Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Apollinaire
Nos amours | Histoire d'Amour | Les quatre amours |
Le but de la politique, comme reconnaissance du citoyen et mise en commun,
vise l’amitié, la fraternité des concitoyens (la
politique consiste à faire naître l’amitié129
Aristote). C'est une force de rassemblement. Pourtant "la politique
est la politique mais l’amour reste l’amour" comme disait Mazarin,
c’est-à-dire ce qui nous concerne individuellement, intimement,
dans nos rapports concrets, dans notre être (plus que la mort ou
le devoir, nos passions) au point qu'on peut penser que seul importe
l'amour. Pour que nous nous sentions aimables, il faut en effet que nous
soyons aimés. Devant les urgences politiques qui se font de plus
en plus pressantes, on est toujours tenté de se replier sur une
morale et un bonheur privés. "Ainsi le papillon de nuit,
quand s’est couché le soleil universel, cherche la lumière
à la lampe du foyer privé. Marx 317".
Mais on ne peut s’abstraire de notre communauté car rien ne vaut
que pour les autres et l’aimé ne peut remplacer le monde.
A force de s’y brûler les ailes dans une liberté sexuelle
qui épuise tous nos rêves, personne déjà n’y
croit plus. Ce n’est pas d’être l’emblème de la religion chrétienne
qui a répandu l’amour sur la terre, mais l'amour change pourtant
avec la société et prend les couleurs du temps. Chacun
sait que l'amour a besoin de la liberté. Selon Aristote, il a besoin
aussi de solidarité, ne pouvant vivre de l’intérêt
égoïste qui nous oppose. Il faut donc s’occuper en priorité
de notre communauté politique menacée où l’amour
même retrouvera son élan. La politique ne remplace pas l'amour
elle le rend possible.
Le Banquet, de Platon qui est son œuvre la plus connue du public, est aussi la plus étonnante. On se demande d’abord ce que ce théâtre a de philosophique, abandonnant la méthode socratique de définition pour se contenter de montrer toute la diversité de l’amour, son jeu social et sa contradiction. En effet, il se pourrait, d’après Lacan, que parler d’amour soit une jouissance en soi alors que l’amour effectif n’est qu’un naufrage ordinaire, "un ratage du rapport sexuel qu’il n’y a pas". Il est bien vrai que les histoires d’amour finissent mal, en général mais nous sommes malgré tout les enfants de l’amour et sans amour aucune parole même ne serait possible. Il n’y a d’être que pour un Autre (Hegel, Sartre, Lévinas, Lacan). L'amour est origine. C'est le surgissement de l’amour qui crée le discours et la liberté, en même temps que le mensonge et le refoulement (l’amour crée la communication avec ses codes, le langage maternel, il crée aussi des devoirs qu’il ne peut remplir sans mensonge-dissimulation-intériorité car il doit séduire le jugement de l’Autre). L’amour est ce paradoxe d’un lien entre deux libertés, qui se veulent comme libertés l’une pour l’autre, comme choisies librement et comme impossiblement liées par cette liberté même, rêve d'un manque qui dure. Le premier amour est bien sûr l’amour maternel dont on ne se relève jamais (l'amour maternel est une promesse que la vie ne peut pas tenir). Pour Lacan, le besoin (de l'enfant) en devenant demande devient besoin de l'Autre et désir d'être aimé, de séduction pour s'attacher l'Autre inconditionnellement et se protéger contre l'angoisse du délaissement et de la perte, nécessité hallucinée :
Le désir est ce qui se manifeste dans l’intervalle que creuse la demande en deçà d’elle-même, pour autant que le sujet en articulant la chaîne signifiante, amène au jour le manque à être avec l’appel d’en recevoir le complément de l’Autre, si l’Autre, lieu de la parole, est aussi le lieu de ce manque.
Ce qui est ainsi donné à l’Autre de combler et qui est proprement ce qu’il n’a pas, puisque à lui aussi l’être manque, est ce qui s’appelle l’amour, mais c’est aussi la haine et l’ignorance. Lacan 627
L’amour est pour Spinoza, une joie qu’accompagne l’idée d’une
cause extérieure, car on parle aussi de l’amour du bon vin ou
du Pays. Mais il faut raisonnablement ajouter que l’amour est surtout rapport
à une autre liberté dont on attend réciprocité
et qu’il faut donc séduire. L’amour est d’abord ouverture à
l’Autre et rencontre mais, comme on sait, une femme ne doit
pas s’imposer car elle doit être désirée et
défendue, sauf à ne pas vouloir l’être et faire l’homme
de plein droit pourvu qu’elle en ait les ressources et s’affirme désirante.
En effet, l’amour n’est pas une joie accompagnée de la pensée
d’une cause extérieure (Spinoza) mais plutôt le manque
(Éros) d’une joie qui est certitude de l’objet de son
désir et donc espérance impatiente d’une satisfaction
future (connaître l’objet de son désir et l’approuver. Si
c’est une maladie, qu’on ne m’en guérisse pas !). L’amour n’est
pas un dialogue, il ne s’y échange que des signes de séduction.
Les autres amours (Fraternel, Maternel, Paternel) se rapprochent de l’amitié.
Aristote distinguait trois sortes d’amitiés (par intérêt,
plaisir ou admiration) et on peut y voir aussi trois sortes
d’amours. C’est pourtant d’un intérêt particulier que l’amour
sexuel se distingue, jusqu’à colorer tout amour de son appétit.
