Pour l'analyse révolutionnaire
comme expression du négatif
L’actualité révolutionnaire
Ya Basta ! Commencer par ce cri révolutionnaire contemporain
devrait suffir à montrer que la force de négation, de révolte
n’est pas morte malgré le triomphe du capitalisme mondial et de
la démocratie de l’argent. La dégoulinade analytique depuis
la mort de Lacan est tout aussi révoltante, et pour les mêmes
raisons. Il faut se rendre à l’évidence qu’il y a identité
entre le sujet de la psychanalyse et le sujet de la politique ou de l’histoire
car, s’il n’y a pas d’inconscient collectif, il y a des problèmes
collectifs et des solutions collectives, un langage collectif enfin dans
lequel le sujet singulier s’inscrit en se constituant comme histoire. Cette
identité du langage et du collectif est bien ce qui est en question
dans le nom d’analyse révolutionnaire comme expression du
négatif. Accoler ces deux concepts pour les identifier signifie
bien que toute action révolutionnaire résulte de l’analyse
des contradictions concrètes et non d’une conquête du pouvoir
qui prétendrait éliminer toute contradiction. Mais cette
dénomination d’analyse révolutionnaire vise aussi à
signifier qu’il n’y a pas d’analyse possible dans le service des biens
et le goût de l’ordre ou de l’être mais qu’il y faut, au contraire,
une liberté de mouvement et une opposition résolue à
l’objectivation du pouvoir, le parti-pris du négatif par où
la vérité tient au réel. Mais pour que la psychanalyse,
en tant que représentation du sujet dans la Science, témoigne
de cette exigence, il faut d’abord réfuter les dogmatismes qui parcourent
ses rangs, obscurcissant, par des mythes confusionnels qu’elle n’a pas
su réduire, ses perspectives et l’idéologie contemporaine
(car il faudrait abandonner soit la psychanalyse, soit la subversion).
Situation de la psychanalyse
Ya Basta, donc, de l’imposture psychanalytique envahissant tous nos médias
d’une langue morte pendant que le marché bien réel de la
dépendance est le lieu de minables rivalités. La situation
de la psychanalyse ne peut provoquer que de la Honte, d’autant plus que
le discours subtil et compliqué invoque des vertus invisibles et
invraisemblablement exigeantes. Le résultat n’est pas brillant d’un
dogmatisme égaré et stérile à l’égarement
des pratiques et des groupes. L’écart est immense entre la subtilité
logique digne des bouddhistes tibétains et la réalité
de la pratique et des mythes archaïques qui continuent de la guider
(de l’Oedipe paternaliste au biologisme sexuel). Nous aurons pour tâche
d’en démonter la confusion en distinguant les niveaux de pertinence,
c’est pourtant bien à ce niveau pratique qu’il faut juger
la théorie. Mais pour porter l’accusation du refoulement de la vérité
sous l’utilité économique, la fonction sociale (idéologie
de nos cadres modernes, de l’objectivation du pouvoir), qui suis-je donc
sinon le non-analyste que Lacan appelait de ses voeux, comme Analyste de
l’École, c’est-à-dire l’Analyste des Analystes, ça
ne veut pas dire que j’en ai les moyens. Mais il faut que la situation
me paraisse désespérée pour que je sorte de ma solitude
et batte le rappel contre le conformisme qui renonce à toute ambition
et se dégrade en sectes lucratives.
La confusion dogmatique
Le dogmatisme domine partout et étouffe toute critique réelle
au nom de l’enseignement des idiots. Il ne sert à rien de se dire
freudien ou lacanien sinon dans l’affrontement d’un autre groupe. Il vaut
bien mieux se positionner, faire une lecture critique de l‘un et de l’autre
qui n’est pas un enseignement, ni un apprentissage, mais essentiellement
une action politique de critique et de propagande, de propagation de la
vérité par sa proclamation (faire de cette chaire une tribune).
La pratique actuelle consistant à rassembler Tout-Freud (de la psychologie
à l’usage des neurologues aux tout derniers écrits) et
Tout-Lacan (de sa thèse sur la paranoïa à la topologie
des noeuds) en une seule allégeance est à l’origine de confusions
innombrables en même temps que d’un consensus commode et rassembleur
favorisant la répétition dogmatique. On peut penser que Lacan
a participé à cette confusion par son mot d’ordre du retour
à Freud, mais c’est qu’il y avait nécessité pour lui
de montrer qu’il fondait bien ce que Freud avait découvert. Sa lecture
de Freud ne consistait pas à répandre les théories
de Freud mais bien plutôt à retrouver derrière les
énoncés explicites les contraintes objectives dont Freud
rendait compte par son effort théorique. Plût au ciel que
ce soit ce type de lecture qu’on tente sur Freud ou Lacan mais le résultat
est plutôt d’une confusion de tous les concepts où chacun
se bricole un dogmatisme à sa convenance, du plus stupide au plus
élaboré, alors que Freud comme Lacan procédaient,
au contraire par la constante rectification de leurs anciennes formulations.
