Ce qui est valable universellement, vaut aussi en fait universellement; ce qui doit être est aussi en fait, et, ce qui seulement doit être sans être n'a aucune vérité; la raison est en effet cette certitude d'avoir réalité. Hegel Ph-II-p211
L’idée théorique ne prend pas naissance en dehors et indépendamment de l’expérience; elle ne peut non plus être dérivée de l’expérience par un procédé purement logique. Elle est produite par un acte créateur. (Einstein sur la théorie de la gravitation généralisée 1950)
Cette idéalisation de la connaissance se renverse dans la réduction de l’humain comme objet de science : biologie, psychologie, sociologie, histoire. Le sujet connaissant (et la terrible puissance d’une Science surhumaine) se réduisant paradoxalement à l’animalité, fier de son audace destructrice et de sa fausse humilité. Cependant la science du XXè siècle n’a pas bouleversé exclusivement notre vie quotidienne mais ses exigences théoriques ont bouleversé aussi les bases de notre logique. La Relativité d’abord défiant l’imaginaire de notre espace-temps, la Mécanique Quantique ensuite représentant, tant bien que mal, la limite de toute physique dont l’observateur ne peut être éliminé. Les paradoxes se sont accumulés dévalorisant la logique elle-même qui se réclamait de leurs extrémismes. L’efficacité de la Science a suffit pour nourrir l’obscurantisme moderne. Il ne faut pas compter pour rien l’adhésion d’Heisenberg au Nazisme qui a été plus loin que celle, massive également, de Heidegger. Cette irresponsabilité, cette absence de pensée au coeur de la Science (la vérité comme cause, elle n’en voudrait-rien-savoir) rejaillit finalement sur son prestige construisant contre elle le dossier de l’Écologie qui remet le Politique à la place de l’objectivité scientifique (et non pas comme le croient certains la Science écologique à la place du Politique, ce qui serait un désastre).Je crois que tout véritable théoricien est une espèce de métaphysicien apprivoisé, si forte que soit sa conviction d’être un "positiviste" pur. Le métaphysicien croit que ce qui est logiquement simple est aussi réel. Le métaphysicien apprivoisé croit que ce qui est logiquement simple n’est pas entièrement contenu dans la réalité expérimentale, mais que la totalité de l’expérience sensible peut être "comprise" sur la base d’un système conceptuel édifié sur des prémisses d’une grande simplicité. (Einstein. Sur la théorie de la gravitation généralisée 1950)En effet, un regard rétrospectif sur la série de relations considérées jusque-là constituant le contenu et l'objet de l'observation, montre que dans le premier mode, c'est-à-dire dans l'observation de la relation de la nature inorganique, l'être sensible disparaît déjà devant l'observation. Hegel Ph-II-p283
La révolution scientifique du début du siècle se voit aujourd’hui doublée d’une autre révolution, un changement de paradigme qui oblige à réexaminer les prétentions du scientisme physique. En progressant depuis le point qu’elle avait déjà atteint, la Physique a rencontré surtout ses propres limites et c’est à partir de ces limites que se construit une science nouvelle des phénomènes, une rectification de l’ontologie scientifique. Le prestige de la science ne reviendra pas toutefois à ce qu’il était au début de l’explosion industrielle car la probabilité se substituant à l’exactitude, la fascination d’une vérité ultime n’est certainement plus de mise. Il ne reste qu’un savoir éclaté en multiples disciplines qui nous donnent un pouvoir effectif sur le réel et dont la signification se réduit, ce qui n’est pas rien, à réfuter d’anciens savoirs, à nettoyer notre représentation du réel de préjugés idéologiques toujours déjà là (le savoir ne se construit pas sur l’ignorance pure mais contre un savoir antérieur).Quand le point était considéré comme une pure idée, la géométrie était infectée de métaphysique, et se prêtait aux plus vaines constructions de la métaphysique. Il n’en restera rien. Asger Jorn 4-p30La probabilité à laquelle se réduirait le résultat de l'analogie, perd, eu égard à la vérité, toute différence d'une plus ou moins grande probabilité; qu'elle soit aussi grande qu'elle voudra, elle n'est rien à l'égard de la vérité. Hegel Ph-II-p212
