Parler implique l'inconscient, soit du savoir non reconnu mais qui n'est pas sans effets pour celui qui en est sujet. Il n'y a pas de méta-langage, de lieu tiers pour en rendre compte totalement, ni de co-naissance, mais seulement une lecture pas à pas de ce qui s'en écrit, où nous sommes partie prenante, parlêtre impliqué par le désir dans son histoire, savoir impossible du sexe, du désir de l'Autre. Tout pouvoir dément une vérité immaîtrisable qui n'appartient à personne, ni à aucune Lacannaillerie, mais dépend de chacun et disparaît derrière les effets de prestance.
Une cause infinie (Cause Toujours)
L'héritage de Freud et de Lacan nous somme d'interroger le symptôme, de prendre en charge cette exigence de vérité, d'en renouveler le tranchant. C'est à cette condition seulement que l'analyse a une chance de répondre à son devoir dans ce monde, à son action libératrice, à son écoute singulière, sans rabattre l'expérience sur un idéal normatif, une promotion sélective ni se contenter de soucis professionnels et techniques d'efficacité ou de marché. La place de la psychanalyse dans la culture contemporaine nous rend comptables de ce qui se dit et se fait en son nom, de son usurpation par les pouvoirs confortés de l'insuffisance de notre critique.
L'urgence du moment (Mouvement en acte)
L'échec répété des institutions à se préserver de la sclérose du pouvoir et de la suffisance, tout occupées à leurs reproductions, nous engage à renouveler encore la tentative d'en contrer les effets imaginaires, que le travail qui s'y poursuit ne soit pas réduit à un faire valoir ou à l'échange de bons procédés en redonnant à la parole sa fonction d'élaboration et de dialogue, de nouveauté et de coupure.
Une vérité d'expérience : La psychanalyse est une pratique du discours réel. Elle ne procède pas à une reconstruction a priori de la réalité mais doit rendre compte des faits réellement rencontrés. Le cadre de l'expérience est l'association libre où l'inconscient est mis en acte dans le transfert. Cette communauté d'expérience fonde notre rapport à la science et constitue notre responsabilité, notre lien au groupe et à la vérité qu'y s'y joue.
Parler implique l'inconscient : c'est bien là que Lacan voyait son apport essentiel. Non seulement la grammaire et la logique nous imposent leurs lois, mais les paroles nous sont imposées, nous sommes sujets, du langage comme du désir, de l'économie et du fantasme. L'inconscient Freudien, le ça, c'est le discours de l'Autre, c'est à dire non pas ce que Je sais mais ce qui se lit, ce qui s'écrit de mes actes malgré moi, le poids de ma trace, l'après coup détaché de l'intention du sujet avec la prétention d'en être la vérité, significations que le sujet doit affronter (là où c'était je dois advenir), corriger, contredire mais qu'il refoule, dément, rejette au nom du père, des identifications, d'une jouissance idéale aussi nécessaire qu'impossible. Mais ce savoir non reconnu n'est pas sans effets pour celui qui en est sujet : inhibition, symptôme, angoisse. Il y a pourtant du refoulé, toujours. Il n'y a pas d'élus, de sages, de maîtrise, de normalité car il n'y a pas de méta-langage, de méthode ou de calcul pour s'affranchir de la loi de la parole, devenir cause de soi délivré du désir : nous parlons donc nous sommes sujets. Pas de lieu tiers pour en rendre compte totalement, ni de co-naissance. L'espoir d'épouser la cause suffisamment, de s'y abandonner sans résistances pour s'identifier à son oracle, livré à la pure intuition, sans pensées, cela aussi doit être dénoncé comme pur imaginaire. Il y a séparation réelle de l'énoncé à l'énonciation, le savoir se constitue comme pour tout vivant par la rencontre du réel, il n'est pas donné au départ dans une unité mystique mais progresse dans l'erreur et l'invention, après coup, marge de liberté qui nous rend coupables et fait le poids de notre dignité. Le savoir, le discours constitué, ne peut prétendre à une révélation dernière du sens, une signification du sujet, mais seulement une lecture pas à pas de ce qui s'en écrit, où nous sommes partie prenante, parlêtre impliqué par le désir dans son histoire. Notre position de sujet, pris dans le