Ce que l’amour doit à la sexualité est une complicité
de la transgression ou une sorte de reconnaissance du plaisir éprouvé
et donné, or, pour Aristote, l’amitié naît de la reconnaissance
du bien qu’on nous veut (bon objet). Proche de cette amitié
est l’amour d’être aimé, la force donnée au narcissisme
par le désir de l’autre. On ne fait pas l’amour seulement pour
le plaisir du sexe mais pour plaire, exister pour l’autre, même
si la dépendance est souvent névrotique reproduisant
les comportements enfantins et les folies familiales. Cette régression
se pare des prétentions d’un amour idéalisé, d’une
béatitude inaccessible (pour soi, mais bonheur que les
autres connaissent bien!), amour impossible enfin qui n’est qu’un amour
jaloux comme il y en a tant, amours incroyables ne pouvant
assumer la différence de l’idéal juré à la
réalité sordide. Une impasse pénible, mais quel amour
est donc heureux? La Jalouissance et l’hainamoration, ce qu’on appelle
l’amour captatif, est plus courant que l’amour bienveillant
idéal et désintéressé.
Il y a l’énamoration, puis l’amour, enfin la tendresse
ou le détachement, voire la haine. Éros est manque
mais on ne peut continuer à désirer ce qu’on a déjà
(Platon) à moins de transformer le désir en crainte de perdre
ou en jalousie (l’espoir alimente toujours la crainte). Mais le désir,
devenu désirable dans l’amour, vient pourtant à manquer dès
qu’il est ordonné (Jouis!) ; c’est la castration même
(Lacan). Les amants étonnés savent bien qu’on ne leur laisse
aucune chance. La métamorphose de la vérité claire
d’une rencontre en mensonge institutionnalisé est à
la fois lente et immédiate, commençant aux premiers serments,
aux premières certitudes après l'éblouissement de
la rencontre. L’érotisme repousse désespérément
les limites mais ne peut empêcher les ruptures sans quoi l’amour
conjugal n’est ordinairement qu’une servitude humiliante. Les serments
contractés pendant la phase érotique développent leurs
contradictions ensuite sous le premier mensonge : le serment d’aimer, la
comédie d’amour. Malgré les vaines tentatives de biologiser
l’amour (Schopenhauer, Taine) le premier a avoir réfuté l’amour
au nom de la vérité est bien Freud. L’impossibilité
de l’amour (il n’y a pas de rapport sexuel) vient de sa contradiction
première où la force sexuelle nourrit une idéalisation
excessive (l’éternel féminin, bien suprême), où
la privation de l’objet d’amour concentre sur lui tous les désirs,
tous les rêves (cristallisation). Après cela il ne
peut y avoir qu’une mort sublime ou une déception criante
(post coïtum animal triste) dont l’autre sera accusé
bien malgré lui (revendication hystérique, une telle
tromperie ne pouvant qu’être volontaire et l’oeuvre d’un esprit méchant,
c’est l’Autre qui est coupable). Après avoir trop médit de
l’amour, Socrate se reprit pourtant, ne voulant insulter le dieu, et il
fit l’éloge d’un amour qui n’est pas désir de possession
mais de perfection, de dépassement de soi comme l’amour de
la sagesse ou de la justice. Si l’homme tend vers le Bien, cette attirance
doit se nommer amour alors que, si le bien n’est qu’une absence de mal,
il ne nécessite qu’un amour de soi. Comme agent de notre perfectionnement
l’amour est donc un mal et un délire sacré mais
dont la satisfaction sombre dans l’ennui car l’amour est notre part d’inachevé
et de mystère, de manque et d’ignorance, manque de l’Autre car
nous n’existons que pour un autre. Le rêve d’un amour passion n’est
souvent que l’amour de l’amour, l’amour du changement, de la nouveauté
(ma tête se détourne, le nouvel amour. Rimbaud).
La passion réelle, c’est l’amour-rencontre qui nous joue des tours,
c’est l’amour qui est la Vie même et qui nous comble par surprise
mais le plus souvent nous échappe douloureusement.
L’amour imaginaire est l’amour jaloux qui est amour de l’unique,
constituant l’objet du désir en bien suprême. C’est la béatitude
de la Béatrice de Dante qui est la jouissance de Dieu
même. Cette jouissance est ce qui, pour Lacan, signifie le désir
supposé de l’Autre, s’identifiant au Phallus et se réduisant
toujours à la castration (la jouissance supposée à
l’Autre ne peut être que soustraite à la nôtre). L’argument
de Saint Augustin pour le Bien suprême (qui sera repris par
d’autres anciens débauchés, comme Ignace de Loyola) est de
remplacer la jouissance de biens matériels inconstants et trompeurs
par la jouissance toujours assurée de ce qui ne change pas et ne
saurait nous faire défaut. Ce passage à la limite de la morale,
déjà effectué par Plotin dans la contemplation
de l’Un, reprenait l’idée platonicienne du Bien qui avait été
réfutée par Aristote. Pour ce dernier le bien est
la réalisation d’une fin et chaque existence a son bien propre.
