Interdiction de l'Autre jouissance | Le corps souffrant | L'Etat du Droit | L'excès |
Il n’y a aucun autre domaine où l’hypocrisie est aussi grande
que dans les discours sur la drogue, où l’écart est aussi
grand entre ce qui soi-disant "devrait être" et ce qu’on fait effectivement.
Aucun autre domaine où règne autant en maître le célèbre
adage "faites ce que je dis et non pas ce que je fais". L’impossible
à reconnaître de la pratique alcoolique de notre société
alimente l’utopie mortelle d’un monde sans drogues et déchaîne
la Drogue comme symptôme social. Ce discours de la santé
de la race est assez convainquant pour avoir été pratiqué,
pas seulement par l’Allemagne nazie, et la France aussi en reste imprégnée
ne serait-ce que par les institutions que nous a léguées
Alexis Carrel. La réalité est pourtant toute autre et doit
être reconnue.
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Le premier texte critique l’idéologie de la jouissance phallique des psychanalystes par rapport à la drogue. Le deuxième critique la position médicale et le troisième dénonce l’arbitraire introduit dans la justice par l’application hasardeuse des textes législatifs dégénérant en délit d’opinion ou en justice raciale.
L’interdiction de l’Autre jouissanceLa drogue, contemporaine de la "société de consommation", est l'envers subjectif de l'objectivation technique et marchande. C'est "la jouissance qu'il ne faudrait pas", comme la masturbation dans les années 1930, car elle ne vise pas l'objet interdit comme signe du désir de l'Autre mais, d'abord, la modification de la subjectivité. C'est donc un symptôme crucial du capitalisme (de ce monde objectif, rationnel et déjà vécu de la marchandise) dont la psychanalyse n'a pas su rendre compte, adoptant le discours objectivant du pouvoir qui tente vainement d'y réintroduire l'interdit et des "valeurs morales" alors que le règne de la marchandise est la dissolution de toutes les valeurs traditionnelles (et que la guerre de l'opium, aux débuts du capitalisme, a voulu imposer la liberté du commerce de l'opium contre la Chine qui s'y refusait !) On ne fait que renforcer la demande à mesure que le pouvoir est sommé, dans chacune de ses tentatives d'interdiction, à étaler la pauvreté de ses raisons et de son idéal productiviste où les êtres humains réels ne peuvent pas vivre. L'interdiction de la drogue est la conséquence de l'exclusion de la subjectivité qui n'est plus qu'objet des manipulations d'un "bio-pouvoir" rationalisant.La drogue n'échappe pas vraiment à la jouissance phallique, car il n'y a de jouissance qu'interdite, mais elle peut l'interrompre (c'est la fonction principale des calmants et autres médicaments psychotropes). C'est une réponse du corps à la jouissance qui manque, l'aveu du non-rapport sexuel, du ratage de sa normâlité, ce qui ne l'empêche pas de retomber dans la jouissance, et même lourdement. Car cette réponse du corps passe d'abord dans le discours comme un mensonge, non reconnu. La non-reconnaissance sociale des effets de la drogue est l'élément le plus nocif, le plus psychotique et marginalisant. C'est le refoulement du subjectif par l'idéologie de l'individualisme et du moi autonome, efficace et productif. Qu'on n'aille pas trop vite non plus à croire que la drogue remplace le désir sexuel ; il suffit, là aussi, de lire Freud qui, dans ses lettres à sa fiancée exhibe un désir exacerbé par la cocaïne. Mais, dans ce domaine, les préjugés ont force de loi et bien peu ont les moyens de se distinguer du discours de l'opinion, d'autant que l'affrontement du subjectif et de la limite est l'affaire où chacun est pris, comme il peut, trop personnellement pour énoncer un jugement objectif à ce sujet.
