Critique de l'idéologie lacanienne
Suite à la reconnaissance de l'apport de Lacan
et à la reconstruction des concepts de la psychanalyse dans une
Critique de l'idéologie psychanalytique,
j'ai montré le lien de Psychanalyse et Capitalisme,
de l'idéologie individualiste avec le salariat, du moi-idéal
refoulant le collectif et centré sur le souvenir-écran du
Père (dont j'ai fait la généalogie).
Il s'agit, ici, de synthétiser les points où je m'oppose
radicalement aux lacaniens.
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Pour toute psychanalyse, l'acte est considéré uniquement
comme répétition, réminiscence (Platon) ignorant le
plaisir de l'action et de la réussite (Aristote). Toute finalité
est ramenée au désir comme désir de désir,
et le Réel à l'échec de la répétition,
la non-coïncidence, refoulant tout projet collectif. La Psychanalyse
s'avoue ainsi comme thérapie du salariat (ce qui ne
la réfute pas, mais la spécifie) et participe à l'idéologie
individualiste du moi autonome en construisant le mythe d'une histoire
individuelle (passé) recouvrant notre véritable histoire
collective (avenir). Toute intentionalité est bien déjà
souvenir, mais les possibilités sont réelles, sociales, et
l'avenir est incertain. Sous ce péché originel, la psychanalyse
ne peut être révolutionnaire : on ne peut qu'accepter son
histoire passée, sa propre contingence. Elle subvertit pourtant,
par sa méthode même de l'association libre, toute norme
sociale et tout objectivisme. Une analyse révolutionnaire doit
redonner au sujet sa dimension sociale et historique en préservant
les différents niveaux, les rapports sociaux, les structures, la
situation (la demande) mais en privilégiant les ruptures, l'expression
du négatif jusqu'à la "négation de la séparation"
pour retrouver la totalité du sens de son inscription individuelle
dans l'histoire collective. C'est l'ouverture à l'authenticité
de l'action politique, de la conscience de soi comme moment historique
où chacun a sa place et affirmation de notre liberté responsable
et solidaire qui dépend de tous.
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C'est bien d'ailleurs le sens positif de l'intervention lacanienne, d'ouvrir
ce fantasme des origines à l'extériorité, au
social sous la forme de l'imaginaire des corps puis du "Discours de l'Autre",
du symbolique comme discours social constituant du sujet. Dans sa réfutation
du biologisme de Freud, et du silence des instincts, il se laissera entraîner
pourtant à la négation du corps biologique, sous prétexte
de reconnaître les corps imaginaires et symboliques. La reconnaissance
de l'inconscient comme "Discours de l'Autre" établissait la fonction
sociale du langage mais la pure logique signifiante (homophonie et métaphore)
renforce le fantasme de sa toute-puissance en ignorant son support corporel
(voir Pourquoi les drogues ?) et la
singularité du corps va resurgir dans la réduction de cette
causalité sociale à un Père symbolique mais
qui reste singulier, origine individuelle, alors même qu'il est détaché
du Père réel du corps.
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Ce qui s'annonçait donc comme critique sociale au nom de ce "discours
de l'Autre", va retourner à l'origine singulière de la Loi
du Père qui se substitue à la Loi sociale. Le Nom-du-Père
lacanien comme mythe, comme structure, comme sinthome déconstruit
la figure initiale du Père oedipien mais en renforce la mythologie
originelle en refoulant son origine sociale sous la figure d'un Père
symbolique mais contingent. Le Père dont nous héritons notre
nom, représente toute notre singularité dans ce qui échappe
au social, c'est-à-dire pas grand chose, une singularité
vide, une place symbolique. Notre Père et notre histoire singulières
ont bien sûr toute leur importance dans notre héritage, dans
l'apprentissage de la langue qui fait de nous des êtres parlants
et dans notre lien aux autres, mais la langue est commune, la parole universelle,
l'histoire reconstruite et il n'y a pas de filiation véritable qui
ne soit multiple, "il y a toujours plus d'un père" (Derrida).
Ce qui pose problème c'est bien cet Un-Père, c'est l'histoire
qu'on se raconte avec cette origine sociale simplificatrice. Le Père
comme toute idéologie fonctionne comme souvenir-écran, mot-valise,
fantasme des origines, dogme et une image pieuse refoulant la présence
de l'énonciation séductrice, et sa vérité inachevée
qui vient de l'avenir, derrière un sens constitué, normatif
et objectivant (signification du phallus). La fonction idéologique
du Père est plus fondamentalement celle d'une individualisation
minorisante, de l'interdit sur la totalité de nos
sociétés de marché et de l'infantilisme salarial.
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La théorie des Noeuds (RSI), qui a une base réelle
indispensable mais assez mince, comme la linguistique, confirme bien cette
pente de la psychanalyse à refouler le social sous le singulier
(bien que Lacan ait avoué tardivement "Il faut quand même
être sensé, et s'apercevoir que la névrose tient aux
relations sociales 17/05/77"). La construction
du Père va se solidifier encore dans la théorie du sinthome
comme noeud à 4. La critique initiale du moi-autonome
se retourne dans une personnalité qui n'est plus une métonymie
du désir, mais une singularité consistante et isolée
dans sa particularité. Bien sûr, ce Père, il s'agit
de s'en passer, ce noeud, de le réduire, mais le noeud à
3 apparaît bien mythique, tout au plus moment de vérité
qui se fige à peine prononcé, où l'acte d'énonciation
apparaît en même temps que l'énoncé. Cette promotion
de l'individu singulier comme sinthome se combine bien avec la promotion
du féminin comme véritable interdit sur la totalité
censé nous sauver du Père alors qu'il en provient. Chacun
a son grain de folie, fort bien, cela n'empêche pas que le langage
soit commun et l'histoire collective.
Ces critiques, qui sont fondamentales, ne vont pas à rejeter
toute la psychanalyse mais visent à sa critique idéologique
et à sa réorientation. Reste, en effet, l'association
libre, la critique de la psychothérapie et de l'hypnose, la
lecture hégélienne de Freud (le désir de désir)
ainsi que de la Cure ; l'objectivation phallique, la liaison de la jouissance
à la Loi, comme de la culpabilité au Surmoi, la fonction
du langage, etc. Ces temps d'obscurantisme moyenâgeux ne sont pas
favorables encore à une analyse révolutionnaire, analyse
de la demande et du Transfert dont la pratique ne diffère pas de
la technique de l'association libre sinon dans son objet (l'énonciation)
et dans sa fin (de la demande) qui est expression du négatif
jusqu'à la négation de la séparation.
28/07/99
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