On ne peut donner une essence commune aux biens sinon comme activité
réussie car on ne peut faire la somme des biens qui sont tous
particuliers mais, pour Aristote aussi, il vaut mieux viser les biens durables
et qui dépendent de nous (vertu et raison). La religion de l’amour
est contradictoire. Le bien suprême qui est aussi tout-savoir
ne laisse plus aucune place à la liberté, qu’il faut
maintenir pourtant si on ne veut pas imputer à Dieu le mal que nous
faisons. Les notions de la religion (Dieu, sacrifice, liberté, amour,
etc.) tout comme le Bien suprême ou le Phallus se révèlent
comme notions contradictoires, ce ne sont que des mots bien que
douloureusement efficaces. La fausse bonne solution de la religion, qui
s’apparente en fait à une psychose en reniant son origine
sociale pour mieux fonder le réel de son objet, est une impasse
n’apportant pas la jouissance espérée mais exacerbant sa
certitude avec la souffrance de la séparation. La jouissance ne
mène ainsi qu’à la castration d’un désir interdit.
Il n’y a pas de bien suprême, il n’y a qu’une rencontre amoureuse
particulière et hasardeuse. Mais la passion amoureuse pare son objet
de toutes les vertus, portées à l’infini par un désir
qui s’enivre de son aveuglement. En effet, l’amour c’est lorsque le manque
devient désirable, quand on s’identifie au manque.
L’amour n’est pas réductible à notre destin de reproducteurs.
L’amour est trop sérieux pour se réduire aux instincts sexuels,
ce qu’on veut dans l’autre, ce n’est pas le plaisir, c’est sa liberté
fidèle, un entretien infini et confiant. Ce qu’on cherche dans l’autre
c’est nous-mêmes dans son regard pour lui plaire (on
existe pour l’Autre). Épouser le désir de l’Autre,
on appelle cela l’amour comme libération de soi (don, abandon de
ses désirs, de ses frustrations) ! Monde de confiance, maternel,
satisfaction primaire. L’amour est désir sacré en cela qu’il
est le désirable lui-même comme désir de
désir. Le premier amour, celui de la Mère, n’est pas
celui du semblable mais si le même au même se marie, c’est
aussi le potier que le potier jalouse et l’amour est hélas aussi
admiration et jalousie (Jalouissance : on aime celui ou celle qui
est valorisé par les autres), image de soi. Cela va rarement jusqu’à
l’identification au manque qui structure toute la vie mais, lorsque son
objet est hors d’atteinte, cette brûlante souffrance dure bien plus
que les 6 semaines que laissait Charles Fourier à une passion assouvie.
L’amour comme passion de l’être n’est qu’une comédie narcissique,
un aveuglement volontaire, mais, quand il est rencontre, il peut être
aussi une jouissance profonde, une découverte stupéfiante.
Amour du semblable ou du dissemblable, de la possession ou du bonheur de
l’autre, de l’idéal ou du manque, le désir (pour-soi) échappe
toujours à son objet (en-soi) et renaît de ses cendres ne
pouvant trouver de satisfaction que dans son élan. Enfant de libertés
qui se cherchent et ne peuvent que se manquer, l’amour est enfant de
bohème, et si tu ne m’aimes pas je t’aime. L’amour naît
aux détours d’une rencontre réussie, gratifiante, où
chaque geste va vers l’autre et entraîne un autre geste avec confiance
(rapprochement que favorise une exclusion commune, une détresse
ou un ennui profond). L’amour est surtout cette ouverture à
l’être, à la nouveauté (le nouvel amour),
certitude d’exister pour quelqu’un (trouver quelqu’un qui me comprenne
!). Hélas, la cohabitation suffit à poser continuellement
la question de l’égalité dont se nourrissent toutes
les passions (Aristote) et trop souvent la haine domestique. Un amour peut
finir en amitié mais, plus ordinairement il se finit en mépris
et en rancunes réciproques de cœurs blessés. La dépendance
s’installant à la place de l’étonnement de la découverte,
un rapport de force s’établit aussitôt. Dès qu’on ne
veut plus donner mais recevoir, la récrimination empêche
tout amour désintéressé, tout abandon (hystérie
et féminisme) et trop souvent la durée du couple sera due
simplement à la défaite du moins cruel : Ainsi, elle se sent
seule et vide, sa vie sans but ni joie si elle n’est pas avec ce trublion
rebelle qui lui redonne vie et qui se pare de tous les idéaux. Puis,
une fois qu’elle est installée, elle voudrait vivre comme si elle
était seule et ne voit plus de contrepartie à sa soumission,
plus d’aventure dans ses rêves et souvent le faible est cruel
dans son naufrage, n’ayant pas conscience de sa force (La position gagnée,
cœur et beauté sont mis de côté, il ne reste plus que
froid dédain, l’aliment du mariage, aujourd’hui.135
Rimbaud). L’hystérie ordinaire se suffit d’accabler perpétuellement
son idole déchue du désastre de sa vie réelle.
Pris maintenant selon chaque liberté, nous retrouvons les quatre fondements métaphysiques de l’action humaine (rappelés ici des réunions précédentes) et l’amour se divise en communauté (philia), prochain (générosité), compagne (Agape) et désir (Éros) ou société, familiarité, alliance et manque (Aristote). On peut aussi le diviser en amour réel (rencontre), symbolique (mariage, parents), imaginaire (idéal) et sinthome (dépendance, béquille). Il faut bien dire que l’amour semble dépasser ces catégories, ayant tendance à envahir tout le champ sémantique. La distinction des différentes causalités est malgré tout un principe de clarification préalable, bien des malentendus étant imputables à la confusion des genres. Que l’amour reste impossible ne l’empêche pas plus d’exister que la liberté, la morale ou la vérité, qui ne nous tracassent qu’à être nécessaires autant qu’impossibles, à nous manquer.
