Il est vrai que la tendance cette année est fortement à une politisation absolument nécessaire de l'économie. On ne peut ignorer pour autant que le moteur des entreprises et du système actuel n'est pas autre chose que le profit. Pour construire une alternative il ne suffit pas d'imposer des contraintes politiques, ni de trop faire confiance aux forces politiques. Ainsi, la défense des retraites serait plus crédible si elle dénonçait le déséquilibre d'une protection sociale favorable aux générations dominantes et délaissant complètement la jeunesse. Tout cela augure mal d'une repolitisation de l'économie qui se ferait à l'avantage des salariés les plus stables et organisés.
La question du salariat n'est pas bien posée, la confusion étant entretenue entre la salariat comme statut, socialisation de masse ou travail subordonné, sans que la hiérarchie, elle-même impliquée dans ces trois modes soit interrogée. La plaquette sur le salaire de la Gauche Socialiste se révèle d'un simplisme consternant dans la défense d'un salariat identifié à la subordination et l'idéal d'une subordination universelle (où l'on croit entendre l'écho de la malédiction divine du travail contraint) alors qu'on réclame partout de plus en plus d'autonomie. Leur première priorité, vous allez rire, c'est de se battre contre l'impôt négatif...
Mieux vaut s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints et j'ai eu le plaisir de rencontrer à cette occasion celui qui inspire cette littérature, Bernard Friot qui a semblé accepter mes critiques, admettant notamment que si on peut faire changer la fonction du salaire (du marché au statut), on peut aussi changer la fonction de l'impôt négatif (que je ne défends pas spécialement) selon la logique dans laquelle on l'inscrit mais il ne faut pas confondre élément et structure. Je ne suis pas sûr de l'avoir convaincu de désavouer ses imitateurs mais, en tout cas, pour lui le salariat ne s'identifie pas à la subordination puisque les médecins conventionnés y sont intégrés et il l'inscrit dans un projet révolutionnaire qui a sa cohérence.
La Gauche Socialiste représente surtout des syndicats,
et ils défendent ce qu'ils connaissent, généralisent
leur situation sans arriver à adopter un point de vue véritablement
global ni surmonter leurs divisions au-delà de l'augmentation des
salaires, certes nécessaire. La contradiction de la social-démocratie
comme idéologie salariale est de rester dans un cadre capitaliste
tout en faisant comme si les entreprises étaient des fondations
à but social ! La grande affaire du moment étant les licenciements
Danone et Mak&Spencer, on fait comme si les entreprises étaient
là depuis toujours de part l'autorité du peuple et n'avaient
jamais licencié alors que Marx a bien montré que le productivisme
capitaliste et la concurrence impliquent toujours des licenciements massifs.
Il ne suffit pas d'instaurer un meilleur rapport de force dans la lutte
des classes (ce qui doit commencer d'ailleurs par la protection des chômeurs
et précaires quoiqu'en pensent les syndicalistes volontaristes,
obnubilés par la mobilisation sociale. ce qu'il faut c'est un salaire
de résistance indépendant de l'emploi). Pour ne pas dépendre
du capitalisme, il ne faut pas être salarié du capital, pour
être autonome il ne faut pas être subordonné :
Nous avons dessiné en quelques trait la guerre industrielle que se livrent les capitalistes. Cette guerre a ceci de particulier qu'elle ne se gagne pas en recrutant mais en congédiant les armées de travailleurs. Entre les généraux de l'industrie, les capitalistes, c'est à qui pourra congédier le plus de soldats.
Maryse Dumas, CGT
Ce qu'on nous présente comme réforme de l'Etat va toujours dans le sens du libéralisme, de la privatisation, de la contractualisation alors qu'il faut au contraire bien délimiter le champ de la loi et du contrat. Pour l'instant la loi ne s'applique qu'en l'absence d'accords d'entreprise et alors que ces accords peuvent comporter des clauses moins favorables que les normes légales. Il faudrait ne pouvoir négocier que des accords plus favorables, alignant les accords insuffisants sur le minimum légal. Il faut sortir des allégements de cotisation sur les bas salaires qui multiplient les très bas salaires et bloquent leur augmentation, de même qu'il faut s'opposer à la logique de la prime pour l'emploi encourageant les bas salaires.
