Déclenchement du plan B !
Les partisans du oui ont surtout peur qu'un non donne un coup
d'arrêt à la construction européenne, ce que je ne
crois pas du tout, et c'est pour cela qu'ils sont prêts à
accepter n'importe quoi et voter cette constitution les yeux
fermés, en dépit de toutes leurs critiques. L'existence d'un
"plan B" leur semble impossible alors qu'il se
confirme jour après jour que cette hypothèse est plus ou moins inéluctable. Le
journal Le Monde
l'évoquait le 5 mai et Jacques Delors
l'avouait dans son interview du 13 mai, avant de tenter de se reprendre
ensuite, car
les partisans du oui savent bien que l'existence
d'un plan B leur serait fatale. En effet la perspective d'une refonte relativement mineure de la constitution suffit pour
dégonfler toute dramatisation excessive en libérant le
droit de critique et de proposition. Il ne faut pas céder
au chantage au chaos ni se laisser impressionner par les rappels
à l'ordre de tous les pouvoirs ou les injonctions des
médias.
Pourquoi voter ce texte trop mal foutu si on peut avoir mieux ?
Reconnaître l'existence d'une alternative a un autre
conséquence qui est de balayer les accusations contre
l'inconsistance du camp du non, aussi bien que les prétentions
de
certains d'écrire la constitution de leurs rêves, ce qui
serait plutôt une sorte de cahier de doléances mais
absolument sans
aucune chance d'aboutir. A l'évidence, ce ne sont pas
les tenants du non qui vont prendre le pouvoir et rédiger la
constitution à l'issue de la consultation, dans une impossible
alliance entre européens convaincus et souverainistes ! La
refonte de la constitution sera l'oeuvre des instances
européennes et sera inévitablement minimaliste, juste ce
qu'il faut pour obtenir une majorité dans une nouvelle
consultation, sans devoir tout renégocier. On en connaît
déjà les grandes lignes : retrait de la partie III,
procédure de révision plus souple et sans doute
l'adjonction d'une déclaration clarifiant quelques points
du texte, comme il avait été procédé pour
un précédent référendum danois.
Voilà à peu près le plan B qu'on nous cache et qui n'a rien à voir avec les catastrophes qu'on nous annonce.
Bien sûr, c'est un minimum, ce n'est pas ce qu'on peut
espérer de mieux, mais c'est déjà ça. Ce
qu'il faudrait, je le répète, c'est un mouvement social européen
qui porte la constitution vers une véritable ambition
européenne. Il est presque sûr que la crise ouverte par le
non français provoquerait un large débat dans toute
l'Europe, tout comme l'émergence d'un non de gauche a
provoqué ici une formidable mobilisation citoyenne. C'est la dynamique constituante du non
qui pourrait nous mener beaucoup plus loin, mais qui reste
aléatoire (cela dépend de nous). Si on devait se
contenter du plan B, ce ne serait déjà pas si mal et
justifierait notre combat, alors que l'arrêt de la construction
européenne ou le simple retour au traité de Nice serait
effectivement bien décevant. C'est heureusement impossible.
L'Europe n'est pas
si fragile et les forces qui poussent à l'unification ne vont
pas se dissiper soudain, ni tous les militants européens
disparaître du paysage. Nous sommes tous devenus européens,
unis par l'Euro, et nous pouvons nous exprimer sur l'Europe que nous voulons.
L'Europe des 25 a besoin d'une constitution, elle mérite mieux
que celle-là.
En tout cas, malgré ce qu'on prétend, ce n'est certes pas
à ceux qui la critiquent de présenter une constitution
alternative mais
bien aux instances européennes de nous proposer une constitution
plus acceptable !
Le pari des opposants
à la constitution ne peut être de gagner sur toute la
ligne, c'est plus raisonnablement que la victoire du non peut avoir des
effets positifs et améliorer la constitution avec très
peu de retard, qu'il est possible d'inverser les politiques
libérales menées depuis plus de 20 ans (phase
dépressive du cycle de Kondratieff), et enfin que la
mobilisation sociale
peut enclencher une dynamique à l'échelle
européenne permettant une véritable fondation
démocratique de l'Europe (c'est le moins sûr mais dont il
faut tout de même saisir la chance).
Il faut bien
dire, qu'à l'heure actuelle, la victoire du non parait
malgré tout assez peu probable face à un appareil de
propagande
déchaîné. Il suffit d'ailleurs, sous prétexte de rééquilibrer la
campagne référendaire, de faire parler à notre
place tous les leaders déconsidérés que ce soit Le
Pen, de
Villiers, Chevènement ou même Buffet et Fabius. Rien de
tel pour disqualifier le non, porté par la base (comme en 68) et
non par ces politiciens et démagogues, mais on paye très
cher notre absence de représentation médiatique crédible. On est
mal
barré, tout le travail citoyen permis par Internet pèse
de bien peu de poids face aux mass-médias... Du moins, une fois
admis que la victoire du non ne serait pas la fin du
monde ni même celle de l'Europe, mais qu'une crise peut
être salutaire, on peut revenir au texte et aux raisons de le
rejeter sans se laisser intimider par tous ceux qui nous accusent
d'irresponsabilité ou de nationalisme et voudraient nous
assimiler aux communistes ou aux fascistes.
