Ces lignes écrites
à l'époque du national-socialisme par "l'École
de Francfort", nous rappellent, à l'époque du procès
Papon, notre devoir de résistance contre cette violence administrative,
propre et froide, qui règne encore partout. La violence n'est pas
toujours visible et, autant une mise en lumière d'une misère
profonde peut révolter tout un peuple, autant les violences les
plus quotidiennes peuvent continuer à être ignorées
sil elles ne sont pas montrées. Il y a, cependant, une violence
réelle de la misère, du chômage et de l'injustice,
comme il y a une violence des pollutions qu'on nous impose. Si cette violence
n'est pas considérée, ce qui est le lot commun, elle finit
toujours par se déchaîner (terrorisme, insécurité,
guerre). Ceux qui prétendent stupidement que le nazisme est une
réponse au communisme oublient que le communisme est lui-même
une réponse à la misère du capitalisme ; le fait premier
ici était bien la présence de millions de chômeurs,
une société déstructurée et les anciens savaient
déjà que c'est le germe des tyrannies. Une classe politique
de technocrates impuissants a été remplacée par les
politiques volontaristes de 1936, du New Deal ou bien de Hitler, jusqu'à
la guerre hélas. Nous en sommes encore, en ce début de 1998,
au chômage de masse. Si guerres et révolutions sont considérés
par tous comme de grandes catastrophes, elles ont commencé longtemps
avant : dans un mépris trop longtemps toléré, elles
ont commencé maintenant. Devant les violences des banlieues, il
doit bien y avoir, comme dans l'Allemagne nazie, de bonnes mères
de famille et de gentils retraités qui voudraient simplement vivre
tranquilles et protéger leurs enfants. Pas méchants pour
un sou, mais prêts à se résoudre à la suppression
des SDF, des fous, des étrangers, des drogués, des chômeurs...
Cette politique barbare dévore même ceux qui la servent, à
vouloir obstinément ignorer les causes courir en vain après
leurs conséquences foisonnantes. Et la force n'est jamais assez
forte contre la misère qui monte.
Faux droits : Police partout, justice nulle part
Il ne faut pas croire le discours officiel qui assure que tout est fait
pour notre bien, qu'il suffit de suivre le droit chemin. Le Droit n'est
pas encore réalisé mais seulement sa fiction. Il y a bien
une justice de classe, c'est-à-dire un manquement à la justice.
Ainsi, la fausse égalité entre Patron et ouvrier, justifie
la fiction d'un contrat de travail "égalitaire", condition de sa
validité. Depuis le Contrat social de Rousseau, en effet,
c'est la forme égalitaire qui justifie la validité du droit,
et non pas un contenu théologique. Mais ce droit reste tout théorique,
comme le "droit au travail" inscrit dans la constitution et réclamé
aujourd'hui par les chômeurs... Tout le monde sait bien qu'il n'y
a pas de justice, on ne peut faire respecter ses droits si on n'a pas d'argent,
à moins d'une détermination extrême. On sait comme
les plus grands bandits se défendent avec des armées d'avocats,
comme les plus riches échappent à l'impôt. Enfin, cette
justice, essentiellement commerciale, ne reconnaît que les écrits.
Celui qui fait confiance à la parole ne peut faire valoir ses droits,
on l'en accable par-dessus le marché car il ne s'est pas conformé
au Droit. Il reste donc une justice à faire soi-même. Améliorer
le droit n'est cependant pas le supprimer. L'idée d'une justice
de classe ne permet certes pas n'importe quoi et ne saurait justifier aucune
injustice puisqu'elle doit se vouloir plus juste. Mais c'est l'injustice
qui produit d'abord la violence du refus. Pour Aristote les passions sont
produites par une inégalité, une injustice, qu'elles essaient
de rétablir en juste égalité (La rhétorique
des passions). Pour Hobbes, au fondement du politique, il y a la possibilité
pour tout homme de tuer tout autre homme. En tout cas, la violence est
souvent nécessaire pour se manifester et défendre ses droits.
Le sous-commandant Marcos maintient la violence au minimum mais il lui
faut montrer le fusil pour obtenir la préservation des populations
indiennes. Pour Sorel la violence, qui signifie simplement violation de
la loi et non pas brutalité, est l'expression du peuple dominé,
la manifestation de son existence comme résistance à l'ordre
qu'on lui impose. Mais il faut laisser parler les hommes et non pas les
armes ; laisser la force à la justice, à la parole universelle,
et non pas à la menace. C'est pour cela que la grève est
la véritable violence du travailleur. Le chômeur doit choisir
une autre violence, tout comme les paysans ; ainsi la violence des banlieues
est là pour rappeler à une calme opulence l'encombrante existence
des délaissés de tous. Sinon qui s'en soucie ? mais ni terrorisme,
ni violences ne se justifient lorsqu'existe un mouvement de masse.
Violence et non-violence
Il faut donc faire reconnaître ses droits. Puisque les violences subies par une part de plus en plus grande du peuple sont trop bien supportées par les privilégiés, il faut bien que la violence s'attaque à leur hautaine sécurité. Même Kant reconnaît qu'il vaut mieux donner une bonne raclée à ceux qui abusent de notre patience. Bien sûr, lorsque la non-violence est une action efficace, elle vaut beaucoup mieux que toute violence. Par contre, la "non-violence" qui est simple passivité et soumission au groupe n'est qu'un soutien de sa violence répressive. La violence de la révolte doit rétablir l'égalité et l'absence de violence. Elle doit se résoudre en contrat équitable sans jamais céder à la fascination de la force. Ce n'est guère facile. Lorsque la violence est celle d'un mouvement social, elle devrait aussi se limiter aux cibles symboliques et spectaculaires, car il s'agit de manifester sa colère, de mimer la violence plus que de la déchaîner en vain. Surtout, presque jamais le peuple n'a intérêt à prendre les armes. A ce jeu, il risque d'être facilement écrasé alors qu'un seul mort pacifique peut lui donner la victoire politique. Et laisser parler les armes, c'est prendre le risque de laisser confisquer toute parole pour longtemps. Il faut que ce soient les coordinations de citoyens qui s'expriment et non les chefs de guerre. Que le peuple fasse parler les armes, et les armes finiront par se retourner contre lui. La force du peuple est dans sa solidarité et dans le nombre. Vouloir changer de terrain, c'est s'assurer d'une défaite certaine, un carnage...
On ne peut pas laisser faire n'importe quoi et, certes, la vie a toujours un prix qui laisse peser une menace de mort sur celui qui nous la rend indigne, il y a des bornes à ne pas dépasser. Une certaine dose de violence est souvent nécessaire pour ne pas laisser croire à notre servilité, pour donner du poids à nos paroles. Mais elle doit être retenue pour invoquer la justice, tenir compte de l'autre. Tous les mouvements qui s'enferment dans la violence deviennent rapidement mafieux. Il faut donc montrer nos armes (nous ne nous livrerons pas sans résister) mais combattre par la raison tant que nous le pouvons.
Question Feuille Verte No 5 |