La polémique porte principalement sur l'ACR (Allocation Compensatrice de Revenu ou impôt négatif) considérée par les partisans de Friot comme la conversion à la protection libérale anglo-saxonne. Un garantie de revenu ne signifie rien quand chacun devrait avoir un véritable emploi salarié à statut ! Les partisans d'un revenu garanti (revenu d'activité, revenu d'initiative comme nous verrons) valorisent plutôt les activités non marchandes et hors salariat, l'auto-emploi, le tiers-secteur, l'initiative locale. Ils mettent en cause la complexité, les effets de seuil, l'injustice et les exclusions que produit le système actuel. Tout le monde se retrouve, à gauche du moins, pour insister sur le niveau insuffisant des minima sociaux qui sont parmi les plus faibles de l'ensemble des pays développés (34).
Comme Alain Caillé le remarque, personne ne remet en cause les faits décrits dans le rapport, le travail devenant de plus en plus "flexible, précaire, temporaire, partiel, ne permettant plus de reconduire à l'identique les anciennes normes de l'Etat-Providence qui reposaient sur l'universalité de principe du salariat (ou du quasi-salariat) à plein temps et pour toute la vie". Le système actuel est écartelé entre une logique assurantielle (Assedic) et assistantielle (minima). Il faut rétablir au moins une continuité de la protection sociale (statut professionnel de Supiot ou statut de l'actif de Nikonoff).
Le rapport Bélorgey constatant que la norme de l'emploi n'est plus le smic mais plutôt le demi-smic des précaires préconise, après discussion des différentes options (RMI, revenu d'existence, workfare) un impôt négatif appelé "Allocation Compensatrice de Revenu", constituant une garantie de revenu qui évite la désincitation à l'emploi et les effets de seuil en permettant un cumul dégressif jusqu'au smic d'un temps partiel et des minima sociaux. Cette mesure constitue ainsi une subvention au temps partiel, versée au travailleur plutôt qu'à l'employeur, conformément aux recommandations européennes. Le temps partiel choisi est expressément soutenu mais à condition d'obtenir de l'employeur, comme en Hollande, la réversibilité du retour au plein temps si on le souhaite.
Une autre recommandation majeure du rapport est l'individualisation de l'imposition fiscale pour tenir compte de la mobilité des familles actuelles et de nombreux effets pervers. Pour limiter la dégradation de l'emploi, il propose un système de bonus/malus sur le taux de rotation du personnel. On doit remarquer aussi la volonté de trouver une protection pour ceux qui créent leur propre emploi (auto-emploi) en les faisant bénéficier de la baisse de charge sur les bas salaires, des Assedic et de la possibilité de les cumuler avec leurs gains pendant le lancement du projet. Le tiers-secteur et les activités non-marchandes devraient profiter de ces avantages. Une Allocation Jeune Isolé semble un peu timide mais c'est un minimum. Il y a une volonté affichée de simplifier des procédures trop complexes, des différences incompréhensibles pour obtenir "des droits accessibles, équitables et sans discontinuité", favorisant et accompagnant les mobilités professionnelles.
Robert Castel souligne "Les limites d'une bonne réforme". Il approuve l'ACR devant l'urgence (développement des travailleurs pauvres et des inégalités) et pour favoriser le retour à l'emploi. Il le trouve préférable à un revenu d'existence trop médiocre mais il faudrait surtout rétablir un meilleur rapport travail/capital, une revalorisation des salaires et du smic. Ce qui ne changera pas, c'est la mobilité et l'individualisation. Au-delà des minima sociaux, il faut donc réduire le nombre des emplois précaires et renforcer les droits des travailleurs mobiles, assurer la continuité des droits et faciliter le retour à l'emploi.
Annie Dreuille, fondatrice de la Maison des chômeurs de Toulouse et présidente du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, veut "opposer à la discontinuité du travail, une continuité des droits". L'absence de possibilité de cumul des minima et d'autres revenus oblige les plus dynamiques à avoir recours au travail au noir qui joue un rôle régulateur. Son expérience l'amène donc à promouvoir l'auto-emploi et à défendre un statut du créateur autorisant le cumul avec les minima ou Assedic. "Tout le monde n'a pas la possibilité, les moyens, le désir ou vocation à s'insérer purement et simplement dans les rangs du salariat statutaire à plein temps d'autant que celui-ci s'effrite, se flexibilise et se précarise toujours davantage". "Favoriser et accompagner les mobilités doit conduire à mettre en place une politique de "déprécarisation" (119).
