4. La signifiance du sexe
Le corps de la psychanalyse
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La science de la vérité
Qu'est-ce que la psychanalyse?
- C'est une méthode de traitement des névroses si
elle préserve la vérité du symptôme et non si
elle prétendait guérir de l'impossible ou pacifier le sujet,
l'adapter au bonheur. C'est bien plutôt la nécessité
de reconstruire ses identifications, ses repères, sa responsabilité
et par sa formulation, du privé au public de la science, questionner
l'universel de notre expérience singulière.
- C'est une méthode d'accès à l'inconscient,
incontestablement sa réussite, mais pas tout à fait comme
on se l'imagine : on peut y apprendre à répondre de soi mais
pas du tout si on entretient l'espoir que ce serait, à refaire toute
l'histoire, y rencontrer sa vraie vérité, savoir et s'y soumettre.
On ne rencontre pas sa vérité, la vérité est
dans la rencontre. Il ne s'agit pas tant de ce qu'on est (pour qui?) mais
de faire face. Ce n'est pas tant l'ignorance qui nous ravage mais des savoirs
déplacés, en trop, théories infantiles dont il faut
souvent rejouer le drame originel pour seulement apercevoir la question
trop hâtivement résolue. Ce n'est pas un rite de passage,
de purification, ça l'est mais ça ne doit pas l'être.
C'est un apprentissage sans fin et qui ne devrait pas durer trop longtemps.
Ce n'est pas compléter sa propre histoire mais plutôt analyser
cette demande pour ne plus être, en fin de compte, qu'analyse des
raisons de l'analyse en l'expulsant de sa place, passage à l'acte.
- C'est une théorie de l'appareil psychique enfin mais
qui engage celui qui la formule et s'y représente, au coeur des
affrontements du temps, du destin de la science, d'une vérité
limitée par son énonciation, ne pouvant se réduire
à quelques recettes, quelques mythes de laboratoire ni à
aucun progrès irréversible. C'est une prise de parti sur
la cause du désir qui implique l'engagement de la responsabilité
du sujet et une causalité déconnectée de tout biologisme,
réduit à se plier au symptôme. C'est l'introduction
de la vérité du sujet dans la science, incompatible avec
toute indifférence en matière de politique mais constituant
la solidarité du discours (et en premier celui de la science justement)
sur cette universelle singularité. Freud ne le savait pas, il croyait
à un savoir objectif, à la neurologie d'abord ne l'abandonnant
qu'à regrets mais s'appuyant ensuite sur le Darwinisme, il croyait
renouer avec le biologique par le biais de l'instinct divisant le réel
en production de marchandises d'un côté sensées se
réduire à l'instinct de conservation de l'individu (la faim!)
et la reproduction de l'autre sensée provenir de l'instinct sexuel
de conservation de l'espèce. Freud (comme Schopenhaeur) a toujours
refusé d'envisager qu'il y ait dans le langage, les idées,
un monde d'un autre ordre que le monde biologique, n'observant même
pas de changement de niveau entre les deux domaines mis simplement en continuité.
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Biologismes
Ce que Freud découvre, Lacan le fonde. Freud fait le compte
rendu de l'expérience qu'il a initiée, ses hypothèses
se veulent d'abord descriptives, soucieuses des faits qu'il rencontre.