1 | 2 | 3 | 4 | |
Thèse (il y a de l'esprit) | Opposition extérieure | Division intérieure | Synthèse (liberté) | |
Causes | Efficiente (auteur) | Matérielle (non-sujet) | Formelle (non-matière) | Finale (amélioration, réaction) |
actif-discontinu | passif-continu | passif-discontinu | actif-continu | |
Opposition | nature/culture, in/out | moi/autres, +/- | volonté/désir, raison/folie | possibles/causes, Vie/mort |
Politique | amis/ennemis, aristocratie | riche/pauvre, oligarchie | Loi/faute, république | Résistant/passif, démocratie |
Dialectique | Sujet, Esprit | Objet, Travail | Forme, Conscience | Contenu, action (sujet-objet) |
Vérité | Révélation, ordre, code | Vérification, théorie | Impartialité, critique | Authenticité, ex-sistence |
Non vérité | Hérésie, faute, discorde | Hypothèse, erreur | Tromperie, mensonge | Idéologie, symptôme, ennui |
Liberté | Libre-arbitre, choix, foi | Délivrance satisfaction | Jugement, raison | Projet, intervention, refus |
Morale | Moralisme, harmonie | Éthique, mesure | Justice, universel | Esthétisme, vision du monde |
Principe | Fraternité (Philia) | Prospérité (suffisance) | Égalité (Droit) | Liberté (désir, expression) |
Discours | Maître | Hystérique | Université | Analytique |
Dimension | Symbolique | Imaginaire | Sinthome | Réel |
Finalités | Pratique | Théorique | Théorie de la pratique | Pratique de la théorie |
Domaines | Religion, communication | Sciences, expérience | Morale, Loi | Politique, Art, lutte, aspiration |
Théories | Dogmatisme | Scepticisme | Criticisme (philosophie) | Existentialisme, subversion |
Champs | Être-donné | Réalité objective | Univers du discours | Inconscient, désirable, relation |
Temps | Éternité | Présent (cycles) | Passé (histoire finie) | Avenir historicisme non savoir |
Amour | Semblable, commun | Familier, particulier | Contrat, serments, égal | Passion, rencontre, projets |
Objet | Communauté, sympathie | Prochain, familiarité | Partenaire, bienveillance | Désir, exaltation |
Origine | Éducation, lignée | Habitude, cohabitation | Responsabilité, fidélité | Dépassement, ennui |
Sentiment | Aimable, secourable | Amitié, tendresse | Estime, réciprocité | Perdu, abandon, jouissance |
Forme | Solidarité | Affection | Équité | manque |
Fondement | Vie, union, réputation | Foyer, besoin, dette | Autre, devoir, respect | Jeu, désir, violence nouveauté |
Intérêt | Fusion, ambition, orgueil | Utile, agréable, plaisir | Rapport, admiration idéal | Aventure, risque, découverte |
Stendhal | amour-vanité | amour-physique | amour-goût | amour-passion |
Fraternel (Philia) | Maternel (générosité) | Paternel (Agapé) | Sexuel (Eros) |
Le prochain est une indication utile qu’il faudrait mieux entendre,
mais ici l’accent est mis sur l’amour. Or la morale n’a rien à
voir avec l’amour, et sa fonction essentielle dans le commerce qui l’apparente
à la politesse et au Droit, est de garantir la rencontre d’un quelconque
avec un étranger, voire un ennemi venu traiter. L’amitié
ou l’amour c’est autre chose et comme sentiments, ne peuvent se commander
(Kant, Sade). Il faut noter que si l’amour de soi-même nous
semble tellement évident et premier, ce n’était pas le cas
pour Aristote qui recommande au contraire de s’aimer comme on aime un ami,
tant l’amitié lui semblait le fait premier. Depuis les moralistes
français l’amour des autres est devenu suspect (Nietzsche, Freud),
mais l’ouverture à l’Autre précède bien toute
constitution du sujet. Pour Aristote l’amitié suppose qu’on partage
tout (la propriété et l’échange sont ainsi la
négation de l’amitié) et donc l’amitié est rare, supposant
un choix restreint. C’est bien ce que conteste le commandement universel
(Il n’y a pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre. Lacan 460).
La morale constitue l’interlocuteur comme personne morale et fait du sujet
le lieu de l’opposition de la loi morale et des contraintes de la situation,
réflexion seconde qui revient à soi après s’être
abandonnée à l’Autre. La morale va vers l’identification
à l’autre, ce n’est pas encore de l’amour. Notre véritable
solidarité commence au politique. "Sans division au sein
de l’amour, sans le pôle tout aussi concret de la haine, on ne peut
parler d’amour véritable. Ernst Bloch 330"
Il faut remarquer que Freud n’était pas du tout sensible à
la nouveauté, tout plaisir étant répétition,
le principe de réalité n’ayant d’autre fonction que d’assurer
que la réalité est bien conforme à son hallucination.
