Philosophie, économie et démocratie
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Errare humanum est, sed persevare diabolicum (vérité
et démocratie)
Pour les hommes de pouvoir (politiciens, techniciens ou chefs d'entreprise)
l'homme n'est souvent que le perturbateur au regard de l'efficacité
technique, rèvant d'un homme parfait plutôt semblable à
un robot. J'ai consacré mon Café philosophique[1]
à montrer, au contraire, que l'Erreur est au fondement de la liberté,
qu'il n'y a pas de coïncidence à soi, pas de victoire décisive,
ni finale (ennui), ni protégeant jamais de l'erreur. La Liberté
est errance, délibération, précipitation et non calcul
mécanique. La vérité n'est pas objet (éternel,
pour tous) mais sujet (processus particulier historique, discours effectif
- Le faux est un moment du vrai. Hegel). Plus on s'approche du phénomène
humain, plus on doit faire sa place à l'erreur et à la liberté.
C'est vrai pour l'informatique, dont l'objet principal est bien les bugs
et erreurs de saisie, c'est vrai pour la théorie de l'information,
dont les protocoles de transmission traitent l'erreur (parité, CRC).
Mais les erreurs interviennent aussi à tous les niveaux de la vie
: mutation des gênes, sexualité, lutte/jeux, imagination,
langage, philo-sophie (pas sagesse), démocratie. La communication
est d'abord malentendu. La race qui est la première tentative
de clonage est une création de l'homme, une technique d'élevage
(canin, bovin, chevalin, aryen, ...) alors que l'évolution préserve
la créativité génétique par la sexualité
et les mutations génétiques, la vie ne gardant de promesse
d'avenir que dans la diversité. L'Erreur contient, bien sûr,
la possibilité de nier l'erreur. Il n'y a même pas d'erreur
qui ne se prenne d'abord pour la vérité. C'est Persevare
à ne pas corriger ses erreurs qui est le mal même, diabolicum.
Il n'y en a pas d'autre (le diable c'est se prendre pour Dieu, le péché
originel, s'imaginer un savoir sans réplique). Mais reconnaître
ses erreurs c'est déjà pardonner aux autres (la paille
et la poutre dans l'oeil), être tolérant et humble. La
critique est nécessaire autant que facile, la matière ne
manque pas, mais pour être bénéfique le reproche doit
nous rapprocher, être déjà retrouvailles complices
de notre "inhabileté fatale" comme dit Rimbaud. Les plus
grands créateurs sont humbles devant la distance qui sépare
le projet de l'objet réalisé, devant l'insuffisance de nos
forces. S'il y avait des sages supérieurs à qui l'erreur
était épargnée, ils nous dirigeraient comme un troupeau
soumis. L'histoire nous a appris que les "meilleurs" sont capables du pire,
c'est donc à chacun de corriger l'autre et d'assumer sa part de
responsabilité, de citoyenneté. C'est à chacun d'apporter
sa part irremplaçable de clairvoyance, à son niveau propre,
de participer à la vie démocratique.
La Démocratie est fondée depuis Aristote sur la capacité
de se tromper, sur l'inexactitude de la raison pratique. Il est plus douteux
d'en trouver le fondement chez Descartes qui faisait du bon sens la chose
du monde la mieux partagée. Mais, dans un cas comme dans l'autre,
il faut supposer une autonomie au citoyen, à sa parole. Est-ce possible
encore ? Ne sommes nous pas réduit, dans cette société
marchande, au statut inférieur de salarié ? On ne croit plus
aux grands hommes mais la supériorité ne se mesure plus qu'en
dollars. L'homme efficace, supérieur est celui qui produit
de l'argent, à qui les portes des banques s'ouvrent et à
qui se porte la reconnaissance sociale de ceux qui pourraient tirer profit
de ses ressources. La concurrence exacerbée durcit les rapports
humains. Celui qui n'est pas assez efficace est un poids pour ceux qui
doivent fournir un effort supplémentaire. Ici, pas de démocratie,
pas de citoyen et c'est la production même qui en est diminuée.
Il faut dire non à ces rapports inhumains, réintroduire le
politique dans l'économique. Chaque personne doit trouver sa place,
c'est ainsi qu'elle donnera le meilleur d'elle-même et sera utile,
à sa manière (on a toujours besoin d'un plus petit que
soi), et non pas sous la pression de la menace abjecte. L'efficacité
économique n'est qu'une petite partie de nos capacités, on
ne peut se priver de tout le reste. Devant la réduction du citoyen
à l'employé soumis ou au chômeur méprisé,
on ne peut que refuser cette soi-disant production de richesse. On ne peut
que se mettre en grève. Comme disait Confucius "Si un Etat est
gouverné par la raison, la pauvreté et la misère sont
honteuses ; si ce n'est pas la raison qui gouverne, les richesses et les
honneurs sont honteux". Un pouvoir fort n'a pas besoin de la force
pour tirer de chacun le meilleur (Le plus fort n'est jamais assez fort
pour être toujours le maître, s'il ne transforme pas sa force
en droit, et l'obéissance en devoir. Rousseau), c'est la conscience
de sa faiblesse, voire de son illégitimité qui réduit
le pouvoir à la force de l'oppression. C'est lui-même qu'il
rassure en exerçant sa domination et se persuade de sa valeur en
rabaissant les plus valeureux qui doivent s'incliner devant lui. Pourtant
chacun s'applique, à sa mesure, de réaliser ce qui lui est
donné comme projet. Que chacun soit respecté et les vaches
seront bien gardées.
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