Rien que rapports humains
Il n'y a pas de savoir neutre
(Destruction de l'objectivation des sciences et du pouvoir.)
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Il n'y a de science que pour un groupe et un temps donné (savoir
d'un sujet)
On peut constater avec Kuhn
(Structure des révolutions scientifiques) les implications
d'une sociologie de la science : 1. Le savoir scientifique n'est pas un
savoir idéal éternel mais une production concrète
et provisoire qui résulte toujours d'un débat contradictoire
(le faux est un moment du vrai. Hegel)
qu'on oublie ensuite derrière le résultat (les manuels scientifiques
suppriment l'histoire) mais qui sera lui-même dépassé.
2. Ce qu'on enseigne n'est jamais complètement détaché
de la pratique car ce qui limite le vrai, ce n'est pas le faux, c'est
l'insignifiant (Thom).
Dès lors le savoir et les pratiques scientifiques (efficaces) doivent
être interrogés sur leurs finalités, leur idéologie,
leur rôle social.
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Science et neutralité
Kojève définit
le savoir scientifique comme théorie expérimentale, reproductible
qui procède de la vérification et s'oppose aux discours
théologique (prière) et philosophique (moral). La Science
est un savoir dés-intéressé qui se veut exhaustif
en parcourant les différentes possibilités de l'objet mais
sans rendre compte de son propre discours. La neutralisation de l'intentionalité,
la réduction de Husserl,
est bien un idéal scientifique mais jamais le sujet ne peut en être
éliminé tout-à-fait, l'intérêt premier
qui a porté l'attention sur l'objet. Même si les formules
scientifiques sont dépourvues de tout sens, la recherche scientifique
doit toujours avoir un sens et s'inscrire dans une pratique sociale.
C'est de la science elle-même qu'en revient l'aveu avec les paradoxes
de la Relativité (dignes de Zénon), des Quanta (limitant
notre savoir par la nécessité de notre intervention expérimentale)
et maintenant du Chaos (limitant toute prévision, toute précision
des mesures). Partout s'indique qu'on ne peut s'abstraire de nos finalités
concrètes. Ainsi le théorème de Gödel démontre
qu'un système formel (arithmétique, géométrie)
ne peut se fonder lui-même mais dépend toujours de propositions
extérieures, d'un projet pratique. Mandelbrot, l'inventeur des Fractales,
démontre qu'une mesure objective comme celle de la longueur des
côtes de Bretagne dépend complètement de l'unité
de mesure choisie, du point de vue pratique envisagé. De plus, Prigogine
a démontré (par l'Entropie) que le temps est irréversible
et limité (contredisant l'idéalisation mathématique
de la physique), que l'univers ne peut se réduire à une formule,
que, dès lors, tout phénomène est limité à
une échelle et un temps donné (l'entropie est l'introduction
de la mort dans la Physique), toute science n'étant rien que modèle
(approximatif). Mais surtout, il n'y a pas de continuité entre les
niveaux atomiques, moléculaires et macroscopiques, ni entre les
niveaux biologiques et sociaux. Là encore, tout dépend de
notre position géographique et historique, des pratiques sociales
et politiques concrètes.
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L'objectivité sociale et sa critique subversive
Il faut donc suivre la Phénoménologie et dépassant
l'attitude naturelle qui donne consistance à l'objet, rétablir
le rôle constituant du sujet, de sa finalité pratique (son
intentionalité). Mais il ne faut pas s'arrêter comme
Husserl à cette origine subjective, il faut pousser, avec Marx,
la critique de l'idéologie jusqu'à son rapport social constituant,
par-delà la conscience que le sujet croit en avoir. Il faut ramener
tout énoncé à ses finalités pratiques effectives
et à son adresse intersubjective.
Toujours le fétichisme de la marchandise refoule cette intersubjectivité
comme le dire s'oublie derrière le dit, la perception derrière
le perçu. L'objectivation du pouvoir rejoint la rationalisation
du monde pour dominer la subjectivité constituante de notre liberté.
Le Spectacle omniprésent des médias
et des marchandises unifie toutes les pratiques dans un discours social
privatisé, monde déjà vécu donnant une objectivité
universelle au monde marchand. Les foules ne communient plus que dans la
foi à ce bonheur promis et sans cesse reporté, renforçant
sa domination (Il y a assez de bonheur sur terre, mais pas pour moi:
c’est la conclusion à laquelle aboutit le souhait lorsqu'il déambule.