Lacan a tenté d’y faire sa place comme réel de la surprise,
mais, bien que grand lecteur d’Aristote, il n’était guère
sensible au plaisir de l’activité elle-même qui ne
vaut, pour lui aussi, que par le retour de l’objet retrouvé, le
principe de plaisir s'identifie pour lui à la paresse. Le nouveau
attendu n’est qu’une nouvelle version de l’illusion phallique. Aristote
avait pourtant raison. Il y a une jouissance de l’action distincte
de la jouissance perverse, d’aucune projection du désirable, ni
Phallus, ni Dieu. Pour l’amour, on sait de même que ce ne sont pas
les rêves inassouvis qui en font le prix mais la tentative héroïque
et désespérée de faire l’amour et d’y tenir
parole malgré les trahisons, de donner forme (fonder un foyer,
cela occupe, passé le temps du désir et de la découverte
de l’autre). L’homme se doit pourtant à la Cité même
si être amoureux, pour lui, c’est lâcher les autres discours.
L’amour montre plus que tout comme notre vision du monde dépend
de nos projets. On ne sort pas de la cause finale qui précède
toute représentation comme intentionnalité. Orientation vers
l’avenir, activité productrice de quelque bien dont le secret est
de gagner l’amour des autres, c'est le seul véritable bien
qu’on ne partage vraiment qu’aux moments de fraternité révolutionnaire
dans la complicité de la lutte. Le plus souvent le seul
bonheur est celui de l’activité réussie, inéliminable
de tout discours, de toute théorie, cause finale échappant
toujours à ses propres déterminations. La liberté
politique aussi n’existe pas si elle est jugée comme impossible,
elle n’existe qu’en acte, droit pris contre le pouvoir des discours constitués,
affirmation d’une existence bien présente. On peut dire de
la morale, de la politique et de l’amour, ce qu’on a dit de la liberté
: ils n’existent qu’en acte, arrêts de la chute dans l’objectif.
Pour Rimbaud la philosophie n’est rien d’autre que les chansons populaires arrangées. Depuis la nuit des temps, on a chanté l’ardeur du désir et l’amour malheureux. L’amour a toujours été associé à la mélancolie (introjection de l’objet pour Freud), l’aimé s’identifiant au bien suprême comme projection de tout le désirable (qui est signification du désir de l’Autre, signification qui s’impose du rival dans l’Oedipe), et déréalisation de l’objet. Dès lors l’amour se confond avec le désir d’être Dieu, de signifier objectivement (pour un autre, en-soi, énoncé) sa liberté (pour-soi, énonciation). Impossibilité qui s’incarne dans la mort des amants ou l’oeuvre inachevée (pont de Cahors). Un amour n’a pas de chances s’il exige au lieu de se surprendre, s’il idéalise au lieu de compatir mais ce parfum de nouveauté s’évapore par définition avec l’âge qui ne peut prétendre qu’à une complicité tendre, une amitié attentive qui ne peuvent s’exprimer que dans une mise en commun, un projet commun, compagnons de voyage. Après que le projet se soit réduit à l’aimé, c’est le projet qui rassemble les vieux amis avant de reprendre le même refrain pour d’autres aventures de la dialectique du sujet et de la société. Tout finit en chansons : Celui qui n’essaie pas ne se trompe qu’une seule fois. Pour qui cette chaleur dans ma voix ? Et si tu n’existais pas, dis moi pourquoi j’existerais? Les mots sont toujours les mêmes, c’est nous qui changeons quand on les dit. Enfin All you need is love même si les histoires d’amour finissent mal, en général et qu’il n’y a pas d’amour heureux.
Pour Platon l’Amour est surtout tendance vers le bien, idéal,
dépassement mais il se divise en amour animal et amour spirituel.
Le Banquet :
St Paul reprend les louanges platoniciennes de l’amour dans son épître sur la Charité qui se comprend comme identification au prochain et abandon à Dieu alors que l’amour charnel du couple chrétien est considéré comme compagnon (viator). Pour St Jean l’amour est identifié au verbe et au sacrifice. Signalons que l’amour du prochain avait été prôné bien avant par Mo-ti en Chine sauf qu’il prétendait qu’il ne fallait pas faire de différence entre le prochain et le lointain mais aimer universellement. Les Confucéens soutenaient qu’il fallait préférer les plus proches.
St Augustin considère l’amour comme désir, ce que n’est pas l’amour du prochain comme amour de l’amour, au nom de Dieu. L’amour du prochain n’est qu’un amour indirect, amour de soi reporté sur l’autre par amour de Dieu. Comme pour Spinoza l’amour se transforme ainsi de la convoitise à la charité en se faisant amour de Dieu, du créateur, de l’ordre du monde dont je tiens ma place. Ma compréhension de cet ordre nécessaire transforme donc l’amour de soi en amour de l’être (vouloir ce qui est) qui définit la contemplation du sage mais où se signe la fin de l’histoire et de la liberté humaine. Reprenant le mysticisme de Plotin, Augustin identifie le Bien suprême comme bien éternel et immuable, à la raison, à la vérité et à Dieu, identifié donc à notre satisfaction. Mais c’est le libre-arbitre qui devient impossible contredisant la prescience de Dieu. Loin que la preuve ontologique puisse nous forcer à croire à l’existence de Dieu, du bien suprême, de la Vérité, c’est plutôt la contradiction de ces termes absolus qui doit imposer leur inexistence.
L’amour courtois est contemporain d’une réévaluation du rôle social de la femme dans le moyen âge et du culte de Marie. Dante identifie Béatrice à la Sophia, à la jouissance de Dieu ou à la foi. Les troubadours célébreront l’amour contrarié ou impossible, séparé de toute cohabitation, comme épreuve initiatique. L’objet est survalorisé mais au point que la femme réelle semble interchangeable. Préludant à la carte du tendre les thèmes de l’amour courtois vont du deuil de l’amour perdu aux étapes de l’amour (récompense, clémence, grâce, félicité) qui sont autant d’obstacles sur le chemin de son accomplissement. La femme y est cruelle, permettant à l’homme d’être privé de quelque chose, empêchant que le désir s’éteigne.
