De nouveau, voilà enfin la critique qu'on attendait. On peut dire qu'ils creusent l'écart et font événement par leur opposition farouche, leur différenciation des utopies positives et collaborationnistes. Je ne connais rien de plus stimulant que la critique, même excessive. Ainsi, pour eux la question n'est déjà plus celle du libéralisme, qui n'est désormais qu'un alibi, mais de la cybernétique comme nouvelle idéologie dominante de l'Empire en réseau, nouvelle gouvernementalité impériale. "Son étude montre que la police n'est pas seulement un organe du pouvoir mais aussi bien une forme de la pensée". Il ne faut pas se cacher que ce sont précisément les positions écologistes que nous défendons qui font l'objet de la plus sévère des critiques. Ils appellent à ne pas utiliser les chemins tracés, ne pas suivre les dispositifs sociaux, dépasser le monde comme produit pour y intervenir au nom de notre liberté, déchirer le voile de la présence par le surgissement de l'événement dans son "anormalité". On ne peut dire que ce soit vraiment nouveau et s'il faut prendre au sérieux leur critique ce n'est pas qu'ils échappent eux-mêmes à un certain conformisme d'une posture critique à courte vue, purement transgressive.
De nos jours cela paraîtra de la petite bière face au grand spectacle d'une multinationale du terrorisme, face à l'écroulement des tours de Jéricho et de Babel réunis, à la paralysie soudaine de l'Empire. Le système en sort renforcé. Il ne suffit pas de faire la guerre à l'inimitié, sur le modèle même du djihad. Cela n'enlève rien à la nécessité vitale de cette revue, à leurs exigeantes analyses, à la beauté du geste, la pureté du style et l'intelligence rare qui suffit à faire contraste avec les mots d'ordre spectaculaires et rejette dans le néant la plupart de la production intellectuelle actuelle. Hélas, l'histoire ne marche pas sur la tête et avance par son (vraiment) mauvais côté, parfois par le côté le plus obscur de la force, la bêtise la plus crasse, l'esprit qui se renie avec la force infinie de l'esprit. Faute d'être la conscience de Napoléon, il ne faudrait pas se réduire à la tentation d'être la conscience de Ben Laden.
Introduction à la guerre civile.
Nous autres décadents, avons les nerfs fragiles.
Tout ou presque nous blesse, et le reste n'est qu'une cause d'irritation
probable.
Contre l'histoire officielle de l'unification du monde, il s'agit
de prendre le parti du négatif et lire dans cette histoire de l'Etat
à l'Empire son impossibilité même, la résistance
du sujet et la division de la société (Schmitt, Lefort).
L'Etat n'est ici que la prolongation et l'intériorisation de la
guerre
civile depuis la guerre des religions. C'est donc en même temps
l'économie comme "règne universel de l'hostilité"
jusqu'à l'Empire qui étend le monopole de la politique comme
de la critique à tous les secteurs de la vie, par leur intériorisation
(Elias). Les frontières abolies
remplacées par des douanes volantes sont maintenant partout, et
l'identification totale entre la société civile et l'Etat
universel, les citoyens et la police, passage de la Loi aux normes, au
contrôle et à la régulation des flux (Foucault,
Lyotard, Deleuze). L'ennemi aussi devient intérieur "partout
présent, sous la forme du risque". C'est le point clé.
L'Empire n'a ni centre, ni gouvernement, n'existant que dans la crise,
l'urgence, la catastrophe qui le mobilise, ou face aux manifestations,
au blocage de la circulation, d'ordinaire aux mains de la police dont le
mot d'ordre est "Circulez!" L'Empire comme idéologie de l'organisation,
est
un milieu qui nous est hostile 31. La guerre civile
doit avoir lieu contre la police et le Spectacle, c'est-à-dire contre
l'hostis qui nous aplatit. Mais la guerre civile est surtout une
guerre intérieure contre la pensée policière qui nous
habite, pensée de surplomb prenant les choses de haut, se croyant
investie de la responsabilité du fonctionnement général,
de l'ordre établi, raison d'Etat régulatrice qui nous traite
en administrés, et au nom de quoi tout est permis, réduisant
les individus à un chiffre ou un flux. Cette pensée policière
est l'intériorisation de l'Empire.