Ernst Bloch). La critique de cette nouvelle objectivité sociale
remplaçant la religion est donc une critique difficile, et qui a
souvent échoué, mais elle est décisive dans les "sciences
humaines" qui sont les sciences du pouvoir, de la manipulation humaine.
La critique politique doit particulièrement dénoncer la fausse
objectivité des soi-disant "Lois de l'économie" qui ne sont
que les lois de la classe dominante et refoulent les rapports sociaux en
quoi consiste l'économie réelle. La sociologie prend ces
rapports sociaux comme objet (d'étude ou de contrôle). Mais
si l'une comme l'autre peuvent énoncer des lois probabilistes et
construire des modèles relativement efficaces (bien qu'imparfaits,
on le sait depuis Montesquieu), l'intervention de la liberté humaine
y reste imprévisible, subversion qui peut même en changer
les règles. Ainsi les économistes savent gérer le
quotidien mais ne voient pas venir l'ouragan qui les chasse de la scène.
Les combats contre la domination, l'économie (le travail et
la marchandise) ou bien les atteintes à notre environnement,
sont des actions subversives contre notre objectivation par
les pouvoirs qui réduisent le citoyen à l'administré
et voudraient nous neutraliser ; tentatives de retrouver notre propre
finalité ainsi que la finalité sociale (le contrat social),
redevenir acteur de notre propre vie, en rapport avec les autres, parole
poétique au delà des faits, libre.
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Rendre la honte plus honteuse, la ligne de partage
Les sciences ne sont pas neutres, la justice n'est pas neutre, l'histoire
n'est pas neutre. Dire que l'objectivité des sciences renvoie toujours
à des rapports humains, ce n'est pas mettre en cause l'efficacité
de leurs pratiques, encore moins prétendre qu'il s'agit d'un savoir
illusoire qui dépend de notre volonté, mais c'est plutôt
rendre indispensable l'interrogation sur ses finalités sociales.
Il ne faut pas non plus en tirer la conséquence que tous les rapports
humains seraient positifs et agréables (souvent ce n'est qu'un rapport
de domination) mais qu'il faut les mettre en cause en tant que rapports
humains et non comme simple donnée objective. D'ailleurs, toute
pratique sociale a besoin de se justifier moralement et s'il ne faut pas
laisser les fonctionnaires de la science s'abriter d'une soi-disant objectivité
qui se réduit à une fonction sociale, il faut dénoncer
encore plus l'idéologie philanthropique du libéralisme
des capitaux. Nous devons remplacer le rapport marchand d'objet
à objet par un rapport de sujet à sujet.
Chacun doit être responsable des finalités de ses actions
comme nous le rappelle le procès Papon. Le détachement du
spécialiste est inacceptable dans les affaires humaines, c'est pourtant
ce que nous faisons à chaque fois que nous théorisons la
société comme si nous en étions responsables et n'en
faisions pas partie. Nous sommes, au contraire, toujours engagés
avec les autres (c'est peut-être ce qu'on peut appeler avoir du
coeur face à la froideur du pouvoir).
Débusquer les pratiques de contrôle social de la psychologie
ou de la sociologie doit aussi rejoindre la critique de la vie quotidienne
réduite au profit et à la concurrence (ce qui ne peut fonder
aucune société) alors qu'elle peut être projet et dialogue.
Là se partagent profiteur et résistant ; le "salaud", comme
l'appelle Sartre, qui s'identifie à son rôle par efficacité
et le partenaire, l'interlocuteur d'une fraternité humaine. Où
l'on découvre qu'on prête trop la main à l'oppression
dominante, notre collaboration dévoilée devient un objet
de honte, impossible à justifier. Pourquoi est-on si passif,
si obéissant ? On s'occupe plus de sa reproduction que de vivre
vraiment, reproduisant ainsi la domination. Il faudrait retrouver notre
finalité de citoyen, de sujet vivant, pour refonder une république
devenue purement formelle. Comme le veut le néolibéralisme,
dont c'est la définition, l'université elle-même ne
s'interroge plus sur ses finalités, ne cherchant plus qu'à
produire des producteurs. Il faut que cela cesse ou la reproduction même
ne sera plus assurée.
JZ
Université critique
Sorbonne, 25 avril 1998
Index
Nous avons plusieurs origines, peuple, famille ou amis, mais la seule
véritable origine est l'énonciation elle-même, pourquoi
on parle et pour qui. Encore faut-il trouver à qui parler.