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Le Phallus est donc le signifiant qui n'a pas de signifié. Le signifié n'est possible qu'à se tenir au plus près des corps ou dans l'appartenance à une tradition et dans un contexte redondant mais toujours déjà dépassé car l'énonciation déborde l'énoncé de toutes parts. C'est pourquoi, le meurtre du Père ne vient compléter le tableau qu'à laisser, dans l'après-coup, à la place de la fascination du sens phallique, une place vide, l'impossible cicatrice du désir de l'Autre, d'une liberté que rien ne peut nous ôter même la vie et sans nous soulager de notre devoir de jouissance (l'impératif de justifier le temps qui nous est donné en partage).
Pour qu'il y ait dépassement de la jouissance et du père il faut, donc, avoir fait l'expérience de l'amour, de la fascination et du dévoilement. (Il n'y a pas de certitude immédiate bien qu'il y ait des apparences séduisantes). Mais cette mise en récit est, comme telle, mythique alors que la structure de l'Oedipe n'est pas une histoire ancienne, une quelconque scène primitive, une faute originaire mais bien l'actualité de tout sujet, la castration résultant de sa prétention à objectiver, valoriser, signifier l'énonciation elle-même. Sa temporalité, comme la temporalité du transfert et de son analyse, est la temporalité de toute signification, intrusion de l'énonciation dans l'énoncé et son refoulement qui se ferme, dans l'après-coup, d'une nouvelle énonciation qui en répond.
Il n'y a pas d'autre jouissance que le sinthome, l'oubli de l'énonciation (réalité psychique), la castration symbolique et son refoulement, l'interdit et sa transgression, fonction du tiers dans la signification où le sinthome se singularise comme manque, ratage (ça c'est vraiment toi). Il ne faut pas croire que l'interdit nous sépare en quoi que ce soit de la jouissance, la mère non-interdite n'est pas un objet de jouissance. La jouissance est l'interdit qui permet à la transgression de faire vaciller le sens déjà là dans la présence de l'objet entre le Sujet et l'Autre (insatisfaction, impuissance ou souffrance). Le Bonheur est l'objectivation du sujet qui s'aliène dans un idéal inaccessible dont la jouissance prélevée sur la réalité actuelle du Sujet le condamne à la castration et la souffrance. C'est pourtant ce qu'opère toute signification, tout signifié qui suppose toujours une totalité du monde. L'objection au bonheur éternel, même celui de ne plus croire au bonheur, est bien son ennui car il n'y a de sujet qu'à objecter, dire-que-non, répondre activement à l'actualité et non pas dans une identification à un signifié immobile. C'est donc l'interruption de la jouissance, le retour de l'énonciation, de sa responsabilité, de sa présence qui relance la dialectique temporelle inter-subjective, la reconnaissance du sujet en acte.
S'il y a plusieurs origines au langage (origine historique, phylogenèse), apprentissage de la langue par l'enfant (ontogenèse) et causalité d'une énonciation située (désir), Hegel ne rend pas compte de la naissance au langage d'un sujet qui ne se constitue pas dans la lutte à mort mais dans le recouvrement du besoin par la demande qui soumet au langage maternel, au sens et au désir de l'autre un sujet originairement symbolique et social pour qui la mort est plutôt l'ab-sens, la castration. Le sujet parvient à la conscience de soi dans sa relation au père comme privation de la mère et comme sexué plutôt que dans la privation de jouissance de l'esclave soumis au maître. C'est la même structure, il s'agit toujours du sacrifice du particulier à l'universel, la culpabilité, par quoi la singularité s'universalise, s'inscrit dans un langage et le sujet devient conscience de soi divisée mais libre (universel inconditionné et individualité singulière déterminée) qui ne s'atteint qu'à travers une autre conscience de soi.
