Notre environnement est constitué d'un certain nombre de journaux et revues.
Pour les journaux : Le Monde diplomatique, Politis, Alternatives économiques, Sciences humaines
Pour les revues : Transversales, Mouvements, Multitudes, EcoRev', Vacarme, La revue du MAUSS, Contre-temps, TIQQUN
Je recommande particulièrement les moins connues, bien qu'excellentes revue du MAUSS, au plus haut niveau, ainsi que Sciences humaines qui est un très bon outil. Contre-temps est une nouvelle revue offerte par la LCR à Philippe Corcuff comme prix de son ralliement ! Il n'empêche que la synthèse du constructivisme portée par Philippe Corcuff est salutaire et productive après les retours de scientisme de l'affaire Sokal. Plusieurs parutions s'en réclament (Phénoménologie et sociologie, puf) et Philippe Corcuff est partout, y compris dans le numéro du MAUSS qui est consacré à la question du constructivisme, en premier lieu celui de la nature.
Ecologisme, naturalisme et constructivisme
Revue du MAUSS semestrielle
n° 17, 1er semestre 2001, 448 p., 175 F
Comment penser aujourd’hui l’idée de nature ? Comment se rapporter
au
risque ? Comment, en matière de théorie de la connaissance,
arbitrer
entre les postures réalistes qu’affectionnent les blouses blanches
et
les thèses constructivistes que cultivent volontiers les sciences
sociales en général et la sociologie de la science en
particulier ?
Peut-on renoncer à un naturalisme et un réalisme naïfs
sans pour autant
verser dans un relativisme autodestructeur ? Sur ces questions — qui
font la trame de ce qu’on peut appeler la querelle du constructivisme
—,
interviennent avec force et sans concession, dans ce numéro
de La Revue
du MAUSS, un certain nombre des principaux protagonistes français
et
étrangers de ce débat théorique et épistémologique
redoutable dont les
enjeux sont si immédiatement et fortement pratiques.
AVEC DES CONTRIBUTIONS DE : U. Beck, A. Caillé, D. Céfaï,
P. Chanial, B. Conein, P. Corcuff, P. De Lara, J. Dewitte, P. Hacker, S.
Latouche, B. Latour, J.-L. Le Moigne, M. Lynch, A. Masse, D. Pestre, L.
Quéré, H. Raynal, R. Redeker, J. Roucloux, J.-P. Siméon,
K. Soper, D. Trom, F. Vandenberghe, L. Zerelli
La revue du MAUSS est bien sûr toujours essentielle ainsi que les livres de Serge Latouche. On note un net renouveau de la pensée critique et une multiplication des livres appelant à une alternative au capitalisme. Il est intéressant de noter les critiques adressées aux sociologies du risque par Contre-temps, accusées d'être des sociologies des troubles d'adaptation, de technicisme, du changement non réflexif et de la réduction à l'acteur, aux interactions, aux procédures d'un système qui ne peut se comprendre que globalement.
Le dernier Vacarme lance une "critique de la critique" (prudente) du libéralisme avec la participation de Yann Moulier-Boutang qui est aussi le directeur de Multitudes dont le numéro sur les droits de propriété était aussi remarquable que celui sur la nouvelle économie. Le deuxième numéro de la passionante revue TIQQUN fait une critique en règle de Multitudes, du négrisme et de la cynernétique comme nouvelle idéologie (légende) de l'Empire. EcoRev' vient de publier le forum EGEP sur l'éducation et, suite à son numéro sur la science prépare un grand colloque : Quelle science, pour quelle société ?.
La revue Mouvements a consacré
un numéro à la Refondation sociale avec notamment
un article de Robert Castel,
avant de participer à un forum EGEP avec les autres revues sur ce
même sujet. Nous avons participé aussi à des rencontres
de la Gauche socialiste (pour
l'augmentation des salaires, très populiste et influencée
par Bernard Friot) et de Copernic
(dominé par la gauche étatiste et travailliste, voir Yves
Salesse son président malgré quelques anciens écolos).
On peut consulter les autres documents sur la refondation
sociale sur notre site avec, notamment, le récent Refonder
la protection sociale, de Jean-Michel Bélorgey,
14k, 22/09 (Libre débat entre les gauches.
Alain Caillé, Robert Castel, etc.)
.