Lacan prétend en établir la logique en prenant parti, décisif,
sur les points les plus centraux de la théorie en particulier la
sexualité. L'instinctuel semblait, donc, prendre le relais de la
causalité neurologique comme lien au biologique et le joyeux scandale
du sexe était brandi en défi aux prétentions de l'esprit,
rendu crânement au simple épiphénomène bien
qu'on ne le quitte pas d'un pas pour que s'en élabore la réfutation
(si l'inconscient ne connaît pas le principe de contradiction, c'est
qu'il parle à plusieurs voix et au contraire du rêve une théorie
même stupide et contradictoire ne se fonde qu'en logique). Lacan
pourtant donne le sens de la découverte freudienne, sa logique (la
signification du phallus: la castration comme transgression, interdit de
la jouissance) réduisant le sexuel au ratage du non rapport , il
nous faut donner sens à la rupture qu'il opère, au parti
pris et à ce qu'il engage malgré lui. Le renversement du
biologisme, sous la bannière de la linguistique (par cette simple
remarque "révolutionnaire" qu'il ne s'agit dans l'analyse que de
paroles!), s'y est produit après une guerre pitoyable menée
au nom du biologique de la race. La mise en cause impliquait d'évidence
tout le discours de la science à l'âge atomique, de la physique
quantique à la médecine, la position du sujet de la science
face à ses productions. On peut prétendre qu'il ne s'agissait
pas de ces causes sociales ou métaphysiques (réflexives plutôt,
après coup), qu'il n'y avait là rien d'autre qu'une élaboration
scientifique guidée par son objet, qu'il ne faut surtout pas se
risquer à penser (et surtout pas à partir de l'ignorance
elle-même) mais se plier sans rien dire aux injonctions des gènes
(Ordonne führer, nous t'obéirons!). Après le premier
geste de découragement et de dégoût devant les massacres
insensés de ce siècle, qui vaut pour le millénaire,
il se pourrait que se fasse jour une exigence nouvelle, celle de ne plus
être complice du pouvoir au nom de la science, avec cette terrible
expérience que la neutralité scientifique ne suffit pas du
tout mais participe de l'ignoble, il faut y prendre parti quand elle nous
implique, il y a la limite. Prenant en charge ce sujet de la science, la
psychanalyse, ou sa version surréaliste, ne semble pas vraiment
avoir desservi les nazis ; au contraire par la promotion de l'inconscient
et des mythes sexuels elle participait vaguement à l'entreprise
d'obscurantisme et de décervelage méthodiquement appliquée.
Nous devons y être plus vigilant, plus incisif, plus ferme. Aujourd'hui
qu'on nous ressert des biologismes plus ou moins "socio", il convient de
tirer au clair la confusion sexuelle qui s'étale partout.
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Vies
On s'émerveille à trouver chez les têtards même
quelque signe altruiste, découvrant tout à coup, mystère
égal à celui de la gravitation, que la vie n'est pas seulement
la lutte pour sa propre survie, pour la reproduction de soi. C'est pourtant
que le soi du têtard manque, à ce niveau d'être singulier
où nous le situons. Un corps, surtout sexué, n'existe pas
que pour soi, il se reproduit. Dès que la reproduction implique
la différence sexuelle, il devient bien clair que ce n'est pas l'individu
qui se reproduit, ni l'un, ni l'autre, mais l'espèce. Le seul critère
non idéologique de l'espèce est la reproduction. La sexualité
implique bien évidemment que l'être ne coïncide pas avec
l'individu mais se situe hors de lui dans une unité qui le dépasse,
celle de l'espèce (l'inné), comme l'apprentissage ou la perception,
sur un autre plan, ouvrent le sujet au monde, en lui et pourtant hors de
lui, hors de la causalité neurologique. La primauté supposée
du perceptum ne peut effacer l'évidence qu'il s'agit de prévoir
le réel au-delà de son immédiateté et d'en
intégrer les lois pour y répondre efficacement, intérioriser
l'extérieur (le souci du monde). Il y a à la fois séparation
et unité indissoluble de la vie et de son milieu. La nécessité
qui s'exprime dans la reproduction sexuée, nécessité
d'adaptabilité aveugle, de sélections imprévisibles
imposées au long de sa formation, est une condition suffisante pour
en fonder l'existence, condition à laquelle il faut bien sûr
absolument satisfaire, pression du milieu extérieur, son reflet.
