La crise que nous vivons n'est pas une simple crise cyclique d'ajustement mais c'est une véritable crise de civilisation
(passage de l'ère énergétique à l'ère
de l'information et de l'économie à l'écologie). La
situation est objectivement révolutionnaire car les solutions sont nécessairement globales, ce qui dramatise la question de l'alternative et de la transformation sociale.
En effet, la crise n'est pas seulement écologique et sociale mais
touche tous les aspects de la vie (économie, politique, sciences,
techniques, religions). Nous devons vraiment reconstruire sur un champ de ruines, résister
aux forces de destruction, renverser la vapeur. Pour cela nous devons d'abord interpréter
correctement ce monde et les évolutions en cours, reconnaître
la réalité avant de la transformer mais une fois comprises
les impasses et les menaces de notre mode de développement et des
rapports marchands généralisés, nous devons construire
une alternative, devenir responsables de notre avenir et des conséquences de nos actes en affirmant nos finalités humaines et le projet
pour les réaliser en préservant nos ressources. Il faut reconnaître
les réalités pour réaliser nos objectifs. Nous avons
une obligation de résultats, pas seulement de moyens. Face à
ces enjeux, le revenu garanti est une réponse nécessaire mais
pas suffisante pour autant, ce n'est pas un projet de production alternative, il faut y adjoindre
une relocalisation de l'économie et la valorisation des talents dans
le cadre de coopératives municipales.
1. Les données de base
- Ecologie
La situation écologique est de plus en plus
inquiétante aggravant le réchauffement climatique et les risques
de phénomènes extrêmes. Beaucoup d'incertitudes subsistent dans une météorologie incalculable au-delà de
quelques jours et qui nous confronte aux limites de notre savoir devant la
complexité du monde mais cela ne réduit en rien l'urgence de mesures de protections
immédiates malgré cette incertitude, difficile exigence du principe
de précaution comme prudence de l'action face aux risques vitaux.
L'essentiel n'est pas tellement que notre science pourrait prédire
avec plus d'exactitude les catastrophes qui nous menacent mais plutôt que
notre environnement est déséquilibré par notre propre
production et que ces catastrophes sont en partie au moins une conséquence
de nos actes. L'essentiel c'est de reconnaître l'évidence que
notre mode de développement n'est pas durable ni généralisable.
L'écologie étant la base de la vie,
c'est l'exigence prioritaire qui doit nous guider, ce pourquoi nous ne pouvons
voir dans la croissance une sortie de la crise. C'est bien le mode de production
et de consommation qu'il faut changer, autant dire notre mode de vie. Si
construire une alternative au capitalisme salarial semble au-dessus de nos
forces et nous semble de l'utopie, nous y seront contraint matériellement
d'une façon ou d'une autre. C'est le capitalisme qui est utopique,
hors sol, délocalisé, sans foi ni lieu. Il n'y a pas de temps
à perdre.
Notre mode de vie devra changer profondément aussi dans le domaine
des transports et de la voiture dont on ne peut plus se passer. Il faudra
réorganiser la circulation, dynamiser les échanges locaux,
relocaliser l'économie, généraliser les transports en
commun et le ferroutage. Les contraintes écologiques nous obligent
certes à donner la priorité aux économies d'énergie
ainsi qu'à nous opposer aux logiques de croissance quantitatives mais
l'écologie-politique doit remonter aux causes humaines et ne se
réduit pas aux questions d'énergie ou de quantités,
ni même à l'écosystème biologique mais intègre
plutôt l'écologie comme pensée globale et complexe dans
la politique, l'économique, le social. C'est une réponse
concrète aux impasses de la civilisation et du progrès, une
rupture avec les politiques libérale ou étatiste mais absolument
pas une disparition de la politique dans une gestion technique des populations.
L'objectivité des menaces écologiques ou des ressources d'un
territoire nous oblige à nous rassembler au-delà de nos différentes
idéologies ou cultures pour construire un monde commun. Comme projet
politique, l'écologie-politique est un investissement dans l'avenir au bénéfice
de tous, du développement humain et de l'autonomie de chacun. Le développement
est une complexification, une optimisation des ressources disponibles qui
peut être tout le contraire d'une croissance quantitative. Il n'est
pas question de se contenter d'une décroissance qui réduirait
tout un peu, c'est le cercle emploi-consommation qu'il faut briser, la logique
productiviste du capitalisme salarial et la marchandisation du monde. Le revenu
garanti est indispensable pour sortir d'une logique de concurrence salariale
mais cela doit être la base d'un production plus soutenable. Il faut
développer l'écologie, les économies d'énergie,
les transports en commun mais aussi tous les services et la production
coopérative comme les logiciels libres. L'écologie-politique
est inséparable de l'ère de l'information, de la formation,
de la production de soi, de la conscience de soi. C'est la politique de l'avenir et de la responsabilité,
pas la nostalgie du passé et de l'innocence, pour que toute notre techno-science ne soit pas
impuissante contre la menace que nous représentons pour nous-mêmes.