La négativité du sujet
Le concept d’"analyse révolutionnaire" rassemble les impasses de
la psychanalyse et de la politique, l’expérience de l’effondrement
soviétique comme les effets de la dissolution (et plus largement
les leçons de la psychose) dans la négativité du sujet
: l’expression du négatif opposé à toute positivité
qui ne peut mener qu’à l’idéalisation et aux démentis
du réel. La positivité de l’être qui se fait recueillement
ou joie aboutit à la soumission totalitaire (Heidegger). Peu importe
qui approuve un mouvement qui se fait sans lui, il n’y a conscience, sujet,
existence avérée qu’à se dresser en obstacle pour
dire-que-non mais l’énoncé oublie toujours l’énonciation
dont il procède, la force de contra-diction qui l’excède,
les rapports sociaux qui la constitue. Cet engagement dans l’action, dans
le mouvement, la réalisation effective où le sujet s’identifie
à son action, à sa responsabilité, à sa liberté
pratique (énonciation, pouvoir d’élection), à
son ex-sistence et non à son être (énoncé, représentant),
c’est bien la seule alternative à la jouissance phallique, la fascination
d’un bien et d’un pouvoir suprême, d’une béatitude idéale
recouvrant une misère entretenue (castration, culpabilité,
exploitation). L’expérience prouve que le sujet retourne pourtant
toujours à la fascination phallique dans une dénégation
plus vigoureuse encore et plus inaccessible. Il faut en tirer la conséquence
d’une plus grande rigueur dans cette critique du pouvoir et du bien suprême
en affirmant clairement qu’il n’y a pas de bon pouvoir et que l’alternative
réside dans une amélioration et une critique constante, la
responsabilité et le jeu de chacun (le sujet n’est pas heureux parce
qu’il se reproduit dans l’ennui mais parce qu’il reproduit sa liberté
en acte par rapport aux biens matériels). Il m’est apparu qu’il
y avait réellement continuité entre ces deux champs, gouverner
et analyser, qui ne pouvaient être abordés que par la subversion
révolutionnaire ou sombrer dans l’hypnose, vérité
longtemps occultée par l’imposture soviétique et les prétentions
trop scientifiques mais que Lacan avait déjà reliée
explicitement au saint qui dépouillé de tout bien incarne
cette liberté souveraine de l’esprit à l’opposé de
la charité qui renforce le discours des biens et la plainte qu’il
provoque en authentifiant la jouissance de l’Autre.
Le dépassement de la philosophie
Il faut bien dire que cette critique qui ne s’exclue pas elle-même
de la critique est proprement ce que, depuis le dangereux révolutionnaire
Socrate bien avant Kant, on appelle la philosophie tout simplement. Lacan
devant Althusser s’est bien déclaré anti-philosophe mais,
à le lire, la philosophie qu’il condamne est celle d’une revendication
humaniste, de la bonne conscience et des prétentions du savoir ou
de la morale. Cependant la philosophie n’est pas dans les systèmes
dogmatiques qu’elle construit mais dans la critique dialectique des
arguments opposés, le déploiement de la parole, des raisons
opposées, dans la construction d’une logique par le dialogue
(échange), dans l’expression du négatif, la liberté
de contradiction qui définit le révolutionnaire (l’esprit).
La positivité est toujours tyrannique et sans lieu (utopie). Au
contraire, il n’y a pas d’autres preuves d’existence que dans le dire-que-non
où se joue l’identification du sujet. Si l’analyse révolutionnaire
hérite de la philo-sophie à la fois la passion de la
critique ou du dialogue et la volonté de vérité (critique
du dogmatisme comme du scepticisme), elle abandonne par contre, explicitement,
les prétentions à la sagesse. Critique de la jouissance phallique
castratrice du Bien, le fameux Bonheur, au profit de la vérité
du sujet, la réalité des contradictions actuelles et de leur
résolution effective (passage de l’être du nom, au
verbe de l’énonciation). Le statut de la vérité
a changé mais il n’a pas sombré dans le relativisme, il est
devenu historique. La vérité de la dénonciation ne
protège pas le révolutionnaire contre son propre pouvoir.
Depuis Marx la philosophie est sommée de réaliser ce qu’elle
avait pensée. Ce qu’elle avait pensée, chez Kant, en antinomies
de la raison le contraignait déjà au combat pour les lumières,
la liberté entière de parole qui nous laisse seul juge. Le
projet démocratique est bien la réalisation de la philosophie,
malgré Platon, car c’est la reconnaissance de chaque citoyen comme
sujet de la raison critique (Liberté, égalité, fraternité).