Descartes remarque que si on peut avoir de l’admiration et de l’estime sans le savoir, en revanche, l’amour est la prise de conscience de l’admiration et de l’estime. Le désir est vouloir, vers l’avenir. La passion y ajoute jugement et crainte avant même toute délibération (représentation) qui se traduit en joie ou tristesse. Les passions nous guident vers notre bien, elles renforcent ce qui est bon et l’amour est d’abord inclination, aller avec qui nous est agréable (aussi bien amour de concupiscence que de bienveillance) qui se divise en affection, amitié et dévotion.
Spinoza rejoint Augustin dans son amour intellectuel, connaissance du troisième genre, qui consiste à aimer en rapportant toute chose à sa cause et donc à Dieu. Rappelons que pour lui l’amour est défini une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure.
Helvétius et les libertins tenteront de réduire l’amour à l’amour-propre (avoir besoin de quelqu’un) et au plaisir dont la tyrannie inextinguible (jouis!) et la cruauté s’imposeront avec Sade comme l’envers de la loi morale (Kant).
L’amour romantique tentera une autre sorte d’amour de l’amour : à la fois amour-propre, pur narcissisme, et amour impossible, océanique, amour des causes perdues qui sombre dans la délectation morose du mal.
Hegel remplace plutôt l’amour par le besoin de reconnaissance et la synthèse des opposés. La lutte du Maître et de l’Esclave peut être transposée en lutte de l’aimé et de l’amant, le Maître étant ici celui qui assume le risque de la rupture, celui qui n’a pas besoin de l’autre. Sinon, pour Hegel, l'amour consiste moins dans le penchant ou inclination mais dans la décision d'aimer, d'instituer l'autre comme partenaire. La synthèse du couple, qui ne doit pas être sans garder la division sexuelle, ne s'incarne que dans l'enfant, en tiers, produit effectif de l'amour.
Schopenhauer pousse un peu loin le principe de raison suffisante qui alimente encore les délires scientistes ou raciaux en faisant de l’amour la force issue de l’espèce qui s’oppose à l’égoïsme de l’individu. Toute inclination tendre, quelques airs éthérés qu’elle affecte, plonge, en réalité, toutes ses racines dans l’instinct naturel des sexes61 En effet, ce qui est en question, ce n’est rien moins que la combinaison de la génération prochaine.62 Cette souveraine force qui attire exclusivement l’un vers l’autre deux individus de sexe différent, c’est la volonté de vivre manifeste dans toute l’espèce : elle cherche à se réaliser selon ses fins dans l’enfant qui doit naître d’eux.66 Ainsi donc il n’est point d’homme qui tout d’abord ne désire ardemment et ne préfère les plus belles créatures, parce qu’elles réalisent le type le plus pur de l’espèce71 Tout d’abord il faut considérer que l’homme est par nature porté à l’inconstance dans l’amour, la femme à la fidélité76 Lorsqu’une femme affirme qu’elle est éprise de l’esprit d’un homme, c’est une prétention vaine et ridicule83
Freud a ruiné l’hypocrisie bourgeoise plus que Nietzsche en dénonçant les perversions réelles sous les idéaux chrétiens de l’amour qui étaient encore largement indiscutés. L’identification de l’amour à la sexualité, jusqu’à l’enfant dans le complexe d’Oedipe, a d’abord plus choqué que l’hypothèse de l’inconscient qui traîne dans l’époque (de Marx aux scientistes). L’amour est désir sexuel, c’est-à-dire désir de l’Autre (et non pas instinct ou poussée vitale). L’amour primaire est celui de la Mère interdite (non interdite la mère ne serait pas objet de désir), objet perdu pour l’amour, qui, à se tourner vers le Père castrateur, ne se défait jamais de l’ambivalence amour-haine. Il n’est pas sûr que sa découverte considérable ait fait justice de tous les aspects de l’amour et son comportement de soumission par rapport à sa femme semble presque un mépris assumé pour une maladie nécessaire. On lui doit pourtant une mise en lumière décisive de ce que l’amour est d’une telle dépendance que le surmoi et le refoulement en sont les effets ordinaires par incorporation. En son fond l’amour est toujours narcissisme, entre l’hypnose et la foule, où l’identification à un moi idéal se règle sur un idéal du moi . Les souffrances que l’amour s’inflige, le deuil de son objet, montrent l’hésitation de l’identité entre introjection et projection, culpabilité et survalorisation. L’amour ne guérit pas, c’est, depuis Freud, la vérité qui souvent guérit de l’amour.