- Economie
L'économie ce n'est pas rien, c'est ce qui
nous fait vivre, organisant production, circulation et distribution. Les
crises de l'économie nous affectent profondément dans nos vies. Or l'économie
est en crise profonde, pas seulement parce qu'elle est insoutenable écologiquement,
exigeant des réorientations radicales, mais aussi parce qu'on est
passé, grâce aux technologies informationnelles,
d'une économie de l'offre (fordiste) à une économie
de la demande (flexible) mais surtout d'une économie concentrée
et planifiée fondée sur le travail et l'énergie, à une économie
fondée sur l'information en temps réel et l'organisation en réseaux, sur
la formation, la diversification et l'autonomie, sur la communication et
la coopération plutôt que sur la concurrence et les rapports
de force.
On ne peut aborder ici l'analyse des réalités
et des potentiels de la nouvelle économie (que nous avons fait
ailleurs)
mais il faut souligner que cela se traduit concrètement par une extension
dramatique de la
précarité et du
chômage (armée de réserve et surpopulation), le
facteur humain devenant la principale
variable de régulation de la production, avec l'exclusion des systèmes
de protections sociales adaptées à des CDI de moins en moins
nombreux (en flux sinon en stock). Nos comportements capricieux de
consommateurs
participent aux aléas d'une production déterminée par
la
circulation (les marchés financiers globaux) mais plus profondément
c'est une caractéristique des nouveaux emplois de comporter une grande
part d'imprévisible et d'inconstance. Cela affecte nécessairement
la plupart des services car on ne peut stocker des
services pour en réguler
la production. Le passage à une économie se réglant
sur la
demande en flux tendus, là où des stocks étaient
constitués avant, ne fait que renforcer cette précarisation
de l'emploi mais le gain de productivité obtenu témoigne qu'il
s'agit bien d'une optimisation, une réduction des pertes grâce
à l'exploitation des informations transmises. Cela n'a pas que des
bons côté, surtout écologiquement, mais cette tendance
au déstockage ne sera pas inversée. Un dernier élément
de poids s'ajoute à cette tendance, c'est la place de plus en plus
grande de la
créativité, des intermittents du spectacle ou
des intellos précaires, bien éloignés d'un statut permanent.
Tout cela va de pair avec une
diversification de la formation, des parcours,
des statuts qui renforcent l'individualisation et défont les solidarités
collectives (effet de civilisation, voir
Elias
, qui n'est pas imputable au seul libéralisme).
Notre problème principal est de reconstituer une sécurité
sociale pour ce travail éclaté, en premier lieu la
continuité
du revenu, de moins en moins assuré, contesté même, au
nom de raisons infâmes, pas de pitié pour les gueux, alors même
qu'on sait bien qu'on ne trouve pas de travail ! C'est la question du
revenu
en général qui est remis en cause, crise de la mesure d'une
productivité qui devient de plus en plus globale et indirecte, de
moins en moins réductible à des résultats immédiats
ou au temps de
travail direct, alors que la continuité du revenu est
nécessaire tout au long de l'existence, de la formation à la retraite.
- Social
Le domaine social témoigne des effets destructeurs
d'une précarité qu'on a laissée se développer
en pensant qu'elle serait provisoire et que la protéger serait l'encourager !
Le résultat est là. On ne peut se limiter à défendre
le dernier carré des salariés protégés car nous
sommes tous menacés maintenant de tomber dans la déchéance
tellement les filets de protection ont disparus et il est illusoire de vouloir
reconstituer un plein emploi salarié de type industriel. Les institutions
sociales sont à refonder pour les adapter à cette nouvelle
précarité en assurant une garantie du revenu qui est la première
condition de l'autonomie (en premier lieu pour les femmes) et constitue
la protection minimum qu'on peut attendre de la participation à une
société (avec le droit au logement et à la santé,
plus largement le droit à l'existence). L'idée d'un statut
professionnel s'impose aussi, lorsque c'est possible pour maintenir et développer
les compétences. Ce qui doit frapper devant l'extension du chômage
c'est une somme de forces sociales inemployées
qui pourraient apporter une énergie considérable à la
société si on arrivait à nous mobiliser sur un objectif
commun.
Il y a aussi une crise des générations, déséquilibre du Papy Boom, au moment où une nouvelle génération accède aux postes
de commande mais où tout est encore bloqué. Jamais la jeunesse
n'avait connu si massivement un sort inférieur à ses parents.
La famille est redevenue une indispensable assistance sociale que ne fournissent
plus les institutions. Nous sommes à la veille d'un renversement de
situation entre les générations en même temps que les femmes
deviennent majoritaires dans le salariat et les retraités de plus
en plus nombreux. Un revenu garanti pour tous donnerait un support matériel
clair à la solidarité sociale et entre générations,
ainsi qu'entre sexes puisque l'essentiel du coût d'une telle mesure
serait constitué par l'attribution d'un revenu aux femmes qui n'exercent
pas encore d'activité salariée et ne bénéficient
d'aucun revenu individuel (mères au foyer). Cela permettrait
aussi de supprimer le couperet de la mise à la retraite forcée
alors qu'on peut vouloir continuer à participer au monde du travail
tant qu'on est valide, tout comme de si nombreux chômeurs.