L'interdit du Pouvoir sur la drogue : une psychose sociale actuelle Nous sommes ici au point où le politique investit la subjectivité et où se manifeste la solidarité de la psychanalyse et de la politique, des conditions sociales et subjectives, des marchandises et du concept de "drogues" interdites. D'un côté, le discours répressif doit tenir compte des faits, et renoncer à la prohibition de l'alcool qui est une des drogues les plus dangereuses mais dont la tradition est si forte dans nos pays que son interdiction ne mène qu'à une gangstérisation de la société. De l'autre côté, il prétend interdire des substances aussi inoffensives que le Cannabis, sous prétexte d'un idéal inconsistant de réussite professionnelle, confronté à la réalité du chômage, ou d'une morale sexuelle délirante, en fait par peur d'une subjectivité libre, immaitrisable et le plus souvent étrangère (prétexte du contrôle des populations). Le comble est que ce discours, conscient de ses impasses, a trouvé son relais dans une morale analytique impayablement subtile, considérant que le drogué, par définition est porteur d'une demande, que dis-je, d'un appel adressé à l'État qui définit la drogue par son interdit. C'est d'autant plus comique que Freud était notoirement cocaïnomane (créditant la drogue d'une levée du refoulement) et cette "interprétation", voulant tout réduire au langage, relève, en fait, d'une vision en dernier ressort hygiéniste de la Psychanalyse qui, paradoxalement, ne veut pas qu'on touche au corps par une sorte de mystique, d'une morale positive idéalisée et démoniaque à la fois (comme toujours), voulant ignorer au nom d'une harmonie supposée du corps et de l'esprit, que la première drogue est le langage lui-même qui traite du corps sans ménagements. Mais le langage n'est pas tout (malgré Dolto plus que Lacan voir Le corps et l'esprit) et ce moralisme thérapeutique est intenable par la psychanalyse qui soutient de tout autre rapports entre le corps et l'esprit dans sa critique de la jouissance phallique. La catégorie de Drogue n'existe pas et encore moins celle de Drogué dont on pourrait faire un portrait robot. L'effet des drogues dépend de leur effet sur le corps. C'est en quoi c'est un moyen de connaissance et de contrôle de nos affections (qui demande à être bien conduit, avec science, en opposant le contrôle par soi-même de sa propre affectivité d'avec la drogue d'État standardisée comme le Prozac). L'utilisation d'une ou l'autre de ces "drogues", même régulièrement, ne saurait définir une identité pas plus que la catégorie d'utilisateur d'un véhicule, et malgré les dangers qu'ils rencontrent sur leurs routes. La "Drogue" n'est un symptôme social qu'à ne pouvoir être reconnue et verbalisée par le discours dominant. C'est bien plutôt ce manque de discours qu'on attribue au drogué accusé de remplacer sa parole par un produit et rejeté comme un sauvage au nom de la puissance maléfique d'un tabou innommable (ce qui favorise en retour l'identification du "drogué" au produit). Bien comprise, la drogue est pourtant une part essentielle de notre pouvoir sur nous-mêmes et de la rencontre de l'Autre, un détachement de la jouissance qui n'est pas sans clairvoyances et une mise à l'épreuve de notre humeur, de nos identifications, une coupure temporelle. Loin d'imposer silence, la soustraction du corps peut donner aux discours plus de conséquences et de sérieux (comme en témoigne la pratique des Perses de tester leurs décisions dans l'ivresse). La drogue sépare le corps du signifiant, dérègle les sens, ferme le sens dans son enveloppe corporelle et dénoue le lien spéculaire à l'Autre. Aucune société ne s'en est jamais complètement passée et l'alcool prétend, dans nos sociétés marchandes libérales, à une féroce exclusivité, tant les forces de l'économie y sont portés à leur paroxysme, jusqu'à la dépendance des mafias comme des polices, par la puissance du désir pour une liberté à laquelle on veut encore ajouter l'attrait de l'interdit au nom d'une morale sexuelle et du bien du sujet (le pouvoir n'a jamais eu d'autres fins); insupportable échec de la fonction phallique. Dans la drogue, ce n'est pas l'image du corps qui compte vraiment, mais
la suggestion inactuelle des sens, la surprise ou l'excuse qui libère
la parole de la nécessité d'en rendre compte, ouverture à
un autre discours en même temps qu'excitation du corps. Acte de liberté
de l'esprit qui traite du corps sans ménagements (sans quoi pas
de contrat qui vaille). C'est une fuite aussi, un refuge qui isole des
sens devant l'agression d'un réel insupportable, objection de conscience
à une responsabilité impossible. C'est un outil, une arme
ou un masque, et attaché à un peuple plus que sa religion
(on tue encore en son nom, l'hérésie coûte chère).
Vin
de la fraternité sans quoi rien ne serait possible, il faut
s'abaisser pour se savoir frères (il est des nôtres!).
Rien à voir, donc, avec un quelconque rétablissement de l'équilibre,
un nirvana biologique : c'est le discours qui s'alimente d'une séparation
du corps et se mesure à ses dérèglements, conséquence
de la constitution du sujet en pur effet de sens : Je est un Autre.
(L’objectivation du sujet. Critique de l’idéologie
psychanalytique)
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