Il faut signaler aussi le rapport Viveret "Reconsidérer la richesse" qui est paru comme numéro spécial de Transversales et alimente le débat, repris de toutes parts, sur le PIB, la mesure d'une richesse pour laquelle un accident représente une richesse alors que le bénévolat ne compte pour rien, voire pour un appauvrissement par rapport à une marchandisation totale. Il s'agit donc en premier lieu de contester que seules les entreprises crèent la richesse, mais la discussion doit se poursuivre, initiée déjà par le PNUD et Amartya Sen, sur notre représentation de la richesse sociale.
A ce sujet on doit signaler le livre de Bruno Ventelou "Au-delà de la rareté", qui étend la critique constructiviste à l'économie, même si on peut contester son keynésianisme et l'éloge d'une croissance volontariste déniant toute limite naturelle. On ne peut qu'approuver par contre le passage d'une logique à court terme de valorisation du temps à une logique d'investissement à long terme qui se donne le temps.
Ce livre est précieux à plus d'un titre. Il constitue, dans le même esprit que la sociologie actuelle, une vision constructiviste de l'économie mettant en évidence l'effet des nos représentations sur la réalité économique et sociale. Bien qu'elle tombe dans l'idéalisme menaçant tout constructivisme en déniant les limites naturelles, cette synthèse des critiques de l'imperfection du marché réel et de la théorie de l'équilibre confirme le mouvement général d'abandon du libéralisme constaté déjà dans notre compte-rendu du livre de Serge Latouche, et dont témoignent aussi les derniers prix Nobel d'économie, théoriciens de la dissymétrie de l'information et donc de l'échec des marchés des biens d'occasion, du travail ou de la finance (George A. Akerlof, A. Michael Spence, Joseph E. Stiglitz). Si l'auteur ne se rend pas vraiment compte que la valorisation de la coopération, avec les théories de la croissance endogène, correspond d'abord à notre moment historique, il n'en reflète pas moins l'importance de plus en plus décisive de la performance globale de nos sociétés en réseau. Il faudrait malgré tout séparer le secteur matériel à rendement décroissant et l'immatériel à rendement croissant.
Nous reviendrons sur notre coopération avec ATTAC, dont on connaît toute l'importance comme nouvelle forme politique et qui pose la question des institutions financières. René Passet abandonne la présidence du comité scientifique mais reste un acteur éminent de l'écologie et de la critique du libéralisme.
Enfin, nous devons remercier Jacques Robin et André Gorz pour leur discrète mais indispensable participation et leur fidéle soutien.
A signaler dans le dernier Sciences humaines d'octobre 2001
page 11
une analyse critique du libéralisme et de l'environnement
par W. Kilboune, montrant qu'on en prend toujours à son aise avec
la protection de l'environnement au nom du paradigme dominant, surtout
lorsque ce paradigme est celui du libéralisme (surtout aux USA),
c'est-à-dire à ces croyances :
- à tout problème on peut trouver une solution
technique
- la croissance est un bien, source de progrès
pour les individus, lequel consiste en progrès dans le bien-être
matériel.
- chacun est libre de chercher son propre intérêt
Du dossier sur la psychologie de l'enfant, on retiendra les remises en cause d'un constructivisme absolu de l'intelligence, par la mise en évidence d'aptitudes innées ainsi que par l'observation de la continuité des changements, plutôt que la rupture des stades, la coexistence de stratégies multiples et la maîtrise progressive des plus complexes.
Il s'agit d'une complexification du constructivisme plutôt que sa réfutation.
Deux citations :
"Le développement se fait toujours de l'égocentrisme, la subjectivité, le raisonnement concret, le conformisme et la transcendance, vers le jugement socialisé, l'objectivité, la pensée abstraite, l'autonomie et l'immanence" F. Vidal résume ainsi la succession des stades pour Piaget mais aussi Freud et Kohlberg, Habermas, etc.
Soit c'est pure projection, soit nous pourrions accéder à un stade cognitif supérieur et donc non plus fondé sur l'individu égoïste et calculateur mais sur la coopération des acteurs autonomes.
Pour Lev S. Vygotski "toute fonction apparaît deux
fois : d'abord au niveau social, puis au niveau psychologique".