Georg Simmel distingue bien différents champs qu’il unifie dans le concept de Vie comme totalité impensable (confiance comme non savoir de l’autre, fonction du secret d’une part, et conflit comme structurant et socialisant d’autre part). Il distingue dans le mariage, comme prévoyance vitale qu’il dérive d’un esclavage primitif de la femme, les dimensions érotiques ou économiques, religieuses ou sociales, de pouvoir ou de développement individuel.35 Pour lui l’amour résulte du mariage54 On fait des sacrifices pour ce qu’on aime bien, mais inversement aussi on aime bien ce pour quoi on fait des sacrifices57 La femme engage son intériorité dans l’acte sexuel pourtant générique. L’essence de la femme vit bien plus sous le signe d’un tout ou rien, ses inclinations et ses activités sont mieux fondues, la totalité de son être se soulève plus facilement que chez l’homme à partir d’un seul point - affects, volition et pensées compris75. Interprétant l’Éros platonicien comme intermédiaire entre avoir et non-avoir, il définit la coquetterie comme jeux érotique entre avoir et non-avoir trouvant sa justification dans la jouissance féminine. Même le don de soi le plus total ne supprime pas chez la femme une ultime restriction de son âme... une ultime partie secrète de la personnalité... cet "à demi caché" de la femme, expression de sa relation la plus profonde à l’homme... Rien d’étonnant à ce que naisse en l’homme l’impression qu’on lui cache quelque chose, si le sentiment de ne pas posséder est interprété comme refus de donner.139
Denys de Rougemont Dans L’Amour et l’Occident interprète l’amour passion occidental, si différent de l’amour asiatique sexuel et social, à partir de Tristan et Iseult, comme phénomène religieux, influencé par le Catharisme, équivalent à une quête initiatique.
Alain identifie l’amour à l’ambition, tendance vers un idéal. La réalité de l’amour se réduit, pour lui, comme pour Stendhal, à l’échange de signes.
Ernst Bloch théoricien du sujet de l’action fait du désir, de l’espérance et de l’utopie le propre de l’homme et de sa praxis transformant le monde (ce qui est tordu veut être redressé, ce qui n’est qu’à moitié plein, comblé402)[un trou bouché!], et opposé à la consommation (Il y a assez de bonheur sur terre, mais pas pour moi : c’est la conclusion à laquelle aboutit le souhait lorsqu’il déambule47). La jeunesse se forme l’image idéale de son partenaire, son alter ego ; l’amoureux ressasse la dernière impression de l’être aimé comme promesse de retrouvailles. Mais "Il suffit que la femme désirée soit conquise pour que la marée de visions qu’elle avait soulevée, se retire.387" Le plus souvent, dès lors, "le métier donne du travail et des soucis, le ménage est source de contrariétés domestiques et on ne tarde pas à être la proie du cafard et de tout le reste. Hegel 388". "Il n’existe pour le mariage malheureux aucun remède si ce n’est l’acceptation de la banalité, la résignation à une existence d’ombre dans le monde insensible des limbes390". Pourtant "le mariage a aussi son utopie spécifique et son nmbe propre390" qui est la maison, la recherche d’un Foyer de l’identité avec soi-même, loin de toute passion. " La croissance silencieuse d’une confiance instinctive, les blessures et les victoires communes.391". Malgré cette issue possible "La résignation constitue la règle, le bonheur l’exception, plus encore le fruit du hasard.392 Le rêve peut devenir réel, mais il ne le reste pas éternellement.396"
Sartre renouvelle l’approche philosophique de l’amour en l’interprétant comme asservissement d’autrui pour me libérer de son emprise, de son regard (langage de la séduction, visant à faire éprouver, vol de pensée, sacré/magie, masochisme), récupération de mon être(-pour-autrui), de mon image, de sa liberté. L’autre étant le médiateur de notre objectivation, nous sommes toujours en conflit avec lui (enfer) pour récupérer notre liberté. La perversion consiste à prendre l’autre comme objet, en-soi (aliénation, mauvaise foi), et non pas comme liberté responsable (pour-soi). L’objectivation de l’homme (=sadisme) est perte du regard de l’Autre et de sa mise en cause du sujet où il se fonde comme inter-subjectivité (et comme Science alors que l’attitude désintéressée et objective du savant rend impossible la liberté, car non située).
Georges Bataille considère l’érotisme comme ce qui, dans la conscience de l’homme, met en lui l’être en question et relève ainsi du désir de retrouver la continuité perdue et donc la fascination de la mort. Mise à nu et, en un sens, mise à mort, "l’érotisme a pour fin d’atteindre l’être au plus intime, au point où le coeur manque", pour le faire accéder à cette "contemplation de l’être au sommet de l’être". L’érotisme en tant que transgression représente la part maudite, l’excès, la limite, l’attrait du mal, la mystique de l’unité hors discours.
Lévinas privilégie, dans l’amour conjugal, l’hospitalité du foyer qui n’est pas un rapport de dialogue, L’amour vise Autrui, il le vise dans sa faiblesse... Aimer c’est craindre pour autrui, porter secours à sa faiblesse286 Rien ne s’éloigne davantage de l’Éros que la possession... La volupté ne vise donc pas autrui, mais sa volupté, elle est volupté de la volupté, amour de l’amour de l’autre... Si aimer, c’est aimer l’amour que l’Aimée me porte, aimer est aussi s’aimer dans l’amour et retourner ainsi à soi298 Dans la paternité, le désir se maintenant comme désir inassouvissable - c’est-à-dire comme bonté - s’accomplit.305 Le fait psychologique de la felix culpa - le surplus qu’apporte la réconciliation, à cause de la rupture qu’elle intègre, renvoie donc à tout le mystère du temps.317
Les années soixante ont amplifié la tendance ancienne à libérer l’amour de toute convention sociale. Mais, l’amour libre c’est, paradoxalement, la prétention de fonder toute cohabitation sur l’amour, sur le sentiment, qui se substitue au contrat et à l’intérêt, avec les conséquences catastrophiques qu’on sait car le mariage ne peut pas être fondé uniquement sur l’amour. Cette libération a été exprimée conjointement par les féministes et la "gay pride". Le féminisme reflète effectivement le détachement de la naturalité, et comme tel s’identifie bien à la lutte homosexuelle, mettant la liberté plus haut que toute essence assignée. Ce ne peut être pourtant une stricte égalité des sexes, une égalisation des rôles car si la cohabitation de semblables est sans doute préférable, la passion se fonde sur la différence. Cette différenciation des rôles se trouvera encore dans tous les couples mais sans plus être imposée par l’état civil.