On ne peut nier la pertinence de l'analyse mais on peut regretter
une version un peu courte du rapport à la totalité, à
la responsabilité ou aux normes, et qu'on n'ait rien à opposer
au cauchemar d'une régulation autonomisée sinon d'y faire
barrage, de s'identifier soi-même à son cauchemar. En fait,
nous verrons qu'il y a loin de la coupe aux lèvres et que cette
vision totalitaire est anachronique. L'Empire réel n'a pas la consistance
du concept, ni l'unité de pensée, ni l'unité d'action.
Ce n'est pas la première fois qu'on nous promet un contrôle
total qui nous décervelle (Tocqueville, Arendt, etc) négligeant
les plages d'autonomie dont témoigne cette pensée rebelle
qui cherche à s'extraire de ses liens familiaux. Toute lucidité
a ses aveuglements. Il y a plutôt déplacement des lignes,
des foyers de lutte. Surtout, on peut penser que le totalitarisme de l'Empire
du non-sens est négatif, effet du scepticisme et de l'interdit sur
la totalité paralysant toute politique, livrée au jeu des
intérêts (Gauchet),
et que donc paradoxalement cette critique ne fait que renforcer. Il faudrait
approfondir la Métaphysique critique.
Là encore, une critique tout-à-fait nécessaire.
Dans notre parcours sur la construction de l'individu (Elias,
Gauchet,
Ehrenberg,
Castoriadis,
Foucault),
nous avions eu tendance à réduire effectivement l'individu
à un noeud de relations ou de discours mais nous avions déjà
dénoncé ce sociologisme en reconnaissant une réalité
matérielle à l'individu comme corps (Laborit),
comme apprentissage et désir de reconnaissance (Individu
et société). Surtout, nous avions montré que l'autonomie
devait être produite à mesure qu'elle devenait norme, exigence
sociale inversant la problématique du pouvoir. Il faut donc critiquer
l'idéologie cybernétique qui projette dans un avenir
radieux une réalité misérable, maintenue largement
invisible, de ces liens lâches qui laissent tomber dans l'exclusion
ou la mort. Là encore, s'il faut encourager la critique de l'idéologie
des réseaux cela ne doit pas aller jusqu'à nous priver de
leur potentiel. On peut avoir un contre-projet, être un cybernéticien
critique, détourner la technique vers la libération des
rapports marchands (logiciels libres) et reconnaître que nous devons
faire la guerre au système actuel, à son impitoyable mécanique,
précipiter sa chute et refuser toute neutralisation même
si l'information et surtout la discussion peuvent être une véritable
alternative à la violence (Sloterdijk), pas seulement son habillage.
La division ne se comprend pas sans unité, au moins l'unité
de son camp.
L'hypothèse cybernétique
Nous allons directement à notre différent avec ce long article très bien documenté et qui effectue un travail nécessaire de critique de la nouvelle idéologie dominante. En effet, ce n'est pas le moindre intérêt de cet article de partir de la constatation de la fin effective du libéralisme et la domination désormais d'une économie en réseau avec son idéologie cybernétique (théorie des systèmes plus automatismes informatisés, pilotage par rétroaction).
On comprend l'importance de Hayek dans cette transformation qui nous trompe sous le nom de néo-libéralisme car il ne s'agit plus du libéralisme mais bien des premiers pas du cognitivisme dans la suite de l'hydraulique keynésienne. Le marché, en effet, n'est plus justifié, par un optimum de distribution des richesses (qui exigerait un savoir parfait) mais par un optimum d'information en situation de complexité et d'incertitude. Ce qui donne la valeur désormais, c'est l'information sur l'information. Ce qu'il y a de paradoxal à identifier néolibéralisme et cybernétique, c'est que, dans un premier temps au moins, il n'était plus question que de dérégulation. En fait, il s'agissait d'une reconfiguration, une décentralisation des régulations, leur individuation et leur intériorisation. Les prix deviennent des informations tout comme les revenus mais ce qu'il faut souligner c'est que l'amélioration de l'information se traduit par une précarisation accrue, une adaptation plus précise de la production (flux tendus).