Les théories du Chaos et les objets Fractals permettent une représentation approximative du réel le plus quotidien, ouvrant de nouveaux champs à la recherche de lois probabilistes. La théorie des catastrophes réussit à offrir un modèle général d’intelligibilité qui pourrait bien être la réalisation de l’unification de la Science, bien que sur un mode inattendu. Son formalisme permet de hiérarchiser les niveaux de pertinence, identifiant toute science à une modélisation. La biologie y gagne beaucoup d’intelligibilité contre les délires réductionnistes des neurologues ou de la génétique, sans qu’on obtienne pourtant des résultats considérables dans un progrès qui s’essouffle.Ce qui doit être connu, ce n'est pas l'inessentiel des choses, mais ce par quoi elles-mêmes s'arrachant à l'universelle continuité de l'être en général, se séparent de l'Autre et sont pour soi. Hegel Ph-II-p208
C’est encore une façon de nier les révolutions de pensée qui ont été réellement nécessaires pour accompagner les progrès de l’investigation scientifique. Le désir d’un savoir absolu, sans plus d’histoires, n’est rien d’autre que le désir d’un savoir qui oublie son histoire constitutive, dans une objectivité éternelle qui nous attendait depuis toujours. C’est ce que Heidegger appellera l’essence de la technique comme oubli de l’origine qui n’est pourtant pas l’être mais le temps intersubjectif comme fondement de la communauté scientifique. L’exigence d’unité de la Science, sa construction cumulative, obligent à présenter dogmatiquement le résultat actuel des recherches. Mais la vérité de la Science est bien dans son histoire faite de ruptures, dans son inter-subjectivité conflictuelle et non dans la calme sérénité d’un savoir éternel.
L’observation et l’expérience peuvent et doivent réduire impitoyablement l’éventail des croyances scientifiques admissibles, autrement il n’y aurait pas de science. Mais à elles seules, elles ne peuvent pas déterminer un ensemble particulier de ces croyances. Un élément apparemment arbitraire, résultant de hasards personnels et historiques, est toujours l’un des éléments formatifs des croyances adoptées par un groupe scientifique à un moment donné. 21
Les épisodes extraordinaires au cours desquels se modifient les convictions des spécialistes sont qualifiés dans cet essai de révolutions scientifiques. Ces bouleversements de la tradition sont les compléments de l’activité liée à la tradition de toute science normale. 23
Cependant, les manuels, étant les véhicules pédagogiques destinés à perpétuer la science normale, sont à récrire, en totalité ou en partie, chaque fois que le langage, la structure des problèmes ou les normes de solution des problèmes de la science normale change ; bref, à la suite de chaque révolution scientifique. Et, une fois récrits, ils déguisent inévitablement non seulement le rôle mais l’existence même des révolutions qui sont à leur origine. A moins qu’il n’ait eu l’expérience personnelle d’une révolution au cours de sa vie, le sens historique du chercheur professionnel ou du lecteur non spécialisé de littérature scientifique ne peut dépasser ce qu’apportent les résultats des révolutions les plus récentes survenues dans le domaine.