René Defroment, Cfdt unitaire
Le salariat reste bien central, représentant 85% de la population active et la moitié des salariés touchent moins de 8500F. La part du travail a diminué par rapport au profit, ce qui a déterminé l'augmentation du chômage (Piketty montre que c'est la même chose de dire que la part du profit ou bien celle du chômage augmente). L'augmentation des minima sociaux est urgente ainsi que l'alignement du smic et des conventions collectives sur les 35H alors que l'épargne salariale, c'est comme les fonds de pension, de l'argent donné de la main à la main, sans cotisations, en lieu et place du salaire. Pour finir il appelle Jospin à se souvenir de 1993 et de la déroute des socialistes n'ayant pas répondu aux exigences des travailleurs.
Gérard Aschiéri, FSU
Les fonctionnaires représentent 25% de l'emploi en France et le blocage des salaires imposé par le gouvernement dans la fonction publique décrédibilise les syndicats, démoralise des fonctionnaires qu'il faudrait mobiliser au contraire pour une modernisation nécessaire du service public. La dépression a déjà réduit les salaires des fonctionnaires et la perte de pouvoir d'achat continue avec la reprise, ce que les fonctionnaires n'arrivent pas à comprendre. Il s'agit de savoir si les salaires des fonctionnaires sont de simples dépenses comme les libéraux voudraient nous le faire croire ou bien, au contraire, des investissement pour les développements futurs. Le départ à la retraite de classes d'âge très importantes numériquement va d'ailleurs très bientôt poser le problème du recrutement, la nécessité de meilleures rémunérations. Enfin, il faudrait obtenir un élargissement de la hiérarchie des salaires pour laisser des perspectives de carrières alors que l'écrasement de cette hiérarchie condamne de nombreux fonctionnaires à plafonner assez rapidement, sans espoir d'amélioration.
Bernard Friot, universitaire
Rompant avec le réformisme corporatiste ambiant, Bernard Friot nous appelle à "continuer la révolution du salaire" dans une intervention lyrique où il nous assure que la révolution, loin d'être hors d'atteinte est déjà là : "Le mouvement ouvrier est sorti vainqueur de son affrontement avec le capitalisme en imposant la révolution du salaire" qui a transformé le salariat comme exploitation et prix du travail sur un marché, en statut social où le salaire résulte d'un barème conventionnel en fonction de la qualification et du poste, tout en couvrant aussi le hors-emploi (retraite, maladie, congés, formation) financé par la cotisation sociale. Le salaire ne se réduit donc pas au travail salarié lui-même mais assure la continuité de la personne, la reproduction de son statut et de son niveau de vie, selon une distribution politique résultant d'une délibération sociale et non des mécanismes du marché. Le cadre actuel est révolutionnaire à condition de maintenir le "préconstruit" par rapport aux cursus à la carte, afin de conserver une qualification sociale.
Pour lui, la contre-révolution a sonné avec Rocard, la création du RMI et de la CSG, avec maintenant le recours à l'impôt négatif, nous faisant quitter la logique du salaire pour adopter la logique libérale d'assistance, celle de Beveridge dont le but avoué est de permettre la libre fixation du prix du travail sur le marché en assurant les protections minimales qui déchargent l'employeur de sa responsabilité sociale envers les salariés.
Dans la logique salariale "continentale", par répartition et
non par capitalisation, la création de richesse sociale est insérée
dans la création de valeur économique par la cotisation sociale
grâce à laquelle "un retraité est payé pour
travailler librement" (il ne s'agit pas de salaire différé).
Car, Bernard Friot le reconnaît comme beaucoup d'autres, nous travaillons
tout le temps. Le travail subordonné, socialisé, marchand
devient le moyen du travail autonome, de l'activité libre. "Continuer
la révolution salariale, c'est être payé pour travailler
librement avant 60 ans". Ce qui signifie notamment :
- maintien du salaire des chômeurs, comme pour les retraités
et non pas des minima sociaux, insuffisants par leur nature de minimum.