Pour Denis Clerc (Alternatives économiques), l'ACR est "la pire des solutions à l'exclusion de toutes les autres". S'il réfute la notion de "trappes à inactivité" des libéraux, il reconnaît l'injustice d'une taxation à 100% du travail qui se substitue au RMI. Il s'agit de favoriser les transitions et favoriser la flexibilité mais aussi la liberté de choix des personnes. Cela ne dispense pas d'augmenter les minima sociaux beaucoup trop bas.
On passe ensuite aux opposants à l'impôt négatif comme Pierre Roger (CGT) : "La lacune essentielle est de s'en tenir à une garantie de revenu quand c'est la garantie de l'emploi qui est en question" (137). Tout le monde devrait être salarié, l'auto-emploi est condamné comme encouragement libéral au "risque d'entreprendre" qui mène à l'échec. L'ACR encouragerait les bas salaires et remettrait en cause le smic.
Michel Jalmain (CFDT) veut rénover le contrat social, c'est-à-dire étendre les solutions négociées. Ainsi plutôt que le bonus/malus, il préconise la négociation de taux d'emploi par entreprises. Cette promotion du contrat s'appuie sur le constat d'une diversification et une hétérogénéité grandissantes. Il préfère ainsi le PARE, contrat adapté aux désirs de l'individu, à l'ACR qui favorise le temps partiel alors que peu de chômeurs désireraient un temps partiel. Il souhaite enfin un nouveau contrat social qui échange mobilité contre sécurité mais c'est un pur souhait, sans aucune piste concrète, car ce n'est pas de l'ordre d'un contrat justement !
Le texte de Thomas Coutrot et Claire Villiers est sur le site depuis longtemps déjà. Il met en cause les syndicats dans le traitement des chômeurs et le développement de la précarité et des travailleurs pauvres. L'Etat n'a pas fait mieux. Les mouvements de chômeurs se sont constitués pour défendre leurs intérêts qui n'étaient pris en compte par personne. Pour une véritable refondation allant dans le sens d'une continuité des droits (Supiot), il faudrait un mouvement social puissant. Sont préconisés aussi une interdiction des licenciements et surtout un pouvoir plus grand des Comités d'Entreprise (plutôt que l'actionnariat salarié) auxquels doivent être associés consommateurs et riverains.
Enfin, Pierre Concialdi (AC!) voit dans l'ACR un risque majeur. D'abord dans le fait de favoriser le temps partiel alors que les emplois précaires ne sont pas, la plupart du temps, à temps partiel et qu'il ne faut pas favoriser le temps partiel pour les bas salaires. Surtout, rendre la précarité socialement supportable serait favoriser sa croissance. Il préconise plutôt une hausse conséquente des minima sociaux et du smic afin de relever la norme d'emploi. Si le travail doit être choisi, il n'y a pas besoin d'avoir une différence entre le revenu garanti (au smic) et ce qu'on gagne en travaillant. Cela oblige à rendre le travail attrayant, véritablement libre, faire du travail un statut alors que l'ACR favorise les petits boulots sans reconnaissance sociale.
Alain Caillé et Jean-Louis Laville clôturent le volume
en essayant d'assurer à la fois inconditionnalité, cumulabilité
et responsabilité sociale dans ce qu'ils appellent un "revenu
minimum d'initiative", appelé à remplacer l'ancien rmi
et qui ne se limite pas à l'insertion dans le salariat ordinaire.
Ce revenu se décompose en trois niveaux :
1. Inconditionnalité : revenu minimum (1/2 smic ou ACR) comme
droit à être protégé de la misère.
2. Cumulabilité : Revenu d'initiative additif au revenu minimum,
et cumulable avec un revenu d'activité au nom du droit à
l'initiative. Favorise le temps partiel, l'auto-emploi, les associations,
les SEL, les finances de proximité mais doit protéger de
l'auto-exploitation.
3. Responsabilité sociale : proposer à ceux qui le demandent
des activités d'utilité sociale et un accompagnement personnalisé,
avec supplément de revenu, au nom du droit et devoir d'insertion.
Dans cette optique plutôt de sortie du secteur marchand (tiers-secteur, économie plurielle), expérimentée déjà au Danemark et en Hollande, le développement local consiste à faire des travailleurs sociaux des véritables "entrepreneurs sociaux". Pour cela il faut protéger les porteurs de projet et les créateurs d'entreprises, surtout dans le cadre de la création de son propre emploi.
Références indiquées :
Pour un nouveau développement social, D. Cérezuelle, 1996, Desclée de Brouwer
Le développement local : une réponse politique à la mondialisation, M. Théveniaut-Muller, 1999, Desclée de Brouwer