Les manuels commencent ainsi par tronquer le sentiment qu’a l’homme de science de l’histoire de sa discipline, puis ils fournissent un substitut de ce qu’ils ont éliminé. 191
Les scientifiques ne sont évidemment pas le seul groupe qui tende à voir le passé de leur discipline comme un développement linéaire vers un état actuel, donc privilégié. La tentation d’écrire l’histoire à rebours se retrouve partout et toujours. Mais les scientifiques sont plus sensibles à cette tentation de récrire l’histoire, en partie parce que les résultats de la recherche scientifique ne montrent aucune dépendance évidente par rapport au contexte historique de la recherche, en partie aussi parce que, sauf en période de crise et de révolution, la position contemporaine de l’homme de science paraît tellement sûre [..] La dépréciation du fait historique est profondément et sans doute fonctionnellement intégrée à l’idéologie de la profession scientifique. 192
Mais ce n’est pas ainsi qu’une science se développe. Bon nombre d’énigmes de la science normale contemporaine n’existent que depuis les révolutions scientifiques les plus récentes. 195
Parmi les gens qui ne sont pas vraiment des spécialistes d’une science adulte, bien peu réalisent quel travail de nettoyage il reste à faire après l’établissement d’un paradigme, ou à quel point ce travail peut se révéler passionnant en cours d’exécution. Il faut bien comprendre ceci. C’est à des opérations de nettoyage que se consacrent la plupart des scientifiques durant toute leur carrière. Elles constituent ce que j’appelle ici la science normale. 46
La science normale, cette activité consistant comme nous venons de le voir à résoudre des énigmes, est une entreprise fortement cumulative qui réussit éminemment à remplir son but : étendre régulièrement, en portée et en précision, la connaissance scientifique. A tous ces points de vue, elle correspond très exactement à l’image la plus courante que l’on se fait du travail scientifique. Nous n’y voyons pourtant pas figurer l’un des éléments habituels de l’entreprise scientifique. La science normale ne se propose pas de découvrir des nouveautés, ni en matière de théorie, ni en ce qui concerne les faits. 82
Mais les problèmes extraordinaires ne sont pas donnés au départ. Ils apparaissent seulement dans des cas particuliers créés par la progression de la recherche normale. 59
Il nous faut admettre que la recherche dans le cadre d’un paradigme doit être une manière particulièrement efficace d’amener ce paradigme à changer. 82
La découverte commence avec la conscience d’une anomalie, c’est-à-dire l’impression que la nature, d’une manière ou d’une autre, contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale. Il y a "ensuite une exploration, plus ou moins prolongée, du domaine de l’anomalie. Et l’épisode n’est clos que lorsque la théorie du paradigme est réajustée afin que le phénomène anormal devienne phénomène attendu. 83
Une fois qu’on a trouvé un premier paradigme au travers duquel considérer la nature, il n’est plus question d’effectuer une recherche en l’absence de tout paradigme. Rejeter un paradigme sans lui en substituer simultanément un autre, c’est rejeter la science elle-même. 117
Le passage d’un paradigme en état de crise à un nouveau paradigme d’où puisse naître une nouvelle tradition de science normale est loin d’être un processus cumulatif, réalisable à partir de variantes ou d’extensions de l’ancien paradigme. C’est plutôt une reconstruction de tout un secteur sur de nouveaux fondements, reconstruction qui change certaines des généralisations les plus élémentaires de ce secteur et aussi nombre des méthodes et applications paradigmatiques. 124
L’expérience anormale de Popper est importante pour les sciences parce qu’elle fait surgir des concurrents du paradigme existant. Mais la "falsification", bien qu’elle se produise sûrement, ne se produit pas dès l’émergence d’une anomalie ou d’une instance "falsifiante". C’est au contraire un processus subséquent et séparé que l’on pourrait tout aussi bien appeler vérification puisqu’il consiste à faire triompher un nouveau paradigme sur l’ancien [..] Toutes les théories ayant une importance historique ont été d’accord avec les faits, mais seulement plus ou moins. 203
Ce que voit un sujet dépend à la fois de ce qu’il regarde et de ce que son expérience antérieure, visuelle et conceptuelle, lui a appris à voir. 160
Dans un sens que je suis incapable d’expliciter davantage, les adeptes de paradigmes concurrents se livrent à leurs activités dans des mondes différents. L’un contient des corps qui tombent lentement d’une chute entravée, l’autre des pendules qui répètent indéfiniment leur mouvement. Dans l’un, les solutions sont des composés, dans l’autre ce sont des mélanges. L’un est contenu dans une matrice d’espace qui est plat, l’autre courbe. Travaillant dans des mondes différents, les deux groupes de scientifiques voient des choses différentes quand ils regardent dans la même direction à partir du même point. 207
Khun
"Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convaincant les opposants et en leur faisant entrevoir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants mourront un jour et qu’une nouvelle génération, familiarisée avec elle, paraîtra. 208"
Max Planck
Pour être plus précis, disons que nous devrons peut-être abandonner la notion, explicite ou implicite, selon laquelle les changements de paradigmes amènent les scientifiques, et ceux qui s’instruisent auprès d’eux, de plus en plus près de la vérité. 232
Comme le langage, la connaissance scientifique est intrinsèquement la propriété commune d’un groupe, ou bien elle n’est pas. Pour la comprendre, il nous faudra connaître les caractéristiques spéciales des groupes qui la créent et l’utilisent. 284
Khun
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