Il faut bien dire qu'on ne voit pas dans l'état actuel des choses
comment un tel bouleversement de la logique même de la protection sociale
pourrait avoir une chance de se réaliser. Il faut absolument un mouvement
social de grande ampleur, une grève générale sans doute,
la manifestation des citoyens en tout cas, leur mobilisation politique contre
les blocages
sociaux et institutionnels. On ne sait quel événement pourrait
servir d'étincelle permettant de cristalliser l'indignation générale
et d'unifier les luttes.
- Politique
Depuis l'effondrement du communisme, nous assistons
au délitement complet de la démocratie, de plus en plus manifeste
de livres en élections, démocratie représentative qui n'est plus que spectacle,
oligarchie, impuissance, auxquels le terrorisme s'attaque vainement,
en venant s'écraser sur la vitre médiatique. Il nous faut dépasser le post-totalitarisme
qui nous inhibe pour retrouver la capacité de se donner des objectifs
collectifs et de construire notre avenir commun. La démocratie à
venir ne se réduira pas au vote majoritaire, mais ce doit être
une démocratie participative, de communication et d'échanges,
donnant la parole à ceux qui ne l'ont pas pour construire un véritable
consensus. La crise politique est très sérieuse et comporte
bien des risques.
Le revenu garanti ne permet pas de régler une question
idéologique mais du moins il permet d'ouvrir à tous la possibilité
d'un engagement politique et pas seulement aux fonctionnaires ou professions
libérales comme actuellement, véritable démocratisation
de la politique à la quelle les plus pauvres pourront enfin véritablement
accéder, condition de toute démocratie participative.
- Historique
La crise historique ouverte par l'invasion des techniques
de l'information et de la communication ne se pose pas seulement en terme
de globalisation ou d'Empire capitalo-américain mais nous renverrait
jusqu'au néolithique. Nous quittons l'ère néolithique
de l'énergie et de l'agriculture pour l'ère de l'information
et de la culture. La rupture affecte toutes nos représentations, elle est religieuse et planétaire. Cela dépasse l'Ecologie-Politique
mais il faut du moins mesurer l'importance des enjeux et résistances
idéologiques. Sciences et techniques nous unissent, au-delà
de nos cultures, ainsi que la conscience d'un avenir commun dont nous sommes
responsables, passage à l'histoire conçue et au principe de
précaution.
2. Le projet d'avenir
Une fois esquissées les lignes de fond de notre
environnement historique, l'alternative doit se fonder sur des finalités
humaines à long terme assumées concrètement, un projet collectif et l'investissement
dans un avenir commun. Notre finalité écologiste ne peut se
limiter à la défensive, aux menaces et contraintes. Comme projet
positif (négation de la séparation, unité du séparé) c'est le développement humain, l'amélioration de la qualité de
la vie, de l'autonomie des individus dans un environnement préservé et favorable.
Le revenu garanti répond aux crises sociales, économiques,
écologiques, à condition d'être un "revenu suffisant",
mais le revenu ne suffit pas, il faut assurer une production alternative
dans les domaines relationnels au moins (services aux personnes,
formation), ne pas laisser la place aux seuls services marchands mais passer
par une économie plurielle où s'élabore petit à
petit une alternative au productivisme du capitalisme salarial.
La Réduction du Temps de Travail ne répond à aucune de ces crises,
elle ne réduit pas le productivisme et ne sort pas de la logique de
profit immédiat du capitalisme salarial, permettant tout au plus de
faire baisser le chômage aux marges. La croissance est une solution
sans doute pour la question sociale mais elle aggrave la crise écologique et
ne peut être durable car, comme le dit Marx (et Schumpeter), la cause de la décroissance
c'est la croissance initiale. S'il y a dépression, c'est parce qu'il
y a eu emballement. L'économie administrée est aussi une solution
sociale et qui pourrait inclure le souci écologique mais ce sont les
structures politiques capables de limiter le gâchis et la corruption
qui manquent.
La voie du revenu garanti et d'une relocalisation de l'économie
semble plus réaliste dont on peut montrer qu'elle répond vraiment
aux crises écologiques et sociales en sortant du productivisme salarial
et de la précarité sociale, à condition de fournir à
chacun les conditions d'un emploi valorisant qui participe à une production alternative,
dans le cadre de coopératives municipales fournissant des
moyens, organisant les échanges et pouvant répondre aux demandes
tout en laissant à chacun une totale autonomie (c'est le plus difficile
avec les risques de clientélisme, il faut le savoir et avoir l'audace
de créer les structures adaptées).