Le profit se déplace de la production vers la circulation des capitaux, passage d'une logique de produit à une logique de flux et d'accélération de la circulation (dès l'origine le capitalisme est la détermination de la production par la circulation). L'insécurité remplace la rareté comme souci premier de la régulation économique qui doit assurer la traçabilité, la circulation d'information, de valeur, pour écouler la circulation de marchandises. Le discours du risque est le moteur du déploiement de l'hypothèse cybernétique qui élimine les conflits au nom de menaces qui nous rassemblent (dominants comme dominés!), l'individualisation des risques renforçant l'auto-contrôle. L'écologie est assimilée à ce mouvement, depuis le club de Rome en 1972, de prise en compte des risques systémiques internes à nos sociétés de communications, capitalisme régulé de la troisième voie qui ne met plus en cause le marché mais seulement sa régulation. C'est donc, et contre toute attente, ce qu'ils appellent le moment politique de l'économie politique55. Tous les observateurs avaient bien constaté la contradiction entre la politique économique des Etats-Unis, fortement régulatrice (Greenspan, Pétrole) et le discours libéral du laisser-faire maintenant abandonné. En fait il s'agissait simplement du passage à une autre régulation qui exigeait la destruction de l'ancienne.
Ces remarques sont très importantes car elles déplacent les enjeux qui ne sont plus ceux du libéralisme moribond et, dès lors, toute une critique qui court après les transformations du capitalisme court le risque d'en nourrir l'idéologie, justifier son extension, lui servir de "légende" pour couvrir ses méfaits. Reconnaître qu'on est déjà dans ce monde informatisé en réseau de l'Empire régulé ne doit pas nous mener nécessairement pourtant à condamner tout réseau, à refouler la technique et s'attaquer aux flux. Devant une menace d'étouffement on comprend qu'on cherche le suicide mais on peut imaginer d'autres systèmes, ni les systèmes mécaniques de l'économie (depuis les physiocrates), ni le système des anciens dispositifs de domination, qui ont trouvé leurs limites face au travail cognitif, mais bien d'une réelle construction par le bas qui est le véritable enseignement de la théorie des systèmes, la relocalisation et l'autonomie. Pas de naïveté, plus il y a de libertés plus il y a de pouvoirs disait Foucault et plus un organisme est autonome, plus il est dépendant. Il faut donc s'affronter aux limites de la liberté et défendre une véritable alternative ne pas se contenter d'une niche dans le système ou d'une fuite au dehors, ou encore d'équivalences simplistes (rationalisation = capitalisme = pouvoir).
Derrière la théorie de la complexité de Hayek on voit resurgir aussi le scepticisme des sophistes intéressés et le relativisme marchand qui répond aux différents dogmatismes qu'on nous dresse comme des épouvantails pour ne plus voir partout que flux matériels et singularité brute. Entre une société totalitaire entièrement automatisée et le jeu aveugle de l'évolution des marchés pour Hayek, il faudrait tout de même remarquer qu'il y a plusieurs formes de "systèmes". Il y a encore une autre issue que le dogmatisme totalitaire ou le scepticisme des marchés avec la philo-sophie dont le principe de précaution reprend l'exigence de connaître l'étendue de notre ignorance qui nous rassemble et de l'ouvrir à la discussion publique. Certes s'il s'agit de réduire l'incertitude, il ne s'agit en aucun cas de la supprimer dans une société entièrement automatisée qui est pur fantasme. Il faut sans doute avoir été programmeur pour être délivré des mystérieuses analogies des automates et de la pensée. La cybernétique en montrant que pour agir dans un monde incertain il fallait piloter par rétroaction, feed back, n'implique absolument pas que les solutions soient données d'avance et qu'on pourrait se passer de l'avis des intéressés (leur rétroaction!), tout au contraire.
Le cognitif rejoint ici le biologique, malgré qu'on en ait ! Pourquoi se dérober à ce qui résonne de la vie à la pensée et au langage ? Ne croirait-on parfois à la rage métaphysique contre notre héritage simiesque ! La vie est l'art de donner des réponses suffisantes à des données insuffisantes. La circularité est complète dans la relation auto-adaptative, les habitudes vitales, hors de toute domination. Il est absurde d'identifier apprentissage et discipline. On ne fait que donner corps au fantasme du grand manipulateur en personnifiant l'Etat-Moloch qui permet de donner une consistance paranoïaque à une volonté persécutrice qui n'est, au contraire, que l'effort pour laisser la place du sens vide au nom de la guerre de religions. Il faut se mettre à jour. L'homme n'est plus le grand perturbateur des usines taylorisées mais le nouveau gisement de valeur de l'économie immatérielle, le véritable General Problem Solver.