Lacan a été le plus loin en énonçant qu’"il n’y a pas de rapport sexuel". Certes L’amour est ce qui supplée au rapport sexuel qui cesse de ne pas s’écrire mais il reste contingence (rencontre). On ne peut s’en satisfaire, parler d’amour est en soi une jouissance mais on ne peut parler de l’amour qu’à partir du non-savoir (Socrate, Ruth). En effet, l’amour c’est donner ce qu’on n’a pas (je te demande de refuser ce que je t’offre car ce n’est pas ça), désir de désir, ce qui compte dans l’amour c’est le signe. Dans le transfert, l’amour se dévoile comme séduction du sujet-supposé-savoir (comme chez Sartre l’amour est tentative de maîtrise de son image pour l’Autre). Le couple est pensé comme symptôme (non pas rapport à l’autre mais au Phallus) où dominent, comme ailleurs, jalouissance et hainamoration. Dans sa critique de la pastorale analytique d’un stade génital oblatif où le sujet pourrait être comblé, il montre que l’objet électif (tentative de retrouver l’objet perdu) est toujours partiel. Il n’y a pas d’objet génital totalisant (L’acte d’amour c’est la perversion polymorphe du mâle). L’amour c’est réduire l’autre sujet à un objet survalorisé et, par là, soi-même à un objet aussi valorisé et narcissique. Pour Lacan la fin de l’analyse, comme reconnaissance de la castration se réduit à l’abandon du bien suprême, du Phallus, au profit des objets partiels de la jouissance par quoi seulement l’autre peut être abordé. L’interdiction de l’inceste (du bien suprême) est la condition de la parole. Lacan partagera dans ses Quantiques de l’amour la position de chaque sexe par rapport à la castration. De là viendront bien des confusions sur le concept de pas-tout appliqué aux femmes et qu’il faudrait sans doute appeler plutôt plus-que-tout, où se reconnaîtrait le cri de l’amour (encore!) rejoignant les élans Mystiques.
La jouissance qu’on a d’une femme la divise, lui faisant de sa solitude partenaire, tandis que l’union reste au seuil. Car à quoi l’homme s’avouerait-il servir de mieux pour la femme dont il veut jouir, qu’à lui rendre cette jouissance sienne qui ne la fait pas toute à lui : d’en elle la re-susciter.23
Qu’une femme ici ne serve à l’homme qu’à ce qu’il cesse d’en aimer une autre ; que de n’y pas parvenir soit de lui contre elle retenu, alors que c’est bien d’y réussir qu’elle le rate,
- que le maladroit, le même s’imagine que d’en avoir deux la fait toute,
- que la femme dans le peuple soit la bourgeoise, qu’ailleurs l’homme veuille qu’elle ne sache rien.25 Lacan L’étourdit
C’est d’où une femme, - puisque de plus qu’une on ne peut parler - une femme ne rencontre L’homme que dans la psychose... Ainsi l’universel de ce qu’elles désirent est de la folie : toutes les femmes sont folles, qu’on dit. C’est même pourquoi elles ne sont pas toutes, c’est-à-dire pas folles-du-tout, arrangeantes plutôt : au point qu’il n’y a pas de limites aux concessions que chacune fait pour un homme : de son corps, de son âme, de ses biens. N’en pouvant mais pour ses fantasmes dont il est moins facile de répondre. Elle se prête plutôt à la perversion que je tiens pour celle de L’homme. Ce qui la conduit à la mascarade qu’on sait, et qui n’est pas le mensonge que des ingrats, de coller à L’homme, lui imputent. Plutôt l’à-tout-hasard de se préparer pour que le fantasme de L’homme en elle trouve son heure de vérité. 63-64 Lacan Télévision
Aspirez aux dons les plus hauts. Et je vais vous montrer une voie qui les surpasse encore toutes.
Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas d’amour, je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas d’amour, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas d’amour, cela ne me sert à rien.
L’amour supporte tout ; l’amour est serviable ; il n’est pas envieux ; l’amour ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; il ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.
L’amour ne passera jamais.
Paul. Première épître aux Corinthiens 13
D’où les reproches dont on a parlé : l’un croit en effet qu’on lui doit beaucoup parce qu’il a rendu de grands services et qu’il a agi sur les instances d’autrui ; ou bien il allègue encore d’autres motifs en ne considérant que l’utilité du service rendu, sans penser au peu qu’il lui en a coûté. L’autre au contraire insiste sur ce que le service a coûté au bienfaiteur, et non sur le profit qu’il en a lui-même retiré. Parfois, c’est le bénéficiaire qui renverse les rôles : il évoque le chétif profit qu’il a lui-même obtenu, tandis que le bienfaiteur met l’accent sur ce qui lui en a coûté.174
Aristote. Éthique à Eudème
Précédent (Politiques) |
|