Les partisans du oui les plus à gauche justifient leur vote
en disant qu'il n'y a pas d'aggravation par rapport à la
situation actuelle. La
prédominance de la concurrence,
du marché, du
libéralisme (et même de l'ordo-libéralisme)
étant un fait, il ne servirait à rien de l'extirper du
texte. Pourtant il n'y a jamais eu de
constitution à ce point libérale faisant du marché
le principe constitutionnel le plus fondamental. Il y a bien un saut
conceptuel,
un changement de nature dans le passage d'un traité à une
constitution. Si on peut trouver en effet tout-à-fait
souhaitable
d'établir un traité entre pays, basé sur une
concurrence
libre et non faussée entre Etats,
ce qui pourrait
même permettre de lutter contre le dumping social ou fiscal, ce
n'est plus du tout la même chose d'en faire un principe
constitutionnel et le fondement du lien social, amenant le
marché à se substituer au politique. Ce qui visait
l'abolition des barrières nationales va s'opposer
désormais aux tentatives de relocalisation de
l'économie, pourtant de plus en plus indispensables d'un point
de vue écologique. Une fois cette constitution adoptée,
il
suffira de faire appel aux
tribunaux
pour empêcher toute politique favorisant les échanges de
proximité et les circuits courts. C'est un danger dont bien peu
se soucient, même parmi les écologistes, et qui a pourtant
au moins autant d'importance que les
menaces avérées contre les services publics. Je
n'ai pas beaucoup d'espoir
que cette critique puisse être prise en compte, alors que ce
serait pourtant primordial. Tout ce que je peux faire c'est en
souligner l'enjeu
pour notre avenir. Heureusement nous sommes plus nombreux à
trouver
insupportable de prétendre fonder la société sur
le marché
et la compétition. En tout cas cela fait partie des raisons
impératives de dire non à cette constitution, pour une
véritable
construction européenne, même si ce sera le plus difficile
à obtenir avec la remise en cause de l'indépendance de la
banque centrale, deux points cruciaux qui ne font partie d'aucun "plan
B" pour l'instant et qui devront être arrachés par de
fortes mobilisations.
Les raisons de s'opposer à cette constitution ne concernent pas
seulement le texte mais aussi le rapport au texte, ce n'est pas
seulement un rejet du
contenu, c'est aussi un rejet de la forme technocratique ainsi que
des
politiques libérales pratiquées jusqu'à
maintenant. Malgré tout ce qu'on peut nous raconter pour nous
effrayer, malgré nos leaders et nos divisions, malgré les
derniers sondages, il reste au moins 4 bonnes raisons
(écologique, politique, historique, cognitive) de voter non afin
de permettre au moins le
déclenchement du plan B, et plus si possible...
- écologique : il est très dangereux de donner force de constitution à
la concurrence, avalisant le totalitarisme de marché, ce qui
compliquera beaucoup toute tentative de relocalisation de l'économie
pourtant urgente écologiquement mais faussant inévitablement la
concurrence au profit des échanges de proximité et des circuits courts.
Argument anti-libéral.
- politique : de même que c'est le non de gauche qui a
politisé et passionné le débat sur l'Europe, la victoire du non (plus improbable aujourd'hui)
provoquerait une crise salutaire, une amélioration de la constitution et
l'intervention des peuples. L'appropriation citoyenne est primordiale et
ne peut être qu'un acte autonome, un dire-que-non fondateur, au
contraire de l'abandon à un processus qui se fait sans nous (dés lors qu'on ne peut plus sortir de l'Europe).
Argument démocratique.
- historique : la période est propice à une refonte des institutions et
de nouvelles régulations ou protections sociales, tournant le dos à une période libérale qui a
perdu beaucoup de sa crédibilité et de son hégémonie. L'émergence du non
de gauche en est un des symptômes, la revendication de
l'anti-libéralisme par tout le monde jusqu'au chef de l'Etat en est un
autre.
Argument social.
- cognitif : on a tout à gagner dans la prise en compte de
l'expertise citoyenne, ce qui devrait être une évidence en
démocratie et dont les logiciels libres ont montré la
supériorité sur les systèmes fermés. Un système qui ne tient pas compte de
la rétroaction ne dure pas longtemps et il y a dans les
critiques exprimées de très bonnes analyses (pas toutes...). Refaire sa copie
n'est pas un échec mais un progrès et il faut que
l'Europe mette en pratique la démocratie participative qu'elle
prétend fonder dans sa constitution elle-même.
Argument juridique.
Ainsi, au
contraire de ce qu'on voudrait nous faire croire, en refusant ce texte on a toutes les
chances qu'un "plan B" apporte des progrès substantiels
et une consolidation de l'Europe mais c'est sans doute le dernier combat contre le totalitarisme du marché.
Chaque voix comptera. Voter oui, c'est perdre pour longtemps la perspective de
démocratiser l'Europe, voter non c'est au moins laisser l'avenir
ouvert, redonner sens à l'action citoyenne et, peut-être même, le retour du printemps des peuples.
Suite le 22/05/05 : Appel pour une constituante
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