- donner un salaire aux jeunes à partir de 16 ou 18 ans selon
leur qualification comme dans les conventions collectives (qui n'est pas
plus une avance de salaire que la retraite n'est un salaire différé).
Pour financer l'emploi, définit comme statut, il faut une hausse des cotisations sociales, et non une baisse, afin de payer retraités, chômeurs et jeunes. La cotisation sociale pourrait même couvrir l'investissement productif (qui représente beaucoup moins que le budget de la Sécurité sociale) permettant de se libérer du capital, remplacé par la délibération collective sur l'affectation des fonds collectés. C'est une perspective qui me semble bien lointaine mais dans l'immédiat ce pourrait être un moyen de peser sur les investissements et les choix de l'entreprise, permettant de libérer le travail dans l'entreprise.
En effet, il ne s'agit pas de réduire le travail mais seulement le travail subordonné. Il n'y a aucune raison de vouloir réduire un travail libre, une activité dans laquelle on s'engage en toute autonomie. Mais, pour être libre il faut non seulement avoir un salaire mais participer aussi à la détermination des fins du travail et de l'investissement. En finançant l'investissement, la cotisation sociale pourrait ainsi se substituer au capitalisme lui-même.
"En faisant advenir le salariat, nous l'aurons aboli. Le salaire qui était le chemin de l'exploitation sera celui de notre libération".
Alain Vidalies, Député PS
Les propositions de la Gauche Socialiste se limitent à demander la fin de la "modération salariale" héritée de la lutte pour l'emploi et les 35H, la fin des allégements de cotisations sur les bas salaires et de la prime pour l'emploi, enfin instaurer une cotisation sociale sur la plus-value. Pour la précarité, seule une indemnité de précarité payée par les entreprises utilisant plus de 10% de CDD est prévue. Il ajoutera un projet de loi sur la représentativité syndicale afin qu'un accord ne puisse plus être conclu avec un syndicat minoritaire.
Julien Dray, Député PS
réfute l'opinion qui veut que les salaires seraient mauvais pour l'emploi et la compétitivité. Baisses d'impôts et cagnottes fiscales décrédibilisent les services publics et la gauche alors qu'il ne manquait que 800 Millions de francs pour répondre aux revendications des fonctionnaires.
Résumé de la discussion
La dégradation des conditions de travail a été
soulignée "les gains de productivité vont au capital mais
sont gagnés sur le dos des travailleurs" ainsi que les conditions
déplorables de négociation des 35H dans les petites entreprises
sans syndicats ni support dans la loi. Les heures supplémentaires
non payés ont été dénoncées, la délinquance
patronale qui devrait être passible de prison mais l'inspection du
travail n'est pas opérationnelle. Le besoin de bonnes lois, de bons
statuts pour avoir de bons salaires a été répété.
Maryse Dumas, qui remarquera que la précarité baisse les
salaires, pèse sur les salariés, préconisera une garantie
sociale professionnelle. Il faudrait aussi changer les règles de
négociations collectives, notamment dans les PME alors que les protections
sociales et le droit du travail concernent surtout les grandes entreprises
et que beaucoup de PME sont des filiales de groupes industriels. Pour Julien
Dray, il ne faut pas trop attendre de la loi car dans le contexte des 35H,
une loi pourrait amener des régressions et trop de loi tue la loi.
Il ne suffit pas de voter des lois, il faut pouvoir les appliquer. Beaucoup
de lois ne le sont pas. Enfin Gérard Filloche proposera une loi
pour donner un véritable recours juridique contre les licenciement,
insistant pour dire que cela n'avait strictement rien à voir avec
"l'autorisation administrative de licenciement" qui avait été
instaurée afin de limiter le recours aux Assedic qui assuraient,
à l'époque, 90% du salaire pendant 1 an...
En clôture de cette journée, Gérard Filloche devait proposer des Etats Généraux Rouge Rose Vert.