Le complexe d'Oedipe noue, pour Freud, le Biologique et le Discours par l'Histoire. En cela il est un bon juif et ce qu'il perd de perspective messianique d'avenir, il doit le retrouver dans le réel du passé, sa force contraignante et actuelle, sa répétition et, en cela il est un bon scientiste mais il doit répéter l'acte fondateur de la réalité psychique pour rendre compte de l'humanité (Totem et Tabou), du peuple Juif (Moïse) et de l'enfance (Oedipe) pour éviter de rendre compte de l'énonciation actuelle. C'est bien cette vision du monde désastreuse, la quête de l'originaire que je récuse au nom de la liberté et de la vérité du parlêtre. On peut dire, selon l'énoncé de Lacan que "même si les souvenirs de la répression familiale n'étaient pas vrais, il faudrait les inventer, et on n'y manque pas. Le mythe, c'est ça, la tentative de donner forme épique à ce qui s'opère de la structure." Le Structuralisme qui s'origine, de Marx, de Husserl et de Heidegger, démontre la solidarité formelle, dans laquelle l'événement s'inscrit et prend sens historique (Il n'y a pas d'événement traumatique en soi) contre le récit mythique qui repousse la causalité dans un au-delà du discours actuel, une objectivation contraignante. Lacan n'a pas fait autre chose que défaire cette mythologie sommaire du meurtre du Père en dénonçant sa fonction de refoulement de la part qu'y prend le sujet dont la vérité est dans l'énonciation, dans le rapport à l'Autre institué par son discours. L'Oedipe comme structure est la métaphore du désir de l'Autre (signification du Phallus, castration), de la nomination, de la fonction du tiers. Rien à voir avec la détermination du discours par un réel primitif qui nous ex-cuserait ; le refoulement (péché) originaire n'est, tout au contraire, rien d'autre que le refoulement de l'énonciation sous l'énoncé, de la vérité sous le savoir. Le roman freudien qui dénie ce qu'il a trouvé sous une détermination biologique ou historique n'est qu'une transposition de discours qui ne renvoie pas à notre mémoire de primate mais à l'impossible de fixer un sens, d'assumer l'arbitraire du signifiant et notre insoutenable liberté qui nous rend responsables sans le savoir.
Tout ceci, bien sûr, ne peut rester qu'inaccessible à qui reste fasciné par l'objet de sa jouissance et de son évidence massive. Partir, au contraire de l'ennui quotidien, de la misère et de l'impuissance universelle, permet de fonder une entreprise collective sur l'arbitraire du sens, son impossible. Il n'y a pas de progrès (une maturation biologique) dans un passé qui perd toute existence à se figer dans l'être mais dans le projet où l'avenir s'écrit avec nos actes. Quand le désir recule à se fonder sur le sens, abandonnant toute prétention pour l'avenir, aucun progrès passé ne peut plus être pertinent mais seulement dans un nouveau projet qui s'appuie alors, dans son intentionnalité, sur le mouvement antérieur.
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Chacune de ces marchandises promet l'accès à cette "satisfaction, déjà problématique, qui est réputée appartenir à la consommation de l'ensemble"(Sds 65), et au moment inévitable de la désillusion apparaît déjà une autre marchandise qui fait la même promesse.
Les relations sociales non seulement apparaissent, mais sont effectivement "des rapports de choses entre personnes et des rapports sociaux entre les choses" 35, M607
"La découverte scientifique que les produits du travail, en tant que valeurs, sont l'expression pure et simple du travail humain dépensé dans leur production, marque une époque dans l'histoire du développement de l'humanité, mais ne dissipe point la fantasmagorie qui fait apparaître le caractère social du travail comme un caractère des choses, des produits eux-mêmes " M 608
La science bourgeoise prend pour vraie l'apparente autonomie des "choses" et des "faits " et cherche à en étudier les "lois qui fonctionnent dans la réalité objective sans intervention du sujet". Cette science reste prisonnière de ce fétichisme de la marchandise que la vraie critique doit dissoudre. 43/46
Seule la dialectique hégélienne a découvert que la dualité se résout dans le "processus", et Marx a ensuite identifié ce processus au processus historique concret qui "dépasse réellement l'autonomie - donnée - des choses et des concepts des choses, ainsi que la rigidité qui en résulte" 45, HCC 183
Dès l'instant où surgit la possibilité réelle du "règne de la liberté", toutes "les forces aveugles poussent à l'abîme d'une façon véritablement aveugle, avec une violence sans cesse accrue, apparemment irrésistible, et seule la volonté consciente du prolétariat peut préserver l'humanité d'une catastrophe" HCC 95. La production matérielle de la société du futur "doit être la servante de la société consciemment dirigée ; elle doit perdre son immanence, son autonomie, qui en faisait proprement une économie ; elle doit être supprimée comme économie" HCC 289. 61
Au moment où la société découvre qu'elle dépend de l'économie, l'économie, en fait, dépend d'elle. Là où était le ça économique doit venir le je. SdS §52
Tous les pouvoirs sont confrontés à l'échec de leur bonne volonté gestionnaire, attachés à nous décrire des lendemains radieux qui n'emportent pas la conviction et à édicter des normes pour leurs statistiques auxquelles la réalité sociale s'empresse d'apporter son démenti. La marchandise ne pourra jamais remplacer la reconnaissance qui est due au prolétaire, c'est-à-dire à tous comme source de tout pouvoir et non comme simple administrés, l'abondance de marchandises ne pouvant nous rendre moins pauvres de pouvoir effectif et de dignité. Après la Philosophie et l'Art, le Révolutionnaire et le Saint, la morale subjectiviste de résistance à l'objectivation qu'on doit enfin tirer de l'analyse de la jouissance phallique et du symptôme ne consiste pas à mieux rétribuer les marchandises (impasse d'une revendication qui ne peut être assouvie) mais bien à restituer la fonction subjective du temps logique contre le temps spatialisé et mesuré, restituer l'ex-sistence de l'énonciation, des relations sociales, la subversion de l'ordre établi. L'ennui est bien contre-révolutionnaire, temps figé et sans perspectives, pris dans une jouissance morte, le spectacle voulant réduire toute aventure individuelle à un amour idéalisé où le mensonge règne en maître pour toujours.
