient le sauvage ou lui-même, lorsqu'il disposait d'outils plus rudimentaires et primitifs.

    Grundisse II, p. 225-226/595-596.

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