L’idéologie révolutionnaire (parce que c’est bien
donc une idéologie révolutionnaire et non pas une absence
d’idéologie supposée qui laisserait inconsciente l’idéologie
effective) ne proclame pas une fin de l’histoire paradisiaque mais, tout
au contraire, un travail permanent de critique, de corrections et de remise
en cause constituant la vertu du citoyen. Révolutionnaire doit s’opposer
à tout idéalisme, au mythe d’un âge d’or, de l’homme
nouveau, d’une vérité définitive, d’une normalité
enfin. Au contraire le révolutionnaire est celui qui analyse la
nouvelle contradiction et prend le parti du travail du négatif,
s’en fait le porte parole. Le but de la révolution relève
bien des mêmes paradoxes, des même difficultés et des
mêmes audaces que le but de l’analyse.
L’échec thérapeutique
Qu’il le veuille ou non, le psychanalyste véhicule son idéologie
dans sa pratique. Cette idéologie lorsqu’elle est non-sue, inconsciente,
est tout simplement celle de la société marchande et de son
discours publicitaire, idéologie du bonheur dont s’origine les symptômes
névrotiques justement. Chacun tient d’autant plus à cette
idéologie molle qu’il s’identifie au groupe, voire qu’il s’y sente
exclu, soutenu par l’évidence commune des mass-média. Que
cette idéologie se déclare révolutionnaire permet,
au contraire, d’orienter ouvertement la pratique effective comme prise
de conscience des contradictions. Cette proposition peut paraître
inouïe mais, en fait, il n’y a pas d’alternatives car, le retour à
la thérapeutique ne peut être que la mort de la psychanalyse
remplacée par des méthodes plus efficaces, alors que son
efficacité irremplaçable est dans sa subversion même.
En fait, il n’y a pas d’autre psychanalyse qu’une psychanalyse-critique,
il n’y a pas d’autre analyse qu’une psychanalyse révolutionnaire.
C’est dans cette brisure que l’analyse peut garder son tranchant qui l’oppose
tout à fait à l’identification thérapeutique. Il n’y
a bien, en effet, aucune alternative, la thérapeutique n’est pas
condamnable et il n’y a même rien d’autre de pensable si on approuve
l’ordre existant et si on protège sa jouissance. Encore fallait-il
que ce concept d’analyse révolutionnaire puisse être conçu
comme il faut, ce que les errements du communisme ou du gauchisme ne permettaient
pas vraiment, même si les indications de Télévision
(l’ordre n’est jamais à goûter puisqu’il est établi)
ou de l’acte analytique suffisent, malgré l’expérience
de Vincennes, à poser correctement le problème. L’époque
révolutionnaire, dans sa perversion stalinienne, ne pouvait accepter
la psychanalyse qui introduisait la critique dans le projet révolutionnaire.
C’est pourtant bien le point de leur rencontre, la résistance à
l’objectivation.
La déception amoureuse
Il nous faudra cependant examiner chaque mythe de la psychanalyse pour
en restituer l’actualité, la vérité qui nous compromet,
derrière les croyances commodes d’un savoir objectivé et,
pour cela nous devrons nous distinguer des interprétations courantes
en distinguant soigneusement ce que le mythe confond, et dont la confusion
est bien la fonction, en se bornant pourtant à la puissance de la
négation pour réfuter tout idéalisme théorique.
Ainsi, ça ne vous a rien fait que Lacan mette en cause le rapport
sexuel, parce que, en tant qu’être moral, vous comptiez sur l’amour
pour vous rattraper. Mais s’il faut aller jusqu’à confondre l’amour
et le surmoi, il faut ajouter que la leçon de l’analyse est bien
qu’il n’y a pas d’amour (et faut-il ajouter heureux?) mais dissymétrie.
Ou plutôt, c’est l’amour qui rend fou, l’amour des parents tout autant
que l’amour-passion ou l’amour-sinthome (et malgré les rares moments
d’amour-rencontre). On devrait s’apercevoir que le dispositif analytique
est bien, comme amour expérimental où les masquent tombent,
une sorte de réfutation de l’amour (mais on imagine un amour supérieur
amor intellectu ou, tout aussi bien, génital). Aller
jusque là c’est réaliser aussi comme le sujet dépend
entièrement de l’Autre (bien plus que l’amour ne croit) et ne se
laisse pas éteindre dans une simple jouissance jalouse.
La communauté inavouable
Comprendre notre devoir d’opposition et de configuration du monde, dénoncer
les contradictions et les mensonges du lien social économisé,
du langage du pouvoir, ne peut mener qu’à une solidarité
plus forte que la compétition sociale qui nous est imposée
et, au nom d’un projet commun de protestation, nous devons unir nos forces
pour transformer notre monde plutôt que de donner la main
à ses vaines tentatives de normalisation que nous sommes là
pour dénoncer au nom de la pensée pratique. Le but est bien
démesuré et pourtant il n’y a pas d’autre mesure, chacun
étant garant de la vérité de tous et ce qui est réalisé
se joue toujours d’abord dans la pensée, c’est cela la responsabilité
de tous.