langage, modeste apprenti du temps qui passe, manque à être aspiré par les failles du sens au même titre que chacun, en situation déjà, nous rend responsables de nos actes comme de notre passivité, sans pouvoir se réfugier dans la neutralité du spectateur quand il faut décider du sort. Témoin d'une position si singulière, témoin irremplaçable pourtant dans notre aventure commune. Nous ne sommes rien que ce dur désir de durer qui défaille et persiste, fraye hâtivement la voie au milieu de la foule, étonnés de notre propre histoire qui nous interroge sans cesse : Le temps accuse le trait voilà pourquoi il faut y répondre. Savoir impossible du sexe, du désir de l'Autre : Le sujet veut savoir ce qu'il est pour l'Autre, question de l'origine, du père, de la jouissance, du nom qui imprime sa marque, de la dette contractée à son insu, nostalgie de l'être perdu du fait du sexe, du rapport qu'il n'y a pas, de la sexion signifiante, dépendance absolue du sujet, sans recours contre laquelle il va ériger vainement des fétiches pour en apprivoiser la sauvagerie. Tout pouvoir dément une vérité immaîtrisable qui n'appartient à personne. Le pouvoir sait, à ce qu'il dit, d'être un pouvoir établi, un lieu public livré au privé, un emblème prestigieux de l'universel, signifiant de la jouissance. Un pouvoir ne refoule pas, il dissimule, il ment pris dans une stratégie de conquête ou de défense, car le pouvoir se prouve en se reproduisant et en produisant de l'idéal, de la norme, du sens, du même. L'inconscient est ce qui échappe justement à toute prise autoritaire et nous ramène tous au même rang: comme la tempête traite, universellement. La science comme la vérité, ne se décrète pas. Or, il ne suffit pas de considérer comme acquis le poids du père, de l'idéalisation et du symptôme et en être quitte pour autant, l'inconscient ne se soumet à aucune ruse ni à aucune Lacannaillerie. Nous devons témoigner de notre responsabilité, que la vérité n'est pas la possession de quelques uns mais dépend de chacun et disparaît derrière les effets de prestance.
L'expérience de l'analyse n'a pas qu'un effet de savoir mais suscite un désir, une cause infinie, une éthique tenace de lucidité. Le savoir de la cause nous pousse à causer, occuper notre place sans relâche, en toute connaissance de cause, réduit au bavardage mais pas sans effets: cause toujours, intervention dans le discours, le lien social, porteur d'une peste visant à le subvertir pour la dignité de chacun. L'expérience, bien sûr, ne suffit pas à parler pour nous mais motive au contraire notre engagement, notre désir, notre devoir pour sauver la vérité qui nous y attache des prétentions illusoires et avilissantes. Sans ce désir qui nous regroupe que pourrions nous défendre sinon de quelconques intérêts professionnels.
L'héritage de Freud et de Lacan nous somme d'interroger le symptôme, de prendre en charge cette exigence de vérité, d'en renouveler le tranchant. Ni Freud, ni Lacan ne sont de bons savants consciencieux et froids mais au contraire des consciences décidées, acharnées, obstinées, habitées d'une passion logique, d'un amour de la vérité qui ne s'embarrasse ni de convenances mondaines, ni de bénéfices secondaires et ne recule pas à penser contre soi même. L'un comme l'autre conscients de leurs limites insupportables, appelant la critique, prêts à abandonner la solitude de la pensée pour un pas de plus. Qu'avec retard nous puissions mesurer l'acquis, c'est alors seulement que nous pouvons y apporter notre critique d'un effort devenu inutile. Quel meilleur hommage que celui de notre contradiction quand elle prolonge l'effort de nos maîtres bien loin de les trahir et sans ce respect gluant d'une fidélité sournoise et outrée. Il y faut de la fureur comme dit Lacan, de la honte. Nous sommes responsables du symptôme qui est l'envers de nos limites, de nos lâchetés, de nos mensonges et nous le payons aussitôt en tranches d'être, en pertes de connaissance, en livre de chair. Nous héritons de tout à la fois du désir et de la faute. Le tranchant de la vérité s'émousse dès qu'énoncée, classée, éliminée et le symptôme en marque l'absence qui nous convoque impérieusement. C'est à cette condition