(lire le Guy Debord de Anselm Jappe, Via valériano.)L'interdiction de l'Autre jouissance
La drogue, contemporaine de la "société de consommation", est l'envers subjectif de l'objectivation technique et marchande. C'est "la jouissance qu'il ne faudrait pas", comme la masturbation dans les années 1930, car elle ne vise pas l'objet interdit comme signe du désir de l'Autre mais, d'abord, la modification de la subjectivité. C'est donc un symptôme crucial du capitalisme (de ce monde objectif, rationnel et déjà vécu de la marchandise) dont la psychanalyse n'a pas su rendre compte, adoptant le discours objectivant du pouvoir qui tente vainement d'y réintroduire l'interdit et des "valeurs morales" alors que le règne de la marchandise est la dissolution de toutes les valeurs traditionnelles (et que la guerre de l'opium, aux débuts du capitalisme, a voulu imposer la liberté du commerce de l'opium contre la Chine qui s'y refusait !) On ne fait que renforcer la demande à mesure que le pouvoir est sommé, dans chacune de ses tentatives d'interdiction, à étaler la pauvreté de ses raisons et de son idéal productiviste où les êtres humains réels ne peuvent pas vivre. L'interdiction de la drogue est la conséquence de l'exclusion de la subjectivité qui n'est plus qu'objet des manipulations d'un "bio-pouvoir" rationalisant.La drogue n'échappe pas vraiment à la jouissance phallique, car il n'y a de jouissance qu'interdite, mais elle peut l'interrompre (c'est la fonction principale des calmants et autres médicaments psychotropes). C'est une réponse du corps à la jouissance qui manque, l'aveu du non-rapport sexuel, du ratage de sa normâlité, ce qui ne l'empêche pas de retomber dans la jouissance, et même lourdement. Car cette réponse du corps passe d'abord dans le discours comme un mensonge, non reconnu. La non-reconnaissance sociale des effets de la drogue est l'élément le plus nocif, le plus psychotique et marginalisant. C'est le refoulement du subjectif par l'idéologie de l'individualisme et du moi autonome, efficace et productif. Qu'on n'aille pas trop vite non plus à croire que la drogue remplace le désir sexuel ; il suffit, là aussi, de lire Freud qui, dans ses lettres à sa fiancée exhibe un désir exacerbé par la cocaïne. Mais, dans ce domaine, les préjugés ont force de loi et bien peu ont les moyens de se distinguer du discours de l'opinion, d'autant que l'affrontement du subjectif et de la limite est l'affaire où chacun est pris, comme il peut, trop personnellement pour énoncer un jugement objectif à ce sujet.
L'interdit du Pouvoir sur la drogue : une psychose sociale actuelle Nous sommes ici au point où le politique investit la subjectivité et où se manifeste la solidarité de la psychanalyse et de la politique, des conditions sociales et subjectives, des marchandises et du concept de "drogues" interdites. D'un côté, le discours répressif doit tenir compte des faits, et renoncer à la prohibition de l'alcool qui est une des drogues les plus dangereuses mais dont la tradition est si forte dans nos pays que son interdiction ne mène qu'à une gangstérisation de la société. De l'autre côté, il prétend interdire des substances aussi inoffensives que le Cannabis, sous prétexte d'un idéal inconsistant de réussite professionnelle, confronté à la réalité du chômage, ou d'une morale sexuelle délirante, en fait par peur d'une subjectivité libre, immaitrisable et le plus souvent étrangère (prétexte du contrôle des populations).