La question qui se pose, en fin de compte, est de savoir si la "mobilisation totale" de la vie dans la production est une aliénation sans retour ou si elle implique une réappropriation de la vie comme activité, une inversion des logiques (de la rentabilité à l'investissement, du court terme au long terme, de la domination à la reconnaissance). La question est de savoir si transformer la personne en entreprise n'est pas la fin de l'entreprise, et de la subordination salariale, si la production de soi nous soumet aux normes sociales ou développe nos talents, nous éloigne d'une nature ou construit un sens. Je pense, pour ma part, qu'on n'est plus vraiment dans la norme mais plutôt dans la responsabilité de soi, sans doute encore plus tyrannique, dans l'exigence d'autonomie plus que dans le contrôle et qui signe la fin du capitalisme dans la fin du salariat. L'intériorisation est sans doute plus dramatique mais la question n'est plus tant celle du pouvoir comme domination que du pouvoir comme production qui pose d'autres problèmes. On n'en est plus au biopouvoir mais à l'usinage des corps, la procréation assistée par ordinateur.
L'erreur est de prétendre que la théorie des systèmes puisse mener au totalitarisme alors qu'elle démontre au contraire son impossibilité, la nécessité d'une autonomie maximale, d'une régulation par le bas qui implique, certes, une intériorisation des normes mais tout autant leur transgression créative tout aussi indispensable. La chute de l'URSS est la démonstration de l'impossibilité de maintenir le contrôle d'une population passée un certain seuil de connexions téléphoniques de même que la nécessité de la formation transforme l'exploitation en développement humain qui a ses propres perversions mais c'est une erreur de prétendre qu'une régulation globale se réduise à la reproduction du présent alors qu'elle peut servir un objectif collectif, un devenir à construire. Au-delà du sabotage qui bloque la machine, rend visible ses circuits, nous devons mener la technique à son point de retournement dans l'écologie qui peut allier pensée globale et agir local, autonomie de l'individu et responsabilité de l'avenir, inscription d'une aventure singulière dans la continuité de l'histoire humaine. Du moins si renversement il y a, il implique certainement la fin du capitalisme sauf à dégénérer en simple alibi. C'est ce qui fait la nécessité de cette critique, mais nous croyons qu'il y a une issue dans la prise en main des armes de nos ennemis et que du plus extrême de la nuit s'annonce un nouveau jour.
S'il faut bien, en effet, "piloter" les flux, réguler les systèmes, il n'est pas question de rêver d'une "rationalisation sans limites" alors que nous sommes confrontés au contraire aux limites de la rationalisation (principe de précaution). De plus, les écologistes s'opposent à cette logique unilatérale de consommation totale pour écouler la production et favoriser la croissance insistant sur la prise en compte des multiples dimensions de la réalité. Enfin ce qui est à craindre n'est pas la politique de la "fin du politique" qui est notre actualité. Il s'agit, pour une démocratie cognitive naissante, de la fin de la dictature majoritaire au profit d'une démocratie participative où les décisions doivent être élaborées et approuvées par les populations concernées. On ne peut tout réduire à l'équilibre entre répression policière et renseignements généraux (suppression du bruit ou sauvegarde de l'information), pas plus qu'à l'économie plus ou moins critique. Les discussions sur la richesse, la valeur, le don, la part maudite, l'économie symbolique postulent toutes une économie généralisée. C'est ce qu'on peut reprocher au rapport Viveret sur la richesse et aux écotaxes, vouloir valoriser le hors-valeur alors qu'il s'agit d'instaurer une régulation politique, discutée publiquement.
Reste qu'on ne peut nier que la cybernétique ait une dimension policière (mais aussi médiatrice) dans l'optimisation des flux. C'est la question de la responsabilité et de l'auto-discipline qu'on ne peut simplement rejeter. Il ne faut pas se laisser aveugler par une assimilation de la fonction policière à la domination brutale ou de l'intériorisation du code de la route par exemple à une police de la pensée. On peut regretter surtout la simple identification de la revendication du revenu garanti aux libéraux qui la soutiennent. Il y a là erreurs de logique qui témoignent d'un grand embarras. Notre vigilance doit être entière, il ne faut cultiver aucune naïveté sur ce qui n'est qu'une mince chance que nous devons saisir, mais on a quelquefois l'impression d'assister à la réfutation de l'avenir par de vieilles catégories du passé, incapables de prendre en compte la nouvelle donne d'une société de l'information et du développement humain, des logiciels libres et de l'exigence d'autonomie jusqu'à la fatigue d'être soi.