Le livre vedette, c'est :
- L'ordre économique mondial, Elie Cohen
Essai sur les Autorités de régulation,
Fayard, 2001, 316p, 130F
Prenant au sérieux l'économie-politique, la question politique est donc "comment réguler l'économie?". Plus précisément "qu'est-ce que gouverner l'économie dans un monde ouvert?". Je ferais bien remarquer qu'il n'est plus si ouvert que cela depuis qu'il est globalisé mais il y a bien une multiplicité des gouvernances, une diversité d'institutions que ce livre appelle à préserver. Pour la régulation mondiale, le choix est donné entre un modèle Attali d'un gouvernement mondial sur le modèle des institutions européennes (OMC=commission, FMI=BCE, Banque Mondiale=Fonds de cohésion européens), ou bien ce que préconise Elie Cohen : une fusion de l'OMC et de l'OIT pour intégrer le droit du travail et la protection de l'environnement dans la régulation commerciale, mais surtout une diversité d'institutions indépendantes comme l'Autorité de Régulation des Télécommunications (pourtant bien critiquable!), des politiques régionales, d'autres adaptées aux entreprises globales, des contre-pouvoirs comme les ONG...
- Le travail, entre l'entreprise et la cité
Colloque de Cerisy, Gilles Jeannot et Pierre Veltz, L'aube,
2001, 312p, 200F
Une synthèse de la question.
- importance croissante des relations avec les clients
et les usagers
- développement de coactivités et partenariats
entre firmes (réseaux)
- diversification des rythmes de travail
- continuité entre l'espace professionnel et privé
- externalisation des fonctions (décomposition
de la firme)
"La fonction de l'entrepreneur est de capter des externalités"
- Exclusion et liens financiers
Rapport du centre Walras, JM Servet et David Vallat,
Economica, 2001, 440p, 200F
Peu optimiste sur la finance et le développement
local (10 000 emplois seulement en France)
- Les régions et l'économie mondiale, Allen J. Scott, L'Harmattan, 2001, 188p, 120F
Première traduction de ce géographe américain des "régions qui gagnent". cette montée en puissance des régions correspondrait au passage du système fordiste fondé sur la production de masse, à un système postfordiste fondé sur la spécialisation flexible et pour lequel l'Etat-Nation est inadapté.
- L'espoir de Pandore, Bruno Latour, La découverte, 2001, 343p, 165F
Itinéraire de l'ethnographie à l'histoire des sciences et la philosophie politique. Pour lui "inventer, c'est traduire" (c'est un art du commentaire), "le savoir est une pratique de la convocation, de la délégation, de la transformation et du déplacement de l'argument".
Le monde de l'économie du 18 septembre (page X) souligne la parution simultanée d'ouvrages analysant l'entreprise sous l'angle cognitif des compétences et de la coopération, dépassant la théorie de la firme centrée sur les coûts de transaction. Dans notre monde technologique complexe et changeant, c'est, en effet la capacité d'adaptation qui détermine l'efficacité de l'entreprise et pas seulement la transmission hiérarchique.
- Vers une organisation apprenante, François Beaujolin, Liaisons,
167p, 145F
Pour une "organisation qualifiante" formatrice et coopérative
(débouchant sur des diplômes)
- Le modèle de la compétence, Philippe Zarifian, Liaisons,
114p, 89F
- Les compétences au coeur de l'entreprise, cécile Dejoux,
Les Editions d'Organisation, 348p, 185F
Enfin et surtout :
- Stratégie et sociologie de l'entreprise, Claude Michaud et
Jean-Claude Thoenig, Village mondial, 238p, 177F
Dans un environnement complexe, "aucune solution valable à un
moment donné pour un contexte donné n'est jamais par principe
valable dans d'autres moments ou d'autres contextes". Le rôle du
manager est de conférer à tous les niveaux hiérarchiques
des "connaissances ou des langages... qui offrent des critères communs
de choix pour l'action et la confiance relationnelle mutuelle dans la conduite
de ces choix collectifs". C'est la capacité à coopérer
efficacement dans des situations mouvantes qui signe le talent du dirigeant,
capacité cognitive d'analyser des situations de court terme tout
en déployant les moyens de se renouveler pour pouvoir affronter
les situations mouvantes du lendemain. Le centre doit savoir impulser la
pyramide organisationnelle tout en étant capable d'entendre et de
traduire les messages que formule la périphérie. Nul aujourd'hui
ne peut jamais capitaliser aucun savoir-faire sûr pour affronter
le lendemain. Tout système d'interprétation doit donc contenir
en germe une rupture avec lui-même.