Le comble est que ce discours, conscient de ses impasses, a trouvé son relais dans une morale analytique impayablement subtile, considérant que le drogué, par définition est porteur d'une demande, que dis-je, d'un appel adressé à l'État qui définit la drogue par son interdit. C'est d'autant plus comique que Freud était notoirement cocaïnomane (créditant la drogue d'une levée du refoulement) et cette "interprétation", voulant tout réduire au langage, relève, en fait, d'une vision en dernier ressort hygiéniste de la Psychanalyse qui, paradoxalement, ne veut pas qu'on touche au corps par une sorte de mystique, d'une morale positive idéalisée et démoniaque à la fois (comme toujours), voulant ignorer au nom d'une harmonie supposée du corps et de l'esprit, que la première drogue est le langage lui-même qui traite du corps sans ménagements. Mais le langage n'est pas tout (malgré Dolto plus que Lacan voir Le corps et l'esprit) et ce moralisme thérapeutique est intenable par la psychanalyse qui soutient de tout autre rapports entre le corps et l'esprit dans sa critique de la jouissance phallique.
La catégorie de Drogue n'existe pas et encore moins celle de Drogué dont on pourrait faire un portrait robot. L'effet des drogues dépend de leur effet sur le corps. C'est en quoi c'est un moyen de connaissance et de contrôle de nos affections (qui demande à être bien conduit, avec science, en opposant le contrôle par soi-même de sa propre affectivité d'avec la drogue d'État standardisée comme le Prozac). L'utilisation d'une ou l'autre de ces "drogues", même régulièrement, ne saurait définir une identité pas plus que la catégorie d'utilisateur d'un véhicule, et malgré les dangers qu'ils rencontrent sur leurs routes. La "Drogue" n'est un symptôme social qu'à ne pouvoir être reconnue et verbalisée par le discours dominant. C'est bien plutôt ce manque de discours qu'on attribue au drogué accusé de remplacer sa parole par un produit et rejeté comme un sauvage au nom de la puissance maléfique d'un tabou innommable (ce qui favorise en retour l'identification du "drogué" au produit).
Bien comprise, la drogue est pourtant une part essentielle de notre pouvoir sur nous-mêmes et de la rencontre de l'Autre, un détachement de la jouissance qui n'est pas sans clairvoyances et une mise à l'épreuve de notre humeur, de nos identifications, une coupure temporelle. Loin d'imposer silence, la soustraction du corps peut donner aux discours plus de conséquences et de sérieux (comme en témoigne la pratique des Perses de tester leurs décisions dans l'ivresse). La drogue sépare le corps du signifiant, dérègle les sens, ferme le sens dans son enveloppe corporelle et dénoue le lien spéculaire à l'Autre. Aucune société ne s'en est jamais complètement passée et l'alcool prétend, dans nos sociétés marchandes libérales, à une féroce exclusivité, tant les forces de l'économie y sont portés à leur paroxysme, jusqu'à la dépendance des mafias comme des polices, par la puissance du désir pour une liberté à laquelle on veut encore ajouter l'attrait de l'interdit au nom d'une morale sexuelle et du bien du sujet (le pouvoir n'a jamais eu d'autres fins); insupportable échec de la fonction phallique.
Dans la drogue, ce n'est pas l'image du corps qui compte vraiment, mais la suggestion inactuelle des sens, la surprise ou l'excuse qui libère la parole de la nécessité d'en rendre compte, ouverture à un autre discours en même temps qu'excitation du corps. Acte de liberté de l'esprit qui traite du corps sans ménagements (sans quoi pas de contrat qui vaille). C'est une fuite aussi, un refuge qui isole des sens devant l'agression d'un réel insupportable, objection de conscience à une responsabilité impossible. C'est un outil, une arme ou un masque, et attaché à un peuple plus que sa religion (on tue encore en son nom, l'hérésie coûte chère). Vin de la fraternité sans quoi rien ne serait possible, il faut s'abaisser pour se savoir frères (il est des nôtres!). Rien à voir, donc, avec un quelconque rétablissement de l'équilibre, un nirvana biologique : c'est le discours qui s'alimente d'une séparation du corps et se mesure à ses dérèglements, conséquence de la constitution du sujet en pur effet de sens : Je est un Autre.
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