seulement que l'analyse a une chance de répondre à son devoir dans ce monde, à son action libératrice, à son écoute singulière. Cette attention extrême à ce qui se dit réellement, aux trébuchements du sens, aux actes manqués, donne chance à une parole de se faire entendre, intervention dans l'universel de la science au nom de la singularité du sujet. Unique chance sans doute de sauver cette singularité du machinisme utilitariste en donnant tout son sens à ses actes. L'analyse doit dénoncer les illusions qui retiennent le sujet et l'égarent, elle dit ce qu'il n'y a pas : le roi est nu, pas de rapport sexuel, pas de bien suprême. C'est un savoir négatif, savoir du non, à l'écoute de ce qui se dit. Aucun savoir ne peut recouvrir cette singularité qui n'a pas dit son dernier mot et surprend le sommeil de la raison. La pente ne change pas du dire au dit, figé, vidé de sa substance et dès que prononcée la dés-illusion instituée va rabattre l'expérience sur un idéal normatif, une promotion sélective, une position gagnée, privilégiée, garantie, valorisante qui ne garde plus que la parure. Ceux qui se refusent à ces extrémités revendiquent leur absence de pensée pour se contenter de soucis professionnels et techniques d'efficacité ou de marché. C'est l'alibi technicien supposant une valeur sociale incritiquée qui recouvre en fait la fascination du confort et de la richesse, rejoignant les stéréotypes du cadre moyen dépossédé de ses loisirs même, soumis corps et âme à l'économie concurrentielle. L'utilité sociale de l'analyse n'est pourtant pas si certaine qu'on puisse s'y reposer, bien d'autres techniques peuvent s'avérer plus efficaces à cet égard. Par contre, de par son lien à la vérité, la place de la psychanalyse dans la culture contemporaine nous rend comptable de ce qui se dit et se fait en son nom. L'analyse est partout, dans la publicité, les écoles de commerce, les ministères de la famille, de la justice, les politiques et les journaux. Elle justifie de vieux préjugés, motive la répression sexuelle et fournit des alibis au discours normatif sur la drogue et les déviances sociales. Pour tous, l'expérience a valeur d'exemple mais les conclusions qui en sont tirées ne sont jamais innocentes et nous prennent à témoin. Si nous nous taisons qui parlera? nous sommes coupables de son usurpation par les pouvoirs confortés de l'insuffisance de notre critique. Notre action théorique est essentiellement éthique et politique, notre amour de la vérité est la subversion de toute prétention insupportable.
Il y a toujours urgence et l'urgence du moment est d'une nouvelle fondation. Après l'expérience qui nous enseigne, le désir qu'elle suscite, il y a l'acte qui tranche et nous re-groupe, le mouvement en acte qui répond aux conditions présentes et donne sens à une nouvelle institution, au passé qu'elle renie.
L'échec répété des institutions à se préserver de la sclérose du pouvoir et de la suffisance, tout occupées à leurs reproductions, nous engage à renouveler encore la tentative d'en contrer les effets imaginaires. Aucune astuce ne semble protéger des effets immuables de la psychologie de groupe, de sa contagion identificatoire, de son conformisme stérilisant. Toute structure cherche d'abord à se reproduire indépendamment de sa fonction. C'est pourtant un effort renouvelé qu'il nous faut tenter en construisant une utopie débarrassée de tentations honorifiques ou dominatrices. Utopie dérisoire et vouée à l'échec si elle ne visait pas autre chose : que le travail qui s'y poursuit ne soit pas réduit à un faire valoir ou à l'échange de bons procédés, pratique générale et bien compréhensible où le devoir de charité se confond avec le retour d'ascenseur et les bonnes manières singeant l'appartenance au même monde, reléguant le débat, la confrontation logique à la simple distraction sans conséquences, à la performance intimidante ou à l'imitation convaincue. Autre chose est de se risquer à la question en redonnant à la parole sa fonction d'élaboration et de dialogue, de nouveauté et de coupure. A ce jeu, il n'y a pas à supposer de savoir, c'est à chacun de montrer ce qu'il peut faire.
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