La liberté n’est jamais octroyée et chaque époque doit lui payer son tribut, s’approprier sa révolte, s’en reconnaître sujet, engagé dans des luttes concrètes. L’écroulement de l’empire soviétique, délivrant enfin la révolution de sa caricature bureaucratique, a pourtant figé pour un temps, en redistribuant ses alliances, tout mouvement révolutionnaire mondial au profit d’un renouveau des nationalismes totalitaires. Mais cet appel à une si moderne servitude médiatique n’est pas sans produire sa propre négation par toutes sortes de dysfonctionnements, d’exclusions et de violences "gratuites" imposant petit à petit le scandale du mensonge primordial du pouvoir lorsqu’il traite ses électeurs en numéros anonymes et en simple instruments de sa puissance (il faut rendre la honte encore plus honteuse).
La Psychanalyse représente pour la Science cette insistance du sujet. Sa place dans la culture, et pour chacun, est tout dans son pouvoir subversif prenant le contre-pied du discours moralisateur objectivant. Mais son éthique est si fragile, et le poids de l’époque est si lourd, qu’elle ne prétend plus qu’à normaliser, rendre à la consommation un désir en déroute. Ce n’est pas sans produire toutes sortes de manifestations dérisoires de prétentions délirantes. C’est pourtant dans un temps si dépourvu d’esprit de révolte qu’il faut clamer le plus fermement ce qui fait tout le prix de la subversion psychanalytique. La psychanalyse doit se savoir révolutionnaire ou elle ne sera rien.
il n’y a d’analyse que du transfert, du désir qui s’y manifeste, soit de l’énonciation présente dans l’énoncé (ni traversée du fantasme, ni reconstitution historique, ni traumatisme originel, ni signifiant primordial, etc.), c’est là que doit s’opérer la séparation du savoir (énoncé objectivant) et de la vérité (sujet de l’énonciation). Seule la vérité est révolutionnaire, seule la vérité, reconnue dans ce qu’elle a d’irréductible comme ratage ou sur-prise, délie ce que le symptôme avait lié au nom du savoir idéal. Les psychanalystes sont au minimum responsables de l’analyse du transfert ou bien c’est l’éthique de la psychanalyse qui, de nouveau, retombe à la servitude volontaire hypnotique. Car c’est bien l’analyse du transfert qui dément Freud tout autant que Lacan, réduisant l’analyse à la chute du sujet supposé savoir et non à un savoir sur le sujet, ni historique, ni déterminé par la structure, mais l’absence du savoir du sujet supposé. On ne peut maintenir que tout est langage et que nous sommes déterminés par notre petite enfance ; notre histoire qui nous singularise et que nous ne pouvons plus changer ne fournit pourtant que des signifiants n’ayant aucun sens en eux-mêmes mais qui ne trouvent leur sens que dans le discours concret adressé à l’autre et se réduisant explicitement, dans l’analyse, au transfert. Le père n’est pas si primordial, il ne représente qu’un paradigme du tiers comme métaphore de la signification d’un désir (et de sa loi), métaphore de la métaphorisation, de la nomination, et non pas comme modèle structurant originel. Le mythe d’Oedipe est brandi comme un épouvantail par tous les pouvoirs autoritaires et "paternalistes" alors que, ce qui n’est pas un mythe, c’est le complexe de castration.
il n’y a pas d’autre choix qu’entre une psychanalyse normative visant une efficacité (guérison, bonheur, nomination) et une pratique révolutionnaire privilégiant la vérité qui nous échappe et qu’il faut imposer au démenti officiel. Le psychanalyste qui se prend pour le modèle du pauvre analysant n’est en rien différent du policier qui cherche sincèrement à réguler un corps social constitué en objet et dont lui seul incarne la mesure, de l’extérieur (c’est le pouvoir de faire le bien, aucun pouvoir n’a d’autre fin, et c’est pourquoi le pouvoir n’a pas de fin. p640). Il ne suffit pas, pour décoller de cette pente, de proclamer sa bonne volonté mais de montrer une grande fermeté dans la dénonciation de son propre pouvoir, sa propre objectivation, sa propre idéologie. C’est bien le pas que Freud a accompli réellement, éthiquement par la notion de transfert devant un témoignage d’amour dénoncé comme adressé à un Autre et dont il n’a fait ensuite qu’essayer de tirer les conséquences malgré son savoir scientiste. C’est la mise en cause du savoir du psychanalyste qui est, ici, primordial, la critique de sa théorie et de son prestige (mais rendue impossible par la position de disciple lacanien ou freudien. L’inconscient se ferme en effet pour autant que l’analyste ne "porte plus la parole", parce qu’il sait déjà ou croit savoir ce qu’elle a à dire. p359).
La critique externe ne doit dispenser en rien de la critique interne des relations de pouvoir qui s’imposent dans le groupe révolutionnaire lui-même au nom de l’idéologie révolutionnaire car, loin d’inventer un pouvoir idéal, il s’agit, au contraire, de le garder soumis à la critique. Nous devrons être vigilants pour ne pas laisser se reproduire parmi nous la méconnaissance de toute idéalisation et de ses trop bonnes intentions.