La démonstration est parfois si convaincante que je signerais bien l'aveu de mon crime cybernétique mais je serais en bonne compagnie puisqu'ils mettent dans le même sac, non sans raisons, les situationnistes, Castoriadis, Lyotard, Foucault, Deleuze et Guattari, si ce n'est Bataille, Caillé, Bourdieu et Baudrillard. Les solutions hélas sont un peu trop légères. Leur désir transgressif est ce qui m'ennui le plus avec leur mépris aristocratique pour le Revenu Garanti. Toutes les équivoques tournent autour de la question de l'autonomie, de l'auto-réalisation, l'autoproduction et de la norme, du pouvoir, de l'organisation, de la responsabilité enfin.
L'inversion de toutes les valeurs
Nous devons d'autant moins nous soustraire à la critique qu'il nous faut la faire entièrement nôtre. C'est non seulement une critique juste mais indispensable, qui a déjà été faite et qu'il faut poursuivre. Nous y avions insisté dans la critique de "L'homme symbiotique". Le danger, la maladie de toute pensée globale, comme de toute décision à distance, est de réduire les hommes au rang de moyens, à des flux (Raison d'Etat), ce n'est pas ce qui doit empêcher la pensée globale et la gestion des flux matériels pourtant, à condition que l'objectif du système soit toujours l'autonomie individuelle.
Considérer que l'autonomie n'est pas donnée mais construite, complique en effet la question, cela ne doit pas nous faire relâcher notre vigilance. Le danger d'une posture critique est de valoriser l'inhumanité du monde qui permet d'y faire exception (tout ce que l'art d'écrire doit à la persécution). Le dernier Foucault est à réexaminer, du pouvoir productif et de la construction de soi. Qui pourrait ignorer les dangers de la communauté, mais identifier holisme, écologie, cognitivisme et totalitarisme est une faute plus encore qu'une erreur. C'est ce qu'on appelle, pour le coup, avoir une guerre de retard. Il n'est plus temps de faire sécession dans un monde déserté mais de se lancer, avec tous nos doutes et nos remords, dans l'aventure folle de la reconstruction d'un monde commun où chacun puisse trouver les ressources de son autonomie et un public ouvert sur l'avenir.
D'accord donc pour un ralentissement des flux77,
un éloge de la lenteur qui refuse de se réduire à
l'information ou l'interaction, mais garde son rythme propre, sa pulsation
vitale. D'accord pour partir du désir même s'il est déjà
plein de pièges, de la rencontre concrète qui n'est pas seulement
langage mais aussi violence. D'accord surtout pour se porter aux points
de bifurcation, agir sur les seuils critiques, pas pour se limiter
à un sabotage stérile. Il nous faut trouver force, rythme,
élan pour construire un monde commun, pas pour tuer le temps, fabriquer
du réel pas simplement s'opposer.
Il faut faire attention derrière la pertinence métaphorique
à la part de la posture. Heidegger aussi voulait foutre la frousse
à notre Etre-là en appelant l'homme providentiel qu'il a
reconnu dans Hitler. Sloterdijk voit une nouvelle révolution nucléaire
dans la génétique qui met en jeu tout notre être. La
panique
est un peu courte, et monotone la litanie sans mémoire des courts-circuits
et débranchements (sabotages et retraits). Quant à vouloir
attaquer les lignes de communication de l'ennemi, d'autres savent mieux
le faire ! Il faudrait dépasser ces enfantillages pour assurer la
transmission des savoirs-pouvoirs accumulés.
Curieusement, on trouve la plupart de ces critiques dans leurs textes
eux-mêmes, contradictions qu'on peut imputer au caractère
collectif de la revue mais qui constituent sans doute une stratégie
discursive aussi bien que les traces paradoxales d'une réflexion
en cours. Ainsi l'Avant-garde est-elle réfutée comme jamais
dans "Le problème de la tête" alors même qu'ils en prennent
la place à l'évidence, reprenant la rhétorique, la
grammaire, le vocabulaire de ceux qu'ils maudissent comme ils avaient eux-mêmes
maudit leurs pères, jusqu'aux proclamations de guerre qui ne sont
rien que proclamations nous assure-t-on ! L'extrémisme "terrorisant"
a toutes les allures d'une justice supérieure qui est encore "demande
de châtiment" et dont le Meneur exige le sacrifice du monde. "Ainsi
se paie l'erreur d'avoir confondu le bonheur avec la transgression"
107.
Ils avouent bien que "la liberté est une forme de discipline"
87, que l'enjeu éthique est de faire monde,
il n'en faut pas plus pour fonder une responsabilité, un être-ensemble
qui déjà nous compromet avec la totalité dans l'impureté
d'une action politique tâtonnante.