La membrane de la cellule n'isole pas seulement l'intériorité
en retranchant son unité vivante de l'immédiateté
du réel, elle assure aussi bien la régulation de l'échange
avec le milieu dont elle procède, il n'y a pas l'Un sans l'Autre,
le rapport à l'Autre, l'inconnaissable comme tel, ne peut se réduire
à moins qu'au couple stimulus-réponse. La sexualité
biologique est bien plus encore ouverture à l'Autre, incomplétude
de l'Un, c'est la stratégie impliquée par le réel
de la vie, sa diversité, ses hasards, confrontation de l'un (reproductible)
à l'Autre absolu, au réel imprévisible d'un milieu
en évolution : il faut s'attendre à tout et tant que tout
n'est pas arrivé, on ne peut savoir ce qu'il en reste. L'homme,
universel déjà en ce qu'il adapte le milieu plutôt
que de s'y adapter, y garde le privilège d'une sexualité
constante, ontologique quand l'animal n'en connaît d'ordinaire que
la saison, la fondation d'une relation durable sur le sexe a pu favoriser
l'apparition du langage en allongeant l'éducation et en offrant
support à l'identification de l'Autre au sexe, à moins que
ce ne soit qu'effet du langage d'en exacerber l'insistance.
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Langages
On ne peut s'arrêter à la reproduction de l'espèce
puisque l'espèce, elle-même, se définit de sa variabilité
sexuelle. Ce qui se reproduit, en fin de compte, ce n'est que la vie elle-même,
c'est-à-dire la reproduction dont le concept est inséparable
du langage qui le conçoit et informe le réel des phénomènes
dont il parle. Il n'y a pas de métalangage, on ne peut penser hors
d'un langage. L'existence de stabilités structurelles, décrites
par la théorie des catastrophes comme systèmes de régulation,
prégnances, attracteurs, dépend d'une saisie formelle, c'est-à-dire
extérieure du réel en cause. Il ne semble pas possible, depuis
la théorie quantique, d'accéder à un autre mode de
connaissance du réel que statistique. C'est-à-dire qu'on
a affaire à une élaboration de savoir, une structure formelle
établie à partir d'une expérience du réel,
pas à pas et après coup des hésitations du sujet mais
dans la dépendance de son regard, réponse, effet en retour
de son intervention. Impossible de s'abstraire du sujet de l'énonciation
dans l'objet de l'énoncé. Ce qui apparaît du phénomène
n'est pas transparence du réel mais constitution de la réalité
dans un langage, confronté à l'expérience historique,
à la mémoire, la réflexion, la trace, l'écriture.
La synchronie est un coup de force prématuré et délirant
sur l'opacité d'un devenir qui ne s'inscrit comme histoire diachronique
qu'à s'inscrire d'abord dans cette autre dimension temporelle, celle
d'un langage. On n'a jamais affaire au langage comme tel, mais à
un langage particulier qui nous détermine de sa finitude même.
N'étant qu'un langage parmi d'autres, il exprime une structure plus
large dont la vie participe pleinement puisque le langage permet d'accéder
à la vérité du biologique, de la reproduction, mais
en se détachant de ses déterminations naturelles (la liberté
ou la mort). Ce n'est plus la même dimension de l'être, celle
de l'universel, de l'utopie, où la sexualité est plus essentiellement
(non)rapport de l'Un à l'Autre, de l'homme et d'une femme, de la
demande et de la réponse, de l'identité et de la reconnaissance,
de l'amour et de la loi, de la rencontre et du contrat.
