Un appel à la Révolution Culturelle
Yves Salesse, Réformes et Révolution (Agone, 2001)
 

Il y a beaucoup de bonnes choses dans ce livre et d'abord cette volonté de construire une alternative à la globalisation libérale en tenant compte des échecs du socialisme étatiste. En premier lieu assurer les droits vitaux, au logement, à la santé, à l'éducation et... au travail.

Le smic est considéré comme insuffisant, l'écart des salaires étant porté de 10 000 à 30 000 F. La suppression de la précarité est déclarée prioritaire mais comme c'est en assurant le droit à un véritable travail pour chacun, on peut encore attendre. On a plus l'impression de voir se dessiner les attentes déçues du salariat qu'un véritable projet politique voulant se réaliser.

"Une politique authentiquement de gauche posera la règle selon laquelle chacun a droit à un travail ou à une formation. C'est sans doute celle des orientations ici proposées qui apparaîtra la plus irréaliste. C'est la force de l'idéologie dominante". Suit une affirmation répétée que c'est possible où n'émerge que la réduction du temps de travail et le fait que cela implique des firmes d'Etat. "Produire utile. Produire de façon non nocive. Mais aussi produire sans perdre sa vie à la gagner". On applaudirait si les solutions ne semblaient bien légères. Perfectionner la démocratie est nécessaire, sa transformation en démocratie participative, mais on ne peut simplement substituer la démocratie à l'économie.

Il y a un progrès certain dans la notion d'appropriation sociale opposée à une appropriation collective formelle qui ne change pas la logique productive. En distinguant libéralisation et privatisation, on a la démonstration de la faisabilité d'une économie administrée par une défense en règle des services publics, de leur participation à la production, de leur efficacité, défense à laquelle on ne peut que souscrire, y compris de l'intervention active dans l'économie, dès lors que les dérives actuelles sont dénoncées et qu'on vise un mode d'appropriation sociale plus démocratique (entre Etat, salariés et utilisateurs). Si on peut dénoncer des monopoles publics, il ne faudrait pas que ce soit pour les remplacer par des monopoles privés comme c'est trop souvent le cas.

Il y a une très bonne démonstration de l'inutilité de l'actionnariat salarié car ne pouvant être majoritaire il doit jouir de privilèges politiques. Autant donner aux salariés ces pouvoirs politiques sans avoir besoin d'être actionnaires.

Mais tout ceci nécessite une étatisation généralisée et la prédominance de la planification. Ainsi, on a droit à une défense d'un plan souple et stratégique, ne s'occupant que de l'essentiel et laissant une place au marché des biens de consommation mais supprimant le marché du capital et celui du travail. "En règle générale, les relations avec le marché mondial seront ouvertes lorsque le marché sera maintenu en interne. Toutefois, si cette ouverture menace la transformation sociale en cours, des mesures de protection devront être prises". On voit qu'on est dans une conception relativement dure de la rupture avec le capitalisme pour un résultat qu'on peut trouver un peu maigre, comme une mise au travail de tous (bien payée) et une diminution drastique des inégalités au risque d'une fermeture qui semble bien anachronique : on ne sait quel peuple attaché à sa terre pourra tenir derrière ces remparts.
 



 
Point de vue critique :

La logique économique semble ici insuffisante, tout comme la logique purement politique de procédures démocratiques améliorées. Le préalable est bien la constitution d'une communauté, l'affirmation d'une solidarité sociale qui ne s'exprime que par éclairs, d'un projet collectif depuis trop longtemps absent. Il ne suffit pas de revenir en arrière au salariat fordiste généralisé sans tenir compte de la révolution informationnelle.

Plutôt qu'une économie administrée et d'immenses entreprises publiques on peut trouver plus réaliste et conforme à nos fins le Développement humain défendu par Amartya Sen et qui s'impose dans une économie cognitive qui valorise le travail autonome, la production de soi, le développement comme liberté opposé à la croissance des marchandises et du travail salarié. Je pense qu'on a avec le développement humain une alternative à l'économie plus encore qu'un "nouveau modèle économique".

Reste que tout abandon de l'irresponsabilité des marchés nous ramène aux rapports sociaux, leurs hiérarchies et leurs privilèges. Nous ne pouvons dominer l'économie qu'à dominer nos passions individuelles pour un sens commun partagé. Nous ne pouvons intervenir sans un fort consensus social. Nous ne pouvons décider sans partager une hiérarchie de valeur qui fonde souvent des structures sociales inégales. Les marchés camouflent les hiérarchies plus qu'elles ne les suppriment mais une fois qu'on ne se cache plus derrière ses fausses égalités marchandes, ce avec quoi nous avons affaire, ce sont les hiérarchies sociales, la division entre dominants et dominés. Il ne suffit pas de couper des têtes pour qu'aucune ne dépasse.

C'est cela la question de l'économie administrée, aux mains de réseaux clientélistes, la question des hiérarchies sociales, des écarts de salaire, des privilèges. Il ne suffit pas de déclarer qu'il n'y en aura pas. Que la question soit difficile ne doit pas nous engager à surtout ne rien faire comme Hayek nous en adjure pour ne faire qu'empirer, mais à la poser publiquement comme étant loin d'être résolue. La démocratie participative est supposée y remédier mais je pense que c'est lui donner plus de pouvoir qu'elle ne peut avoir et surtout il s'agit bien de remettre en cause la position hiérarchique effective de chacun. J'ai du mal à le croire car les dominations sont productives (Foucault). Mais comment assumer une hiérarchie sociale, une échelle des salaires sans les illusions d'une mesure objective ? Comment décider de l'utile, des priorités ? Ne faut-il pas plutôt poser simplement des limites ?

Très concrètement on voit que la génération dominante (celle de Mai 68) laisse tomber une jeunesse qui galère, exclue de tout revenu minimum et rechigne à abandonner ses privilèges, de même que les salariés syndiqués ont laissé tomber les chômeurs et les précaires pour sauvegarder leur rêve d'un salariat idéalisé. L'inertie sociale est massive, il faudrait la prendre un peu plus en compte. On doit toujours partir de notre inhabileté fatale, de notre débilité mentale (errare humanum est) pour la surmonter, non pour décourager toute action mais intégrer notre ignorance en redoublant notre prudence (principe de précaution), se rapprocher du réel par sa mise en question plutôt que le fuir dans l'utopie de la la loi du coeur, le volontarisme des valeurs car ce qui importe c'est de changer le monde vraiment.

Jean Zin


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