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Désirs
Pour que le langage existe, qu'il s'incarne, il faut des corps. Pour
que les corps durent, ils se reproduisent et reproduisent le langage. Mais
l'un et l'autre ne se nouent pas naturellement l'Un à l'Autre, l'être
effectif du corps ne se noue à l'Un du langage que par la réflexion,
par son image extérieure, pour l'Autre. L'urgence du corps, l'imaginaire,
est ce qui arrête la question du sens de ce qu'on est pour l'Autre,
renvoyé de question en question. Le corps est le lieu du sujet,
le support de sa supposition, en situation. Le rêve ou le fantasme
relèvent de la mise en scène des corps. C'est là que
la signification du phallus se met en scène dans le mythe oedipien
où le désir partage les rôles pour parer à la
certitude imaginaire de son objet. La sexualité (universelle) ne
s'y distingue pas de l'amour (singulier) par la théâtralité
des acteurs, au contraire il s'agit plus encore de représentation,
puisqu'elle s'y accentue par la figuration corporelle du désir de
l'autre qui prend appui sur la réciprocité des deux sexes
dans le malentendu, l'abandon des corps dans une confiance interdite, sans
mots ou presque mais au nom de l'amour toujours alors qu'il ne s'agit jamais
que d'y bien tenir son rôle, d'y être crédible et d'y
croire, le désir devenu désirable (à la fois désir
immédiat, inconditionnel, pour soi et désir pour l'autre,
réponse à son désir, oblativité!) ce qui n'est
pas pour faciliter d'y satisfaire à cette double contrainte si l'interdit
n'en simplifiait l'accès en lui substituant une barrière
fictive. Qu'en faire? C'est du ratage du sens (signification du désir)
que l'imaginaire du sexe s'impose au corps réel, séparation
ou réparation narcissique (négation de la négation,
transgression) il est du registre du sacré, de la représentation
symbolique d'une réponse qui reste hors d'atteinte et n'en résout
pas la contradiction mais la rejoue au mieux comme comédie qui n'est
jamais sans suite pourtant mais décide de l'avenir car il n'y a
pas d'autre lieu que le lieu. Le biologique n'y a place que d'y satisfaire
à la reproduction suffisamment pour que la contrainte s'y épuise
tout à fait jusqu'à nouvel ordre, nous avons d'autres soucis.
Pour le reste, l'utilisation de l'énergie sexuelle et du plaisir
d'organe supposés au biologique ne s'y fait déjà qu'en
les détournant de leur destination première. La sexualité
de l'être parlant prend le corps comme objet, pour l'Autre.
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Drogues
Quant à l'autre biologisme, celui du cerveau qui voudrait réduire
tout sens à la chimie alors qu'elle ne peut faire plus que le parasiter,
en tempérer ou troubler les effets, il dénie l'appareil langagier
qui permet d'y opérer et, s'il peut rendre compte du fonctionnement
de l'ordinateur biologique, il ne peut appréhender son contenu,
sa programmation, sa grammaire, les règles acquises du langage,
d'un ordre extérieur qui le traverse, le dépasse, le détermine
et s'impose à lui par apprentissage. Les questions qui travaillent
le discours social ne se traitent pas chimiquement mais selon leur logique
propre. D'un autre côté, l'utilisation de la chimie du cerveau
dans le détachement du corps, des identifications, de la maîtrise,
du milieu enfin, représente, comme la sexualité, un retour
du sens sur le biologique où ce n'est plus l'effectivité
de la reproduction des corps qui s'incarne dans le discours mais la liberté
de l'Un, reproduction de l'esprit comme liberté, négativité
qui joue de sa substance pensante qu'il dénature, pari sur l'universel,
discours de l'Autre (moi=non moi). Dans la drogue, ce n'est pas l'image
du corps qui compte vraiment, mais la suggestion inactuelle des sens, la
surprise ou l'excuse qui libère la parole de la nécessité
d'en rendre compte, ouverture à un autre discours en même
temps qu'excitation du corps. Acte de liberté de l'esprit qui traite
du corps sans ménagements (sans quoi pas de contrat qui vaille).
C'est une fuite aussi, un refuge qui isole des sens devant l'agression
d'un réel insupportable, objection de conscience à une responsabilité
impossible. C'est un outil, une arme ou un masque, et attaché à
un peuple plus que sa religion (on tue encore en son nom, l'hérésie
coûte cher). Vin de la fraternité sans quoi rien ne serait
possible, il faut s'abaisser pour se savoir frères (il est des
nôtres!). Rien à voir, donc, avec un quelconque rétablissement
de l'équilibre, un nirvana biologique : c'est le discours qui s'alimente
d'une séparation du corps et se mesure à ses dérèglements,
conséquence de la constitution du sujet en pur effet de sens : Je
est un Autre.
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